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France Schott-Billmann


L’EXPÉRIENCE DE LA PULSATION EN DANSE-RYTHME-THÉRAPIE (DRT)


Lorsque le rythme des danses nous paraît « naturel » comme dans les danses populaires, qu’elles soient traditionnelles ou modernes, cela vient de ce qu’elles sont construites sur la cadence, terme un peu désuet aujourd’hui, qui désigne le retour régulier de la pulsation, à l’image du battement du coeur.
Les mots pulsation, pouls, poussée, pulsion ont la même racine, indiquant l’idée de quelque chose qui  pulse… La pulsation en musique est l’unité sonore brève et répétée, universellement présente dans les musiques du monde, et imitant acoustiquement le battement cardiaque par des frappes sur la peau d’un instrument à percussion ou, aujourd’hui le beat électronique.
Exerçant sur les récepteurs sensoriels une pression, elle pousse le corps au mouvement :  il est rare de ne pas la ressentir et de ne pas manifester, même très discrètement, une réaction motrice équivalente : haussements d’épaules, hochements de tête, frappe légère de la main ou du pied sur un support.
Elle est universelle, non seulement parce qu’elle imite le coeur mais parce qu’elle est au fondement de l’humanisation aussi bien au niveau du groupe que de l’individu.
Dans la préhistoire elle a permis de passer de la horde au groupe : les préhistoriens signalent son importance dès les premières manifestations humaines. Les chimpanzés savent taper deux cailloux pour produire du son, mais ils ne sont pas allés plus loin alors que les premiers hommes, ont su se synchroniser sur une pulsation partagée pour des activités collectives, comme la taille des silex, par ex. Selon A. Leroi-Gourhan elle s’effectuait en groupe dans une ambiance rythmique, à la fois musculaire, auditive, et visuelle, née de la percussion rythmique née de la répétition des gestes de choc (1) qui ont permis de festonner leur bord de façon régulière. 
La pulsation a sans doute aussi structuré les tout premiers langages humains, qui étaient probablement rythmés comme le rap d’aujourd’hui : on a trouvé de nombreuses plaquettes paléolithiques gravées de signes parallèles et équidistants, que Leroi-Gourhan interprète comme des supports rythmiques ayant pour fonction de scander (2) la parole chantée ou psalmodiée. Mais surtout, à chaque génération depuis les débuts de l’humanité, c’est en s’appuyant sur la pulsation que la mère conduit l’enfant à s’humaniser en utilisant le rythme naturel du coeur, imprimé dans le corps de l’enfant depuis la gestation, pour l’amener à se socialiser, à s’individuer et à symboliser à travers des rythmes culturels tels que berceuses, comptines, jeux d’alternance (3)…
Or, de plus en plus de psys (Winnicott, Dolto, Stern) font aujourd’hui un parallèle entre le travail de la mère par rapport à l’enfant et celui du thérapeute par rapport à son patient. Et ce travail est essentiellement rythmique. Nous le reprenons donc en danse-thérapie, sous une forme que, pour la différencier de la danse-mouvement-thérapie (DMT), technique américaine qui soigne d’une autre manière, nous appelons danse-rythme-thérapie (DRT).


L’expression primitive


La technique que nous utilisons comme médiation thérapeutique s’appelle Expression Primitive. Elle a été amenée en France dans les années 70 par un danseur haïtien, Herns Duplan, inspiré par les danses traditionnelles haïtiennes, simplifiées, déconstruites, pour en faire ressentir la pulsation cadencée, dont il soulignait  l’universalité.
La méthode de DRT réactive et mobilise chez les patients la mémoire corporelle archaïque qui est profondément marquée par le rythme de la première relation à la mère. Le danse-thérapeute accompagne les patients dans un processus de changement qui reprend les différentes étapes du processus humanisant. Elle permet au patient de les revivre autrement, en adulte et par une démarche artistique dans une relation positive avec un thérapeute. Il y trouve joie de vivre, confiance, lien aux autres, créativité et moyen d’expression.

Ce faisant, la DRT n’a rien inventé, elle ne fait que revisiter et revitaliser des pratiques ancestrales, ce qui la rapproche énormément de la musicothérapie active fondée sur une application au domaine du soin des idées de Carl Orff et de Marcel Jousse.

(1) Leroi Gourhan André, 1985, Paris, Le geste et la parole, Sciences d’aujourd’hui, Albin Michel, tome 2, p. 135. 
(2) Leroi-Gourhan, op. cit, Tome 1, p. 266.
(3) Schott-Billmann France, Le Besoin de Danser, Odile Jacob, 2001. Quand la danse Guérit, Le Courrier du Livre, 2012.