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2èmes rencontres annuelles de musicothérapeutes
10 et 11 novembre 2008

La mise en jeu du temps en musicothérapie active
Chant à répondre et à danser


Christophe Grosjean


Un chant à répondre et à danser
Le présent mythifié et ritualisé


Ce chant dans la ronde à répondre et à danser est d'inspiration Bretonne (le pas de danse étant principalement inspiré par un rond d'Argenton, des éléments venant également d'une ridée 8 temps). Les danses de groupe en cercle se retrouvent sous des formes diverses mais de manière universelle.
Par exemple, existent encore les rondes dansées chantées des places de village, destinées à se rassembler de manière festive, pour célébrer la vie et réaffirmer la cohésion sociale ; on les trouve parfois encore de manière complètement communautaire, pas du tout folklorisées, dans des régions d'Europe pas si éloignées (vers Barcelone entre autre).
Un autre contexte est celui des rituels se déroulant autour d'un cercle symbolique, d'un totem, le sens de la ronde dansée ayant souvent une signification quant à, par exemple, contrecarrer un esprit négatif, contrecarrer une maladie dans un rituel d'inversion, pour conjurer le mal. Dans un autre style, le Sama' des Soufis, les Derviches tourneurs de Turquie, qui évoluent dans une danse de giration, danse souvent décrite comme une image du cosmos et de la danse des planètes, du cycle du temps.

La structuration du temps dans la danse et le chant dans la ronde étaient peut être, dans les mentalités magiques, un moyen symbolique pour aider périodiquement le cosmos à réaffirmer son organisation face au chaos. On retrouve en tout cas dans la ronde dansée l'image de la roue du temps qui se met en mouvement.
Son intérêt est de représenter un procédé accessible, communautaire par essence, qui peut être adapté à nos usages.
Les danses en ronde sont ludiques, festives, accueillantes et conviviales. Elles peuvent être transformées en fonction des propositions des participants, allant du simple balancement à des formes qui peuvent se développer à l'infini. Elles ne demandent pas de virtuosité, elles ne sont pas élitistes. Elles peuvent ainsi représenter un moyen intéressant, un entre deux relationnel mis au service des personnes et des groupes.
Le chant, toujours en responsorial (alternance entre un soliste et le chur qui lui répond) peut y être très simple (dans la tradition bretonne, on trouve des tas d'exemples de chants dits « à la dizaine », par exemple « dans 10 ans je m'en irai», le couplet suivant étant « dans 9 ans », décomptant jusqu'à 1), ou dévidant des récits plus complexes.

Le temps s'y déroule au travers de répétitions, de séries, d'ostinati, d'allures, d'un récit chanté qu'il est bien évidemment intéressant en situation de thérapie de construire avec les patients eux mêmes.
Ses points d'ancrage en regard de la musicothérapie active sont les suivants :
- Elle présente une globalité d'expression, articulant la parole, le corps, le rythme musical. Permet de travailler la cohérence entre le mouvement du corps et le rythme musical de la parole, et ainsi de tenter de lutter contre le morcellement.
- C'est un procédé collectif. Le groupe, en cercle, permet que chacun voie tous les autres et en soit vu. Le corps est traversé par une énergie « autre », qui émane de la puissance du groupe qui entraîne. La personne est bougée autant qu'elle bouge, selon une expression de France Schott-Billmann.

- Le contexte est propice à la relation à l'autre (avec les difficultés que cela peut représenter, par exemple en terme de lien social, de contact physique (exemple d'une personne psychotique qui se protège de cela en mettant ses mains dans ses manches - possibilité d'utiliser des foulards pour éviter le contact s'il est difficile dans un premier temps, si l'on souhaite travailler dans des formes en ronde ou en chaîne. Louise Villetard précisera qu'il est important de choisir des tissus comme du coton, pas de la soie, qui selon elle a un contact « enflammant »).

- La distance à l'autre et au groupe est possible au travers du chant en responsorial, qui est un modèle de musique en relation favorisant l'articulation en groupe ; en plus de faire travailler la mémoire immédiate, l'implication est facilitée dans un premier temps, puisqu'il suffit de répondre ; dans un deuxième temps, lors de la délégation de pouvoir, chacun est amené à devenir le meneur du chant, ouvrant sur des possibilités de présentation individuelle (les prénoms) et d'improvisation plus vaste. Il s'agit ainsi de travailler à un possible processus d'individuation, le soliste étant en relation avec le groupe, en tant que quelque chose d'extérieur et de séparé.

- Avec les prénoms, chacun est nommé au groupe. La collectivité le reconnaît au niveau du symbolique, lui donne une place et un rôle. Malek Chebel (« Le corps dans la tradition au Maghreb », PUF, Paris 1984) décrit l'acte de nommer comme étant lié à une reconnaissance spirituelle et existentielle, une histoire sociale individuelle différenciée de celui des géniteurs. Le nouveau-né devient alors membre à part entière de la fratrie, le rite du baptême y conduit.
Un petit exemple tiré d'un atelier mené avec des personnes handicapées psychiques, avec qui un important travail de structuration du récit a déjà été mené : « Je m'appelle Daisy, c'est un prénom pas commun, mais tant pis ça fait rien, c'est quand même joli. Je suis un petit lion, je suis née en août, je suis un petit lion, je suis née en août. J'étais pas prévue à la naissance, ma mère pensait attendre un garçon, c'est rigolo quand on y pense, car deux filles sont arrivées à l'unisson. Je suis un petit lion, je suis née en août, je suis un petit lion, je suis née en août. On est nées en plein été, avec un grand soleil, ça c'est la vérité, il y avait plein d'abeilles. Je suis un petit lion, je suis née en août, je suis un petit lion, je suis née en août. La grande sur était contente, d'avoir deux surs à la fois, c'est du moins ce que je crois, car elle est très aimante. Je suis un petit lion, je suis née en août, je suis un petit lion, je suis née en août ».

Un autre participant, lors d'un jeu ayant pour thématique la naissance, cela parce que nous étions en pleine période de l'Annonciation, vers le 25 mars, chante : « Quand je suis né, j'ai crié (Hiiii). Quand je suis né, j'ai crié. Maman, j'ai peur. Papa a coupé le cordon, papa a coupé le cordon, avec les dents, avec les dents. Avec la tête je lui ai mis, je lui ai mis un coup de boule, avec la tête, avec la têtée. Et d'une goulée, j'ai avalé, 2 litres de lait, un rototo, un rototo, un gros dodo, un gros dodo. On m'a nommé Jean qui rit, On m'a nommé Jean Louis, On m'a nommé Jean qui pleure, maman j'ai peur ».

- Nous sommes dans une forme de rituel, comme dans les rituels de passage où chacun naît ou renaît au groupe en venant y affirmer son identité, au sein d'un récit collectif qui donne du sens à la présence de chacun. Le rituel joue un rôle fondamental dans la cohésion sociale, empêchant la déviance et donc le rejet de l'individu en lui permettant de s'inscrire dans l'ordre du groupe. Il est un outil qui peut ouvrir sur un temps nouveau, un nouveau mode d'être dans sa relation à l'autre. Un participant d'un atelier de rentrée chante : « Une nouvelle saison commence, un groupe s'opère.
Il s'agit pour chacun de trouver ses repères ».

Chez les peuples de tradition orale, le rituel scande le temps, en s'articulant généralement à des récits, des mythes, qui ont une valeur fondatrice pour les sujets et les groupes investis dans le rituel en question. Le rituel en musicothérapie peut servir à évoquer les drames du temps en les mythifiant, reliant les événements du groupe humain à la forme symbolique, permettant peut être que ces drames soient vécus de manière moins tragiques.
Le temps mythique déroule les figures du temps changeant ; il est lié au temps qualitatif donnant son sens au jour, établissant des points de repères, véhiculant des symboles, créant du sens et suscitant des liens, ouvrant peut être sur des possibles associations d'idées.

- La priorité est donnée au sens, au symbolique, à la langue quand elle est possible (la parole est intimement liée au temps). Un univers poétique prend place, où puiser selon les possibilités du moment, pour peut être pallier aux difficultés quand à se raconter de manière directe. Une participante à un atelier chantait lors d'un jeu autour des signes du zodiaque : « Je suis du signe du lion, c'est un caractère de feu normalement, mais le mien n'est pas enflammé assurément, c'est même à l'opposition. On choisit pas son signe, on choisit pas son caractère, on choisit pas son signe, on choisit pas son caractère ». Un autre participant à un atelier écrit un couplet pour une chanson : « J'ai deux visages, l'un gémeaux, l'autre gé mal, mais jeu visage de pas parler de mal, plutôt avec des mots rigolos, histoire de voir ce qui est beau ».

- Le chant est un support à l'improvisation, qui est au cur du temps vivant. Ceux qui en parlent disent que ce n'est pas quelque chose que nous créons véritablement ; d'une certaine façon, cela nous créé nous mêmes. Henri Meschonnic parle de cela quand il évoque la poésie, et donc du langage et de ses rythmes, en ces termes : le poème est du corps-langage. Si le poète sait ce qu'il fait, alors il fait ce qu'il sait. Ce qu'on sait ne fait pas découvrir. Le poème est inconnu, c'est pourquoi il transforme, il nous transforme. L'enjeu du rythme est le sujet. Le sujet s'invente dans le poème. (Henri Meschonnic, lors du Printemps des poètes à Besançon, le 13.03.08).
- Le rite et la poésie peuvent peut être résonner suffisamment chez les participants pour que s'active ce que Claude Levi-Strauss a nommé « L'efficacité symbolique » (Claude Levi-Strauss, « Anthropologie structurale », Plon, Paris, 1958), « stratégie du détour » consistant à proposer des symboles plutôt qu'un vocabulaire médical, «langage dans lequel peuvent s'exprimer immédiatement des états informulés, et autrement informulables».

Un exemple de travail en atelier avec un groupe de personnes reconnues handicapées psychiques. Nous sommes le 2 octobre, le jour de la St Léger. J'ai proposé un refrain, qui nous sert à démarrer le jeu musical, juste après notre rituel de démarrage.


Aujourd'hui le jour de la St Léger
Je me suis levé du bon pied
Mes soucis sont moins lourds à porter
Depuis que je me suis mis à danser


Nous avons travaillé ce jour là sur un rondo (qui alterne couplets individuels de l'invention des participants, et un refrain collectif que j'ai proposé cette fois), j'invite ensuite les présents à danser. Une dame souffrant d'un surcharge pondérale s'en déclare incapable, elle dit qu'elle préfère ne pas le faire, qu'elle est trop grosse. Je lui dis juste que St Léger est avec nous. Elle rit, et accepte sans plus de discours de nous rejoindre dans la danse. Elle me déclare en aparté à la fin de la séance qu'elle a bien fait de venir, qu'elle se sent libérée d'un poids ! La force et la poésie des symboles, activant l'efficacité symbolique.