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Colloque de musicothérapie active, novembre  2011 Paris

« Ambivalence du rythmo-mimisme, le duel tragique des commencements »

Willy Bakeroot. psychanalyste et musicothérapeute.

« C’est par la saveur que le savoir se sait ». C’est une petite phrase que j’ai trouvée par hasard sur Internet. Elle m’a bien plu parce qu’elle est tout à fait en rapport avec ce que nous essayons de faire mais surtout elle résume à mon sens la démarche de l’apprentissage et celle de l’acquisition de la connaissance.
Les termes « savoir » et « saveur » viennent de la même racine latine « sapere ». Le savant n’est pas tellement celui qui a acquis des connaissances mais celui qui a une appétence particulière pour la chose étudiée. C’est parce qu’il en goûte la saveur qu’il acquiert des connaissances. La synthèse qu’il peut faire ensuite est l’accumulation des saveurs successives.
Mais s’il arrive à en goûter la saveur c’est bien parce qu’il met du jeu entre lui et l’objet étudié. C’est le jeu qui donne le plaisir et la saveur.
Et qui dit jeu, plaisir et saveur, dit intervention du corps.

Ce n’est pas bien difficile de penser que le musicothérapeute a acquis un savoir rythmique qui est l’accumulation successive des plaisirs successifs à se couler dans les logiques rythmiques.
Le savoir du musicothérapeute me semble être le rythme. Mais il ne peut l’acquérir qu’en s’impliquant et en l’épousant. C’est loin d’être un savoir théorique, c’est une pratique du temps et de sa logique.
Il est d’ailleurs difficile ici de séparer ce qui serait un savoir théorique et ce qui serait une pratique corporelle.
Dans une séance de musicothérapie active, le jeu avec les rythmes du temps invite les partenaires à se couler dans ce qui advient de leurs rythmes propres et du rapport qu’ils ont avec les rythmes sociaux.

Cela nous ramène au MIMISME qui est un concept de base dans les théories de Marcel Jousse. C’est de ça que je voudrais un peu vous parler.

Pour ceux qui ne connaissent pas Marcel Jousse, voici rapidement quelques mots sur ses conceptions de la construction du rapport au monde de l'enfant.
Jousse dit que le petit enfant, dès sa naissance, mime le monde qui l’entoure. Il mime donc avec son corps. Comme il s’agit d’un geste spontané, Jousse utilise le terme mimisme pour le différencier du geste volontaire qu’est le mime des adultes.
Ce que l’enfant mimisme, ce sont des rythmes du réel en mouvement. Pour Jousse, le réel est fait de milliards d’interactions entre les choses. Ces interactions sont rythmiques. Elles se répartissent en module que Jousse appelle des interactions triphasées : « un agent agissant un agi. »
Il prend l’exemple d’une chouette qui agrippe un tremble. Chaque phase a son geste propre. La chouette est un ocularisant et le tremble un tremblant.

Ce que va mimismer l’enfant, c’est un ocularisant agrippant un tremblant. Jousse appellera ça un MIMODRAME. J’ajouterai qu'il s'agit là d'un acte de symbolisation.
Il fera donc le geste d’oculariser, celui d’agripper et celui de trembler. En fait, ce ne seront que des velléités de gestes. Mais ça sera suffisant pour créer un « MIMÊME», c’est-à-dire une unité de geste et de mémoire. Ce « Mimême », l’enfant le mettra à l’intérieur de lui-même.
Il va l’intussusceptionner. (1)

C’est la succession des mimèmes intussusceptionnés qui va construire la mémoire et la personnalité de l’enfant. « L’homme est un être de mémoire. »
Toute l’édification de la personne se fait donc par le geste rythmique.
Cette mémoire, l’enfant va la rejouer d’abord avec ses gestes. Petit à petit il va trouver le geste le plus pratique pour rejouer : le geste laryngo-buccal, c’est-à-dire la parole.

Quand on m’a demandé d’intervenir au colloque sur Marcel Jousse à Lyon, en septembre, sur l’apport de Marcel Jousse à la musicothérapie, je n’étais pas très chaud pour toutes sortes de raisons. D’abord parce que Marcel Jousse n’a rien apporté à la musicothérapie puisqu’elle n’existait pas.

C’est un petit fait amusant qui m’a décidé. J’ai un chien qui s’appelle Filou un petit mâle Labrit qui a une toison très soyeuse. Quand je le promène, j’emmène toujours la chienne de la voisine qui s’appelle Tina, une Border-Collie adorable. Or, dans mon quartier, il y a, pour le moment, toute une génération d’enfants de 5 à 10 ans qui envahissent l’espace avec leurs jeux et leurs piailleries. Certains viennent parfois sonner à ma porte pour demander à caresser Filou.
Il y a un mois, il faisait très bon en fin d’après-midi. Je suis sorti avec les deux chiens que les enfants connaissent très bien. À peine sorti, ce fut la ruée d’une bonne douzaine d’enfants vers les chiens qui croulaient sous les caresses.
Tout à coup, une petite fille s’est mise à crier « Filou, il fait pipi en levant la patte ! » Puis elle s’est mise à quatre pattes pour mimer Filou. Mais à la seconde suivante, une autre s’est écriée « Tina, elle, fait pipi en se tenant sur les deux pattes ! » et la voilà par terre, à quatre patte pour mimer Tina. Dans l’instant qui suivait, tout le groupe s’est mis par terre à quatre pattes pour soit lever une jambe ou sauter sur deux jambes. Tout en chantant ce qu’ils faisaient. J’étais sidéré. Je n’avais jamais vu ça. J’avais l’impression de me trouver devant un chœur tragique Grec mettant en mot et en geste un drame fondamental consacrant l’imparable différence sexuelle de deux êtres marqués par le destin. Ça a bien duré trois ou quatre minutes.

Puis m’est venue la question « mais qu’est-ce qu’ils font ? » Je sortais d’une longue discussion sur le cas d’un enfant élevé par une guenon. J’avais parcouru un texte sur le cas, rédigé par le psychiatre qui s’était occupé de l’enfant au sein d’une équipe de soignant. Il citait quelques théoriciens qui parlaient de la constitution de la première relation à l’objet et qui évoquaient la nécessité d’une première identification garante du bon déroulement de la suite.
Alors, les enfants, est-ce qu’ils mimaient, est-ce qu’ils s’identifiaient, était-ce du mimétisme, est-ce qu’ils mimismaient ?

Cela m’a remis en tête la question du mimisme et de sa définition.
Le mimisme et le balancement sont les deux thèmes que j’avais retenus de la première lecture de « l’anthropologie du geste ». Un de mes maîtres m’avait mis le livre dans les mains. Je l’avais lu avec avidité, mais une fois le livre refermé, je me suis posé la question de ce que j’allais pouvoir bien faire avec ça. Je l’ai laissé mijoter pendant 20 ans en y revenant de temps à autre. Le balancement et la bilatéralité m’ont tout de même habité bien des fois, rythme musical oblige. Je pratiquais déjà le Schulwerk de Carl Orff.

L’apport de Jousse, en ce qui me concerne, s’est donc plutôt fait « après », très progressivement, mais toujours après les expériences réalisées. Comme si le discours de Jousse venait cautionner en plaçant des mots sur ce qui avait déjà été intussusceptionné. Un peu comme dans le voyage des oiseaux de Hattar. Une multitude d’oiseaux s’envole à la recherche du roi des oiseaux Simurg. Mais le voyage est long, beaucoup abandonnent, d’autres meurent. À la fin du voyage, il ne reste plus que trente oiseaux. Ils arrivent alors au bout de leur quête, devant Simurg. Et le nom de Simurg signifie 30 oiseaux. Simurg leur dit « c’est ça ! » et que c’est bien que d’eux dont il s’agit.

Mon aventure joussienne a commencé bien avant que je connaisse les travaux de Jousse, sans que je puisse y mettre les mots que j’utilise aujourd’hui..
J’ai passé 7 années dans une école de métiers d’art où j’ai appris le travail du bois : la sculpture et l’ébénisterie.
J’y ai appris des choses fortes et entre autres, que la réalité ne s’appréhendait pas sur le mode de la maîtrise mais qu’elle s’appréhendait sur le mode de la disponibilité et du jeu.
La réalité essentielle de cette école était le bois. On nous demandait de l’approcher et de le transformer. Mais pour le transformer il fallait d’abord le mimismer pour s’imprégner de ses lois.

J’étais loin de soupçonner l’existence de Marcel Jousse. Et l’on n’utilisait pas le terme « intussusception » ni celui de « mimisme ». D’autant plus que l’ensemble était dirigé par des Bénédictins et qu’il n’était pas trop de bon ton de parler des Jésuites.
L’approche n’était pas spontanée, elle exigeait de la volonté consciente. Mais je pense que dans toute approche volontaire, il y a un substrat spontané. Le mimisme est toujours présent et sous-tend le geste volontaire.

Comment donc mimismer le bois ? Il ne suffit pas de s’asseoir devant des planches de bois et d’attendre qu’il nous imprègne. Ici, il faut l’attaquer.
Nous avons parlé de la petite chouette sympa qui agrippe un tremble ! Ce que Marcel Jousse ne nous dit pas c’est ce qui arriverait si, à la place de la chouette, il y avait un grand-duc ou encore un aigle ou mieux, un vautour. Le petit arbre qui tremble tout le temps, il serait déchiré. Il ne serait plus un tremblant mais un gisant.
Pour aborder le bois, il faut des gouges et des ciseaux. Puis, il faut trancher. D’autre part, on ne sculpte pas du chêne comme on sculpte du tilleul. Le tilleul est un bois mou qui se laisse facilement entamer, même à contre-fil. Le chêne est bien plus résistant. Quant au sapin, c’est un arbre parfaitement caractériel. Avec ses nœuds qui sont placés n’importe comment, il vous oblige sans cesse à modifier votre approche. Il avait d’ailleurs la réputation d’être non-sculptable.
Et l’on s’approche du bois avec un coupant pour trancher un fibrant. Et l’on taille puis le bois vous dit « non, pas par ici, sinon tu me fais mal et tu te fais mal à toi aussi » Alors on recule puis on recommence. Et, de geste en geste, d’interaction en interaction, on intussusceptionne les mimèmes et l’on se crée la mémoire des rapports avec le bois. C’est dans cette mesure qu’on peut le transformer de façon cohérente en même temps qu’on se transforme soi-même par cet acte de créativité.

Il est là le duel tragique que cite Marcel Jousse.
"Nous ne connaissons le monde que par les gestes que nous lui infligeons en recevant les  siens. C’est pour ainsi dire une sorte de duel tragique : le monde nous envahit de toutes parts et nous conquérons le monde par nos gestes".
Le duel se calmait lorsque le bois disait « c’est ça, c’est bon ». Cet aspect violent du mimisme n’est pas toujours mis en évidence.

Le respect du matériau nous était inculqué en même temps qu’une gestuelle appropriée. Je me rappelle toujours ce professeur qui, lorsque quelqu’un se servait d’un marteau, disait « Attention, laissez lui faire son travail. Ne vous prenez pas pour le marteau sinon vous risquez de devenir marteau ». Aujourd’hui, quand je regarde des gens qui frappent sur un clou avec un marteau, je m’interroge souvent sur leur désir absolu de devenir marteau et donc sur leur santé mentale.
L’exemple cité au début des enfants qui dansent devant chez moi montre que l’identification n’est pas le mimisme. Ils ne se prennent pas pour des chiens, ils rejouent les gestes des chiens. Le temps des enfants qui jouent est d’ailleurs le conditionnel ou le futur antérieur. « On dirait que tu serais ! »

En même temps que la formation au bois, je suivais des cours de piano. On chantait aussi beaucoup dans cette école. Cela m’est resté quand j’ai abandonné l’artisanat du bois pour prendre une autre artisanat, celui des relations humaines.

En stage avec des adolescents délinquants, je dirigeais une chorale universitaire extérieure pendant mes temps libres. Je m’arrangeais toujours pour persuader quelques ados de participer à la chorale. Quelques-uns venaient de temps en temps, mais ça ne les intéressait pas vraiment. Je sentais bien que la musique telle que nous la chantions était rébarbative. Il fallait autre chose. Un de mes cousins me renseigna sur les passionnantes recherches du musicien Bavarois Carl Orff.
Il n’en fallait pas plus pour que je prenne contact avec Carl Orff qui m’a de suite aiguillé vers l’initiation au Schulwerk, travail d’école ou de groupe rassemblant ses principes pédagogiques. Je me suis donc formé grâce à un pédagogue Belge, disciple de Carl Orff : Marcel Andries. Ce fut un premier chemin vers la musicothérapie.

Que propose donc Carl Orff ?

Il propose un retour aux racines du rythme musical.
S’inspirant des rapports entre l’ontogenèse et la phylogenèse, il a remis en valeur tous les procédés des sociétés traditionnelles.
Au coeur de ces procédés, il y a le Mimodrame. Au sens de Marcel Jousse. C’est quelque chose qui est très difficile à décrire car nous n’avons pas les mots pour le dire exactement. Nous ne pouvons que cerner le Mimodrame par petits morceaux. Nous parlons de la danse, puis de la musique puis du mime etc. Mais il s’agit de quelque chose de plus unifié
L’activité rythmo-musicale n’est pas séparée de la parole qui formule le sens tout en se gestuant. Elle met en parole ce qui se passe et qui doit accéder à la parole. Souvent le drame est une commémoration liée au déroulement du temps et de la mythologie calendaire ou alors à ce qui se passe dans le moment.
Le mimodrame est sans doute le procédé d’expression musicale le plus ancien. Il nous est parvenu sous la forme de la comédie musicale en passant par les mistères, les pastorales ou d’autres formes théâtrales, etc.
La parole et le chant y accompagnent le mouvement du corps. Elle est incantation, profération, conte, cantillation, fredons, ritournelles, récitatifs, et donne sens à ce qui se passe.
Le mimodrame donne naissance au responsorial qui sollicite une relation entre un soliste et celui ou ceux qui répondent. À l’antiphonique qui alterne deux chœurs.

Un procédé de base est l’ostinato et sa répétition. Ostinato sur lesquels vont se mouvoir les rythmo-mélodies souvent improvisées.
Parallèlement à l’ostinato on trouve le continuo de base que certains appellent la corde-mère. Base autour de laquelle s’échafauderont les libertés de la mélodie. Continuo qui peut se formuler en bourdons fixes ou flottants.

Au départ de toute démarche on va trouver les jeux en frappés rythmiques corporels accompagnés de parole et faisant écho à ce que nous appelons des jeux dansés et des rituels mouvementant les comptines mélodiées.
Carl Orff fera construire des instruments adaptés et faciles d’utilisation. Xylophones, métalophones, carillons, tambourins, timbales. Il ne sont que les descendant des balafons, métallophones, lithophones, tams-tams ou djembés.
Il utilisera des gammes anciennes comme la pentatonique qui ne comporte pas de difficultés solfégiques. Mais surtout il ouvrira à la modalité qui offre une mine de procédés mettant la parole en forme. Le monde des MODES est infiniment plus riche que celui du système tonal avec lequel nous fonctionnons.

Il mettra en évidence le rondo, forme précieuse pour l’alternance de l’expression individuelle et celle du groupe.
Certains instruments comme les tambourins peuvent servir à des jeux de type martiaux.

La richesse de ces procédés est incalculable dans l’utilisation des combinaisons possibles. Leur utilisation n’est pas nouvelle puisqu’elle plonge loin dans l’histoire.
C’est donc un ensemble de procédés qui sont des véhicules. Ces véhicules servent à nous mouvementer. Ils sont propulseurs de paroles incantées. Le « geste-parole », le « Dabar » des hébreux y est roi.
Ça ne sert pas à construire de beaux objets musicaux pour, comme dit Marcel Jousse," la beauté faite exprès" Ça sert d’abord à relier les gens entre eux et à leur faciliter le rejeu de ce qu’ils ont intussuceptionné.

À quoi nous confrontons-nous dans ce « mouvementement » ? Ce n’est plus du bois dur dont il s’agit, c’est d’un matériau qui me paraît plus complexe.
Le musical est la résonance des choses et principalement la résonance de la parole.
Si le bois est situé dans l’espace, le jeu rythmo-musical est dans le temps.

C’est au temps que nous nous confrontons.

Pour le temps, je n’utilise pas le terme « situé » car nous ne sommes plus dans l’espace. Or, « situé » est un terme d’espace. Il est difficile de saisir le temps car c’est plutôt lui qui nous saisit. La parole organise le temps. Il lui faut du temps à la parole pour se dérouler. On ne peut rien dire en une seconde. La résonance de la parole vibre dans le temps qui nous renvoie sa finitude.

Je pense à cette jolie question que pose saint Augustin dans les Confessions. Il dit « qu’est-ce donc ce temps qui vient de l’avenir, qui passe par le présent et qui s’engouffre dans le passé ? » Avant d’avoir lu cette phrase, je pensais toujours que le temps venait du passé et filait vers l’avenir ! Depuis, j’ai toujours cette image d’une voiture sur la route qui avance rapidement à la rencontre du temps qui vient de l’avant.
Au temps qui arrive, nous lui infligeons nos pulsions, explosismes, nos rythmes, nos paroles parfois hésitantes et nos inhibitions. Il nous renvoie ses prolongements, ses syncopes, ses silences, ses arrêts et ses morts.
Le temps est incarné par la parole qui résonne selon la succession des propositions verbales. D’une certaine manière, la résonance, c’est-à-dire le son, est le corps du temps. À remarquer que si le son n’est pas issu de la parole, il est insensé.
Et si le temps nous emmène vers le passé, toute résonance nous ramène à ce qui nous a construit dans ce passé. Toute émission de son conduit à la Mémoire et aux terrains dangereux de l’enfance. Winnicott dit que toucher à des territoires transitionnels très anciens à quelque chose de dangereux. La « substance » de la mémoire est rythmique et se déroule donc toujours dans la temporalité.
Je rappelle que Jousse définit l’anthropos comme un édifice de mémoire.

Dans son livre « La haine de la musique », Pascal Quignard fait remarquer que certains sons, certains fredons disent en nous quel ancien temps il fait actuellement en nous.
Il dit d’autre part que « Musique et Terreur sont indéfectiblement liés. Comme le sexe et le linge qui le revêt ».
Pour certains malades qui ne peuvent pas parler, l’acte de parole peut être terrorisant. Mais cet aspect terrorisant de l’émission d’une parole sonore se retrouve dans toute expression ordinaire lorsque le parleur se trouve dans une situation inhabituelle. Parler devant un public est souvent terrorisant. Je n’entrerai pas dans les raisons qui font que la parole n’arrive pas à se dérouler car elle sont multiples et d’ordre psychosociologiques. Je fais l’hypothèse qu’à l’origine de toute pathologie, il y a un dysfonctionnement temporel.

Comme le temps nous est compté, je voudrais souligner seulement un des procédés-véhicules du schulwerk qui me paraît essentiel. C’est l’ostinato.
Ostinato signifie obstiné.  Universellement utilisé chez les traditionnels, il ne l’est plus chez nous. Il en reste un exemple dans le Boléro de Ravel. Et, tout de même, de nombreux exemples dans le monde de la chanson dite populaire. Mais ils ne nous appartiennent plus, ils appartiennent au spectacle.
C’est un véhicule simple et très porteur. Il est lié au balancement. Écoutez musiquer les Africains, ils basent leurs chants sur des balancements qui sont souvent renforcés par le jeu des percussions.
Allez en Bretagne danser avec les Bretons en pratiquant l’ostinato.

L’ostinato est une petite structure répétitive. Il n’est pas la répétition d’un simple son. En ce sens la techno n’est pas faite d’ostinati. Cette structure est agencée avec un temps fort, un explosisme et des temps plus faibles. En un sens, elle est boiteuse et avance cahin-caha. Ceux qui ont un peu fréquenté les milieux hospitaliers psychiatriques ont dû s’apercevoir que bien des malades se balancent. Ça fait toujours peur aux infirmiers ou aux éducateurs qui ne savent pas quoi faire de ces balancements. J’ai vu un enfant psychotique lié sur une chaise pour qu’il ne se balance plus.

En fait, ce ne sont pas vraiment des balancements. Ce sont des stéréotypies motrices dans lesquelles l’envers vaut l’endroit ou l’avant vaut l’arrière. Je crois que ce sont des tentatives désespérées d’accéder au balancement. Des gestes qui ne sont pas infligés au temps, mais qui sont maintenus en vase clos. C’est du semblant de balancement, mais sans explosisme ni propulsion ni violence.
Car le balancement normal est boiteux. Étant latéralisés, nous sommes normalement boiteux. Les malades qui ont des stéréotypies en sont réduits au métronome qui est l’instrument le plus autistique qui soit.

Je terminerai en pointant le fait que l’explosisme d’un balancement correspond à la violence inhérente à tout mouvement humain. Le mimisme n’échappe pas à ce fait. Il inflige la violence des gestes au réel, qu’il soit « bois » ou « temps », rien ne se passe sans cette violence suivie d’un retour.
Dans sa description de l’établissement de la relation objectale, Winnicott souligne l’importance d’une phase de destruction de l’objet. Elle n’est pas que fantasmatique mais comporte une bonne part de réalité corporelle.

Éléments de bibliographie :

L’œuvre de Marcel Jousse, Gallimard
J. Arveiller, « Des musicothérapies », Éd. Scientifiques et psychologiques, Issy-les-Moulineaux, 1980
H. Meschonnic, « Critique du rythme » Verdier, Paris, 2002
D.G. Winnicott, « Jeu et réalité » Gallimard, trad. C. Monod et J-B Pontalis, Paris, 1975
Jamie James, « La musique des sphères » Éditions du Rocher, Monaco 1997.
Paul Zumthor, « La lettre et la voix » Seuil, Paris 1987.
Pascal Quignard, « La haine de la musique »  Folio- Gallimard, 3008, Paris, 1996..
Saint Augustin, « Confessions », Études augustiniennes, 1996

(1) Intussusception est un terme de botanique qui désigne la pénétration par endosmose des éléments nutritifs à l'intérieur des cellules des êtres organisés.
Il s'étend aux personnes humaines : Assimilation spontanée, lente et intuitive.
Intus : dedans et suscipere : prendre.

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