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Le jeu des cartes de la Saint René

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Les protocoles de jeux utilisés dans les séances de musicothérapie active s'inspirent essentiellement des organisations rythmo-musicales traditionnelles dites de style oral.

Ici, le protocole utilisé est celui d'une forme des plus anciennes : le rondo, dans sa forme simple, qui donne la chanson à refrain et couplets. Le refrain étant la partie commune à tous, les couplets concernent plutôt l'expression individuelle. Le moment du couplet est celui pendant lequel un des participants va se placer seul devant le groupe et entamera soit une composition, soit une improvisation. Refrain et couplets sont construits différemment tant sur le plan du rythme que celui de la mélodie et de la mesure.
Lors de la rencontre de Besançon, nous proposons que le couplet soit composé et chanté par un petit groupe avec accompagnement d'instruments en ostinati. Le temps étant limité, nous avons demandé aux participants de s'organiser en 4 sous-groupes et de composer un couplet à partir d'un quatrain rédigé par chacun des sous-groupes.

Cependant, un protocole, qui se présente souvent comme une simple mécanique, gagne à s'adjoindre un sens, pour étoffer ainsi la poésie de son déroulement. Le but n'est donc pas de fabriquer ce qui serait un « objet musical » indépendant, manipulable à merci, jouable n'importe quand, n'importe où et de n'importe quelle façon, c'est-à-dire un objet hors du temps. Si l'une des données principales de la musicothérapie active est le réaccordage avec le temps, il semble pertinent de prendre en compte le sens de la temporalité passagère synchronique du moment où nous musiquons. Les références fondamentales sont essentiellement celles du temps calendaire connotant les contrastes permanents du temps météorologique et cosmique.
Les variations rythmiques du déroulement de l'année sont abondamment pointées par le calendrier et sa mythologie. Il nous servira donc de point de repère.

Pour inscrire le rondo dans le temps de l'année, nous profitons de la date du 12 novembre qui fête Saint René dans le calendrier chrétien. Saint René, situé le lendemain de la Saint Martin, (Armistice : anagramme de Martin) est un symbole de renaissance. Son nom est en rapport direct avec son histoire.
Dans la ville d'Angers, René avait 7 ans lorsqu'il tomba gravement malade. Sa mère courut à l'église de Saint Pierre d'Angers où Saint Maurille disait la messe. Elle monta à l'autel pour demander à Maurille de venir vite baptiser son fils. Mais Maurille, tranquille, lui dit, « quand j'aurai fini la messe ! ». Et l'enfant mourut. Se sentant coupable, Maurille s'enfuit en Angleterre ; il revint au bout de 7 ans, alors il ressuscita l'enfant qu'on appela Re-né.

Ce mythe - que l'on pourrait d'ailleurs articuler avec celui de Saint Nicolas, au 6 décembre, qui ressuscita trois enfants morts depuis 7 ans - se trouve dans la mouvance du temps de début novembre et son cortège de thèmes évoquant la mort. Le temps jusqu'à Noël (solstice) est appelé « Avent » (ce qui advient) et célèbre l'espérance de la naissance du soleil nouveau ou la renaissance du soleil invaincu (sol invictus), associé depuis le 4e siècle à la naissance de l'enfant Jésus. La nature est morte avec le froid grandissant mais déjà elle prépare le retour de la fécondité.

L'utilisation des protocoles de jeux demande toujours un effort d'imagination de la part du thérapeute ou de l'animateur. Laissant courir l'imagination et la pensée analogique en articulation avec la Saint René, nous avons rapidement pensé à « René Descartes » puis au « jeu de cartes. »
Le jeu de cartes est abondamment utilisé pour « prédire l'avenir », c'est-à-dire anticiper sur le temps. Si on lui prête ce genre de vertu, c'est qu'il est bien en rapport avec le temps.
En examinant un jeu de cartes, nous pouvons constater qu'il contient 52 cartes, soit le nombre de semaines que contient une année. Il se présente avec quatre « couleurs », le coeur, le carreau, le trèfle et le pique. Chaque couleur est formée de 13 cartes, l'as étant le 1, le roi étant le 13. Si l'on additionne les chiffres d'une série, soit 1 + 2 + 3 + 4 etc. et celà jusqu'à 13, on obtient 91. Ce chiffre est égal pour chaque couleur. Si l'on additionne les 4 couleurs, soit 4 X 91, on obtient 364. Rajoutons y un joker et l'on obtient 365, soit le nombre de jours que contient une année. Dans cette voie temporelle, il était alors aisé de former le calembour du jeu des cartes de la saint René.

La lecture de « La nuit des songes de René Descartes » de Sophie Jama (Aubier) nous suggérait une poésie entourant un des maîtres de la logique. Il fit trois rêves qui lui sont tombés du ciel la nuit de la Saint Martin lorsqu'il se trouvait à Ulm, à l'aube de sa vie d'écrivain. C'était en 1619. Tout rationnel qu'il se voulait, ses biographes déclarent qu'il a pensé ces rêves comme « la révélation de sa vie de philosophe ». Il les reçut dans « l'enthousiasme » (possédé par un Dieu) Le premier rêve a suggéré le refrain du rondo. René Descartes était poussé vers la gauche par un vent fort qui l'a finalement plaqué contre une église.
Parler de René Descartes en termes de rêve peut paraître outrecuidant. Mais il s'agit d'abord d'un jeu poétique évoquant la prégnance du temps dans les activités humaines. Un jeu des cartes le jour de la Saint René se réfère à une logique implacable que n'a pas inventé Descartes. Logique cosmique qui nous amène tous à la sérénité devant la mort.

Pour les 4 groupes assurant les couplets, nous avons retenu 4 cartes : Le Roi de carreau nommé Jules, le Roi de trèfle nommé Alexandre, la Dame de Pique nommée Athéna, la Dame de coeur nommée Judith.
ll s'agit bien sûr de Jules César, Alexandre le grand, la déesse Athéna et la Judith biblique. Quatre thèmes bien fournis en mythifications. Jules César, le Pontifex Maximus, (*) le Rubicon, la césarienne etc. Alexandre le Grand, le noeud gordien et Bucéphale son cheval, Athéna, avalée par Zeus puis sortie par son crâne fendu, Judith qui trancha la tête d’Holopherne.
Pour chaque groupe, il s'agissait d'écrire collectivement un quatrain à mélodier puis à accompagner rythmiquement.
Le refrain mélodié très simplement comportait un mini refrain :

Le jeu des cartes de la saint René
va falloir le distribuer
Cette nuit où j'en ai rêvé
le vent me poussait de côté
Trèfles, coeurs, piques et carreaux c'est l'année du renouveau. (bis)
Entre Saint Martin et puis la Saint Brice
j'étais au bord du précipice
mais la méthode à Saint René
m'a envoyé de l'autre côté.

(Voir les couplets à la fin du texte.)

À l'occasion de la rencontre de Besançon, nous avons réalisé un protocole d’animation sans perspective thérapeutique. S'il nous fallait une classification, nous pourrions mettre ce protocole dans la catégorie pédagogique. Quoique… nous touchons ici à la question souvent posée de la différence entre de qui est pédagogique et ce qui est thérapeutique. Mais, en l'occurrence, ne serait-ce pas une question mal posée ?

Un protocole de jeu n'a pas, en soi, une valeur thérapeutique car ce qui tient du soin n'est lié ni au jeu ni au thérapeute qui le propose. Ce qui soigne vient essentiellement du patient. C'est lui qui, s'appuyant sur les configurations auxquelles il est amené à se confronter, permettra - ou non - à sa démarche d'avoir un effet thérapeutique. D.W. Winnicott affirme que le jeu possède un potentiel thérapeutique en dehors du thérapeute. Ne pourrait-on franchir l'étape suivante qui nous amènerait à dire que le patient a un potentiel thérapeutique en dehors du jeu. Ce qui adviendra, en thérapie, dépend en effet de la disponibilité et des choix du patient.
Ceci remet en question la pertinence des « objectifs » thérapeutiques. Ne sont-ils pas toujours des reflets de fantasmes de toute-puissance. Ne soyons pas trop affirmatifs, on peut toujours rêver ne fut ce que pour nous rassurer un tant soit peu. Mais notre démarche ne peut être cohérente qu'en se formulant sous l'aspect de propositions et pas en obéissance à de simples indications.

Les propositions des jeux rythmo-musicaux tiennent à ce qu'elles sont intimement liées au langage - sous toutes ses formes - c'est-à-dire à ce qui nous construit depuis l'origine. La forme du rondo constitue une sorte de véhicule propice à la mise en mouvement, ordonnée et balancée. Lorsqu’on emprunte ce véhicule, la pensée peut s'y organiser en balancements successifs entre le groupe et l'individu, la mesure et l'improvisation, le rassurant et l'aventure. L’ « énonciation » peut s’y donner libre cours, étayée par le déroulement rythmique.
Le refrain, toujours mesuré et simple rassure car il insère l’individu dans le groupe. Le couplet dynamise par une créativité accrue et par l'audace qu'il demande car il est normalement improvisé.

Le protocole tel que nous l'avons utilisé lors de notre rencontre peut être utilisé dans sa forme initiale en thérapie. Cependant, il demandera au thérapeute un effort d'imagination afin d'adapter le véhicule à la population dont il a la charge. Il conviendra de s'éloigner de tous fantasmes esthétisants et de toutes recherches de conformité.
Chaque situation de terrain doit générer une élaboration qui donne à chaque protocole toute sa pertinence.

(*) Titre suprême qui précise la fonction de constructeur de pont entre la terre et le ciel – ou l’au-delà. Ce titre est resté dans l’Église catholique pour désigner la fonction suprême du Pape : le Pontife.

COUPLETS

Roi de trèfle : Alexandre le Grand (Macédoine)

Trancher, dénouer le noeud gordien
Ce n'est pas une affaire de rien
Avec son très grand cheval noir
Alexandre a écrit l'histoire.(1)
Et mu d'une envie furibonde,
Il partit conquérir le monde
Avec son compère Bucéphale
Ils connurent une issue fatale.(2)

Indications "transmodales":
- accompagnement instrumental: bâtons rythmiques et tambourin à cymbalettes
- prosodie ascendante pour les derniers vers de chaque strophe, avec un rythme plus scandé, voire guerrier pour la deuxième strophe.
- gestuelle vers le haut, en extension circulaire pour la (1); pour la (2), gestuelle en opposition: d'abord vers le haut, extension, puis vers le bas, le corps replié, visage caché...

Roi de carreau : Jules César (Rome)

Le sort en est jeté
Avec ou sans les dés
Petits ou grands, petits ou grands
Avec un tel césarisé
le Rubicon est traversé
Et c'est pour ça que bien plus tard
Un couteau lui trancha le lard
Et notre roi sur le carreau
Y laissa, y laissa sa peau.

Dame de cœur : Judith (Bible)

Venez venez mes beaux messieurs
Au risque de tomber nos têtes
Plus fort que toutes vos arbalètes
La Dame de coeur vous jette aux cieux.

Dame de pique : Athéna (Grèce)

Dame de pique, elle est fantastique,
Sort direct du crâne de son père,
De sa cuisse, féconda la terre,
Athéna inspire notre musique.

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