Le réseau de prescriptions et de coutumes curieuses tissé autour du sang menstruel s'étend loin dans l'espace et le temps; tissu solide de relations au monde imaginaire, il survit malgré les apports conjugués de spécialistes démontrant le phénomène physiologique pour l'opposer aux "superstitions".
Dans un XXe siècle finissant où il s'agit pour l'individu
d'apprendre plus que d'éprouver, le progrès matériel
scientifique et technique a souvent remplacé la recherche personnelle.
Les jeunes filles apprennent à consommer les pilules contraceptives, à attendre
la possibilité d'un enfant programmé en "oui ou non" dans
un univers économiquement assuré, et ceci sans réfléchir
aux différentes facettes de l'expérience.
Règles confisquées, fécondité oubliée,
maternité ajournée, ménopause différée,
rythmes féminins gommés, une femme semblable à l'homme
doit naître. Que gagnera-t-elle au change ? Les deux sexes ne seront
jamais identiques : ils correspondent à des physiologies, à des
psychés distinctes.
L'égalité en droit ne signifie pas, comme on serait tenté de le comprendre trop facilement : égalité des modes d'être. La vraie différence, le partage évident entre hommes et femmes, c'est le moment des règles. Elles font que les filles sont "formées" en les distinguant des hommes. Les menstrues souvent vécues comme une tare sont aussi un privilège, un enjeu, même....
La civilisation matérielle en marche est conquérante tant
qu'elle ne déshumanise pas. Elle compte parmi ses pertes, celles du
monde de la mémoire, du rêve, de l'intuition, de l'imagination,
se manifestant dans l'opposition grandissante d'un Dionysos révolté.
Or ce monde des réalités intériorisées vit dans
les investigations proprement féminines. Il culmine chez la jeune
fille au changement pubère et ensuite chez la femme au moment des
menstruations, la transformant en femme lunatique, c'est-à-dire sous
l'influence de l'astre lunaire.
Certains prétendront qu'il s'agit là de fadaises idéologiques,
de mythologies d'autres temps; les mêmes qui oublient d'ailleurs que
l'invention des idéologies et des mythes est toujours en route, et
qu'ils éclairent leur propre quotidien. Il ne suffit plus d'ausculter
le corps féminin pour qu'il rende tous ses mystères ou d'analyser
la somme des "aliénations" possibles, il faut aussi interroger
l'univers des représentations féminines, celui des hommes et
des civilisations auxquelles ils ont donné naissance.
LE SANG CATAMENIAL :
ARTEMIS (DIANE) : Dame
aux animaux sauvages.
MANDINGUE : CARRO : lune et menstruation.
CONGO : NJONDE : idem
INDIENS AMERIQUE DU NORD : : Lorsque la lune descend :
elle est indisposée.
EUROPE : Lune rousse : à ses menstrues. Le chariot d'Arthus (Artos)
La grande ourse et son enfant la petite, ne se baignent jamais et restent
par là toujours vierge. Interdite du rite prénuptial : le bain.
La femme a son tailleur (Début du siècle) / Ses culottes françaises / Avoir les anglais /
repousser les Boers / avoir les garibaldiens (ils portaient des culottes rouges)/
être mal à soi / avoir les males semaines / Avoir ses : ordinaires, affaires, brouilleries,
histoires, catiminis / Bidules, trucs, machins, ragnagnas / Période des fleurs / Périodes /
J'ai vu etc...
"Que la fille ne se mêle pas aux gens, évitant danses et noces - que les femmes mariées soient particulièrement attentives (elles ne devraient pas avoir de rappports sexuels dangereux pour la santé du mari et pour la naissance possible d'un enfant, dévolu aux puissance infernales) - de façon à éviter de loin les hommes à l'époque des fleurs, afin qu'elles ne pleurent ni ne s'irritent, ni ne les battent, de peur que le poison ne déforme leurs membres - qu'elles évitent de toucher et d'embrasser les enfants, de toucher les mets à la cuisine, de s'approcher du tonneau à la cave, de s'attarder près des arbrisseaux au jardin - de se mirer dans aucune belle glace - mais qu'elles restent bien tranquilles chez elles, à coudre et de se bien garder - qu'elle ne soient point parcimonieuses de la toile de lin, afin d'éviter que la domesticité ignorante ne trouve sur,le plancher la rouille morbide."
Texte cité in F. WOSSELMANN "La menstruation" L'expansion scientifique française 1936
EXTRAIT DE : "La terre des femmes et ses magies"
Jocelyne
BONNET, Les hommes et l'histoire, Robert LAFFONT