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Les racines de la mémoire permettent-elles l‘aventure de l’improvisation ?
    Spécificités et singularité des pratiques en musicothérapie active

Ce thème a été choisi par le groupe dès la fin du Colloque de l’année dernière. Je vais donc essayer d’évoquer quelques motifs qui touchent à l’improvisation.
J’ai toujours eu un recul devant ce thème qui me paraît bien difficile à traiter pour plusieurs raisons. C’est un thème compliqué et ambigu.  
De plus, il y a toutes sortes d’improvisations.

On peut tout de même les répartir entre
1 : les improvisations que j’appellerai « préparées » et
2 : celles qui surviennent à la suite d’un manque de préparation.

L’improvisation préparée s’inscrit dans un cadre. Par exemple, dans un concerto, un pianiste improvisera au moment de ce qu’on appelle la « cadence ». Mais ce sera en rapport avec la cohérence générale du concerto. Cette cohérence lui servira de référence.
Dans le deuxième cas, apparaît l’angoisse du vide contre laquelle il faut « meubler » le temps à tout prix.
Dans les deux cas, il s’agit toujours d’une aventure dans laquelle, malgré les références chosies, nous sommes aux prises avec notre Ego.

Le manque de préparation, c’est un peu mon cas aujourd’hui. Ce thème qui m’a donné le vertige. Je ne suis pas arrivé à trouver une cohérence suffisante pour parler de ce qui se veut proche du chaos.
Mais n’est-ce d’ailleurs pas le cas d’une séance de thérapie dans laquelle le thérapeute, digne de ce nom, se trouve aux prises avec l’étrange, l’étranger et le différent.
Le réflexe premier peut être celui d’avoir envie de conformer l’étranger à nos usages habituels. Quelquefois, en musicothérapie, puisque « la musique adoucit les mœurs », et que nos technologies le permettent, bombardons le donc d’un « médicament symphonique », ça ne pourra lui faire « que du bien ».
Un réflexe plus pacifique sera tout de même de se départir de nos schémas habituels pour permettre à l’autre d’exprimer quelque chose qui sera de son ressort à lui, par ses moyens aussi chaotiques soient-ils.
Ça n’est pas simple car nous sommes imbibés culturellement et façonnés par le culte de la déesse Musique.
Je me rappelle un stage de formation dans lequel on essayait de comprendre la logique du système modal. Dans une logique modale, le plus important est la parole mise en chant. La mélodie qui l’enveloppe permet seulement de la mettre en valeur. Cette mélodie est entièrement au service de la parole. Elle ne vit pas pour elle même.
On utilisait alors le procédé de la « corde mère ». C’est un bourdon autour duquel on va chanter en modulant sa parole sur quelques notes qui entourent le ton de la corde mère.
Un stagiaire commence à moduler en chantant son nom. Mais il reste seulement dans l’accord parfait qui fait le squelette du système tonal.
Je l’arrête pour lui faire remarquer qu’il obéit au système tonal en s’inféodant à l’accord parfait.
Il recommence donc, mais sans arriver à se détacher de cet accord parfait qui d’une certaine manière l’étouffe. Il lui fut impossible de se libérer du système tonal envahissant pour s’aventurer dans une mélodisation libre, garante d’une véritable improvisation.

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Une question : est-il possible d’improviser ?
Il semblerait que l’improvisation ne doive son existence qu’à la présence de son contraire : « le FIXE », Le préparé d’avance et qui sera répété.
Pourtant, si j’improvise, c’est que je tente de prendre de la distance par rapport à ce qui me tient dans un cadre fixe.
C’est toujours une aventure qui met en jeu la liberté de mon Ego.

Quand je danse avec mes pieds, je ne peux pas échapper au sol fixe d’où ils sont partis et où ils reviennent sans cesse.
Je ne peux pas non plus modifier ce fixe qui me soutient.

Il s’agit donc d’une dualité permanente entre une réalité, qui ne dépend pas de nous et notre désir d’y échapper. Un va-et-vient qu’il est impossible d’éviter, sauf à nous déréaliser complètement. Rêver que l’on puisse danser à 10 cm du sol tient justement du rêve ou de la folie. (CF : Les amis du Baron de Munchausen -  Jean de l’ours – Rabelais)

Dans la mythologie grecque, il y a une grande déesse qui est à l’origine de tout. Elle s’appelle Eurynomé, ce qui veut dire « grande voyageuse ». (Le voyage ne comporte-t-il pas une improvisation permanente ?)
Elle sort du chaos en cherchant à poser ses pieds. Mais sur le chaos, c’est bien difficile, alors elle sépare le ciel et la mer puis se met à danser sur les vagues.
Tout en ondulant, elle se dirige vers le sud, poursuivie par le vent du nord. Elle s’empare du vent du nord et le frotte dans ses mains et fait ainsi apparaître Ophion, le serpent dragon. Fasciné par la danse d’Eurynomé, Ophion la féconde. Ensuite, elle pond un œuf qui éclot. En se brisant, il laisse sortir l’ensemble du monde.
N’est-ce pas de la haute improvisation?
Non seulement elle crée le monde mais pour pouvoir incarner sa production, elle modifie le support d’où elle vient et qui la porte. C’est comme un enfant qui voudrait modifier sa mère pour pouvoir mieux se « chatouiller le nombril ».

Le problème est que nous ne sommes pas des Dieux et que nous ne pouvons pas modifier le support d’où nous sommes issus.

Cependant, aujourd’hui, dans l’hystérie ambiante, le thème de l’improvisation est connoté par la figure d’une liberté sans beaucoup de limites. Nous n’avons pas conscience que cela correspond à un fantasme flou qui tourne autour de la  toute-puissance. Mais cette toute-puissance est bien imaginaire car elle est intime avec le leurre.
Aujourd’hui, tout doit être possible pourvu que ça soit du nouveau et qu’il soit différent de ce qui existe. Le mythe du progrès et de la croissance est partout. On y fait peu de cas de la mémoire de ce qui existe déjà. Il suffit d’ouvrir la télé pour s’en convaincre.
On y cherche désespérément et hystériquement les références qui devraient permettre de s’incarner au mieux.
L’hystérie est la recherche désespérée des références qui devraient permettre à l'être humain de se déterminer
Une illustration de cette recherche est celle de la prolifération actuelle de la mise en spectacle. Dans le spectacle, tout est possible ou presque. Puisque, dans le Spectacle, rien n’est vécu, tout est montré sur une sorte d’autre scène.
Aujourd’hui, tout est en représentation. Cela fait la fortune du spectacle.
Dans cette perspective généralisée, nous sommes envahit par les images qui nous montrent comment on pourrait « faire » si on le « faisait ».
Ça me fait penser à Marlon Brando qui, sur la fin de sa vie, disait « j’ai passé ma vie à chercher ce que je pourrais bien faire ».

Mais qu’en est-il du vécu personnel ?

Le rythme-musical qui, autrefois avait le caractère d’un partage et d’une relation collective est utilisé aujourd’hui, et déjà depuis un certain temps, comme un objet commercial destiné à être admiré.

C’est donc un thème difficile à traiter en raison de son ambiguïté et de l’imaginaire dans lequel il est plongé. Difficile à traiter, surtout, par la présence permanente d’une mémoire qui se rappelle à notre bon souvenir. (2)

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Qu’est-ce donc ce qui a constitué le fixe en fabriquant ainsi une MÉMOIRE de référence.

L’acception que nous avons aujourd’hui de la mémoire tourne autour des motifs de souvenirs du passé, de l’enterré, de l’obsolète, de l’antédiluvien de tout ce qui fera le « réac ».
Le mythe du progrès et de la croissance nous est monté à la tête. Il nous contraint à trouver du nouveau, de l’original, du jamais vu, en opposition avec l’ancien, le dépassé, le suranné.
L’original, dans notre société du spectacle ameute les foules qui applaudissent et qui payent. Apparemment, l’original est la condition du succès. Nous sommes là encore dans l’ambiguïté parce que, s’il y a succès, c’est bien que cet « original » nous rappelle quelque chose d’ancien.

La MÉMOIRE joue un rôle prépondérant dans la vie des gens. À mon avis, on n’y fait pas suffisamment référence.
Il ne s’agit pas d’une simple faculté de se ressouvenir. Il ne s’agit pas  non plus d’un simple jeu cérébral qui permettrait de se rappeler des mots adéquats qui désigneraient clairement ce qui semble nous échapper.
Je me référerai à ce qu’en dit Marcel Jousse. Pour lui, la mémoire est d’abord une affaire du corps et de ses gestes. Elle se constitue dès les premiers instants où le bébé met, à l’intérieur de lui, tout ce qui l’entoure. Et tout ce réel internalisé le poussera à le rejouer.
Il dit : « la mémoire, c’est une poussée en avant ». Le terme « poussée » est un terme agricole qui désigne l’action d’une « pousse ». Mais la plante qui pousse ne se réduit pas à la fleur. Elle ne peut se maintenir que dans la mesure où elle reste enracinée dans ce qui l’a fait naître. C’est la condition pour subsister. Elle est en même temps, fleur, feuilles, tige, racine et terreau, qui l’ont vu naître.
On peut toujours la couper et la mettre dans un vase mais très vite, elle se flétrira et fanera pour mourir.

La mémoire n’est pas non plus seulement une affaire de cerveau. Elle nous pousse des doigts de pieds à la tête et nous agit depuis l’inconscient. Elle nous pousse depuis tout ce que nous avons vécu depuis les tout premiers débuts où nous avons été déposés dans un utérus accueillant et un ventre bienveillant.

Ceux qui pratiquent le rythme-musical le savent, dans ce ventre, ça frappe de tous les côtés, sur la paroi qui nous entoure. Les sons du dehors nous assaillent et nous harcèlent rythmiquement, ils viennent s’ajouter à la régularité du cœur battant ainsi qu’aux sons du dedans.
Leurs vibrations viennent se marier aux mouvements de notre corps encore fragile qui cherche lentement sa forme.
Nous étions alors harcelés, aiguillonnés, tarabustés et persécutés par un « sonore » envahissant.

Cependant, nous n’avions pas encore d’oreilles. Elles n’arriveront que plus tard, dans cinq ou six mois. Peu importe, ces ondes et ces vibrations envahissaient notre corps qui les faisait siennes en se laissant embarquer dans leur flux incessant.
Nous étions dans « les eaux », liquide amniotique, chaud, gras et sucré, qui nous envahissait jusqu’au bout de notre système digestif ainsi qu’aux tréfonds de notre système respiratoire.
(Lire à ce sujet le livre de Marie-Josèphe Wolff-Quenot, In utero, mythes, croyances et cultures, Paris, Masson 2001)

L’ensemble des sons et des vibrations nous envahissaient alors que nous voguions dans les eaux.
L’eau, élément éminemment sonore, a toujours été considérée comme musicienne. Les flots rugissent, la pluie chante et bat, les sources murmurent, les fontaines fusent, les rus bruissent.

Il est amusant de constater que le Moyen-âge donnait au terme « musique » une étymologie surprenante issue de « Moïse » (sauvé des eaux). Jean-Marie Fritz cite un texte de Evrart de Conty (XIIème siècle) : « les anciens disent que la musique fut premièrement trouvée sur l’eau, c’est pourquoi elle fut appelée musique, c’est-à-dire « moysique » parce que « moyz » en grec, c’est en français l’eau (l’yaue). Et que Moïse fut un enfant trouvé dans un berceau voguant sur l’eau du Nil. »
(Jean-Marie Fritz, Paysages sonores au Moyen-âge, Paris, Éd. Honoré Champion, 2001. P. 90 et suivantes.)

D’autres disent que Mercure se promenait un jour le long du Nil en période de décrue. Il trébucha sur une carapace de tortue pourrie par l’humidité : un cadavre. Il restait quelques nerfs tendus dans la coquille abandonnée. Il toucha un nerf qui émit un son. Il tendit les nerfs en les attachant entre les bords de la carapace. De là, il fabriqua la lyre.
Ainsi, c’est du Nil que viendrait la musique. Ou la moysique qui nous sauve des eaux. Mais n’allons nous pas, nous aussi, être sauvés des eaux et, à la naissance,  échouer sur la plage, entre des jambes accueillantes pour entreprendre une vaste improvisation qui durera toute notre vie ?

Avant cet échouage, au gré des ondes nous balancions, nous roulions, nous tanguions, suivant un rythme imposé. Ce n’est pas pour rien que le mot « rythme » est construit sur la racine grecque « rheo » qui signifie « couler ».
Les ondes liquides se confondaient avec les ondes sonores pour nous édifier en vaisseaux fluants ou en dragons aux formes imprécises et aux couleurs glauques.

Cette mémoire nous construit et nous habite toute notre vie. Et toute la vie nous aurons tendance à revenir à ces situations archaïques qui ont fabriqué notre édifice sonore personnel. Rejouer les bruits de la grotte primitive est utile à notre croissance.

Je pense souvent aux cris des enfants dans les tunnels, les halls, ou les supermarchés. On a envie de demander aux mères qui les accompagnent « mais bon sang, demandez leur de se tenir tranquilles ».

Mais que serions-nous sans ces tapages qui mémorisent le temps des premières constructions. (1)
Ces cris de sauvages des enfants, qui se sentent dans une grotte résonnante, sont de l’ordre de l’improvisation.
Pourtant ils ne sont que le rejeu de résonnances primitives, des tout débuts.  

Difficile là de catégoriser le fixe et l’improvisé. Le réel imprime sa substance et nous sommes en écho. Nous sommes encore dans la période de transsubstantiation.
Nous y prenons une habitude qui se traduira dès la naissance par le cri inaugural que tout le monde attend.
Première improvisation qui ne dira rien d’autre que ce qui s’est déjà passé in utero.
Il sera bien difficile ensuite de se débarrasser de cette habitude quasi réflexe qui perdurera jusqu’au dernier râle de la mort.
Je suis étonné de voir combien les chanteurs rock ne chantent pas mais « gueulent » avec force comme s’ils devaient affirmer bien fort qu’ils existent, devant la foule houleuse qui les mangerait bien si elle le pouvait.
Ils beuglent, ils vocifèrent.
En même temps, l’ostinato rythmique de l’orchestre ou du bastringue électronique fait office de fixe et rassure en rappelant sans doute la régularité des battements du cœur.

Faire du bruit rassure. L’activité rythmo-musicale en est un bon prétexte. Si on n’a pas l’occasion de la pratiquer, on mettra de la « musique de fond » ou encore on laissera la télévision allumée.

J’aime bien rappeler ce que m’avait raconté une amie : « Quand j’étais petite, on habitait une maison dans laquelle les toilettes étaient au premier étage. Le soir, il y avait peu de lumière et j’avais toujours peur d’y monter. Je prenais un balai en main et je frappais sur chaque marche en chantant « s’il y a quelqu’un, qu’il le dise ».

Toute improvisation est une aventure de quelqu’un qui cherche à poser ses pieds sur un chemin régulier ou cahoteux.
Si le chemin est régulier, l’entreprise sera aisée.
Cela me fait penser aux performances de Bobby Mac Ferrin. Je regardais l’autre jour un document où il était assis devant un groupe. Il proposait une improvisation chantée à qui le désirait. Une personne venait et commençait par chanter un ostinato. Puis  Bobby Mac Ferrin venait se greffer sur cet ostinato qui se modulait au fur et à mesure de la performance en questions réponses ou parallélismes. C’était fait avec beaucoup de talent.
Mais l’impro prenait rapidement une coloration connue. Rien n’était vraiment inventé. Ils étaient inscrits fort avantageusement dans un terrain-mémoire très intégré et habituel. (Voir sur Youtube)
Ça rejoint ce que dit Marcel Jousse à propos des improvisations en milieu de style oral :

« Dans un milieu de style oral, l’improvisateur-récitateur ne crée pas les formules, mais il crée avec des formules que pourtant, il n’a pas inventées. »     AG p 329

(Voir Marcel Jousse, Anthropologie du geste, Gallimard, Paris 5 décembre 1974 ou TEL Gallimard, Paris, 25 septembre 2008)

Nous croyons avoir inventé le fil à couper le beurre tout en oubliant qu’il existait déjà depuis fort longtemps.
C’est un peu la saison de ce genre de péché mortel. La toute-puissance n’a pas de limites. Sur le plan musical, elle est confortée par l’évolution de ce que nous appelons « la musique ». J’évite le plus possible d’utiliser ce terme qui me semble être un vaste fourre-tout dans lequel on met tout et n’importe quoi. Il est plein d’objets fixes. On en parle en terme de morceaux ou de pièces.
(Lire le bel article de Pierre Billlard dans Encyclopedia Universalis, « La musique objet » pp 821)

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Pour mémoire, le système musical emprisonnant, tel que nous le pratiquons aujourd’hui est né au début de la Renaissance. La période qui va du 11ème au 15ème siècle a été celle d’une mécanisation généralisée. (Voir Ivan Illich, le travail fantôme, Seuil, Paris mars 1981)
Ce qui a permis la construction d’instruments favorisant l’isolement du son.
Antérieurement à cette période, on n’imaginait pas musiquer sans chanter. Sauf peut-être pour l’utilisation d’instruments destinés à des tâches bien précises comme des instruments à vent ou encore de simples percussions.
Cette mécanisation qui a d’abord concerné les instruments agricoles s’est généralisée et s’est étendue à la fabrication d’instruments de musique perfectionnés qui permettaient d’isoler les sons loin des contraintes de la parole.
Sont nés alors les vièles, les violes, violons, épinettes, clavecins, pianos etc. Instruments plus performants que la parole en ce qui concerne la variété des sons.
Si l’isolement du son est fascinant il peut aussi être terrifiant. Fascination et terreur désignent les mêmes réactions devant l’étrangeté de ce qui survient.
Il fallait donc bien trouver un système pour dompter le son. On créa le « système bien tempéré » qui fut adopté progressivement et qui se fixera définitivement à partir du 17ème siècle avec la gamme tonale et son accord parfait.

Paradoxalement, ce système qui voulait mettre de l’ordre dans le monde des sons, amena à « l’ineffable », indemne de tout langage signifiant. Il ouvrit à l’inexprimable, à l’indicible et au confusionnel. Tout y est volontairement insensé. Si je me mets à musiquer, c’est que je ne parle pas. Sauf si je me garde de la confusion sonore grâce au chant des paroles.
Le mélodique n’est plus issu du langage. Il éclate en sons purs qui cherchent leurs références dans les lois physiques des harmoniques du « sonore ». La musique pure était inventée.
 
Plus de « culture » mais une obéissance à une « nature » fantasmée sur les modes réducteurs de la maîtrise et de la toute-puissance. Nous avions enfin trouvé « l’accord parfait » ???

Curieux destin de ce qui voulait s’ouvrir au sublime et qui nous rend dépendant de références réductrices.

Contrairement à une ouverture vers l’indescriptible, ce système nous a RENDU INFIRMES. Il a réduit notre écoute à 12 demi-tons. Nous n’entendons rien d’autres. En dehors de ça, nous trouvons que « c’est faux ». Nous y sommes prisonniers de l’accord parfait. Prisonnier du tonal et voués à chanter juste selon la doctrine en place.
Parallèlement au système bien tempéré naquit un SYSTÈME DE GOÛTS – appelé aussi « esthétique » - prônant l’émotion et l’ineffable.
Système par lequel on pouvait voguer dans tout et n’importe quoi puisque qu’il n’était pas sauvegardé de la confusion par la parole.
Le son n’accompagnait plus le sens qui était autrefois généré par la parole.
Il devenait Dieu.

La « musique pure », au sens où nous l’entendons aujourd’hui, était née. Elle est devenue un objet fait de « morceaux » ou de « pièces ». (Pierre Billard)
Dans cette RÉIFICATION, le solfège a joué un rôle majeur grâce à son pouvoir fixateur.
Tout s’orientait alors vers l’émotion pure, dégagée de ce qui, par la parole, pourrait l’empêcher de délirer. Dans ce chaos imaginaire, on ne pouvait qu’aboutir au symbole même de la toute-puissance : le chef d’orchestre et sa baguette. Baguette à laquelle tous obéissent au doigt et à l’œil. Lully le paya de sa vie. (Battant la mesure avec son bâton de direction, il se l’enfonça par mégarde dans le pied. La gangrène survint et entraîna sa mort.)

Or, nous savons que le thème de la TOUTE-PUISSANCE est au cœur de toute problématique dans une intervention thérapeutique.
La musique ainsi nommée devenait création d’objets quantifiables, montrables et commercialisables. La manie du spectacle et du concert pouvait donc se développer. Les technologies de l’enregistrement y ont bien contribué.
Aujourd’hui, vous pouvez, seul, écouter un « morceau, n’importe où et n’importe quand. Les technologies le permettent. C’est le règne de l’isolement.

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Voilà donc quelques évocations qui font le substrat de l’improvisation.
Il y aurait encore bien d’autres choses à dire. Mais il y en a d’autres qui trépignent d’impatience pour improviser leurs interventions.
En guise de conclusion, pour autant qu’on puisse passer aux conclusions dans ce genre de propos, rappelez-vous que c’est dans la mesure où Ulysse s’est libéré de la nocivité du chant des sirènes qu’il a pu continuer son voyage et ses aventures en dehors de la captation musicale. (Voir l’Odyssée)

Willy BAKEROOT

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(1) Lire le passage biblique sur les trompettes d’argent, Livre des Nombres 10, 1 à 10.
(2) Un ouvrage sur le sujet paraîtra dans quelques temps. se renseigner : Carmina 01 30 24