Intervention de Marie-Claude TUSCHER, psychomotricienne et musicothérapeute

« Auprès de Ginette qu'il fait bon chanter ! »

Création collective de paroles de chanson sur des airs connus,
en service de long séjour d'hôpital gériatrique.

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L'histoire du groupe créatif : c'est par ennui que nous avons inventé.
Le premier détournement de chanson que nous avons fait l'a été pour se présenter lors du rituel de début de séance.
Je tenais à ce rituel de présentation et en mesurais toute son importance, mais nous nous y ennuyions au bout de quelques mois: «Je m'appelle Ginette, elle s'appelle Ginette», certains patients rechignaient, d'autres s'impatientaient et voulaient chanter tout de suite. 
J'ai alors détourné les paroles de «Auprès de ma blonde» en :
«Auprès de Ginette qu'il fait bon, fait bon, fait bon, auprès de Ginette qu'il fait bon chanter».
Ainsi de suite pour chacun des prénoms des participants du groupe, en modulant la première note de départ en une sorte de vocalise par ½ ton ascendant, puis plus librement en montant et descendant par intervalles divers.
Ça fait trois ans que ça dure et on ne s'en lasse pas.

La mélodie connue est rassurante, inspirante pour moi, les patients et les soignants qui nous accompagnent. Elle est inscrite dans l'histoire de notre atelier. Elle permet que les patients et soignants osent chanter, ils sont en terrain connu et reconnu, commun et collectif. C'est un terrain de rencontre.
 
Dans notre chanson des prénoms, il y a parfois des paroles originelles qui reviennent et ça donne : «Auprès de Ginette qu'il fait bon dormir» et ça fait rire tout le monde, on guette celui ou celle qui s'y laissera prendre.
Chacun attend son tour d'être ainsi nommé en chanson avec un plaisir renouvelé qui me surprend toujours.
L'inscription de l'individu dans le groupe reste une activité essentielle, structurant soutenant, cadrant, contenant l'individu et le groupe.

Riche de cette expérience, nous avons ensuite avec cette même mélodie, détourné collectivement les paroles sur l'ensemble de la chanson: le refrain et les couplets.

Nous avons utilisé notre tableau paperboard (où nous inscrivions les noms et prénoms de chacun des présents) pour réaliser un brainstorming.
Ce fut d'abord timidement, puis de manière de plus en plus foisonnante, une profusions de propositions que nous avons toutes inscrites. Émulation réjouissante dans une population de patients plus habitués à recevoir (des soins, à manger , des visites, la télé...) qu'à donner ses idées et créer.
Les membres de l'atelier: patients, musicothérapeute, aides soignants ou infirmière, stagiaires... ont inventé les paroles de cette nouvelle chansons pour raconter notre travail de groupe de musicothérapie active en milieu hospitalier gérontologique. L'aspect ludique de la tâche ne fût pas oublié avec des règles dues au nombre de pieds et de la loi des rimes que l'on transgresse parfois.
 
Avec humour et perspicacité la chanson fut créée sur deux séances. Les membres de l'atelier étaient fiers et ravis, ils en parlaient autour d'eux.

Le service animation, ayant eu vent de notre atelier, nous a sollicité pour que le groupe se produise à la fête de la musique de l'hôpital.
Je n'étais pas favorable à cette démonstration sachant que certains patients du groupe ne seraient pas en mesure d'aller sur une scène à cause de troubles du comportements difficilement gérables dans cette situation: un patient qui se lève, une autre qui a peur de sortir du service, perdue et angoissée... Dilemme devant l'enthousiasme du plus grand nombre.
Nous y sommes finalement allés, faisant une répétitions dans la salle de spectacle  en respectant l'envie ou la capacité de chacun d'y participer ou non.

Nous avions fait imprimer au dos du programme de la fête de la musique, les paroles de la dite chanson pour que le public puisse la chanter avec nous. Ce fut très  apprécié.
Certains patients n'étaient jamais monté sur scène, n'avaient  jamais chanté avec un public ni dans un micro. Certains s'étaient mis sur leur 31. Ça a été un événement. 

Nous avons récidivé deux ans plus tard, avec une nouvelle chanson sur l'air de «A la claire fontaine» : «Il y a longtemps que nous chantons, jamais nous ne l'oublierons» que nous avons préparée depuis le mois de janvier.
Même processus: tableau, brainstorming, quelques lois de rimes et de pieds pour cadrer et affiner la créativité.
Certains patients connaissaient le système d'autres le découvraient avec enthousiasme. Re fête de la musique avec les paroles inscrites au dos du programme pour le public.
Des familles de patients ont été bouleversées de voir comment leur proche était si enthousiaste, si vivant tout en étant si vieux et si malade. Tous participaient à la fête et pas seulement en y assistant. On donnait à entendre à voir, à lire et à chanter.

Avec du recul, je pense que notre participation à la fête de la musique aura été valorisante pour les patients présents.
C'est une parenthèse dans le déroulement du groupe de musicothérapie active, ça n'est jamais devenu un but ou un objectif.
Nous continuerons à créer de temps en temps des chansons, même sans la fête de la musique mais je dois reconnaître que l'audience d'une fête donne une reconnaissance au travail de créativité de notre groupe de musicothérapie, et c'est assez rare à l'hôpital pour que cela soit souligné.

Quelques phrases spontanées de patients ou de leur proches qui m'ont fait plaisir:

«Ici, on fait des choses qu'on n'a jamais faites»
«Quand est-ce que vous nous faites encore rire»

Parfois les proches (familles, amis) en visite à l'hôpital peuvent aussi se joindre à nous lors des ateliers de musicothérapie active, je les y invite dans une posture de participants et non pas d'observateurs. Nous les accueillons, chantons leur prénom comme chacun des membres de notre assemblée... Ça leur fait du bien, disent certains qui regrettent de n'avoir pas de telles ateliers pour eux.

Mes inspirations:
L'inscription des noms de chacun des présents d'un groupe sur un tableau me vient des pratiques des maisons vertes de Françoise DOLTO, où le prénom de chaque enfant présent était inscrit sur un tableau central, son inscription signifiait sa présence, son départ engendrait l'effacement.
La technique du brainstorming est bien connue pour dynamiser la créativité verbale.
Le travail de quatrains que nous réalisions au cours de notre formation avec Willy BAKEROOT pour raconter les événements du jour, m'avait beaucoup intéressé.
Mon goût à emprunter une mélodie connue de tous pour faire chanter une assemblée lors d'un pot de départ en retraite, en racontant par des paroles adaptées le parcours et les anecdotes de la personne concernée vient de la mode des plagiats que l'on utilisait beaucoup à une certaine époque.

Les mots clefs:
Aventure, audace, désacralisation d'une œuvre, désapprentissage, jeux de mots, loi des rimes, capacité de penser, d'associer, de transgresser les paroles d'un auteur connu, plagiat, inspiration, inventer, dynamique de groupe, apathie, agressivité, soin.

Référence bibliographiques:

Wilfred BION sur ses écrits concernant les dynamiques de groupe.
Louis PLOTON dans son approche écologique et anthropologique de la pathologie gériatrique.
Boris CIRULNIK avec son concept de résilience.

Louis PLOTON et Boris CYRULNIK ont sorti un ouvrage collectif en février 2014: «Résilience et personnes âgées» - Éditions Odile Jacob dans lequel Marie ANAUT (professeur de psychologie clinique et psychothérapie familiale à l'université Lyon 2) a écrit un chapitre sur la «Créativité, humour et résilience avec l'avancée en âge».

EXEMPLES

Groupe de musicothérapie active
PAROLES ÉCRITES COLLECTIVEMENT PAR LES PARTICIPANTS
du lundi après midi en Décembre 2011
Sur l’air de « Auprès de ma blonde »

(Refrain :)
À l’hôpital Clémenceau
qu’il fait bon, fait bon, fait bon,
A l’hôpital Clémenceau qu’il fait bon chanter

1) On chante pour nous même et pour notre santé (bis)
On tape les percussions, en rythmes et en chansons.

À l’hôpital Clémenceau, qu’il fait bon...

2) Les uns jouent sur les claves, les autres sur des guiro (bis)
Aussi des maracas, parfois ça nous les casse.

3) Les bruns les blondes les rousses mais aussi les ch’veux blancs (bis)
Et il y en a une, qu’a les deux en même temps.

4) On remue nos souv’nirs, nos lèvres, nos mains aussi (bis)
C’est pour faire connaissance et passer un bon moment.

5) C’est un moment d’détente , de joie et d’amitié (bis)
Notre mémoire est fier de pouvoir s’exercer

 

« A l’atelier du lundi » Janvier 2014
Sur l’air de « À la claire fontaine »

1) À l’atelier du lundi, tous on se réunit
Pour musiquer ensemble et chanter nos chansons

Refrain :
Il y a longtemps que nous chantons,
jamais nous ne l’oublierons

2) On aime bien y venir, rencontrer des amis
Taper sur les tambourins et rythmer les refrains

Il y a longtemps que nous chantons,
jamais nous ne l’oublierons

3) Chanter c’est agréable, ça bouge nos neurones
Et ça nous rend aimable, fait même chanter l’aphone

Il y a longtemps que nous chantons,
jamais nous ne l’oublierons

4) Mais ça y est c’est fini, c’est trois heures et demi
Il arrive le goûter, qui nous dit d’arrêter

Il y a longtemps que nous chantons,
jamais nous ne l’oublierons