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Invocations à ST Antoine de Padoue et Ste Rita

 

Retraité de la fonction publique hospitalière, infirmier de secteur psychiatrique, puis surtout musicothérapeute et danse-thérapeute dans un hôpital psychiatrique, j’avais participé en Juin 2014 en tant qu’intervenant à un colloque dont le thème était : Mythologie et vie psychique.
Je pensais à ce moment là que c’était la dernière fois que j’écrivais quelque chose sur le sujet.
Seulement voilà, Willy Bakeroot a insisté pour que je reprenne ma plume afin de narrer l’histoire assez incroyable dont à été l’héroïne ma chienne Ilou (jeune femelle Eurasier âgée alors d’un an et demi) et qui a causé bien des soucis à mon épouse et à moi-même dans l’été qui a suivi ce colloque.

Je commence, parce qu’il faut bien commencer par quelque chose par ce mot : Invocations.
J’aime bien ce terme. Il me rappelle ma formation en danse-thérapie où France Schott-Billmann appelait un ensemble de mouvement : Invocations au ciel et à la terre.
C’est de plus, le titre d’un livre d’Alain Didier Weill sur le pouvoir invoquant de la musique. J’avoue que je n’ai pas tout compris au propos, mais le titre m’a plu et pour moi il évoque un mouvement d’attirance, d’un autre à qui on s’adresse.

Donc, en ce mois de Juillet 2014, nous décidons, mon épouse et moi-même, d’aller camper avec notre chienne, près du lac de Bonlieu dans le Haut Jura, à mi-chemin entre les communes de Clairvaux-les lacs et St Laurent en Grandveaux.


Venus pour y faire de la randonnée pédestre, notre première ballade devait, en partant du camping, nous conduire jusqu’aux cascades du Hérisson. Elle s’arrêta au bout de deux kilomètres dans le village de Bonlieu car nous dûmes nous abriter dans l’église, heureusement ouverte, à cause d’un violent orage.
Nous en profitons pour la visiter. Parmi les différentes statues de saints qui s’y trouvaient, il y en avait une qui représentait St Antoine de Padoue. Nous ne nous doutions pas, à ce moment là, que cela aurait pour nous de l’importance.
La pluie s’arrêtant, par prudence, nous décidons de faire demi-tour. Mais le soleil ayant réapparu, nous convenons d’aller revoir un site que nous connaissions, appelé : le belvédère des Quatre lacs, (lacs d’Ilay, du grand et du petit Maclou, et de Narlay) qu’il domine d’environ trois cent mètres, du haut d’une imposante falaise et de pans de forêts abrupts.

Arrivés là, nous nous laissons tenter pour suivre un sentier, longeant de loin en loin les dites falaises, serpentant dans la forêt et qui mène à un autre site grandiose situé à environ deux kilomètres : Le Pic de l’Aigle.
Quelques précisions importantes sur la configuration du lieu  et qu’on retrouve dans beaucoup d’endroits du Haut Jura: En plus des falaises, il y a par endroits, au milieu des forêts, de gros blocs qui s’en sont détachés, qui se sont recouverts de feuilles et de mousses, rendant invisible des  crevasses parfois très profondes, appelées ici des lésines.
Une autre particularité de cette région  qui était par nous inconnue : ces forêts sont peuplées de chamois ! Nous qui venions de la région Lyonnaise, nous pensions qu’il n’y en avait que dans les Alpes. Grossière erreur !

Nous débutons donc notre ballade et comme notre chienne frétille de joie, nous décidons de la détacher, le sentier semblant s’éloigner de la falaise. Deuxième erreur, car dans un virage elle se retrouve nez à nez avec un chamois et le prend aussitôt en chasse malgré nos appels insistants, en direction de la falaise ! Puis….plus rien, pas un bruit.
Jusqu’à la nuit tombée, malgré la pluie revenue, nous l’avons cherchée, appelée, fait plusieurs fois l’aller retour jusqu’au Pic de L’Aigle, en interrogeant les personnes rencontrées. L’une d’elles, une jeune femme, nous dit pour nous réconforter qu’elle ne l’avait pas vue mais qu’elle prierait St Antoine de Padoue  qui, d’après elle, veillait sur les animaux perdus. En fait, ce serait plutôt sur les objets perdus, mais pour nous, ne le sachant pas à ce moment là, cela n’avait pas d’importance.
De guerre lasse et épuisés, nous sommes rentrés au camping, en laissant sur le parking d’où nous étions partis, sa couverture et sur le lieu de la fugue, un tissu imprégné de notre odeur.
Il nous a évidemment été très difficile de trouver le sommeil, pensant sans cesse à notre chienne perdue, ou pire peut être, morte.
Pour ma part, à partir de ce moment là, je me suis mis régulièrement à m’adresser à elle par la pensée, lui disant qu’on ne l’abandonnait pas. J’étais en cela influencé par un psychiatre, le docteur Rosenfeld, de la clinique privée dans laquelle je continue à animer, bien que je sois à la retraite, deux groupes de musicothérapie par semaine.
Celui-ci, féru de méditations, (il a même écrit un livre sur les vertus thérapeutiques de ces pratiques), m’avait affirmé que, d’une part, en temps qu’être humain nous n’utilisions qu’une partie du potentiel de notre cerveau et, d’autre part, que nous pouvions dans certaines situations, communiquer par la pensée avec d’autres personnes. Donc….pourquoi pas avec des animaux qui nous sont proches et qui, dans bien des domaines, savent nous montrer qu’ils ont des capacités bien supérieures aux nôtres.

Dès le lendemain matin et pendant les quinze jours suivants, nous avons continué nos recherches à pied et en voiture, sillonnant la région de long en large dans un rayon d’une trentaine de kilomètres.
Nous avons également alerté les gendarmeries des trois villes les plus proches, les mairies, les SPA locales, les vétérinaires et même les présidents des sociétés de chasse des villages alentours. Nous avons également confectionné, à partir d’une photo de notre chienne, des affichettes où figuraient nos coordonnées et que nous avons placardées un peu partout.

Au pied du Pic de l’Aigle se trouve le village de Chaux du Dombief. Au cours de nos recherches, nous y avons fait la connaissance de Noémie, une jeune fille qui pendant les vacances scolaires tenait le dépôt de pain du village et qui nous a promis, puisqu’elle faisait du jogging, de rechercher notre chienne. Puis ce fut au tour du boucher charcutier Philippe qui faisait les marchés et des livraisons, et du président de la société de chasse.
Ce dernier, dans un premier temps, ne nous a pas vraiment rassurés ! Il nous a expliqué que les chiens de chasse de la région étaient tous équipés de collier à GPS, car  il était très difficile de les retrouver à cause de l’étendue des forêts et, de plus, les chamois, très agiles, les entrainaient dans des endroits où ils ne pouvaient pas passer !
Il nous a cependant redonné un peu d’espoir en nous racontant l’histoire d’une chienne qui s’était perdue avant un hiver. Il n’est pas rare que, dans cette région, les températures y descendent jusqu’à moins vingt cinq, voire moins trente ! Il l’a retrouvée un an après, abritée dans une petite grotte…avec une portée de chiots qu’elle avait eu entre temps. Il a réussi à l’attraper grâce à un bout de moquette dont il s’était entouré le bras pour qu’elle ne le morde pas, elle a pu retrouver son maitre dont elle a reconnu tout de suite le bruit du moteur de sa voiture !
Ce brave homme nous a assuré qu’il ferait des recherches et effectivement, dès le lendemain matin, il est venu nous dire qu’il avait entendu un animal gémir dans la falaise.

Nous appelons alors les pompiers qui nous renvoient sur la brigade de secours en montagne, basée à Morez, et contre toute attente ceux-ci veulent bien se déplacer ! Ils viennent à trois et partant du sentier que nous avions suivi en haut des falaises, ils descendent en rappel.
Pendant ce temps, nous et le chasseur, nous remontons du bas des rochers dans la forêt abrupte, à partir d’un autre sentier parallèle situé en contre bas, entre la forêt et les lacs.
J’avoue qu’avec ma femme nous avons eu à ce moment là la peur de notre vie. Monter ça allait, mais redescendre dans les feuilles humides, entre les éboulis, ça a été une autre histoire !
Je suis même tombé sur plusieurs mètres de dénivelé, glissant dans les feuilles, mais heureusement sans gravité.
Hélas, malgré cette mobilisation, nous n’avons obtenu aucun résultat.
Le lendemain matin nous retrouvons sur le site deux des gendarmes venus bénévolement refaire des descentes. L’un d’eux nous a même dit qu’il était revenu la veille au soir avec son chien, pour tenter de lui faire suivre la trace de la nôtre. Tout ceci, sans résultat.

Pendant ce temps, notre fille, depuis Grenoble grâce à internet, a également mobilisé beaucoup de monde autour de la disparition de notre chienne. Une vingtaine d’entre eux étaient même prêts à effectuer une battue, mais nous avons décliné l’offre car notre chienne, comme tous les Eurasiers, est très peureuse. C’est ainsi que nous avons reçu un appel d’une femme qui nous a donné les coordonnées d’un radiesthésiste spécialisé dans la recherche d’animaux et qui lui avait retrouvé ses deux chiens.
Malheureusement cette personne n’exerçait plus, mais elle nous a quand même dit qu’elle ne sentait pas notre chienne morte et que nous devions chercher dans un rayon de trois kilomètres autour de l’endroit ou nous l’avions perdue.
Nous avons alors pris l’initiative d’aller explorer l’autre versant dans la forêt, en partant en sens inverse des falaises, là ou elle descendait en pente douce, donc plus facile d’accès.
Arrivés en bas, exténués, nous nous sommes adressés aux habitants de la première maison venue, afin de leur demander s’ils auraient la gentillesse de nous ramener à notre voiture.
Qu’elle ne fut pas notre surprise d’apprendre qu’il s’agissait de la dame qui nous avait indiqué le radiesthésiste et qu’elle était la mère de Noémie, la fille qui tenait la boulangerie et avec laquelle nous avions sympathisé.
Ayant lu au camping un prospectus proposant des baptêmes en ULM, nous avons alors eu l’idée de demander au pilote s’il ne pourrait pas, moyennant finances, venir survoler ces maudites falaises, ce qu’il a accepté de faire  avec des passages prévus dés le lendemain matin.
Avec des voisins campeurs et leurs enfants, jeunes adultes sportifs, nous sommes repartis sur les lieux, pour voir si le pilote de l’ULM apercevait quelque chose. Hélas ces recherches furent, elles aussi, vaines.

Une fois revenus au camping, nous nous sommes aperçus que dans notre désespoir nous avions oublié l’un des fils des campeurs, en bas, au bord de l’un des lacs !
Nous sommes évidement retourné le chercher et quand nous sommes arrivés près de lui, celui-ci, tout excité, nous a dit qu’il avait entendu hurler une bête dans les falaises.
Des pêcheurs qui avaient passé la nuit près du lac, nous ont alors confirmé qu’ils avaient entendu pendant la nuit et venant du même endroit, des appels …d’un loup !
Or, il faut savoir que les Eurasiers ont, entre autre, des gènes de loup. Nous mêmes avions déjà entendu les deux chiennes de même race que nous avions eus avant Ilou, dans certaines circonstances exceptionnelles, hurler de la sorte.
Je remonte aussitôt jusqu’en bas des falaises, et là au dessus de moi, j’entends un gémissement. Mais impossible d’approcher, ce qui fait que je rappelle les secours en montagne.
Ceux ci reviennent à quatre, refont des recherches appuyées et de nouveau…aucunes traces de la chienne !
Nous avons passés le reste de notre séjour à sillonner les forêts et les nuits à continuer à l’appeler en pensée, sans plus de résultats…
Ne sachant vraiment plus quoi faire j’ai alors proposé à mon épouse d’aller à pied jusqu’à l’église de Bonlieu mettre un cierge devant St Antoine de Padoue, car nous ne risquions rien à invoquer ce Saint.
Comble de malheurs, les dieux n’étaient  à ce moment là vraiment pas avec nous car l’église était fermée !

De guerre lasse, nous sommes repartis, la mort dans l’âme, sur Lyon, car nous devions aller passer une quinzaine de jours chez des amis à Lavaur, à coté de Toulouse, et à Bézier.  Et de plus, nous avions le sentiment d’avoir tout essayé.
Pour la petite histoire et pour la première fois de notre vie, nous sommes allés porter un cadeau… à des gendarmes, pour les remercier de nous avoir aidé et ce même en dehors de leur temps de travail.
Quelques jours plus tard, nous visitions le village de Cordes et dans son église, ouverte !, il y avait une statue de St Antoine de Padoue devant laquelle nous avons pu mettre un cierge et invoquer sa grâce.
Une femme qui nous avait entendus parler de notre chienne perdue, nous a alors spécifié, que dans notre cas il valait mieux nous adresser à Ste Rita qui s’occupait des causes désespérées. Seulement, encore fallait-il que nous trouvions un autel qui lui soit dédié ou une statue la représentant !

Cela se concrétisa, fort heureusement, quelques jours plus tard !  Nos tribulations nous avaient amenés à Sète pour visiter plusieurs musées. Utilisant son GPS pour en trouver un, notre conducteur nous a amenés au Mont St Clair ou nous n’avions pas prévu d’aller.
C’eut été dommage  car il y a un panorama vraiment magnifique, à trois cent soixante degrés, sur la mer, le port et la ville de Sète… Et surtout, il y a une église : Notre dame de La Salette, dédiée à la vierge et où se trouve un autel dédié à Ste Rita … à qui nous avons enfin pu demander de l’aide.

Le soir, à Bézier, nous recevons un appel téléphonique de quelqu’un nous disant avoir aperçu notre chienne près du terrain de football de St Laurent en Grandveaux. Nous étions sceptiques car cette ville se situe à une douzaine de kilomètres de Chaux du Dombief. Ne pouvant aller sur place vérifier, nous appelons toutefois la gendarmerie locale, puisque là aussi nous avions rencontré un jeune gendarme qui était au courant de nos recherches et qui nous a promis d’aller y faire un tour, apparemment sans succès, puisque nous n’avons pas eu de ses nouvelles.

Tout s’accélère le lendemain matin. Dés le début de notre retour sur Lyon, nous recevons de nombreux appels de gens nous certifiant avoir vu notre chienne. Nous suivons ainsi, de loin, le chemin de l’animal décrit, faisant le tour des lacs, allant au village de Bonlieu, puis repartant à Chaux du Dombief.
Une personne qui nous avait prêté des jumelles pendant nos recherches et à qui nous avions laissé une photo en couleur d’Ilou, nous dit avoir failli l’écraser sur la route nationale menant au village. Elle était sûre qu’il s’agissait d’elle, car elle l’a reconnue aux deux points de couleur jaune qu’elle a au dessus des yeux. (Ilou est noire avec des reflets charbonnés). Il nous précise toutefois qu’elle se déplace sur trois pattes, avec difficultés, étant blessée à la patte arrière droite.
Nous retrouvons sa trace quelques instants plus tard devant la boucherie de l’ami Philippe qui, pendant que sa femme nous téléphone, essaie de l’attraper en l’appâtant avec de la viande. Mais il n’y arrive pas, la chienne (ou du moins ce chien errant, puisqu’on n’est pas sûrs, nous, que ce soit elle), se sauvant dés qu’il s’approche trop près.
Une autre personne nous téléphone à son tour. Elle a essayé d’enfermer cet animal dans la cour de l’école, mais n’y arrive pas non plus ! Toutefois, à notre demande, elle arrive à le prendre en photo et nous l’envoie aussitôt.
Pour ma femme, il s’agit bien d’Ilou, moi j’étais encore sceptique, n’osant encore y croire.
Finalement, nous avons en ligne… Noémie : la chienne est à côté de la boulangerie et avec sa mère, elles essaient de l’attraper et n’y arrivant pas, sur notre suggestion, l’une d’entre elle accepte d’aller chez le vétérinaire de St Laurent en Grandveaux chercher des somnifères. Elles arrivent enfin à endormir l’animal, l’emmènent chez ce praticien…qui grâce à sa puce électronique, nous confirme qu’il s’agit bien de notre chienne ! Il nous précise qu’elle est amaigrie, et qu’elle a une fracture de la rotule, mais elle pourra s’en remettre, après opération, car elle est jeune.

Arrivés à Lyon, nous repartons aussitôt à Chaux du Dombief récupérer Ilou chez les parents de Noémie. Bien qu’à moitié réveillée, notre chienne nous a tout de suite reconnus et évidemment les retrouvailles furent émouvantes… Tout le monde pleurait !
Il est à noter que personne n’a voulu de dédommagement. Nous avions proposé une récompense à qui trouverait notre chienne. Nous avons insisté pour laisser un chèque à Noémie qui l’a accepté mais jamais encaissé.
Quand au boucher-charcutier Philipe et sa femme, que nous sommes allés remercier en leur laissant quelques bonnes bouteilles, ils n’ont jamais voulu que nous payions ce que nous leur avons acheté ce jour là. (Sa spécialité est la saucisse aux choux, un véritable délice ; a déguster accompagnée de pommes de terre à l’eau et surtout pas avec des frites).



De retour à Lyon, les examens ont révélé qu’Ilou avait  des graviers et de la terre dans l’estomac. Elle pesait dix kilos de moins qu’avant son périple et sa rotule était effectivement cassée. Par contre, le bilan sanguin était bon.
Dès qu’elle a pu retrouver son poids initial, nous l’avons faite opérer. Après deux longs mois de soins et de surveillance, Ilou a retrouvé toute sa joie de vivre.
Il est vraisemblable qu’Ilou soit tombée dans une lésine où elle est peut-être restée plusieurs jours inconsciente. À son réveil, elle a au moins pu boire car il pleuvait beaucoup cette année là. Le fait qu’elle soit jeune et en pleine vitalité a fait le reste.

Quant à St Antoine de Padoue et Ste Rita, ils y sont peut être eux aussi pour quelque chose… 
En tout cas, en dehors du fait que nous avons retrouvé notre chienne vivante au bout de quatre semaines, cette aventure nous a permis de rencontrer plein de gens intéressants dont certains avec lesquels nous avons sympathisé et que nous sommes retournés voir l’été dernier.
St Antoine de Padoue et Ste Rita sont des figures religieuses. On peut croire à leurs vertus ou non. En tout cas, les faits sont là ! Et après tout, n’est ce pas le propre d’une religion que de relier les êtres humains ? Et du lien il y en a eu avec tous ces gens qui nous ont aidés.
Qu’ils en soient infiniment remerciés.

G NECTOUX. Janvier 2016.

Eurasier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Eurasier