Fiche de lecture
FAÇONS DE DIRE, FAÇONS DE FAIRE
Yvonne Verdier (Gallimard)
Établie par Guillaume Lombard
Intervenant musical (Morvan)
Ce livre résulte d'une importante enquête ethnographique menée à Minot, village du châtillonnais. Réalisée collectivement par une équipe de chercheurs du C.N.R.S., de l'E.H.E.S.S. et du laboratoire d'anthropologie sociale du Collège de France, cette enquête “en profondeur” - elle durera huit ans, de 1968 à 1975, - aboutira à la publication de nombreux ouvrages et articles par les différents chercheurs impliqués: Tina JOLAS, Marie-Claude PINGAUD, Yvonne VERDIER et Françoise ZONABEND.
Partant
d'une des activités
majeures du système bio-économique paysan, “tuer et faire
le cochon”(boudin,
gruotte, lard, jambons), l'auteur met en évidence tout un champs
de représentations associant des données sans rapport apparent
tels que le saloir, les menstrues, les phénomènes météorologiques,
la rousseur, le cycle lunaire. Cette synthèse s'opère autour
d'une notion centrale: le calendrier et l'organisation du temps qu'il structure.
( cf. bibliographie de l'ouvrage, not. Cl. Gaignebet, “le
combat de Carnaval et de Carême de P. Bruegel (1559).”
Ce pouvoir putréfiant, quand
elles sont indisposées, les femmes le partagent avec un phénomène
météorologique: l'orage associé à la foudre
(mêmes
effets sur les mêmes choses.) Les règles sont en effet perçues, à Minot,
comme un grand orage symbolique.
De l'avis de toutes
les informatrices, c'est le souffle qui est le conducteur de ce pouvoir singulier:
MÉLUSINE
Lorsqu'elle perd son sang, elle
a comme un écran
entre elle et le monde, un écran polluant.
L'organisme
féminin,
où se
déroulent
ces grands rythmes physiologiques, entre en interaction directe avec le reste
de l'univers; tout le monde reconnaît à Minot que ceux-ci répondent à un
autre rythme, cosmique: celui de la lune.
La lune rousse, celle qui dure
une bonne partie du mois de mai est dite stérile: on ne plante pas à cette
période. Cette lune marque une profonde perturbation dans le déroulement
du temps : les phases de la lune sont bouleversées, le temps rebrousse
chemin (un morceau d'hiver se glisse en été: il gèle
lors des saints de glace), saint George et 1er mai sont des dates charnières
dans l'organisation traditionnelle des activités (redistribution des
travaux).
Par ailleurs, au plan des rapports
humains, mai est marqué d'une totale ambiguïté: à la
fois symbole des amours (les garçons portent les mais aux jeunes-filles;
bals de la sainte Catherine) et néfaste aux mariages (on ne se marie
jamais au mois de mai.) Autrement dit, tout se passe comme si, en mai, dont
nous avons dit l'association avec la lune rousse, se célébraient
les règles des filles et partant, l'accession à un état
nouveau, la puberté, marquée par un rite important: la première
communion, effectuée aux alentours du 1er mai.
La
richesse du champs symbolique qui apparaît
en suivant, d'un même fil, les activités du saloir, les cycles
menstruels, calendaire et lunaire, les phénomènes météorologiques
et les représentations
des différents états des femmes (rousses, pubères, enceintes,
indisposées) amène Yvonne Verdier à suivre de plus près
trois métiers spécifiquement féminins: la laveuse (ou
femme-qui-aide), la couturière, la cuisinière.
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LA FEMME - QUI - AIDE
Ce statut correspond à une
fonction, une technique et une phase de la vie biologique féminine.
La fonction : - “faire les bébés” et “faire
les morts”:
cela consiste pour la femme-qui-aide à se rendre dans les maisons
où on la demande et à laver le bébé ou le mort, à l'habiller
puis, à le mettre à téter dans le cas du bébé et à préparer
le lit, la chambre mortuaire pour la veillée dans le cas d'un mort.
Celle-ci comporte deux phases :
une première,
individuelle, privée, nommée coulage, qui consiste à faire
passer lentement l'eau et les cendres (le lessu) dans le cuvier en
répètant plusieurs fois l'opération; une deuxième,
collective, le gaissage, se déroulant au lavoir où les
femmes savonnent, frottent, brossent, tapent le linge pour faire sortir la
crasse.
L'eau serait le véhicule
de ce passage, le parallèle entre ces deux bains se révélant
dans le langage, à travers l'expression “l'enfant est coulé” pour
signifier qu' il est passé, qu'il est né.
L'état biologique : la femme-qui-aide
est en contact avec des éléments spécifiques: le lait
maternel (c'est elle qui met le bébé à téter),
l'eau et le linge (elle lave et elle habille). Une jeune-femme pourrait,
par la vulnérabilité de son corps (soumis aux émois
amoureux, aux actions tumultueuses de son sang ou aux variations de ses règles
et grossesses) exercer une action néfaste sur ces éléments
qu'il convient de préserver de toute souillure.
LA COUTURIERE
Comme pour la laveuse, ce
métier
fait ressortir le lien étroit existant entre une fonction, “faire
les jeunes-filles et les mariées”, une technique, coudre, et
une étape de la vie féminine, la jeunesse.
Après, les premier apprentissages
reçus
aux champs-les-vaches, auprès de leurs grands-parents (savoir lié à l'environnement
en général) (ce moment mélange filles et garçons
alors âgés de 6 à 11 ans, bien qu'une distinction soit
déjà établie, les garçons étant laissés
plus libre de vagabonder et les filles étant d'avantage maintenues
en place par l'ouvrage qui leur est assigné: le tricot qui les embarrasse.),
les jeunes-filles vont apprendre à marquer : réalisation
de la marquette, canevas où l'on brode les lettres de l'alphabet
et les chiffres, qui leur permettra par la suite de marquer leur trousseau
(dot donnée à la mariée.)
La Sainte Catherine, fête
rassemblant toutes les filles d'une même classe d'âge étant
dans leur 15ème année, annonce le passage au temps de la jeunesse
qui durera trois ans. Celui-ci est consacré à “sortir”.
La 1ère et principale sortie effectuée consiste à aller
passer un hiver -parfois plus- chez une couturière.
A cette 1ère fonction, “faire
la jeune-fille”, s'ajoute une deuxième, “faire la mariée”.
Son travail consiste alors essentiellement à habiller la mariée
(dont elle a parfois fait la robe) et surtout à la coiffer avec de
multiple épingles.
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LA CUISINIERE
Troisième
personnage clé de
l'organisation du monde féminin, la cuisinière est demandée
pour les repas de baptême, de communion ou de mariage.
Celui auquel s'attache plus particulièrement
l'auteur est le repas de noce. Sa confection ainsi que son bon déroulement
représentent une tâche délicate: d'une part, les familles
veulent faire à cette occasion un repas hors de l'ordinaire (mais,
aujourd'hui, la chose est de plus en plus difficile à réaliser,
les gens étant tellement habitués à manger de tout),
d'autre part l'art de la table doit contenter tout le monde et signifier
la conjugaison harmonieuse des deux familles.
L'auteur établit ici un
parallèle
historique reflétant un changement profond dans les rapports sociaux
mis en jeu au cours d'un mariage :
Ce rituel culinaire consiste à partir
au petit matin à la recherche des mariés (éclipsés
en fin de repas) et à leur faire boire le breuvage.
Aujourd'hui
mélange
peu ragoûtant
de chocolat et de champagne, il s'agissait autrefois à Minot et
en divers lieu de France d'une soupe bien assaisonnée contenant
des éléments “fortifiants” (pain,soupe,
chou, vin, ail, oignons...) et des assaisonnements mis en quantité particulièrement
excessive pour cette occasion (sel, poivre, sucre;...)
Ce breuvage, essentiellement
destiné à la
mariée, mélange donc des éléments fécondants,
sel, sucre, symboles de la sexualité masculine et des éléments
nourrissants (fortement associés au pouvoir générique
féminin : chou), évoquant ainsi le processus global de la
procréation
(fécondation-maturation).
Fonction culinaire et fonction
procréatrice
sont ici étroitement liées, à travers un personnage,
la couturière, qui est censée préparer le breuvage
et le faire administrer par l'intermédiaire du garçon d'honneur.
CONCLUSION
Un même fil parcourt à Minot des gestes et des fonctions proprement féminines, ainsi que des façons de dire qui leur sont rattachées. Suivant ce fil à travers les évocations successives de trois personnages, la laveuse, la couturière, la cuisinière, nous prenons progressivement conscience de l'ampleur de la sphères des représentations que ces actions englobent.
(1) Une des nombreuses expressions employées pour désigner les règles.