CONTES ET MYTHES

L'ORALITURE ?

 

De nombreux auteurs se sont déjà attachés à définir le conte. (Voir entre autre les travaux des frères Grimm, Max Müller, Hyacinthe Husson, Paul Saintyves, Vladimir Propp, Alan Dundes, Claude Bremond etc.) Le résultat reste insatisfaisant. Depuis les classifications rigides de Propp jusqu'aux discours fumeux mettant en avant la liberté du rêve, rien n'a véritablement réussi à donner du conte une idée claire. De plus, il est souvent associé au spectacle et au théâtre, ce qui brouille un peu plus les cartes.

Il est vrai que le propos "contes" est difficile. Il pose plus de problème qu'il n'en a l'air. Il est loin d'être seulement cette chose qui, fait rêver ou ce qui distrait les enfants.

De plus, les discours sur le conte utilisent généralement les catégories de la littérature. Ce qui fausse la réalité. La littérature - ou la "lettrure", comme on disait autrefois - est fondée sur une cohérence qui n'a pas grand'chose à voir avec celle du conte et de l'oraliture. Bien sûr, depuis deux ou trois siècles, le conte a hanté le monde du papier et des livres du fait que la tradition orale s'est progressivement perdue au profit de l'écrit. L'écrit possède maintenant un pouvoir qui est rarement mis en question parce qu'il n'est jamais analysé autrement qu'en partant de ses propres catégories et de ses propres termes.

Mais, encore aujourd'hui, on confond les deux tableaux comme si leurs logiques procédaient des mêmes phénomènes.

Pour ne prendre qu'un exemple, nous parlons volontiers de "littérature orale" sans jamais remarquer que cette association est un non-sens, un peu comme si l'on parlait de "blancheur noire". Sans penser qu'on pourrait tout aussi bien dire "oralité littéraire". Mais la prépondérance de la "littérature" est nette. Son pouvoir n'est jamais remis en question.

C'est une vieille histoire que nous avons hérité de notre compréhension de la Grèce.

Afin de bien distinguer le "littéraire" de ce qui est "oral", Paul Zumthor - qui a beaucoup travaillé sur la performance orale au moyen-âge - a inventé le terme "oraliture", terme bien pratique qui distingue les deux systèmes de pensée.

La littérature et l'oraliture ont chacune une cohérence différente. Si les travaux de Jack Goody, Havelock et bien d'autres nous renseignent sur la logique de l'écrit, peu d'ouvrages, à ma connaissance - à part ceux de Marcel Jousse et, dans un registre différent, ceux de Mc Luhan et ceux de Paul Zumthor- nous renseignent sur la logique de l'oral.

Si la logique de l'écrit peut, par sa nature même et par le fait qu'elle s'étale dans un espace, offrir la possibilité d'être facilement catégorisée en genre, école, niveaux différents etc., celle de l'oral est bien moins saisissable, ayant des productions plus immédiates, évanescentes, épousant fugitivement le temps qui passe. Le conte est donc difficile à "saisir" sinon à être réduit à des catégories qui ne sont pas les siennes, littéraires, morales, psychologiques et psychanalytiques. Le discours sur l'oraliture reste encore à construire.