Jeux de voix, corps et percussions

                                                                                                              Michèle HOURDEL      Dijon

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 Pour introduire ce propos, sur la chanson d’Henri Samba  « Matanga….au village », je vais demander aux participants de se présenter et de nommer les autres sous forme de responsorial.

‘’Aujourd’hui c’est la fête, c’est la fête des musicothérapeutes…c’est la fête de tout le monde,  c’est la fête à : … puis les noms des enfants…

En atelier, je n’ai jamais abandonné ce rituel de démarrage quels que soient les enfants présents. Toujours sous forme de jeu voir d’enveloppement corporel pour assurer et rassurer, cette prise de contact permet au groupe de prendre corps, de servir de contenant, de marquer la présence de chacun par l’appel de son prénom.

 Je l’adapte, je le modifie en fonction du groupe, de l’arrivée etc.…

La voix est là,  elle les nomme, elle les porte si c’est un chant.

Ce peut-être une chanson pour énoncer les prénoms, un petit train pour rassembler, une ronde sur une chanson douce et quand on se rapproche, on murmure notre prénom, un appel depuis le lointain pour sensibiliser ceux qui ont déjà rejoint les coins pour s’isoler….

 L’imagination est de la partie. La répétition souvent les fait fuir. La surprise les étonne, les mobilise. C’est un jeu et déjà je  sollicite le ‘’je’’.

Si nous n’énonçons pas les prénoms, c’est un ‘’bonjour’’ auquel nous répondons par la nomination. Par exemple nous sommes en ronde, l’un après l’autre nous tapons dans les mains offertes en disant « bonjour », et en regardant celui à qui l’on dit bonjour (si possible !). D’autre fois, toujours en cercle, chaque participant offrira à  tout le monde un geste ou un mouvement dansé ou encore un son, en se plaçant au centre du cercle.

Avec des plus grands, le rituel de démarrage s’il varie dans la forme, n’en conserve pas moins les mêmes intérêts.  L’appel des prénoms se fera par exemple couché si l’arrivée est orageuse et les rencontres difficiles à supporter. D’ailleurs souvent ils s’allongent d’eux-mêmes : ‘’on est fatigué’’… ils baillent !

C’est un temps de recentrage au sol durant lequel nous essayons de nous mettre à l’écoute les uns des autres et surtout de nous-mêmes. Nous écoutons notre respiration. On parle du trajet de cette respiration.

Puis vient la détente du visage à l’aide de grimaces, automassages, bâillements…Je leur demande par exemple d’essayer certains mouvements comme serrer la gorge, la desserrer. Puis d’émettre des sons et de mettre leurs mains sur celle-ci, puis sur leur poitrine. De parler en pinçant le nez, etc.…

Ensuite nous énonçons à tour de rôle notre prénom. Puis nous disons bonjour à l’un d’entre nous en essayant de n’oublier personne. Cela suppose d’anticiper son tour rien que par l’écoute, de sentir le groupe contenant, d’en reconnaître tous les membres.

D’autre fois, si je sens que c’est possible, je leur demande  de chanter leur prénom ou de celui à qui ils disent bonjour. Il nous est arrivé  de chanter ce prénom en modulation, de nous appeler d’un pays à l’autre (jeu parti d’une rencontre impossible un jour entre deux enfants qui s’envoyait à travers la figure des paroles d’adultes entendues sur leurs communautés différentes).

 

Après notre rituel du bonjour je propose un ‘’ réveil corporel’’. On chante  sous la douche, on s’ébroue, on s’essuie, on s’étire, on chante et joue à Jean-petit qui danse…encore une fois, l’imagination des uns et des autres est utilisée, sollicitée.

Avec les plus petits  il peut m’arriver de faire un petit massage de pied à l’un des enfants pendant la comptine ou la berceuse, ce qui lui permet de s’arrêter, de se ‘’poser’’, de se détendre et de sentir son corps.  Ils en  redemandent à chaque séance !

Nous essayons de mettre la voix en relation avec l’espace, soi-même et l’autre.

 

Les enfants avec qui je travaille à l’Hôpital de jour, dits : ‘’psychotiques’’,  sont souvent en recherche identitaire, morcelés, boules d’angoisse, émotions à l’état pur. Ils ne se connaissent pas, n’existent pas vraiment en tant que personne, ‘’n’habitent’’ pas vraiment  leur corps.

 Leur première relation à l’autre souvent c’est le cri  quand ils osent le laisser sortir et ne le maitrise pas jusqu’au point d’inertie. D’autres sont entrés dans le langage, un discours plaqué, des attitudes ‘’copie-collé’’ de l’adulte de référence ou reprise du discours maternel.

En groupe, se rencontrer ou s’approcher se vit en se cogner ou s’écorcher. Se parler bascule vite en se "crier après" et chanter dérive en cri. L’improvisation est souvent faite dans un premier temps de cris divers ou de cris d'animaux. Le cri revient très souvent au premier plan.

Le cri : première expression du souffle vital !

Nous avons creusé cela en formation, puisé dans cet essentiel que Willy Bakeroot nous a martelé : l’importance du souffle, de sa circulation, de la respiration.

 J’ai de fait ouvert encore plus grand mes oreilles et les portes de réception à ce que signifiaient ces enfants.

Comment permettre, favoriser en atelier,  l’ouverture de la porte, transformer, organiser ces cris, ce chaos sonore,  en langage  plus sociable ?  Jouons avec le cri !

Première expression de l’être humain, on l’attend ce cri du nourrisson à la naissance ! Ensuite il s’exprime suivant les besoins physiologiques, le rythme corporel. Et l’entourage interprète ! Ce sont les premières relations au monde.

Anzieu parle de l’audition et des perceptions corporelles comme des premiers liens du fœtus avec l’environnement, du premier espace psychique.

Avec tous les enfants, quelles que soient leur pathologie, leurs difficultés, nous repassons par ce cri, cette mise en relation au monde. Les enfants nous aiguillent vers cela en ramenant les exercices au souffle, au cri.

Non seulement il s’avère que le souffle, le cri, est un point important de chaque séance, je dirais que chaque séance se construit autour de cet appui. Même le cri peut être mis en jeu car la voix trouve sa source dans cet élan intérieur lié aux émotions fondamentales.

Percevoir, sentir, entendre, réagir, nous sommes toujours dans l’expression du souffle : vital !

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Suivant ce qu’amènent les enfants nous allons essayer de transformer ce cri en appel, de le mettre en lien par des jeux, en espérant ne pas couper la relation.

A moi d‘expliquer, de rassurer, de leur permettre d’oser et de limiter, contenir  l’angoisse.

Comment ? Ces voix si elles se manifestent, je les sollicite. Par exemple, je vais proposer de reproduire un son que l’un d’entre eux vient d’émettre, souvent un cri et le transformer petit à petit en lui donnant du sens. On peut  jouer avec le souffle et faire le vent, faire voler des plumes d’un bout à l’autre de la table…

Nous n’hésitons pas à engager le corps, à repasser par les positions ou des sons émis par un tout petit.

En jouant avec le souffle, on va également sentir la respiration, trouver des appuis : tout ce qui permet le passage du souffle, sa transformation en son, en mélodie, en harmonie avec l’entourage. Car ce qui est continu dans la voix, l’essence de celle-ci, c’est le passage du souffle, le timbre, le réel du dedans au dehors.

Pour certain, il est nécessaire d’aller le chercher  ce cri, loin parfois dans le repli !

C’est dans l’échange, le soutien, voir dans la provocation corporelle avec des jeux de chatouilles, de pousse-toi-de là, en jouant au loup…

Pour les grands, on le voit apparaître à des moments inattendus : par exemple lors des tapis de sons (1) où le chant produit n’est en fait qu’un son étrange, proche du cri.

 

Alfred Tomatis a mis en lumière l’impact de la voix maternelle sur le développement ultérieur de la personnalité. Le bébé en répondant aux inflexions de la voix bien avant les signifiants verbaux,  développe un sens émotionnel avant le sens langagier. Ses réactions aux sensations agréables ou désagréables vont modifier ses appels et favoriser l’échange avec l’entourage.

 Ensuite apparait le babillage et là commence l’aventure du langage. Tout d’abord juste un jeu articulatoire, le bébé va percevoir les réactions de l’entourage et les sons vont être considérés sous leur fonction de signes. La communication langagière commence !

Avec les plus jeunes ou les enfants sans langage, nous reprenons ce chemin en jouant aussi avec les sons,  l’articulation, les grimaces…Souvent au sol, rassemblés sur un tapis, sous une couverture, en tas, les enfants se disputant la place sur nos genoux, nous proposons un bain musical nourrissant, enveloppant, à l’aide de berceuses, comptines, chansons à gestes. Nous laissons l’exploration des enfants se faire. Ils cherchent d’où vient le souffle, ils nous touchent ou se la langue, les dents, se regardent dans le miroir en même temps.

 

 C’est un dialogue tonico-émotionnel dirait notre psychomotricienne autant que verbal soutenu par notre voix porteuse, un jeu de questions- réponses de sons.

Des jeux de sons-émotions s’enchaînent spontanément : par exemple nous pensons à quelque chose de bon. Comment  l’exprime t-on ? Nous accompagnons ces sons de mimiques exagérées.

Même si les enfants  au départ nous écoutent et n’osent parfois même pas nous regarder, nous sommes déjà dans la communication, une première porte ouverte. D’autre fois je leur offre un son, leur demande d’en offrir un au voisin ou de le jeter au milieu, etc.…

 

Ivan Fonagy a montré comment le bébé perçoit le rythme et l’émotion avant même la codification du langage.

Nous savons par ailleurs que le rythme est un élément d’étayage corporel du langage. Il fait le lien entre le mouvement et le langage. On ne peut se passer du corps. Il est un passage obligé vers la construction du langage.

Ce passage du corps éprouvé au langage n’est possible que si le rythme peut s’articuler à de la représentation. Sinon, ce rythme reste une répétition sans issue qui n’est que recherche de sensations.

Pour pouvoir construire son langage, jouer avec, l’enfant doit d’abord avoir éprouvé ce mouvement de va et vient corporellement, avec toutes ses variations de rythme, sur un plan sensoriel et kinesthésique, dans une relation à l’autre sécurisante. Cette sécurité lui permet d’aller à la rencontre de la nouveauté, de se laisser surprendre et d’enrichir sans cesse son langage.

A partir du moment où nous avons cela en tête, le fil conducteur est là ! Mettre la voix en corps.

La voix fait le lien entre le corps, l’émotion et la pensée.

Guy Rosolato écrit : ‘’La voix n’est pas au service du mot ni prétexte à la socialisation. Elle est partie intégrante du corps, indissociable de l’esprit.’’

Mettre la voix en relation c’est par exemple dans notre atelier oser sa voix tout en osant le mouvement, en découvrant son corps, utiliser les percussions, les peaux, découvrir l’espace, les limites, se construire un intérieur en relation avec l’extérieur.

Déjà lors des différents bonjours nous pouvons évoluer dans la pièce, nous dire bonjour à l’arrêt  de la musique avec ou sans rassemblement.

Parmi les jeux de sons qui vont permettre une découverte corporelle, je pense à jouer à faire monter ou descendre la voix, passer des sons graves aux  sons plus aigus, ce que pas mal d’enfants psychotiques redoutent. Ils parlent alors de tête qui risque d’éclater. On peut jouer à faire la voix  d’homme, chanter ‘’l’homme, l’homme » » que nous a appris en stage Jean-Marie Bolangassa, comparse d’Henri Samba et faire la ‘’femme, femme’’  avec des positionnements corporels caricaturaux.

Nous jouons au mangeur de sons : mettre des sons dans son corps, redonner le son au mur ou plus près, se promener dans la salle en disant un mot pour soi puis en jouant avec, en l’affirmant, etc.…. Par exemple après avoir bien ‘’mangé’’ le mot chocolat, nous l’avons échangé sur un rythme commun, puis chanté en canon, puis nous avons même improvisé avec différentes mélodies suivant les possibilités des enfants.

 Nous allons essayer de  conjuguer empreinte corporelle et vocale pour imaginer. Par exemple pour mieux percevoir l’appui des pieds nous prenons appui à l’aide de la voix. Nous grattons sur un tambourin. La voix accompagne nos gestes, figure des émotions. Il nous arrive de discourir en grommelots,  de danser…

La voix soutient le frappé ou l’inverse. Par exemple avec la chanson ‘’donne, donne-moi’’ toujours d’Henri Samba, nous affirmons les frappés sur le djembé. Puis cette intention verbale ressentie, nous allons jouer à nous le dire avec différents sentiments et les reprendre en frappant avec la même intention sur les percus.

Les danses-jeu permettent aussi cela et de retrouver ou de découvrir les balancements, les portés, les déséquilibres. Nous profitons de la fin d’une ronde pour nous vautrer parterre ou crier youpi, ect…

Dans tout ces échanges : pas de résultat attendu ! Laisser sortir. Lâcher prise autant de notre part que de celle des enfants pour un véritable espace de vie, de souffle.

Laisse-moi respirer !!!

C’est souvent une expérience unique, un moment de vie, d’échange que l’on ne pourra pas reproduire.

La répétition, si nous la concevons dans le but d’approfondissement, avec ces enfants nous parait impossible. Nous la recréons ‘’différente’’, dans la surprise qui n’inquiète pas mais étonne, qui passe souvent par notre corps à nous et portée par notre voix.

 

Avec les petits, moyens  j’utilise beaucoup les rondes chantées,  les jeux de déplacement avec les tambourins comme ‘’ la fermière qui va au marché’’, ‘’1,2,3 je m’en vais au bois, 1,2,3 soleil, les rondes jeux, des chansons à mettre en scène comme ‘’ le petit indien’’, la bataille de tambourins sonore ou chantée…Là nous débouchons sur plusieurs protocoles appris en formation.

 Toute phrase contient un rythme, qu'elle soit gestuelle ou verbale. D'ailleurs, en danse, une succession ordonnée de mouvements est appelée une phrase.

Les comptines servent à la rencontre, à scander le temps, à la mémoire. Je les utilise pour le réveil du corps (ou une découverte) avec Jean-petit qui danse, pour apprendre à compter et décompter dans différents jeux. Elles permettent surtout aux enfants d’avoir et de livrer des émotions. C’est l’attente des guiliguilis ou cela permet de dire ce que l’on aime dans la comptine ‘’dansons la capucine’’ par exemple car nous remplaçons ensuite le pain par un aliment de leur choix, ce qui fait appel au souvenir des autres sens, parfois à l’imaginaire (du camembert au chocolat !), ce qui n’est pas rien avec ce type de pathologie.

Les jeux possibles avec des plus grands comme le cric et crac,  Zip, zap, boum  apportent  l’utilisation des règles, des feintes. Tomatis disait  dans son livre ‘’l’oreille et la voix)’’ : « la mère donne la voix, le père donne le langage’ ».

Nous sommes loin de l’archaïque du départ. Peu à peu le son a pris forme, sens et s’est mis en relation.

      

Peu à peu au cours de ces ateliers nous arrivons au chant, sinon l’expression primitive peut nous aider à libérer le cri, le son, des mots. Le chant aide à faire surgir les traces de ce qui a constitué notre expérience vitale. Il est mémoire de nos souvenirs et impressions d’enfance de notre corps, de l’incorporation de ces sensations et de notre sensibilité. Il est témoin de notre lien au monde. Ont-ils eu cette expérience ?  Comment l’ont-ils vécue ?

Nous utilisons beaucoup les percussions corporelles, les sons avec roulé de ballon ou ballon qui rebondit, etc…Mais là encore, l’objet renvoie souvent à de l’excitation car il faut penser à l’autre et reste dans un premier temps délicat à utiliser. Dans ce cas je préfère la chaine rythmique déjà bien difficile à faire tourner.

Parfois une construction d’histoire peut-être abordée, jouée.  A partir d’une fable, la mise en voix de la compréhension puis de la phrase est recherchée. Les contes demandent l’écoute puis le travail sur la voix parlée, les sons compliqués…

 

Le dernier jeu entrepris avec les grands  les ombres corporelles  nous permet de les laisser expérimenter leur corps à l’abri du regard tout en prenant conscience de la globalité de leur image.

Après un échauffement vocal et corporel  pour se réunir, se détendre, imaginer, nous les laissons explorer l’ombre produite par leur corps en mouvement soit sur de la musique, une improvisation sonore, un thème etc. suivant l’ambiance et leur demande…

 

En conclusion, au cours  des différents ateliers que j’anime à l’Hôpital de jour et qui peuvent permettre à des groupes de faire ce travail sur plusieurs années, j’essaie d’amener les enfants à utiliser leur voix pour faciliter l’expression corporelle, libérer les tensions grâce à la respiration et si possible amener à l’expression de l’imaginaire, de la fantaisie, en jouant ! Comprendre que pour parler ou chanter nous utilisons notre corps comme instrument. Lors des passages de sons-émotions, discours en grommelots, nous jouons l’émotion, nous parlons de plaisir, déplaisir, colère, joie….L’émotion nous permet l’interprétation et la pensée en assure la partition. Notre voix donne à entendre la façon dont nous extériorisons ou étouffons ce qui est profondément ancré à l’intérieur de nous.

Je ne peux m’empêcher de citer Winnicott : ‘’la mélodie est un phénomène transitionnel : transition du petit enfant qui passe de l’état d’union avec la mère à l’état où il est en relation, extérieur et séparé.’’

Ce contenant va les rassurer et peut-être leur permettre de retrouver des sensations, des plaisirs d’enfants. Souvent ces enfants,  s’ils pensent,  ils ne peuvent agir en même temps, d’où l’importance de tous les jeux accompagnés vocalement.

Quand le souci et l’angoisse existentielle  sont permanents et les coupent du monde concret, il semble que les choses ne sont perçues qu’en fonction de l’image qu’ils s’en font.

 Le travail associé  sur le corps, la stabilité, l’ancrage, la démarche, le rythme et la respiration les aide au contact réel avec l’instant, à une présence réelle et efficace.

Pour illustrer ce propos je vous livre le dernier cadeau offert par ces enfants en atelier d’ombres corporelles :

Le temps des bonjours passé, les prénoms longuement cités, joués, « pom,pom,pom,… »ai-je commencé, les paumes de mains baissées.

« …de terre ! » a –t- on cité.

« Ouais !! »

Le rythme a coulé, la cadence s’est installée sur une expression dansée : -pom-pom-pom--- de terre. Pom, pom, pom, ---de terre.

A capella, à la France Schott Billmann, nous avons dansé et les mots sont arrivés : « planter », « bêcher », « ramasser », « je veux presser la purée »… un sens a été trouvé. Il suffisait de l’organiser. Alors, sur la musique d’Henri Samba, nous avons  raconté, plus exactement  dansé l’histoire retrouvée de la pomme de terre que l’on avait planté.

‘’Il’’ tenait à sa purée ! ‘’Il’’ n’était pas très à l’aise dans cette expression dansée, il voulait écraser, ingurgiter.

Le temps des ‘’ombres corporelles’’ étant arrivé, je lui ai proposé plutôt de la cuisiner cette pomme de terre derrière le drap blanc installé pour cette activité.

‘’Madame C’’ lui a livré quantité de pomme de terre, qu’il a coupé, tranché, pressuré. Avec ses mains surtout il jouait. Puis son corps s’est engagé davantage dans cette histoire. Il a commencé à se déplacer pour lui revendre ses frites et sa purée ! Il attendait d’être payé et rapidement se remettait à triturer, tourner, presser et découper les pommes de terre qu’elle continuait de lui apporter. Les gestes se sont amplifiés, précisés. Il a pensé à les laver et les éplucher. La suite de notre histoire, il nous contait.

‘’R’’ préférait les  vendanges. Comme il l’évoquait, nous lui avons proposé d’enchainer. Il  s’est mis avec ‘’Madame C’’ à presser, danser dans des cuves imaginées.

Sur le même disque de djembé, ils se sont exprimés avec entrain : ils ont coupé le raisin, chargé, vidé la hotte. Certes, ils n’ont pas fait de quatrains, mais avec quel entrain ils ont mis du lien : - avec la saison – avec nos promenades et les visites organisées dont ils ne pouvaient rien restituer !  : « c’est la fête de la pressée » a dit ‘’R’’ pour résumer. Il l’avait ainsi mimismé.

Dans ce moment déjà passé, comment aurions-nous pu imaginer être entrain de travailler avec des enfants pauvres en mots, à la pensée  entravée par un manque de liens , de sens et de mémoire ?  Nous ne faisions que jouer !

Une mise en voix soutenue par un échauffement corporel a permis au son de devenir mot, à ce mot d’être accueilli, au geste de lui donner sens, aux enfants de s’exprimer. Une histoire dans l’Histoire remplie d’humour et de poésie.

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(1)  Le tapis de sons est un protocole appris en formation corps et voix qui consiste à assurer un son continu (le tapis) fourni par tous les participants réunis en cercle, les yeux fermés, et se tenant ou pas par la main, donc proches. Un des participants peut improviser sur ce son à sa guise. Cela permet d’écouter, d’oser, de ressentir le moment propice ou l’émotion qui nous pousse à le faire. Cela demande aussi à ces enfants d’accepter un tour de rôle. Souvent je les accompagne au centre du cercle dans les premiers temps, je les soutiens avec  ma voix et ou  en leur donnant la main. Les résultats sont étonnants et surtout les enfants le redemandent à ma grande surprise à chaque rencontre.