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Métamorphoses dans le temps rythmo-musical et le temps calendaire

2ème rencontre professionnelles des musicothérapeutes.

Besançon 10 et 11 novembre 2008

Organisées par l'Association TEMPO

Intervention de Willy Bakeroot

On n'insistera jamais assez sur le fait qu'au centre de notre travail, il y a le temps et le rythme, c'est pourquoi je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les métamorphoses dans le rythme musical et celui du temps calendaire.

Pourtant, je remarque que ces données sont souvent imprécises. Il faut dire qu'elle sont difficiles à cerner. Temps et rythme sont pourtant des données essentielles dans la vie de tout un chacun. Elles prennent une place primordiale dans le travail des musicothérapeutes. Quand on travaille avec le rythme-musical, on est obligatoirement confronté aux problèmes du temps.

Les imprécisions au sujet du temps et du rythme viennent probablement du fait que notre mode de pensée, en Occident, nous porte vers la fixité. Il suffit de prendre pour exemple la primauté des images fixes qui sont le produit de notre propension à la classification et à la réduction des processus à la vision d'objets fixes. C'est probablement ce qui a favorisé le succès des vidéos et du cinéma.

La nosographie psychiatrique nous offre un bel exemple de cette habitude de la fixité.

Ce mode de fonctionnement pose de réels problèmes lorsque, dans la situation de thérapie, on se trouve devant des malades qui échappent à toute classification, les border line qui sont insaisissables et se jouent des catégories dont nous avons besoin pour les décrire.

Justement, il semblerait que toutes leurs énergies visent à échapper à tout système de classification.

Que faire d'un diagnostic fixateur dans la longue durée d'une thérapie ?

Je vais maintenant évoquer quelques clefs importantes pour le travail du musicothérapeute.

- Une première donnée concerne la confusion entre rythme et mesure. Je me réfère à ce dont nous avions parlé l'année dernière sur le sens du mot rythme. Il est construit sur une racine grecque rhéo qui signifie couler. Le rythme se joue de la mesure.

Bien sûr, la mesure coule aussi, mais régulièrement, en une succession de séquences identiques. Cet écoulement régulier se perçoit aujourd'hui comme diviseur. Par exemple la mesure en 4 temps est perçue, surtout par la technique du solfège, en 4 segments qui se répètent. Fixés sur la structure, nous risquons fort de perdre le dynamisme de la séquence.

Le rythme lui, est panta rei : tout coule selon la formule d'Héraclite.

Je reprend ce qu'a dit Henri Maldiney. Dans un article sur l'esthétique des rythmes, il signale que le mot rythme, chez les Grecs, était rendu par schéma. Ce qui ne l'identifie pas à ce tout coule d'Héraclite.

Mais le schéma au sens grec n'a rien à voir avec le sens que nous donnons à ce terme sous nos latitudes où il désigne l'instantané et le fixe.

Schéma, pour les Grecs, désigne une forme dans l'instant où elle est assumée par le mouvant. Elle n'est pas immobile mais ne prend sens que parce qu'elle est générée par ce mouvant. Elle se transforme sans cesse. C'est le destin du rythme.

Saint Augustin, dans les Confessions, (11ème livre ch. XIV) dit que "le présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité."

Maldiney ajoute que le rythme n'est donc pas dans le cours du fleuve mais dans les remous. Or, les remous sont toujours une surprise et amènent un schéma qui se métamorphose à l'infini. Le rythme est donc impossible à figurer.

Il n'est pas réductible à la cadence. Henri Meschonnic s'élève contre la réduction fréquente du rythme à la seule cadence ou a la simple répétition. Puis il précise que "le rythme est l'inscription du sujet dans son histoire". (p 85)

C'est d'ailleurs ce qu'illustrera tout à l'heure Régine Pradel dans sa pratique.

Meschonnic continue "Les rythmes sont la part la plus archaïque dans le langage. Ils sont dans le discours un mode linguistique préindividuel, inconscient comme tout le fonctionnement du langage. Ils sont dans le discours un élément de l'histoire individuelle" (p. 100).

"Une théorie du rythme dans le discours est donc une théorie du sujet dans le langage" (p. 71). "Émergence du sujet, importance du sens, partie la plus archaïque et idiosyncrasique de l'individu, le rythme est au coeur du sujet, au coeur du discours."

Aussi l'improvisation est plutôt du côté du rythme.

Il est sans doute nécessaire que les choses s'arrêtent dans le présent. C'est utile pour comprendre de quoi il s'agit. Elles s'arrêtent sous forme de schéma au sens grec du terme. C'est-dire qu'elle sont un instant dans la mouvance du temps. Instant bien difficile à fixer et qui perd sa valeur s'il devient fixe.

Je suis toujours chagriné lorsque l'école fait étudier des contes aux élèves. C'est souvent suivi d'une analyse du récit en terme de petits morceaux. Il y a tel personnage, tel thème, telle situation et l'on morcelle en fixant des événements qui n'ont de sens que par leur continuité.

On pourrait dire que ostinato et rythme ont besoin l'un de l'autre mais ne sont pas la même chose. Nous verrons cela un peu plus loin.

- La seconde clef, qui découle de la précédente est que le rythme musical a toujours été lié intimement à la parole incantée. Il suit donc les lois de la parole et du langage. Le langage étant l'organisateur majeur du temps. Il lui est consubstantiel. La parole a besoin du temps pour exister. On ne peut pas tout dire en une seconde.

- La troisième se trouve dans la confusion entre le temps et la durée. La durée étant le temps de l'horloge, le temps physique qui s'écoule en nous emportant avec lui. Le temps symbolique est celui du sens que l'on met dans la durée.

Cette distinction me semble importante si l'on considère que seul le temps symbolique a une réelle efficacité dans la thérapie. Il ne suffit pas d'instaurer une organisation de la durée dans la vie quotidienne des malades. Ça, ils l'ont déjà dans les Institutions et cela n'empêche pas de générer un ennui mortel.

La valeur symbolique du temps se nourrit d'une intentionalité. On dit souvent que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Je crois aussi que tant qu'il y a de l'espoir il y a de la vie.

Voyageons quelques instants sur le temps calendaire qui nous éclairera sur ce qu'est une intentionalité.

On a suggéré que le mot "temps" avait la même racine que le mot "temple" Ils sont construits sur la vieille racine indo-européenne TEM qui signifie "couper".

Temple désigne un espace délimité et sacré dans lequel les prêtres ou les mages se plaçaient pour observer la marche du ciel.

Les temples étaient à ciel ouvert. C'est ce qui explique la forme des temples grecs entourés de colonnes qui figurent les arbres qui devaient entourer l'espace sacré. Au cours des âges, les arbres sont devenus des colonnes de pierre. Les chapiteaux représentant les branches et les feuilles.

En observant ainsi la marche des planètes et des étoiles, en constatant leurs rapports avec les saisons, les mages organisaient le temps symbolique intimement lié au calendrier. Il faut souligner qu'ils développaient un sentiment profond d'unité entre l'être humain et le cosmos dans lequel il est inscrit.

- Tous les calendriers ont une intention : ils poussent à la métamorphose.

Notre calendrier dit Grégorien ne se contente pas de placer des points de repère dans un déroulement du temps, il s'organise en succession de quarantaines qui, chacune, prépare la quarantaine suivante.

Il est donc fait d'anticipations successives.

C'est un phénomène que l'on vit dans l'expérience du rythme musical où il est impossible de fonctionner sans anticiper continuellement sur la formulation suivante.

Le calendrier symbolise d'emblée les deux grandes phases annuelles qui se situent entre les deux solstices et les deux Saint Jean. (voir schéma au tableau)

Le Jean d'hiver : Jean qui rit parce qu'il voit le soleil invaincu remonter dans le ciel. Va présider à la renaissance de la végétation.

Le Jean d'été : Jean qui pleure parce qu'il voit le soleil commencer à descendre. Il va marquer la disparition progressive de la végétation. D'autre part, son rapport avec l'eau et l'humidité garante de la fécondité protégera des effets destructeurs de la canicule.

Je n'entrerai pas dans le détail du cycle calendaire car cela nous emmènerait trop loin. Je vais simplement insister sur cette période des morts qui va d'Hallow'een à la Saint Martin.

Il s'agit d'une période de coupure, ce qui nous met en rapport avec le temps et le temple.

Le 11 novembre est le jour de la commémoration de saint Martin, alias l'ours Martin. C'est aujourd'hui que se fait la coupure entre l'été et l'hiver. Autrefois, on commençait à allumer les feux et à organiser les veillées. De plus, on renouvelait les baux de fermages. Tout balançait vers le temps de l'hiver.

L'histoire de saint Martin nous rappelle cette coupure. D'origine hongroise, il était militaire dans la légion romaine. Un jour, arrivé aux portes d'Amiens, il vit un pauvre qui était nu et qui grelottait. Sans hésiter il coupa son manteau en deux et donna la moitié au pauvre. Il fut puni pour cet acte de destruction du matériel militaire : 3 jours de pilori, nu dans le froid. Mais la Providence veillait. Il était à peine attaché au pilori que le soleil revint réchauffer la terre et que les fleurs refleurirent. Sa peine fut donc adoucie par une température estivale. Ce fut le début de l'été de la saint Martin.

La coupure du manteau est appuyé par le fait qu'il est quelquefois représenté en train de prêcher sous un châtaigner. Or, les châtaignes sont tombées et les bogues se sont coupées en deux.

La bogue a un poil dru et piquant. Ce qui fait dire à la devinette :

Mon père est grand, ma mère méchante, ma nourrice sombre, et moi, enfant blanc Qui suis-je ?

Elle rappelle le manteau de Saint Martin que les textes décrivent comme épais et au poil dru.

C'est aussi la coupure entre la guerre et la paix. L'armistice commémore la fin des hostilités par un traité qui a pris effet le 11 du 11ème mois à 11 heures.

Nous sommes dans le moment d'une coupure radicale, fin de la mélodie de l'été, le rythme change et nous changeons avec lui.

C'est aussi le jour où l'on mange l'oie (de la saint Martin). Dans la mythologie, l'oie est souvent confondue avec le cygne qui ne chante que lorsqu'il va mourir.

C'est bien la mort de l'été.

Les forces de la terre vont devenir souterraines et reprendre leur élan avec la roue de sainte Catherine et que la roue du temps tourne à nouveau vers la fécondité.

Nous serons alors dans la période dite de l'Avent. Avent signifie "advenir". Ce qui adviendra, c'est le soleil nouveau, le nouvel enfant qui nous sauvera de l'ombre infernale.

A cette venue succédera une période de temps à l'envers marquée par la fête des"foux" au 28 décembre.

- Le temps est extérieur à nous-mêmes,

il ne nous appartient pas. On pourrait plutôt dire que nous lui appartenons. C'est lui qui nous emmène dans l'aventure de notre vie. Le nier au profit d'une éternité fixe, c'est entrer dans l'ennui, la platitude et le non-sens. C'est aussi détruire la continuité si nécessaire à notre cheminement.

Le calendrier, de nature mémoriale, incite au cheminement et à tous les espoirs.

Il y a, dans le calendrier, nombres de balancements et de retournements et d'inversions du temps qui imposent des rythmes variés proposant des changements autant psychologiques que comportementaux..

A commencer par les variations quotidiennes qui proposent 365 changements journaliers. Un jour n'en vaut pas un autre. Les composantes imaginaires journalières sont d'une variété étonnante. Elles sont mises en évidence par les récits mythologiques qui sont liés à la journée : les vies de saints, les événements saisonniers. Tout cela organisé dans un comput cohérent fait de successions, de rapports, de contrastes et de marquages variés.

Les quarantaines successives sont calquées sur les phases changeantes de la lune. Chaque quarantaine se déroule sur une lune et demie, soit de la première lune noire à la seconde lune blanche. L'intention est métamorphique. Spirituellement, il s'agit à chaque fois d'une conversion.

Le temps calendaire est une mine d'invitations à des métamorphoses qui inviteront à la métamorphose suivante. Fondamentalement, le temps y est intentionnel

La prise en compte de ces configurations temporelles dans lesquelles l'intention métamorphique est toujours présente offre un miroir dynamique invitant à l'espérance.

Nous retrouvons là les deux aspects des phénomènes rythmiques que sont d'une part la répétition, par l'ostinato et la mesure et d'autre part la nouveauté par le rythme proprement dit qui se développe dans l'improvisation. Ces aspects fondent le sentiment de continuité indispensable au développement de la personne humaine.

L'ostinato et l'improvisation se retrouvent dans notre travail quotidien. Ils gagnent à se rattacher à une organisation temporelle plus générale nourrissant l'imagination et favorisant l'espérance par l'anticipation.

Je vous renvoie ici aux travaux de Daniel Marcelli dans son livre "La surprise chatouille de l'âme" (Albin michel) et un article paru dans " La psychiatrie de l'enfant » Volume 35 1/1992, pages 57 à 82.

Il précisera notre pensée en ce qui concerne l'attente et l'espérance dans l'accession des enfants à la temporalité et à la pensée.

Willy BAKEROOT

Saint Martin 2008