REFLEXIONS  sur les TRANSES DE POSSESSION

Willy BAKEROOT

INTRODUCTION

Dans l’avion qui mène à Fort de France, les passagers sont en train de déjeuner, l’hôtesse passe avec un chariot plein de boissons et les distribue après avoir demandé à chacun ce qu’il voulait boire.

A la fin du repas, elle repasse et ramasse les boîtes vides. Elle fait tout cela avec élégance et dans un style feutré. Elle a le style “ORLY” qui réussit le tour de force de s’adresser à chacun sur un mode parfaitement impersonnel tout en faisant croire et même en persuadant chaque passager qu’il est l’unique privilégié et le plus digne d’attention.

Sa manière de parler est confidentielle et intime. Il y a de la mère et de l’amante dans ses paroles. Il est vrai qu’à cette altitude, il ne serait pas étonnant qu’elle soit possédée par un ange. Et Dieu seul sait combien cette valetaille du ciel a le secret de la neutralité. Les anges sont désarmants et c’est leur métier, ne sont-ils pas les gardiens des routes du paradis ?

Malgré la formule stéréotypée :

- Pouvez-vous me donner votre boîte s’il vous plaît monsieur ?

Le sourire qui l’accompagne n’a pas l’air d’être un fromage. Tout le monde participe au ramassage avec force complaisance. C’est qu’on lui donnerait bien plus que notre boîte à cet archange !

- Monsieur, voulez-vous un bonbon à la menthe ?

Il s’agit maintenant d’une mini-hôtesse qui passe, dix minutes après l’autre. Elle peut avoir sept ou huit ans. C’est un ravissante petite mulâtresse vêtue d’une jolie robe à volants comme on en trouve beaucoup dans les Antilles. Elle tient à la main un paquet de bonbons et en distribue à tous les passagers sur le même mode que la grande hôtesse d’il y a quelques instants. Elle a seulement l’air plus sérieux et moins détaché.

J’aime beaucoup les bonbons à la menthe. Et d’ailleurs, est-il possible de refuser ce cadeau venant de la part d’un chérubin ou d’un séraphin ? D’autant plus qu’elle les offre avec un tel sérieux que tout refus semblerait sacrilège.

Ma voisine qui est sans doute plus gourmande que moi mais qui doit avoir plus de difficultés à l’avouer lui dit :

- Mais il n’en restera plus pour toi !

- Ca ne fait rien rétorque la petite, voulez-vous un bonbon à la menthe ?

Je prends le bonbon, ma voisine aussi et la petite fille continue son questionnement à la rangée suivante.
Comme je suis en train de lire, je mets le bonbon en bouche et je pose le papier sur la tablette à côté de mon livre.

Peu après je revois le minois qui réapparaît.

- Je ramasse les papiers des bonbons !

Heureusement, j’avais gardé le mien et je pouvais lui rendre. ma voisine l’avait perdu ! Ce n’était plus de jeu et ce n’était pas sérieux. Ce n’est qu’après avoir longuement insisté que la petite est passée ramasser les papiers des autres rangées.

Petit flash sur un jeu d’enfant. On en trouve ainsi quotidiennement de multiples figures auxquelles nous ne prêtons attention que pour en sourire. Il est vrai que c’est drôle cette imitation d’un personnage central dans les voyages aériens.

Ce personnage n’est pourtant pas n’importe qui. C’est l’”hôtesse”, la référence au milieu des nuages, l’assistante du Grand Pilote. C’est elle qui nourrit et qui désaltère - gratuitement - celle qui rassure dans toutes les turbulences.

Telle un ange dans le ciel, elle règne sur un pays de quelques mètres carrés d’existence précaire, sur un peuple auquel, par son charisme, elle insuffle la certitude souriante d’arriver au bout du voyage, même lorsque les plus audacieux, à certains moments, ne sont plus tout à fait rassurés.
Elle à tout de l’intercesseur ou de l’esprit bénéfique qui est intermédiaire entre le ciel et la terre.
La petite fille revient.

- Alors c’était bon le caramel, monsieur .”

- Très bon, mais où habites-tu ?”

- A Bellegarde !”

- Et où vas-tu ?”

- Ben, en vacances tiens, quelle question !”

- Je ne sais pas moi ! tu aurais pu aller à l’école en Martinique !”

- Est-ce que j’ai l’air d’aller à l’école moi ?”

Non bien sûr ! j’aurais dû deviner qu’à cet instant, celle qui la possédait, celle qui parlait par sa bouche n’était autre que l’Hôtesse : Notre Dame des Vacances.

Erzulie-Vacances comme on dirait dans le Vaudou.