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Deuxième rencontres professionnelles des musicothérapeutes

Besançon 10 et 11 novembre 2008

 

Jean-Yves Collart.

Infimier, musicothérapeute, Le Havre

Chers collègues,

Il s'agit d'un texte court sur le temps, “car pour le penser, il faut du temps,et le serpent encore une fois se mord la queue” (dans “Le temps” Alban Gonord- ed.Flammarion .p.27).
Je me réjouis cependant de vous le faire partager, et de partager un peu de votre temps.

LE TEMPS

La musicothérapie est une spécialité du temps. Il faut alors afin d'être son serviteur penser le temps, et comme l'écrit Etienne Klein : “Penser le temps, c'est comme labourer la mer.”

Si on essaye de définir le temps, les mots n'y suffisent plus, les métaphores prolifèrent et nous castrent toutefois
On ne peut le définir ni l'exclure, car il est fondateur de notre vie, organisateur de notre quotidien, et rythmicien jusque dans notre façon de penser. (cf. Marcelli.- Rôle des micro-rythmes et des macros rythmes dans l'émergence de la pensée chez l'enfant - )

Ce n'est pas un objet, il n'est pas saisissable quoique l'on aimerait l'attraper ou le rattraper .Le mythe de la machine à remonter le temps a encore beaucoup d'avenir si je puis dire, ainsi que certains de nos pairs qui seraient capables de prédire ce qui va se passer, c'est-à-dire de voir le temps avant les autres. C'est un moyen de transport que nous subissons quelquefois à reculons. C'est un véhicule à notre histoire, à l'histoire de nos pères et de nos pairs, que l'on aimerait conduire alors que c'est lui qui nous porte

Dans le processus de soins en musicothérapie active il paraît sans doute indispensable d'appréhender notre propre rapport au temps, de l'identifier et de l'émarger lors de notre rencontre avec l'appréhension du temps de l'autre, voire notre rencontre avec les traces ou les signes d'une différence majeure dans l'appréhension du temps chez l'autre.

Il est souhaitable à cet effet de distinguer, dans la perspective d'une action thérapeutique efficace, le temps cyclique du temps linéaire, et de distinguer chez l'autre dans quel type de temps il baigne le plus, pour peut-être par notre intervention offrir un ciment suffisamment souple qui articulerait ces deux notions.

La faille :

Considérons la fameuse question : L'origine du petit d'homme ? D'où vient-on ? Willy Bakeroot nous répondrait : des choux ! Où allons-nous ?
Willy nous répondrait sans doute : Dans les choux ! (et il a raison) ou dans les roses (pour les filles).
Oui mais alors, avant les choux ? pourrions nous rétorquer avec la jubilation de l'enfant qui vient de pointer une faille majeure dans la logique de l'adulte (c'est ainsi que la grande question des origines si chère à l'humanité est posée là.)

Est-ce une faille dans la conception du temps ?

Celui-ci est considéré comme grand organisateur quand il a un début et une fin, ce qui peut être à la fois très rassurant et angoissant c'est ce que l'on nomme le temps linéaire, celui qui rassure les hommes, la société La notion d'un début et d'une fin est très utile par exemple quand on a une rage de dent. On est content de savoir que ça va se terminer un jour. Par contre il existe certains amours pour lesquels on aimerait que le temps dure toujours ; “Ô temps suspend ton vol” .Le poète Le Tasse nous en parle dans son poème “sur le temps” :

-Tu vois, Amour, comme volent et passent
Nos jours avec le jour et vient la mort :
Je ne trouve moyen de fuir le sort ;
Soleil(en vain l'on prie) ne reste en place.

Mais si ma dame, attendrie, me console
Et veut garder en moi ses vifs mérites,
Que ses beaux yeux, sous quoi le ciel s'irrite,
Se retournent vers lui, et ses paroles :

Phébus, à cette vue, à ces beaux sons,
Arrêtera son cours et, rallongeant
Le jour, mon temps, allégera mes maux.

Mais, las, qui dit qu'à la comparaison,
La jalousie, la honte l'étreignant,
Il ne lâchera bride à ses chevaux ?

Le Tasse ( dans- Rimes et plaintes - éd. Poésie Fayard p.43)
.

Cette première notion du temps est porteuse d'une ambivalence fondamentale qui caractérise la situation de l'être humain à merveille. Effectivement il s'agit d'un temps social, culturel.

Le grand paradoxe est que ce temps correspond à l'idée, en tout cas dans notre société , d'une succession de moments qui coexistent avec donc, comme nous l'avons signifié plus haut, un début et une fin, et que quelque on aimerait prendre les rênes de ce temps qui nous est imposé dans sa durée. De façon tout à fait subjective, il est significatif de nos états d'âmes et nos états de corps.
C'est le temps où nos états d'âme sont perceptibles par les limites corporelles, et où nos limites corporelles influent sur nos états d'âme. Il s'inscrit dans un principe de causalité dans lequel existe une logique prédominante de l'ordre du temps : passé, présent, futur

Le temps est aussi une idée dirons nous un peu plus éthérée, d'ailleurs Gaston Bachelard nous rappelle que “la méditation du temps est la tâche préliminaire à toute métaphysique”. Ce temps est plus proche de quelque chose qui au premier abord semble ne pas avoir de début et de fin. C'est celui qui suscite la question des origines, de qu'est ce qu'il y avait avant, et qu'est-ce qu'il y aura après, en pressentant de façon angoissante ou pas qu'il s'agit d'une question sans fin.
Il s'agit du temps cyclique : la notion d'un éternel retour apparaît alors, bousculant l'ordre du temps linéaire : par exemple la saison de l'hiver, elle est passée ou elle est à venir ?...Ou autre question plus médiatisée : qui est arrivé le premier, l'oeuf ou la poule ?
Il s'agit d'un temps qui ne nous appartient pas, en tout cas celui-là on en est presque sûr ! C'est le temps de la nature, par contraste avec le temps linéaire qui serait celui de la culture.

EN MUSICOTHERAPIE ACTIVE :

En musicothérapie active, il me semble que l'on travaille sur la trame temporelle.Nous sommes en quelque sorte des passeurs de bobines aux enfants ou aux patients pour qui le tissage du temps représente un atout considérable dans la construction du fil de leur vie.

Nous sommes des instigateurs de trames par le jeu et le re-jeu rythmique de ce fil afin que par leur mise en récit, ces rythmes s'inscrivent à la fois dans le temps cyclique et dans le temps linéaire, en proposant de la sorte l'allègement ou la transformation des angoisses issue des conflits entre psyché et soma, en quelque chose de plus supportable et de constructif
La question n'est donc pas de tenter de traiter l'ambivalence humaine, métaphorisée par des conceptions du temps paradoxales, mais bien plus de permettre l'harmonisation de ce paradoxe , en autorisant la libre circulation entre le temps cyclique et le temps linéaire.

A ce titre, il apparaît judicieux d'exploiter deux véhicules fondamentaux du temps , que sont la danse et la musique. La danse permet à l'esprit et au corps de vivre une expérience commune du temps.
La musique assure elle un soutien à l'expression de la danse, quand elle s'exprime essentiellement par le rythme. Elle initie de cette façon aux grandes dualités qui nous interrogent et nous pétrissent.
Je pense que le temps représente alors un contenant articulant l'intérieur , qui serait plutôt subjectif et en lien avec le sacré, et l'extérieur, qui serait plutôt objectif, du côté social, également en lien avec le sacré.

Ce serait alors aussi un contenant dans lequel se trouve plongé l'homme, entre la réalité terrestre et d'autres réalités.La fonction du temps qui passe est différente de la fonction du temps qui permet que chaque chose se déroule en son sein. On pourrait percevoir ici une dimension passive et inéluctable du temps, et une autre dimension beaucoup plus active et délimitée.Ces deux dimensions ne me paraissent pas incompatibles. Elles sont même plutôt complémentaires car il est essentiel d'avoir connaissance de la deuxième dimension pour entrevoir la première, et sans la première, pas de possibilité d'entrevoir la deuxième. : On sent alors poindre une jonction entre ses deux dimensions qui autorise la compréhension de ce paradoxe sans trop de casse.

Cette jonction me rappelle alors les propriétés mises à jour par Didier Anzieu en ce qui concerne ce qu'il appelle le “moi-peau”. Il nous enseigne dans ce concept la perméabilité de la peau, protectrice de l'extérieur et à la fois permettant les échanges avec l'extérieur, et associe ces propriétés à celles du moi (instance psychique qui permettrait à la fois de protéger des angoisses psychiques et en même temps de pactiser avec elles) .

Le temps aurait dans sa double dimension la fonction de permettre l'échange symboligène entre l'idée de l'homme et l'idée du divin.Cette jonction semble tout à fait jouée et incarnée par notre calendrier.En effet, et comme nous l'enseigne Paul Ricoeur dans “temps et récit” ( éd seuil,1985,p.266-268), “le temps calendaire unifie le temps cosmique du mouvement des astres et le temps vécu, biologique et social. Le calendrier est né de cette humanisation du temps cosmique et de cette cosmologisation du temps vécu. Le temps du calendrier occupe une position médiane entre le temps cosmique et le temps vécu”.

La thèse de Ricoeur s'attachant à montrer que le “temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et que le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l'existence temporelle”. (p.105 id.)
Le temps y aurait alors la fonction à la fois de support et d'initiation des processus de symbolisation.

Je conclurais ce petit essai à propos du temps sur son plus digne représentant : le rythme.Il paraît que certains l'ont, y paraît que d'autres non, pourtant il est présent partout.Le rythme permet de rejouer l'éternité sans être dupe de notre condition d'homme. En cela, il est la “voie royale qui mène au temps”, à la symbolisation.

Jean-Yves Collart