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XXXVIe Journées annuelles de Thérapie psychomotrice
Tours 24 au 26 janvier 2008 Centre Vinci

S'attacher pour mieux se détacher

 Intervention de Willy Bakeroot

De l'importance de naître dans les choux
ou la mythologie millénaire des petits trognons

C'est à un petit voyage dans le monde des choux que je vous convie. Une demi-heure, c'est peu. Mais je vais tout de même vous raconter quelques petites choses à propos de ce légume vieux comme le monde et qui a toujours été associé à la fécondité, à la naissance et à la croissance des enfants. Légume qui nous invite à comprendre que l'autonomie ne peut exister que dans la mesure d'un attachement à nos racines. Le langage métaphorique, la pensée analogique et la mythologie guideront nos pas.

Il y a 20 siècles, Pline l'ancien disait déjà : "le chou est comme un petit enfant dont il a la grosseur".([1])
Rassurez-vous, je ne vais pas essayer de vous prouver que les enfants naissent dans les choux. Ça, vous le savez bien. Il n'y a rien à prouver à ce sujet, il y a seulement à suggérer qu'il est peut-être important de savoir qu'ils naissent dans les choux.
J'espère tout de même réhabiliter, un tant soit peu, le mythe de la naissance dans les choux. Autrefois, les mères paysannes utilisaient abondamment cette métaphore pour permettre aux enfants d'accéder à une connaissance qu'ils ne peuvent assumer trop tôt.

À plusieurs reprises, lorsque dans une conversation, j'ai évoqué la naissance dans les choux, même avec des amis qui ne me prennent pas particulièrement pour un demeuré, j'ai remarqué un petit recul sérieux. Un peu comme s'ils y croyaient. Puis suivait un retour à la fois circonspect et légèrement enfariné : "Oh ! c'est fini ça ! maintenant on ne parle plus de ça aux enfants". Le registre humoristique faisait place, un instant, à un sérieux  songeur.

Ce qui m'a frappé, c'est la phrase "c'est fini... on ne parle plus de ça..." Comme s'il ne fallait plus parler de quelque chose de gênant parce que cela faisait remonter une mémoire qu'on n'a pas tellement envie de solliciter. Peut-être ressentent-ils que toucher à ces territoires transitionnels très anciens a, comme le dit Winnicott, quelque chose de dangereux.

Je n'ai jamais observé une telle réaction en parlant du père Noël ou de saint Nicolas. Dans ce cas-là, le registre humoristique est maintenu.
Cette réaction est assez curieuse car ce sont parfois les mêmes qui, un instant après, valoriseront l'importance du jeu chez l'enfant !!! Ce sont eux aussi qui raconteront à leurs enfants que c'est papa qui plante la petite graine ???

Le chemin qui va de la naissance à la réalité des adultes est farci de métaphores qui catalysent les métamorphoses autant du corps que de l'esprit. Sans le passage par ce chemin symbolico-imaginaire, la maturation de l'enfant risque de ne pas se dérouler normalement.

C'est bien ce que précise Winnicott avec l'espace transitionnel ou encore l'aire de jeu. De plus, Winnicott ajoute que la maturation qui mène à la réalité objective ne doit pas se faire trop rapidement.([2])

Dire à un enfant qu'il est né dans le ventre de sa mère, ce n'est pas un jeu, c'est une description d'un réel qui nécessite parfois toute une vie pour être symbolisé. Cette approche abrupte me semble pouvoir être préjudiciable. C'est mettre l'enfant en prise directe avec un réel qu'il ne peut pas comprendre d'emblée et qui risque même d'être traumatisant comme le sont tous les dévoilements prématurés. Cela peut engendrer de la violence. On m'a dit que les enfants prématurés, c'est-à-dire les "détachés trop vite" ont bien du mal à s'attacher à qui que ce soit et à quoi que ce soit.
Surtout, c'est évacuer quelque chose de l'ordre d'un tiers par lequel il pourrait accéder progressivement à la désillusion nécessaire pour sa maturation : le langage métaphorique.
C'est aussi forger une dépendance à un ineffable qui n'est pas symbolisable.
C'est aussi évacuer la place du temps sans lequel rien ne se métamorphose.

Où j'étais un peu dans les choux

Je dois vous avouer que lorsque j'ai reçu les propositions d'intervention pour cette rencontre, j'étais dans un moment plutôt mélancolique. Cela arrive quelquefois lorsque le réel nous tarabuste un peu trop.
Nous savons qu'au coeur de la mélancolie, il y a la nostalgie profonde du chou qui nous a fait naître. Nous savons aussi que l'on ne guérit pas de la mélancolie. C'est une maladie trop commune, et constitutive. Tout au plus peut-on sublimer - comme on dit - et, en tous cas, symboliser. Mais pour symboliser, il faut parler et nommer cet état.

C'est sans doute très inconsciemment que j'ai saisi l'occasion de cette rencontre pour parler des choux. En envoyant quelques mots sur le projet, je n'étais pas du tout certain qu'il soit accepté. Puis, j'ai reçu une lettre sur laquelle était écrit un texte effroyablement sérieux, indiquant les thèmes possibles dans lesquels on me demandait de bien vouloir faire entrer mon intervention.
Après avoir renvoyé une présentation écrite dans une langue plus conforme, les choux ont été acceptés. J'ai appris ensuite qu'ils avaient été défendus par Jacob Dahan. Il est vrai que, quand on s'appelle Jacob, ou Jacques, on a quelque chose à voir avec les choux.
Il y a aussi Marie-Odile Bonnet. Elle ne pouvait pas savoir que, par analogie, elle me renvoyait à une autre grande dame qui s'appelle aussi Bonnet et qui a beaucoup travaillé sur les naissances dans les choux. Mais il s'agit de Jocelyne Bonnet auteur d'un livre que je vous conseille fort de lire : "La terre des femmes et ses magies". Il est épuisé, mais vous pouvez en trouver encore quelques exemplaires chez des libraires qui recherchent les livres rares.([3])

Du côté des jardins d'enfants.

Je suis donc allé faire un tour du côté des jardins d'enfants. Ça s'imposait !
On y trouve beaucoup de fleurs : des Marguerites - qu'on appelle plutôt Margot aujourd'hui - des Capucine, Myrtille, Rose, Violette, Jasmine, Garance, Chloé, Sylvie, etc. Puis aussi des Narcisse, Hyacinthe, Florian, Florentin etc. Du côté des légumes, à part les Fabien et donc les fèves, on trouve peu de prénoms. Il y a cependant ceux qui ont des oreilles en feuilles de choux et même en forme de choux-fleurs.

Il y a bien les asperges ([4])  mais c'est pour des jardins plus anciens et aussi des poireaux dans de très vieux jardins et surtout dans certaines bouches de jardiniers désobligeants.
Beaucoup de fleurs ont des oignons à leur base. Les oignons ont la même structure que les choux. Ils sont formés d'une succession de couches concentriques. Nous verrons un peu plus tard que nous arrivons sur terre sous forme d'oignon ou de chou.

Notez qu'on ne naît pas seulement dans les choux. On naît aussi par les cigognes ou encore par les puits. On dit qu'au fond des puits, des enfants attendent un corps disponible pour s'incarner. Jocelyne Bonnet cite des noms de puits, en Alsace, qui sont très évocateurs.

Les Anglais, eux, ont décidé que l'on naissait dans le persil. Là, je ne comprends pas car le persil a toujours servi aux faiseuses d'anges qui pratiquaient des avortements. Il servait aussi pour la contraception mais apparemment pas pour la fécondité. D'autre part, il est emménagogue.

Ce qui va nous intéresser ici, c'est le chou cabus, - ou encore chou quintal - nommé cabus, sans doute parce qu'il est le seul légume qui pousse la tête en avant.([5])  "Cabus" vient de "tête".
En Wallonie, on les appelle simplement "cabus".

Le chou est un légume ambigu. Il est associé aux soins corporels, mais il sent aussi le soufre qu'il contient abondamment. Ainsi, lié aux forces infernales, il pousse encore quand la nature est morte et fournit, en hiver, une nourriture substantielle.
Même le chou de Bruxelles, planté plus tard que le cabus, se récolte pendant tout l'hiver.
Les textes qu'on peut lire sur le chou le présentent plutôt d'une manière positive. 

Un symbole ambigu.

Il symbolise bien l'union du masculin et du féminin. Il est composé d'un trognon (tronc) qui fait sa colonne vertébrale, et d'un ensemble de feuilles enveloppantes qui font sa chair. Le mot "trognon" semble être une alliance du mot "trogne" et "tronquer", ce qui est en rapport avec le visage. Dire de quelqu'un qu'il a une "trogne" ou une "tronche" de chou, ce n'est pas très valorisant.

On raconte que le cardinal de Richelieu n'était pas très sympathique et avait mauvais caractère. Un jour où il devait aller rendre visite à je ne sais quelle communauté, la personne chargée de prononcer le discours de bienvenue n'arrivait pas à le préparer. Elle se dit alors que le cardinal avait une trogne de chou. Elle eut l'idée de préparer son discours en se plaçant devant un gros chou qu'elle avait mis sur sa table de travail. C'est ainsi que les idées lui vinrent plus facilement.
Le Cardinal fut très heureux d'écouter le discours et applaudit vivement

Les latins appelaient le chou "caulis". C'était surtout en référence à la tige du trognon. Or, "caulis" désigne aussi le pénis.
La particularité du chou est d'avoir une gestation de neuf mois. Sa plantation était autrefois réservée aux femmes. Au temps où l'on n'avait pas de cultures industrielles, c'étaient les femmes qui avaient le privilège de planter les choux dans les jardins.
Elles plantaient les choux de janvier à mars. Jocelyne Bonnet qui a beaucoup enquêté sur les rituels de la naissance raconte que, particulièrement en Alsace, les mariages se faisaient en janvier-février, ce qui faisait naître les enfants vers octobre-novembre, c'est-à-dire au moment de la récolte des choux. Les listes d'état civil rendent compte d'un nombre important de naissances à cette période de l'année.([6])
Elles plantaient, bien sûr, les choux "à la mode de chez nous", sans plantoir. Elles faisaient un trou avec le pouce d'une main et plaçaient le petit chou avec l'autre main.

Lors de la récolte, à la fin de l'automne, les femmes - que leurs maris appelaient volontiers des "matrones" en cette occasion -, allaient cueillir les choux en les faisant pivoter d'un quart de tour, comme font les sages-femmes lors de la naissance d'un enfant. En fait, ce ne sont pas les sages-femmes qui font tourner la tête de l'enfant car il tourne normalement de lui-même, mais elles l'accompagnent.
En faisant un quart de tour avec le chou, les femmes jardinières l'arrachent de terre puis, elles coupent le trognon et la racine qui symbolisent bien le cordon ombilical.

La correspondance des deux gestes, celui de la sage-femme et celui de la jardinière, est une clé de la configuration mythologique qui habite le thème de la naissance. Dans la médecine populaire, il était conseillé aux mères de manger du chou afin de favoriser la montée du lait. Paradoxalement, manger le trognon favorisait l'expulsion d'un foetus mort.

Des rituels populaires

George Sand, dans "La mare au diable", après avoir précisé que le chou était le symbole de la fécondité, raconte une cérémonie facétieuse qui avait lieu lors des mariages et dont l'élément essentiel était le chou. Il s'agissait d'un véritable jeu dramatique au cours duquel le chou de la mariée était échangé avec le chou du marié.

A la fin du jeu, pendant lequel la "jardinière" se contorsionnait comme pour une naissance et où les participants mimaient un accouchement difficile en passant par la porte de la maison, le chou était placé sur le faîte de la maison du marié et de la mariée.([7]) (Cité par Jocelyne Bonnet)

James Frazer relate aussi des rituels divinatoires faits par les enfants du comté de Queen,  en Irlande lors de la fête d'Hallow'een. Les filles sortent dans le jardin les yeux bandés et arrachent un chou. Si le chou est bien droit, elles auront un beau mari, mais si le trognon est tordu, elles auront un vieil avare.
En Écosse, toujours à Hallow'een, les jeunes gens devaient aller voler un chou dans le jardin d'un célibataire. Il fallait absolument que cela se fasse à l'insu du propriétaire. On rapportait le chou chez soi et on l'examinait. Il renseignait alors sur la taille, et les traits du futur mari ou de la future femme. Le goût du trognon renseignait sur le caractère de la future femme et la terre attachée à la racine renseignait sur la fortune que le futur ou la future apporterait au couple.([8])

Ces traditions et ces rituels, et bien d'autres dont nous n'aurions pas le temps de parler ici, configurent la mythologie complexe qui tourne autour de la naissance. On comprend que tout ce qui touche à la naissance soit habité par un imaginaire conséquent.

Jocelyne Bonnet écrit que "Les mythes relatifs à la Terre Mère sont universellement répandus, ils expriment que les humains sont sortis des entrailles de leur mère tellurique. Nés de la terre, de l'arbre, du rocher, du puits, des végétaux, ainsi s'expriment les métaphores qui sont loin d'être des jeux d'image, ou des explications pour enfants."([9])

Mais dans certaines traditions, les enfants viennent aussi du ciel et particulièrement de la Voie lactée. On en veut pour preuve que le seul aliment qui puisse nourrir les bébés est le lait. Ces traditions sont à la fois grecques et juives.

L'oignon et le chou cosmique

Toutes les sociétés ont toujours organisé ces chemins qui relient le Ciel et la Terre, d'une façon ou d'une autre. Sous nos latitudes, la référence principale est le système de Ptolémée ([10]) qui décrit 7 planètes et donc 7 ciels qu'il faut traverser lorsqu'on fait le voyage. À chaque ciel gardé par chaque planète, le bébé se formera en s'entourant des caractères et des savoirs du ciel qu'il traverse.

La voie lactée, qui se trouve par-dessus les planètes, forme, en quelque sorte, le 8e ciel où se trouvent les âmes en passe de s'incarner dans les liens du corps. Elle est de couleur blanche, à cause du lait. Elle est aussi "sperme" en raison de la castration d'Ouranos par Chronos qui à l'occasion d'un véritable parricide répandit le sperme du pénis paternel dans l'espace céleste. Elle est aussi "moelle" et "amas de perles".
Elle est "moelle" en raison de l'ancienne association de la moelle avec le sperme d'apparence semblable. Elle est "perle" en rapport avec Vénus-Aphrodite, née du sperme d'Ouranos tombé dans la mer après avoir formé la voie lactée. Elle sort de la mer dans une coquille saint Jacques dont elle est la perle.

En s'incarnant, l'âme - qui n'est pas encore un bébé - tombe vers la terre en passant par le premier ciel de Saturne-Chronos, qui est lié à la mélancolie et au désespoir d'avoir quitté la matrice lactée. Mais il donne aussi l'intelligence. Le second ciel de Jupiter-Zeus donne la mythomanie mais aussi le plaisir. Le troisième de Mars-Arès donne l'agressivité mais aussi le courage. Le quatrième du Soleil-Hélios donne la mégalomanie mais aussi la sagesse, le cinquième ciel de Vénus-Aphrodite apporte le désir avec le risque de nymphomanie. Le sixième de Mercure-Hermes donne le sens de l'échange avec le risque du vol. Le septième de la lune-Séléné apporte le changement et le danger de folie lunatique.

À la fin du voyage, le bébé ainsi formé aborde la terre sous forme d'oignon, (uniones en latin : union de couches de savoir) possédant 7 couches d'un savoir qui lui permettra d'affronter la vie.

Ouvrir un oignon et remonter jusqu'à la couche centrale, celle de la mélancolie, fait bien sûr pleurer.

Mais cette structure en forme de couches concentriques est identique à celle du chou. Or, en hébreu, chou se dit "chérub", d'où le nom de "chérubin" qui signifie aussi "couches de savoir". Ici, le chou céleste rejoint le chou terrestre et forme une sorte de structure archétypique de la "tenue debout".

Le voyage du bébé est un voyage musical car chaque ciel correspond à une note de la gamme.
Si vous allez voir les images de la petite exposition qui se trouve dans le hall, vous apercevrez une femme chou. Sur la tête de l'enfant qui arrive "tête en avant", comme un chou cabus, est inscrite la note Sol. Elle est inscrite dans le vieux système de notation par lettre qui est encore celui des anglo-saxons, qui va de A le LA, à G, le SOL. Toutes les feuilles du légume sont nommées par une note.
L'ensemble de ces notes forme une échelle commune au chou et à l'oignon et constituée par les couches successives isomorphes des ciels séparant ou reliant la terre et le Ciel Empyrée.
Cette échelle est une sorte de colonne vertébrale ayant une qualité temporelle : c'est qu'il y a le temps de la descente et celui de la montée et celui du son musical. 

Dans le corps humain, elle s'appuie, à la base sur la partie sacrée dans laquelle se trouve le coccyx, os qui, dans la tradition - surtout coranique - est celui de l'immortalité. C'est à partir de cet os qu'à la fin des temps, nous nous reconstruirons. Curieusement, cet os est parfois cassé lorsque la mère accouche de son "petit chou" dans la position horizontale.

Pour terminer, je citerai encore la tradition juive des "Toledoth" qui racontent l'histoire d'un immense chou (chérub) planté dans le sol du Temple de Jérusalem. Chou dont le trognon va jusqu'au ciel, à l'instar de l'échelle de Jacob.
Dans les évangiles persifleurs qu'on appelle les évangiles du Ghetto, c'est à cette plante que fut pendu le Christ. Il faut dire que le chou fait partie de la famille des cruciféracées, dont les fleurs sont en forme de croix.

Conclusions

Voilà donc une série de configurations mythologiques qui montrent que la naissance dans les choux est loin d'être un doux délire. Ce mythe s'appuie sur un réel bien concret en épousant à la fois ce qui tourne autour du passage de la naissance ainsi que le travail du temps qui nous emmène vers la mort.
Le chou suggère le processus de la maturation du corps humain qui part de la racine jusqu'à la tête, en empruntant la voie de la colonne vertébrale. De plus, il évoque l'alliance étroite du masculin et du féminin.

Il s'agit de plus qu'une image. La naissance dans les choux se présente comme le font les nombreux filaments archétypiques constitutifs de notre imaginaire. Filaments bien difficiles à réduire à une formulation qui se voudrait rationnelle. Comme dans les contes, ces archétypes modèlent l'imaginaire grâce à la métaphore ou l'analogie et laissent à l'enfant un espace qui le sauvegarde d'un réel qui peut être traumatisant lorsqu'il n'est pas symbolisé.

"Naître dans un chou", c'est s'imprégner de ces processus et recevoir des racines rassurantes et structurantes. Ce n'est pas pour rien que dans plusieurs sociétés, un rituel consiste à poser l'enfant sur la terre dès sa naissance, comme pour l'enraciner dans la Terre-Mère.

Cette mythologie concrète nous enseigne qu'il n'y a pas de fleurs sans racines. D'ailleurs, le détachement qui se veut sans racines n'est qu'un spectre mortifère et violent. Le problème ne me semble pas être de s'attacher pour mieux se détacher mais plutôt de mieux vivre son attachement pour mieux se développer comme une plante dans une bonne terre.

La subtile relation que la mère et l'enfant établissent entre eux est tissée dans un équilibre  entre les limites du symbolique et la fantaisie amenée par l'imaginaire. Il s'agit d'un grand jeu qui est éminemment poétique et qui utilise abondamment le registre métaphorique et la pensée analogique. Il est fait de références possibles à partir desquelles l'enfant va se construire et trouver sa liberté à imaginer et à créer. On peut y placer avantageusement la naissance dans les choux. Ces références toujours mythiques constitueront une mémoire mythologique riche et dynamique favorisant la pensée et l'imagination.

On appelle parfois "tête de chou" le crâne de ceux qui se sont rasés. Il s'agit d'un rituel que l'on retrouve en psychiatrie chez certains malades, comme s'ils voulaient éclaircir leurs origines. Mais c'est aussi un rituel de passage à l'âge d'homme chez les Masaï en Afrique, où ce sont les mères qui rasent la tête de leurs enfants. Un peu comme si elles leur disaient "si tu veux devenir homme, reste fidèle à ta racine... de chou, bien entendu.

Freud disait : "de là d'où tu viens, tu dois advenir"

La sagesse populaire nous montre bien qu'il n'y a pas d'avenir sans connaître le passé, qu'il n'y a pas d'autonomie sans dépendance, et, pour terminer par Winnicott, on ne peut pas être original si l'on ne s'appuie pas sur la tradition.

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Notes

1- PLINE, Histoire Naturelle XIX, 83

2- Cf. WINNICOTT D.W., Jeu et réalité, Gallimard.

3- BONNET Jocelyne, La terre des femmes et ses magies, Robert Laffont

4- Lorsque Rabelais entre dans la gorge de Pantagruel, il y trouve un planteur de choux qui habite la ville d'Aspharage. Or, Aspharage, qui signifie arrière-gorge, se réfère aussi à l'asperge.

5- BONNET Jocelyne, Naître dans les choux, une approche ethnologique de ce mythe culturel, Revue Civilisation XXXVII - 1987 n°2

6- BONNET Jocelyne,, Le jardin des femmes rurales, comment naît-on dans les choux, 110e congrès national des sociétés savantes, Montpellier 1985, Anthropologie, Ethnologie, p. 89 à 97.

7- SAND Georges, La mare au diable, Flammarion, Paris, 1964

8- FRAZER James George, Le Rameau d'or, Bouquins-Laffont, T4, pp 136 à 141.

9- BONNET Jocelyne, Naître dans les choux, une approche ethnologique de ce mythe culturel, Revue Civilisation XXXVII - 1987 n°2. p.104

10- Astronome et astrologue grec né à Ptolémaïs en Égypte au IIe siècle après JC. Il a vécu à Alexandrie.

Bibliographie

WOLF-QUENOT Marie-Josèphe,            
In utero
, mythes croyances et cultures, Masson, 2001

WEISS Allen S.                        
Autobiographie dans un chou farci
,  Mercure de France, Paris 2006

MARCELLI Daniel                       
La surprise, chatouille de l'âme
            Albin Michel, Paris 2006

NATHAN Tobie                       
L'influence qui guérit           
                       Odile Jacob, Paris 1994

GAIGNEBET Claude             
Le folklore obscène des enfants
   Maisonneuve et Larose Paris 1980

GAIGNEBET Claude             
A plus Hault sens
                                    Maisonneuve et Larose Paris1980

DETIENNE Marcel                        
L'invention de la mythologie
                        Gallimard, Paris 1981

DEBRAY Régis                        
Aveuglantes lumières
                                    Gallimard, Paris 2006

JOUSSE Marcel                         
Anthropologie du geste
                        Gallimard, Paris 1974

QUIGNARD Pascal                       
La haine de la musique
                        Folio-Gallimard, Paris 1996