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Guylaine JUERYS-PEGHAIRE
Marie-France ZEROLO

12èmes rencontres Professionnelles de musicothérapie active- Versailles
- 02 et 03 novembre 2018 -

PRESENTATIONS

Guylaine JUERYS-PEGHAIRE
J’ai débuté et poursuivi mon parcours professionnel de psychomotricienne à l’I.M.E puis au SESSAD de Saint-Flour dans le Cantal, où je me suis implantée. Cette linéarité apparente ne révèle pas l’évolution de ma pratique.
Formée à Toulouse, école au références comportementaliste et neuro-développementale, j’ai rapidement fais un pas de côté vers une approche davantage clinique, qui me correspondait mieux. En effet, la dimension normative du bilan psychomoteur tel qu’on me l’avait enseigné me donnait peu de clés pour comprendre les processus psychiques, tonico-émotionnels, relationnels, corporels qui étaient à l’œuvre dans la relation avec les jeunes que j’accompagnais. J’ai donc complété ma formation initiale auprès du S.N.U.P, au niveau de la clinique psychomotrice ou par l’intermédiaire de médiations permettant de dynamiser ma pratique. J’ai en particulier approfondi le travail thérapeutique dans l’eau, le jeu subtil entre corps –eau-  et paroles dans une perspective de soutien du sujet dans sa construction.
J’ai également enrichi ma pratique grâce aux arts de santé énergétiques (Qi Gong, Mei Hua Zhuang) que j’ai eu l’occasion de découvrir et mettre en œuvre dans ma vie personnelle.
Une parenthèse d’un an où je suis partie travailler à l’étranger dans le secteur de la petite enfance m’a aussi ouvert à d’autres modes d’approches et de réflexion.
Enfin, le cœur de mon métier de psychomotricienne se fondant, l’articulation entre la réalité palpable du corps, ses pulsations, et des domaines plus « impalpables » m’ont conduit à chercher plus avant à comprendre la dimension complexe de la temporalité.


Marie-France ZEROLO
Je suis psychomotricienne depuis une belle vingtaine d’années, mais également animatrice théâtre et auteure jeunesse. Jouer avec les mots, porter sa parole et la faire vivre dans son corps au-devant des autres, m’a tout naturellement amenée à aimer raconter des histoires.
Au cours de ma formation de psychomotricienne je rencontre Louise Villetard qui me forme à la médiation « aquatique ». Je prendrai également, à son contact, un bon bain de « musico ». La façon d’aborder le travail de soin par le corps, le jeu musical et rythmique prend alors tout son sens. Mon mémoire pour le D. E. portera sur la médiation « clown dans un IME ». J’ai travaillé en piscine auprès de bébés et leur famille, en MAS, ITEP et actuellement en IME et SESSAD.
C’est en 2015 que je me formerais aux CONTES et aux MYTHES avec Willy Bakeroot.
Je monte quelques fois sur scène en dilettante pour déclamer des vers ou proposer des balades contées.

 

PRÉSENTATIONS

  1.  SITUONS  LE  CONTEXTE
  1. Quoi et où ?
  2. Quand ? Historique du groupe
  3. Comment ? Projet, objectifs et moyens.
  4. Oula ! Calendrier, Structure des séances etc…

- Notre structure dans l’année :
- Notre structure dans les séances :

  1. LES  JALONS  DE  NOTRE  PENSÉE

A - La temporalité

1 - Évaluer la temporalité en psychomotricité
2 - Comment s’inscrit la temporalité chez les tout-petits ?
3 - « L’agrippement » comme solution
● Agrippement au temps/à la relation
● Comment travailler la notion de cycle permet de se « désagripper » 

B- Rester vivant, à quoi ça tient ?

1 - Chacune son souffle
2 - Le plaisir à l’œuvre
3 - La répétition, l’explication, l’implication.
4 - L’improvisation.
5 - Surprendre être surpris, ce qui échappe

C- Métabolisation psychique

  1. Tridimensionnalité
  2. Aborder les thèmes difficiles ? qu’est-ce que l’on aborde avec les contes ?
  3. Médium malléable
  4. Passage par le concret

CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE 

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AU FIL DU TEMPS 

C’est l’histoire de deux psychomotriciennes qui avaient décidé de proposer une rencontre chaque mardi autour de la musique et des contes.
Que rencontrèrent-elles, elles, en chemin ?
Que se passa-t-il au fil du temps ?
Notre propos vous raconte l’histoire de nos découvertes, nos idées nouvelles, nos interrogations, nos surprises.

I - SITUONS LE CONTEXTE

A - Quoi et où ?

Le SESSAD est un Service Educatif de Soin Spécialisé A Domicile. Le nôtre est dans le Cantal, ce qui lui donne des spécificités géographiques assez rigolotes surtout en hiver.
Notre service comprend pour ce qui est du soin : 2 éducatrices spécialisées, une EJE, deux psychomotriciennes qui se partagent un 90%, une psychologue à mi-temps et du temps d’orthophoniste réalisé en libéral.

Notre agrément est de 17 places, 3 « polyhandicap », 1 place « handicap moteur avec déficience associée » et 13 places « déficience avec ou sans trouble associé ». De fait entre 20 et 23 enfants fréquentent notre service sur une année civile.

Notre service est rattaché à l’IME de Saint-Flour.

B - Quand ? Historique du groupe

Ce groupe est la résultante d’un processus lent, d’évolution où les jeunes ont expérimenté plusieurs médiations avant.
Guylaine avait animé avec une éducatrice, un groupe de jeux traditionnels (il court le furet, jeux de chasseurs etc.)
Puis les jeux devenant de plus en plus mimés, chantés, joués façon « jeu de scène », la médiation a évolué vers un groupe « d’expression » avec Marie-France et une autre éducatrice.
En fin d’année nous nous sommes aperçues que les jeunes étaient demandeurs de temps de détente et de relaxation. Guylaine et moi nous sommes donc penchées sur un projet de coanimation – enfin ! - autour de la conscience du corps, par le biais notamment du Gi Gong.
Travailler directement « l’écoute du corps » en psychomotricité est complexe, car c’est précisément le cœur de leur difficulté, nous n’étions pas trop de deux psychomotriciennes. Pour faciliter leur capacité d’écoute nous avons proposé des musiques, des chants,

…et ce qui devait arriver, arriva, nous terminâmes les séances de ce groupe par des contes. D’autant plus que nous avions suivi l’une comme l’autre la formation « mythes et contes » avec Willy Bakeroot.
L’envie de répondre à ce nouveau besoin a point (du verbe poindre) et nous voilà lancées dans ce projet « Au fil du temps ».

Pour accueillir des jeunes au sein de ce groupe, nous avons raccroché la médiation « contes, musico » à l’indication psychomotrice suivante : « difficulté d’intégration du temps ».

La constitution d’un groupe en SESSAD relève parfois d’un parcours de combattant, car se réunir dans un même espace et dans un même temps n’est pas toujours aisé. Avant de réunir les enfants, réussir à aller les chercher dans leur école respective (parfois loin), a nécessité d’organiser les adultes, les voitures, les projets.
…mais ceci est une autre histoire.

C - Comment ? Projet, objectifs et moyens.

Voici comment nous avons présenté notre projet à l’équipe, aux parents et aux enfants :œ

GROUPE « AU FIL DU TEMPS »
Objectifs :

- Par la médiation conte, chant, rythme, prendre conscience de la rythmicité et du déroulé du temps.
- Travailler les trois notions du temps : temps vécu, temps perçu, temps social.
- En vivant des situations rythmées, scandées, expérimentées dans le corps et dans la parole, repérer les notions de durée, de cycle, et s’y inscrire.
- S’appuyer sur les dimensions symboliques et imaginaires des contes pour accéder à des notions abstraites inhérentes à la temporalité.
Faire vivre le calendrier en reliant aux saisons, aux mouvements du jour et de la nuit, aux fêtes et à leur signification.
Contexte :
Une séance hebdomadaire le mardi de 15h45 à16h45.
Moyens :
Instruments de musique, construction d’un calendrier, contes populaires racontés oralement, chants, comptines, traditionnels.

D - Oula ! Calendrier, Structure des séances etc…

Volontairement nous n’avons pas détaillé les « moyens », car il ne s’agissait pas de rendre les enfants performants avec les instruments, ni de leur faire restituer une histoire ou de mémoriser une comptine. Le calendrier que l’on a construit a constitué le seul fil rouge matériel (peut-être un peu rassurant pour nous comme pour les enfants et leur famille). Comme ce calendrier était circulaire, il avait aussi pour effet de produire une représentation du temps dans un cycle, il permettait un autre appui, visuel, répété. Nous voulions cette représentation du temps différente comparée aux calendriers linéaires des agendas classiques.

Nous avons également construit une structure de séance, qui nous a permis d’architecturer notre pensée. Le cadre ainsi défini, nous a permis de lâcher prise et de vraiment accueillir « ce qui advenait » dans le groupe (de nous et des jeunes). Ce lâcher-prise est un dispositif du cadre mais aussi une disposition mentale.

Notre structure dans l’année :
- Poser des éléments de calendrier qui permettaient de se réunir et de s’installer dans la séance.
(Fabrication de l’objet, poser les anniversaires avec des petites images collectées, des stickers, les saisons…)
- Pour nous permettre de poser une cohérence dans le déroulé des contes, repérer les éléments forts d’une année, les fêtes et ce qu’elles induisent : La Toussaint, Noël, Nouvel An, Chandeleur, Pâques, fériés, Fête de la Musique…

Suite à nos formations « conte » avec Willy Bakeroot, nous avons dégagé des lignes plus subtiles dans le registre de la mythologie populaire : la Saint Martin (11 novembre, liée à l’hibernation), semaine entre Noël et Jour de l’An : les 12 jours épagomènes, la Sainte Brigitte, la Saint Blaise, avec ce qu’ils apportent d’éveil et de sortie de l’hiver, la Saint-Jean et les solstices…entre ombres et lumières etc.
- Introduire des éléments de musique, entre rythmes et souffles.
- Liaison aussi avec des évènements de notre terroir : brame du cerf, ouverture de la chasse, aller aux vaches, les mousserons, la neige et ses congères, avec tout un lot de dictons à propos. Tout cela ayant un réel sens et impact dans la vie des jeunes que nous accueillons (ruralité).

Nous avions à cœur de faire correspondre « le fond » (symbolisme des fêtes, analogies, sens que nous y attribuons) et « la forme » (choix des contes ou des jeux musicaux divers). C’était l’une de nos articulations.
Une autre de nos articulations était de réunir les trois notions du temps : vécu, perçu et social au cœur d’une même séance.

Ouah…mais il part bien ce groupe !

Notre structure dans les séances :

- 1er temps- temps de réunion, d’accueil avec ou sans notre objet-calendrier.
- 2ème temps- musico : temps d’éveil du corps et des oreilles, mise en jeu de chacun, mise en jeu du groupe, souvent dynamique et ludique.
- 3ème temps -Temps du conte : installation adaptée à chaque jour/saison, couverture, bougies, tente, à l’extérieur ou pas etc.

Nous avons conté à tour de rôle, nous avons répété les contes entre deux et trois fois…mais tout cela sans systématisme non plus.

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II - LES JALONS DE NOTRE PENSÉE

A – LA TEMPORALITÉ

  1. - Évaluer la temporalité en psychomotricité

« La temporalité est vécue, tandis que le temps est un concept (…) qui ne dit rien sur la réalité du temps tel qu’il est vécu non seulement par les individus mais aussi par la société par la société. » Gérard DELEDALLE
Le repérage dans le temps est évalué par les psychomotriciens et figure dans le décret de compétence au même titre que les coordinations, l’équilibre, le tonus, l’espace…
Qu’entend-on par repérage ? « Ce jeune n’est pas du tout repéré dans le temps !!! », affirmation péremptoire souvent claironnée et teintée d’exaspération par l’entourage du jeune.
Est-ce que connaître les jours de la semaine, les mois de l’année signifie « être repéré » dans le temps ? Est-ce que cela suffit ?
Le facteur n’est pas passé, il ne passera jamais : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, vacances et on recommence….

Lundi matin, le roi, sa femme et le p’tit Prince, sont venus chez moi pour me serrer la pince
            Mais comme j’étais parti, le petit Prince a dit, puisque c’est ainsi nous reviendrons…Mardi.
            Mardi matin…

Dans le bilan, au-delà de l’évaluation de ces notions, (connaissance du temps social, « temps connu »), nous appréhendons :
- Le « temps vécu » : ce qui a trait à la spontanéité, tempo spontané de l’enfant.
- Le « temps perçu » : perception d’une durée (flûte), reproduction de structures rythmiques (Mira Stamback).
- « L’adaptation au temps » : marcher en rythme, adapter sa marche/un frappé aux changements de tempo…
- « Le temps représenté », avec des notions de structuration d’une action (images séquentielles, raconter une journée…
Chez les jeunes que nous accueillons, nous observons souvent que le rapport personnel au temps est défaillant. L’inscription propre du sujet à son tempo, ses ressentis, sa capacité à se situer dans le temps social, etc, ne peux pas se bâtir.
« Le temps n’existe pas, c’est la temporalité liée au mouvement qui est fondamentale, car le temps c’est le changement ». Gérard DELEDALLE.

  1. - Comment s’inscrit la temporalité chez les tout-petits ?

Le passage de la naissance fait perdre au nouveau-né diverses enveloppes : amnios, liquide amniotique, paroi contenante de l’utérus, chaleur, continuité du nourrissage, température constante etc…il a besoin de se construire de nouveaux enveloppements qui vont passer par le portage, les soins, les paroles. Tout cela pour se construire en tant que sujet.
La régularité des soins, inscrits dans une rythmicité rassurante permettra au bébé de pouvoir, au fur et à mesure, différer la satisfaction de ses besoins impérieux. Introduisant ainsi des notions d’intervalle, de temps donc, mais aussi d’espace, et d’interrelation, d’altérité.
« L’alternance cyclique entre tension et détente joue un rôle indispensable dans l’intériorisation de la succession ; la structure et la périodicité étant les ingrédients incontournables du rythme. Penser la temporalité c’est intégrer le phénomène de la succession d’évènements et de possibles ». Armand PIJULET
Si tout cela se vit dans un bain de langage et dans la sécurité affective, l’inscription dans le temps peut s’élaborer au fur et à mesure de la construction corporelle et psychique de l’enfant. C’est tout le mystère de la construction d’un être humain…il y a, bien sûr, parfois, des accidents de parcours.

La répétition des soins, participe à la création d’une enveloppe rassurante. Nous faisons référence aux travaux de Bullinger sur la répétition des flux sensoriels. Bullinger parle de « gammes sensorielles », les éprouvés sensori-toniques vont être la base des représentations que l’enfant va construire. On retrouve ce plaisir sensoriel dans les comptines, chants, contes ou la répétition de sons, de phrases procure joie et plaisir. Cet éprouvé pourra se transformer en représentation.
Pour Bullinger, au départ, la notion de temps est indissociable de l’action, il n’existe que lors de l’exécution de l’action ; puis progressivement, le temps devient indépendant grâce à la mise en place des processus de pensée qui s’enracine dans la sensori-motricité. Les flux sensoriels sont un des matériaux qui alimentent l’activité psychique. La première étape de l’organisation psychique est la création d’habituations, puis d’habitudes (lorsque l’action est engagée) qui sont alimentées par la régularité des interactions.
« L’observation clinique montre que les échanges les plus intenses s’organisant à partir d’un mode relationnel sensorimoteur, autour d’actes répétitifs où la rythmicité semble fonder chez l’enfant le sentiment d’une existence de soi. » Armand PIJULLET.

L’enfant est parlé, son langage est accueilli (prosodie, lallations etc…), tout cela est nécessaire également.
La répétition dans les contes participe à l’inscription des évènements et mouvements. Lors des séances, les jeunes dans le groupe pouvaient répéter, anticiper les phrases au mot près ! Et même s’ils voyaient arriver le même conte que la semaine d’avant avec un enthousiasme modéré, ils se prenaient au jeu de la répétition. « Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ? »

  1. -  « L’agrippement » comme solution

Agrippement au temps/à la relation

Pour nous, dans la clinique la connaissance du temps social ne se situe pas dans une intégration profonde du temps, mais témoigne plutôt d’une sorte « d’agrippement » à des repères. « Lundi j’ai Marie-France, Mardi Guylaine vient me chercher ».
Et même si la succession des jours parait acquise, la notion de cycle ne l’est pas. Il y a souvent une adaptation de surface qui laisse le sujet dans un collage au temps et aux personnes dépositaires du temps. (Guylaine=mardi, par exemple). Est-ce que les jours sont reliés entre eux ? Est-ce que chaque journée (ou/séance), chaque début est une réinitialisation du programme ? Il nous semble que oui parfois. De même pour ce qui est de la question de « la fin ». La fin, qui est une notion somme toute relative, est prise pour quelque chose de radical, ce qui ne permet pas de relier à un autre début et donc de relier les évènements entre eux dans un cycle qui peut se vivre. « C’est blanc ou noir ».

Comment travailler la notion de cycle permet de se « désagripper » 

Comment travailler cette notion de cycle par le chant, les jeux sonores/musicaux ou la mise en jeu du corps ?
Nous nous sommes appuyées sur les comptines, celles qui abordent la « non fin », la comptine perpétuelle en somme :
« Jusqu’au capitaine des pompiers qui en pleurait dans son casque…
Quand son casque fût plein, une goutte tomba et se gela,
Le fils du Roi passant par-là,
Glissa, tomba et se tua,
On fit de grandes funérailles,
C’était beau, mais c’était triste !!
Jusqu’au capitaine des pompiers qui en pleurait dans son casque… »

Pour cette autre en revanche, qui parait perpétuelle, il s’agit de faire une cassuredans le rythme et le propos :
 « Un corbillard avançait dans le brouillard, suivi de près par un autre corbillard
Deux corbillards avançaient dans le brouillard, suivis de près par un autre corbillard 
Trois corbillards avançaient dans le brouillard, suivis de près…
                                                                    D’un squelette en trottinette !!!».
On part dans quelque chose d’infini, d’interminable et puis…par un jeu de contraste on fait arriver la fin en rigolant.

 Nous nous sommes aussi appuyées sur les jeux d’ostinato (en voix ou percussion). Ce qui a introduit des jeux ou chacun peut faire sa partie en s’intégrant dans un tout harmonieux et partagé.
Les ostinatos, les chants à deux voix ou en canon demandent d’affirmer sa voix/voie en y intégrant l’appui sur l’autre et donc permet de sortir de l’agrippement.
« Le coq est mort, le coq est mort
Le coq est mort, le coq est mort
Il ne chantera plus Cocodi Cocoda,
Il ne chantera plus Cocodi cocoda 

Cocodicodi cocodi coda»
 Le coq est mort, le coq est mort
Il ne chantera plus Cocodi Cocoda,
Il ne chantera plus Cocodi cocoda 

Cocodicodi cocodi coda»
 Le coq est mort, le coq est mort
Il ne chantera plus Cocodi Cocoda,
Il ne chantera plus Cocodi cocoda 

Ça « désagrippe » parce que ça décale. Les personnes restent en relation, mais on joue avec le temps, le rythme, le tempo, en tant que matière de jeu.

 

B - RESTER VIVANT, À QUOI ÇA TIENT ?

Puisque la temporalité « se vit » et ne s’apprend pas de façon académique, il nous importait dans ce groupe d’impulser un climat de spontanéité, de plaisir partagé. Nous en avons repéré quelques lignes de force.

  1. Chacune son souffle.

Tout d’abord, Nous avons conté à tour de rôle, nous avons répété les contes entre deux et trois séances…mais tout cela sans systématisme non plus.

Pourquoi ? Car nous avons voulu leur faire entendre qu’une même histoire, portée par un souffle différent ne donne pas toujours les mêmes choses. Nous avons répété les histoires pour qu’elles s’inscrivent aussi, pour jouer avec les répétitions, les anticipations…etc.
Au début de l’année, nous étions prises à partie par les jeunes « MF n’a pas dit comme G » ou alors « tu n’as pas dit ce mot la dernière fois » même lorsque c’était la même conteuse. Mais à la fin de l’année c’était admis : nous racontons comme ça nous vient, l’histoire est la même, au fond.

  1. Le plaisir à l’œuvre.

Dans notre façon de conter, de chanter, de rythmer, notre plaisir était véritablement à l’œuvre. Le ton que nous avons employé, les silences, l’esprit ludique dans les consignes, la complicité entre nous dans l’animation (« anima » qui signifie étymologiquement : l’âme) a contribué à alimenter la dimension vivante des séances.

  1.  La répétition ? L’explication, l’implication.

Nous pensons que la répétition en elle-même, ne crée pas « d’intégration systématique » par « plaquage » ou mémorisation mécanique, mais ne prend sens qu’en se liant au plaisir qu’elle procure à se vivre et dans les échanges. Le plaisir partagé comme un véhicule d’une pensée qui se construit. Et pour le dire encore autrement l’implication qui s’oppose à l’explication.

C’est tout naturellement que sont (re)venus à notre mémoire des jeux, des chants, des histoires de notre propre enfance, avec tout l’émerveillement et l’émotion « Madeleine-de-Proustienne » auxquels ils sont associés. Nos jeux d’école :

« J’ai vu la Chine, j’ai vu la Chine, un deux trois « Oh !! je la connaissais celle-là ! »
Elle est remplie de p’tits chinois 123 !...
Le marin que j’aime il est loin d’ici
Il est à Marseille loin de mon pays
Ce bouquet mignonne, ce bouquet d’amour
Te sera fidèle jusqu’à mon retour
Il est parti celui que j’aime
Il est parti son souvenir
 En me disant chéri je t’aime je veux mourir à tes genoux-hou-hou

« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »
« Oh je la connais pas celle-là ! »
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier
Derrière chez moi il y a des violettes, de l’aubépine et de l’églantier
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »
J’en cueilli tant, j’en avais plein ma hotte, pour les porter j’ai dû les lier
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »
En revenant j’ai rencontré un prince, avec mes fleurs je l’ai salué,
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »
M’a demandé de venir à la ville et d’habiter dans un grand palais
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »
Mais j’aime mieux la maison de mon père avec ses fleurs et ses églantiers »
« J’ai lié ma botte avec un brin de paille, j’ai lié ma botte avec un brin d’osier »

Et en patois ?
« Mi maïre pecaïre, n’avio q’uno dèn, jamais trentoulavo quand avio du vèn » (Aveyron)

« Dins une cabanetto, pauretto, pauretto… » (Provence)

Et en association libre :
« Psshhh paw ! Miladiou qu’ùn pèt ! Ferdinand hausse-moi que je voie la fusée volante, Ferdinand m’a haussé et j’ai vu la fusée voler. » (Guylaine)

« Jésus-Christ a une quéquette pas plus grosse qu’une allumette
Il s’en sert pour faire pipi
Vive la quéquette à Jésus-Christ… » (MF)

Nous avons joué à apprendre l’une de l’autre, nous avons joué à essayer nos voix ensemble, à trouver ou pas un accordage mais toujours dans la joie. Les jeunes nous ont vu dans ces tentatives, chercher, trouver, nous tromper, recommencer, rire. C’est bien tout cela le vivant. Et bien entendu en les impliquant.

  1. L’improvisation

L’improvisation au cœur de nos trouvailles, en association libre, et en invention pure à partir de tout notre matériau commun.
Le partage, l’affectivité, l’émotivité, s’imposent naturellement dans nos échanges et créent une atmosphère, l’essentiel se joue dans le moment présent mais se construit autour de l’architecture de notre séance que nous avons préalablement définie dans le projet. Ce cadre pensé à l’avance, envisagé, ne nous contraint pas, ne nous enferme pas, mais au contraire nous permet de nous appuyer pour créer et improviser en sécurité.
Par exemple aussi, lorsque la structure d’une séance est bien repérée (début-milieu-fin), on peut jouer à la mettre à l’envers…ce que nous avons fait en période de Carnaval.
On a joué le calendrier

  1. Surprendre être surpris, ce qui échappe

Entre ce qui est prévu par nous préalablement, et ce qui advient, il y a un monde. Le monde de la surprise. Jouer à contretemps, introduire des cassures de rythme a fait partie de notre travail. Tout n’est pas prévu ni prévisible dans le vivant. Comment accueillir les surprises ?
Tout n’a pas toujours été fluide dans nos improvisations, le temps de l’hésitation, de l’accordage, des dissonances, des caca-boudin, était permis.
Nous avons essayé d’introduire du lâcher-prise, même pour nous.

Au fond, nous voulons qu’il y ait un mieux-être chez les jeunes, un progrès dans leur grandissement et leurs capacités, (nous sommes des soignantes), mais nous ne pouvons pas prévoir ce qu’ils peuvent en retirer. De sorte que ce lâcher-prise au niveau des jeux, nous a invité à lâcher-prise du côté de la maîtrise des effets du soin.
Les jeunes étaient parfois « captivés », « captés » même, par une histoire racontée par exemple, et nous faisaient nous poser les questions suivantes : « mais que comprennent-ils ? qu’est-ce qui les capte ?  Qu’en retiennent-ils ? ». Mais nous n’en n’avons pas la maîtrise, et nous pensons même que les processus de construction psychique à l’œuvre fonctionnent à l’insu de leur plein gré (…et du nôtre).
À l’écoute d’un conte, nous sommes à égalité de mystère.
Mystère, questions que nous allons aborder avec la notion de « métabolisme psychique ».

 

C- MÉTABOLISATION PSYCHIQUE

Nous entendons par là, le travail de transformation qui s’opèrerait, et qui apporterait des appuis supplémentaires au sujet en terme de grandissement, d’évolution.

  1. Tridimensionnalité

« Psycho-motricité », « temps et espace », « corps et espace » entend-on souvent. Cela invite à la dualité. Travailler les notions temporelles se réalise bien souvent à partir du mental ou du sensoriel, au travers d’exercices. Assimiler les notions temporelles par « l’explication » nous incite à rester en deux dimensions, quelque part…  « À plat ».

Lors des séances de psychomotricité, nous avons parfois l’impression que les jeunes vivent leur corps en deux dimensions, comme un feuillet. Accéder à un corps en « 3D », en volume, est tout l’enjeu d’un travail en psychomotricité, la création d’un contenant enveloppé, d’un « sac » du point de vue de l’image inconsciente du corps. Bullinger aborde cette notion en parlant « d’arrière fond », notamment. D’autres théoriciens comme Geneviève Haag abordent cette notion d’enveloppe.
Avec le conte et le chant, on ajoute la parole. On met du relief, il y a du tridimensionnel.

Cette troisième dimension est celle qui permet de se décoller, de prendre de la distance. Ça permet de penser en volume et de mettre à l’intérieur « du sac ». C’est le passage de la dualité (des sensations par exemple) à la formation des premières représentations.

Selon Marcelli « répétition et surprise sont en opposition dialectique, et la pensée nait de l’investissement paradoxal de cette opposition. Cette dualité permet le passage du sensoriel à la représentation symbolique chez le tout-petit. »

Le relief advient aussi surtout dans la rencontre de nos corps parlant, chantant, contant, des psychomotriciennes avec le corps parlant, chantant, jouant des enfants.

Des représentations se construisent, nous l’espérons, à partir de cette expérience « de vécu partagé et exprimé ».

  1. Aborder les thèmes difficiles ? Qu’est-ce que l’on aborde avec les contes ?

La clinique nous apprend que le nouveau-né ou le sujet psychotique peuvent être soumis à des angoisses archaïques, qui sont un vécu extrême et non représentable comme par exemple, les angoisses de dévoration, de morcellement, de liquéfaction etc.
Dans les contes, les héros traversent des épreuves lors de leur initiation et ils peuvent être confrontés à des loups, des ogres, des forêts, qui rentrent en résonnance avec ces éléments bruts du psychisme. « Conte » et « compte » ont une même origine étymologique qui renvoie à un processus organisateur.

Nous abordons les contes, dans leur forme première, qui peut paraître brute voire brutale. Mais ces contenus ont une fonction, celle de présenter les rituels (passage à l’âge adulte), les liens interhumains (enfantements, mariage, ordre des générations), des situations quotidiennes etc. sous la forme du mythe (muthos= la parole).
Passer par une fiction qui présente et met des mots sur les affects, sur le réel auquel les sujets sont en proie.
Passer par l’imaginaire et le symbolique pour aborder le réel est bien la fonction du conte, du récit.

« Cette « poésie naturelle » c’est le brassage de tabous, de croyances, de peurs archaïques, et d’instincts primitifs à la fois libérés et contenus dans une histoire » Clara DUPOND-MONOD

Par contre il ne nous appartient pas d’en prévoir un effet (« pour une migraine, il faut raconter les trois petits cochons »), ce n’est pas l’application d’un baume réparateur mais bien l’accompagnement dans la forêt des affects qui fait avancer le sujet.

Le soin consiste en cet accompagnement, en notre implication avec le sujet. Nous sommes deux pour encadrer la séance, l’une en position de conter, l’autre en position d’écouter avec eux :
« Comment est le racontant ? Comment réagit l’écoutant ? ». C’est la complémentarité des deux postures qui était facilitant pour l’accompagnement, au plus proche, de ce que pouvaient manifester les jeunes.
L’écoutant va mettre des mots sur les évènements contés dans les histoires (les dévorations, abandons etc.) Le conteur va s’appuyer sur ces réactions et cela va d’autant plus créer une dynamique.

  1. Médium malléable

Roussillon nomme « l’objet transitionnel du processus de représentation : le médium malléable ». Il le définit à partir de cinq caractéristiques : indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, inconditionnelle disponibilité et vie propre.

Ce concept nous sert de point d’appui pour notre réflexion à travers les deux postures que nous adoptons. Que l’on soit racontant ou écoutant, nos postures mélangent disponibilité, accueil, et capacité à se laisser modeler (donc transformer sans toutefois s’y perdre). C’est en accompagnant activement de la sorte cette écoute et en la jalonnant de nos « réactions » que nous pensons les amener vers plus de symbolisation.

  1. Passage par le concret

Les jeunes que nous accueillons sont diagnostiqués dans la déficience intellectuelle, il nous parait important de leur fournir un point d’appui concret, visuel, manuel.

Le plaisir à fabriquer, couper, coller, était également à l’œuvre. Nous sommes parties de ces actions quasiment scolaires, repérées, connues, des enfants, comme point de départ, puis au fil de la séance nous nous en éloignons pour investir une autre matière à jouer : les mots, l’oral, le son, le mouvement, les récits, les chants, nettement plus impalpables.

Ce fil rouge, nous servait de liant et d’appui mais aussi de trace concrète d’un travail réalisé, d’une pensée mise en forme.
Sans compter que nous pouvons encore aujourd’hui présenter ce travail institutionnellement grâce à ce support. Dans un monde d’image et de représentations, donner à voir/regarder une production est rassurant.

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CONCLUSION

C’est l’histoire de deux psychomotriciennes qui avaient décidé de proposer une rencontre chaque mardi autour de la musique et des contes.
Que rencontrèrent-elles, elles, en chemin ?
Que se passa-t-il au fil du temps ?

Le « temps vécu » n’est pas un vain mot, un mot vide, un mot valise. C’est une expérience dans le corps comme dans la psyché. Cela se passe au niveau d’un éprouvé, d’un accordage des rythmes de chacun. Ce fut un temps de partage, vivant, vibrant où l’on a pu se rencontrer.
Une parenthèse, temps suspendu
Un repère, temps retrouvé
Magie de l’instant, temps suspendu
Réalité de l’instant, temps retrouvé.
Inscription dans nos mémoires. 

BIBLIOGRAPHIE

Gérard DELEDALLE dans Revue Thérapie Psychomotrice n° spécial 1999 « point de vue sur la temporalité ».

Clara PINKOLA ESTES « Femmes qui courent avec les loups ».

BAKEROOT Willy (articles)
- Mardi-Gras ou Gras-Dimar le balancement céleste-infernal
- Les crêpes de la Chandeleur
-Réflexions sur le mythe
- Contes, comptes et comptines

Pierre LAFFORGUE « Petit Poucet deviendra grand »

Chansons :
Quand serons-nous sages, jamais, jamais, jamais.
Quand serons-nous diables, toujours, toujours, toujours.

 

Auteurs de référence :

MARCELLI

JOUSSE Marcel

BULLINGER

ROUSSILLON

HAAG Geneviève