Intervention de Mme Colette Falguière
Angers
Atelier Musicothérapie Active
dans un Centre d’Accueil et de
Soins pour Adolescents.
Ce
centre, issu de la pédo-psychiatrie et de secteurs de la psychiatrie
adulte est situé dans la ville.
L’atelier
a démarré fin sept 2006 tout d’abord avec 2 garçons
(15 ans), une jeune fille de (15 ans) arrive en novembre.
L’atelier
a lieu à 17h30 et dure une
heure et demie.
Nous
découvrons Stef et Marin, scolarisés en collèges
professionnels ; ils vivent chez leurs parents.
- Stef,
15 ans, inhibition, en difficulté face au groupe. Capacités
cognitives défaillantes et problème de schéma corporel.
- Marin 17 ans, déficience
intellectuelle légère et troubles autistiques.
Mélanie,
vit chez ses parents, et sera au cours de l’année
scolarisée puis déscolarisée, elle a auparavant
été suivie en pédopsy pour grande anxiété,
passage à l’acte ( tentatives de suicide) et mise en danger.
Au
cours de l’année d’autres adolescents seront accueillis mais
ne pourront pas rester et s’investir dans cet atelier, ils ne reviendront
pas après une ou deux séances; je n’en parlerai pas dans
cette présentation.
Nous
fonctionnerons donc essentiellement avec les trois jeunes, cités
précédemment. Toutefois les aléas de leur parcours,
(hospitalisation de Mélanie, stages en entreprise pour les deux
garçons), nous ont mis en situation de faire l’atelier avec un seul jeune plusieurs fois.
L’animation
de cet atelier se fait avec Jean-Rémi, infirmier en psychiatrie, en
alternance avec Béatrice infirmière en psychiatrie et
musicothérapeute, ayant suivi la formation à l’expression
primitive (avec France Schott-Billmann).
Déroulement
de l’atelier
Rituel d’ouverture, créé
avec les participants ( rythme gestuel et voix, en disant son prénom
).
Ensuite
nous passons soit à des protocoles rythmo-musicaux avec les instruments
soit à des jeux rythmiques en mouvement avec le corps et la voix, selon
ce qu’ils souhaitent.
Rituel
de fin (rythme gestuel et voix) créé avec eux, avec un temps
d’improvisation sur 4 ou 8 T.
Temps
de parole proposé en fin de séance.
Nous ne
préparons rien à l’avance, nous nous donnons quelquefois un
axe de travail (par exemple : accentuer
plus sur la coordination dans le mouvement, travail sur le regard).
Après quelques séances nous nous appuyons sur ce qu’ils
souhaitent travailler ou jouer, nous tirons un fil qui se déroule, sans
que nous ayons besoin de nous concerter.
Après
quelques séances au cours desquelles nous avons testé plusieurs approches
avec les instruments, avec les corps en mouvement et la voix, nous avons pu
noter les observations suivantes :
Stef est en
retrait, renfermé, tête baissée, voûté, ne
peut affronter le regard des autres.
Difficulté de coordination et à suivre le
rythme dans les déplacements.
Difficulté
d’expression avec la voix.
Pas
d’ancrage, pas d’enracinement.
Très
docile, très poli, « bien élevé »,
même trop.
Stef
demande le jeu avec les instruments, dans lesquels il se sent plus en
sécurité et plus à l’aise. Il prend même
beaucoup de plaisir dans le jeu et a du mal à s’arrêter de
jouer quand c’est le tour d’un autre participant.
Marin, apparemment très à l’aise dans le
rythme, grande jubilation dans les jeux rythmiques avec les instruments et le
corps, bien que ce corps soit
peu habité. Il se
déplace de façon mécanique. Marin ne propose rien,
mais suit toutes nos propositions.
Il ne
montre pas d’inhibition, peut improviser joyeusement avec la voix.
Toutefois, la voix est très aiguë, enrouée, (dysphonie,
mue faussée de la voix).
Marin n’a rien à dire au temps de parole et quand on lui pose une
question, il répond toujours « je ne sais pas ».
Marin a
du mal a respecter le temps de l’autre ou les silences, il ne
s’arrête pas de jouer. Il ne peut lâcher l’instrument.
Les
deux garçons ne
communiquent pas dans la salle d’attente avant la séance, Marin
est plongé dans une lecture de bande dessinée.
Mélanie,
arrive début novembre. Elle est
assez réservée, mais à l’aise dans la danse
(elle a déjà fait de la danse) malgré une surcharge
pondérale qui s’aggravera au cours de l’année. Elle peut improviser avec la voix et
proposer une gestuelle dans les séquences d’expression primitive,
elle nous propose une mélodie pour le rituel de fin d’atelier,
dès la première séance. Toutefois Mélanie peut
être dans un état de passivité, de lassitude et de
grande tristesse.
Qu’est-ce
qui se joue ?
Si nous
reprenons les principes de bases de la musicothérapie active, un point
essentiel est l’aspect global de ce travail articulant le corps, la
parole et le rythme musical.
L’un des objectifs que nous retenons pour notre atelier est de
favoriser la parole plus spontanée, enracinée dans le corps.
Marcel
Jousse avait mis en évidence la connexion étroite entre le geste
et la parole. Chez le petit enfant les mots sont accompagnées de gestes,
et sont souvent chantés, scandés dans un balancement naturel.
Dans un village reculé de l’Atlas au Maroc, la rencontre avec des enfants se fait tout naturellement avec un jeu de marelle, puis un jeu rythmé et chanté à partir des prénoms, la relation s’établit immédiatement dans le plaisir du jeu.
Dans
notre société cette spontanéité s’est souvent
perdue dans des années de formatage-dressage-apprentissage mental au
détriment du geste.
Dans ce
parcours d’une année nous avons été
particulièrement interpellés sur ces processus de mise en jeu du corps, du rythme et de
la voix. Nous n’en sommes
pas à la parole au début de l’année, avec Stef, cela
commencera par un murmure dans un léger mouvement des lèvres.
Nous
observons chez Stef que cette difficulté à sortir la voix est
associée à une impossibilité à rencontrer le regard
de l’autre.
Dès
le rituel de présentation que nous créons ensemble, Stef ne peut
dire son prénom, il garde la tête baissée, le corps est
enroulé, affaissé, son regard est fixé vers le sol.
Qu’est-ce qui est si difficile dans le fait de se nommer, assumer son identité par soi-même et non par la parole de l’autre, ne pas être l’objet de l’autre ? C’est peut-être déjà le début d’une individuation.
Dans
les jeux rythmiques qui mettent en jeu la voix, Stef est très
bloqué, il rougit et détourne le regard.
Exemple : des jeux d’appels–réponse face à
face, avec déplacements en 2 fois 8 temps accompagnés par la
voix.
Stef ne
peut intégrer le rythme corporellement, tout comme il ne peut pas intégrer une mélodie
qui pourrait faciliter l’intégration du rythme. L’articulation corps-rythme et
voix ne se fait pas facilement.
En fin
de séances Stef ne peut rien dire. Cela persiste pendant des mois. Face
à cette grande difficulté de Stef nous accentuons le travail sur
ce qui peut favoriser l’ancrage dans le sol, l’enracinement dans le corps et l’expression orale.
Toutefois nous proposons, à
chaque séance, un temps de jeu avec les instruments dans lequel Stef est
plus à l’aise et se sent valorisé.
Les
deux autres jeunes ont une aisance à dire leur prénom, et
à regarder l’autre, toutefois Marin a un visage peu expressif.
Les protocoles
les plus souvent demandés par Mélanie lors du 1er trimestre sont : la danse de la croix (1) ou la
danse sur le mode de l’expression primitive ou danse
rythmée-chantée avec les bâtons.
Mélanie est un élément moteur
dans ce groupe, elle exprime des demandes et déploie une grande
créativité avec le corps et la voix. Elle propose des
mélodies pour tout ce qui est chanté et des idées de
gestuelle pour la danse.
La
parole par les kazoos
Après
quelques séances, Jean-Rémi arrive avec des Kazoos. Nous proposons un protocole simple
d’appel-reponse avec gestes et voix à travers les kazoos, deux par
deux face à face.
Jean-Rémi
évoque les deux équipes de rugby les plus connues. Stef commence
à libérer sa voix. Nous entendons au-delà de ces sons
nasillards un peu insupportables, des intonations, un souffle
modulé, des sons puissants
presque agressifs alternant avec des sons plus doux. Dans ce jeu d’affrontement guerrier des deux
équipes, nous croisons de temps à autres le regard de Stef et des
sourires furtifs. Il commence à s’adresser aux autres. Son corps
se déplie peu à peu ; sa démarche est un peu
moins lourde.
Au
cours de plusieurs séances, nous leur proposons d’autres jeux avec les Kazoos: raconter une
histoire chacun son tour, dialogue théâtralisé. Stef se
saisit de cet objet médiateur et déploie un éventail
d’expressions, qui passent de l’agressivité à la
jubilation. Nous le voyons même s’adresser à l’autre
et éclater de rire.
Etant
données les difficultés de Stef au temps de parole en fin de
séance, nous proposons à tous de s’exprimer, s’ils le
souhaitent, sur leur vécu de l’atelier, avec les kazoos.
Pour la
première fois Stef peut en
« dire »
quelque chose, avec des expressions lisibles sur son visage et des
sourires.
Pour
Mélanie, cet objet médiateur aura également un effet
dynamisant lorsqu’elle arrive fatiguée, sans énergie.
Même si sa voix est un peu éteinte, en sourdine, retenue, en
début de séance, Mélanie parle via le kazoo avec une
grande jubilation et trouve un regain d’énergie dans ces
improvisations
théâtralisées. Les sons émis ont même
beaucoup de puissance. Elle s’amuse beaucoup et prend des initiatives
dans la gestuelle. A la suite de
ces jeux avec les kazoos, en fin d’atelier, elle est plus à
l’aise et très créative dans les improvisations
vocales.
Marin,
qui n’a aucune inhibition, s’amuse beaucoup aussi, mais fait
surtout beaucoup de bruit, il y a une grande pauvreté dans les
improvisations.
C’est
à partir de ces jeux avec les kazoos que les trois jeunes entrent concrètement
en relation, les interactions sont plus évidentes, plus vivantes, avec
des regards adressés et une voix plus spontanée.
Jusqu’à
fin décembre, ce sera le seul moyen pour Stef de se lâcher un peu.
La parole étant encore retenue. Les Kazoos ne seront pratiquement plus
utilisés après les vacances de Noël.
Mi-décembre,
Mélanie traverse une période particulièrement difficile,
fugue de l’école et du foyer, relation conflictuelle avec les
parents. Mélanie est effectivement triste, la voix éteinte. Après un protocole avec les ballons elle nous dit qu’elle a
mal à la gorge, que c’est difficile pour elle de sortir la voix,
elle nous propose un jeu.
Elle
s’allonge sur le sol et nous demande de passer par-dessus son corps en
dansant et en chantant. Stef prend le Djembé et nous donne le tempo. Il
se réfugie derrière cet instrument et évite ainsi de se
déplacer et de chanter. Cela le sécurise et lui donne un
rôle.
Nous
entrons dans le jeu. Marin nous suit, il rentre facilement dans l’imitation.
Petit à petit la marche devient dansée, nous sommes portés
par le rythme de la percussion et par l’incantation que nous improvisons
à chaque passage, la gestuelle s’amplifie, nous nous prenons au
jeu de ce rituel dansé et théâtralisé, avec
intensité et une certaine gravité, il y a quelque chose de
l’ordre du sacré. Nous y sommes totalement engagés tout en
gardant notre lucidité.
Mélanie
ressort de ce jeu rituel avec le
sourire. Elle nous a fait confiance et dit qu’elle se sent mieux. Elle a
évoqué la danse du sorcier. Marin ajoute qu’il faut chanter pour les
dieux, pour enlever les mauvais sorts. Marin a voulu expérimenter la même chose, il veut
s’allonger. Nous rejouons une danse «de sorcier».
Après cela il ne peut rien en dire; Marin ne peut pas symboliser.
Mélanie
n’a jamais demandé
à refaire ce rituel, nous pouvons supposer que ce celui-ci a opéré pour elle, de manière
consciente ou non. Cela nous renvoie à l’efficacité
symbolique.
Dans ce
travail nous voyons combien il est important pour les
« thérapeutes- animateurs » de s’impliquer
dans le jeu avec les patients, de suivre leurs propositions , de prendre le risque d’y aller et
d’être dans la spontanéité.
Nous
avons travaillé sur plusieurs séances le rythme dans le mouvement
avec divers protocoles connus ou inventés avec eux. Les jeux
rythmiques avec les bâtons,
par exemple, ont été très porteurs. Le bruit produit par les frappés de bâtons
donne une impulsion, d’autant plus
qu’au début nous avions disposé une grande planche
sur le sol moquetté.
Le fait
de marquer le rythme avec les bâtons avec amplification du
son a eu un effet ludique immédiat et a facilité
également l’expression orale. Nous avons ainsi pu créer
ensemble des chorégraphies avec les bâtons, avec une certaine
jubilation, jusqu’au jour où nous avons eu une plainte des voisins
du dessous (un cabinet de balnéothérapie-massage).
En
avril mai, Stef n’a toujours
pas d’ancrage dans le sol, son corps n’est pas
habité, il ne tient pas longtemps le rythme avec ses pieds et se
déplace les bras ballants.
Nous
proposons un nouveau protocole à partir du chef d’orchestre :
trois musiciens, dont un sera le chef ( réf au chef d’orchestre) et deux danseurs qui suivent les variations de rythme donné par les instruments : s’arrêter aux stops et regarder un point précis en le pointant du doigt. Stef pointe toujours vers le sol et ne peut toujours pas croiser le regard de l’autre.
En
Juin, lors d’une séance où Stef est tout seul nous en
profitons pour travailler ce protocole à son rythme. Quand nous ajoutons
la voix, Stef se trouve à nouveau en difficulté, nous reprenons
alors les kazoos.
Il joue
des émotions, avec une certaine jubilation. La répétition
aura été efficace. Nous voyons que pour ce jeune il fallait du
temps.
Lors
d’une séance suivante, nous proposons le protocole du chef
d’orchestre avec la voix. Nous entendons la voix de Stef, toujours sur la
même tonalité, mais cette fois-ci il a pris le risque
d’être entendu. Quand à son tour il est chef, il a des
gestes précis, nous regarde, il y a même des sourires.
Nous
passons ensuite au protocole de l’échelle (2).
Stef dit « je n’aime pas
ça, c’est dur » puis il se lance, et nous fait des
phrases en 8 pieds avec une certaine facilité, en sautant une case de temps en temps.
Mélanie
est à l’aise dans ce jeu et semble s’amuser.
Marin
ne peut y aller quand il s’agit de mettre des mots, ne peut faire le
premier pas dans l’échelle, nous l’invitons à y aller
sans dire un mot. Nous sentons un blocage. Béatrice donne alors une
petite impulsion dans le dos de Marin qui se lance. Après plusieurs
passages, il sort des
onomatopées, essentiellement des voyelles et en fin de séance, il
« dit » avec
sa voix haut perchée, une phrase en 8 pieds.
La dernière séance de juin Stef arrive joyeux, il a réussi son examen au collège, il se tient droit. S’il a encore des difficultés à sortir sa voix dans le jeu de l’échelle, il participe au quatrain que nous faisons ensemble.
Marin
est incapable de prendre des initiatives, d’inventer une phrase pour le
quatrain, il répète des phrases de façon mécanique,
fait du copié-collé, accélère le rythme,
Mélanie
n’a pas de difficulté dans ce jeu de l’échelle, les
phrases viennent facilement. Elle nous propose la mélodie du quatrain.
Nous clôturons l’atelier en chantant plusieurs fois ce
quatrain :
« Cette année on s’est
amusé,
on a kazooé et puis dansé
on a joué des instruments
tout en chantant comme des enfants »
Après
cette dernière séance nous partageons le gâteau
préparé par Stef, les jeunes chantent encore le quatrain. Le temps de goûter est un temps
d’échange entre eux. Stef exprime son ressenti, parle de ses
projets pour l’été et l’année prochaine.
Les
deux garçons qui ne se parlaient pas dans la salle d’attente au début
de l’année, ont fini par échanger et rire ensemble dans la
cuisine après l’atelier.
Ces
trois ados étaient bien
élevés, polis, plutôt
sympathiques, ne manifestant aucune opposition ou agressivité,
même verbale.
Nous
avions surtout à soutenir ce qui émergeait,
favoriser l’expression gestuelle et orale et la
créativité de chacun.
Au
cours de chaque séance avec ces jeunes nous avons pu constater sur nous-mêmes les effets
positifs de la musicothérapie, dans la mesure où nous nous sommes
laissés inspirer. Même si nous arrivions fatigués en fin de
journée, l’énergie revenait dès que nous
étions dans le rythme, le mouvement et le chant.
Il n’y a pas de recette applicable
à chaque situation. Par
exemple le kazoo s’est révélé être un objet
très angoissant et inutilisable pour une jeune fille que nous
accueillons depuis la rentrée de septembre 2007.
Chaque
séance est une nouvelle aventure dans laquelle nous nous engageons avec
notre propre désir d’entrer dans le jeu, en étant dans la
créativité de l’instant
Jouer
implique d’être animé et «vivant ».
(1) Danse de la croix : on trace une croix au sol avec des
lames de métallophone. Les musiciens se placent autour de la croix
à une distance permettant de suivre les pas du danseur en suivant le rythme de celui-ci.
Le danseur se déplace dans
les espaces formés par la croix, en variant les rythmes et l’intensité des
frappés avec les pieds sur le sol. Sa danse engage tout le corps.
(2) On installe sur le sol 8 lames
de balafon, marcher dans les espaces entre les lames sans rien dire, puis en
énonçant les chiffres de 1 à 8, en marquant bien les 8 temps, puis ajouter un son
associé à chaque pas par ex, puis composer une phrase en 8 temps,
à chaque pas correspond une syllabe énoncée.