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Congrès Tempo, Besançon, 2 et 3 Novembre 2007  
Intervention de Marie-Claude TUSCHER
 

Psychomotricienne depuis 30 ans
Massopunctrice depuis 8 ans
Musicothérapeute depuis 3 ans  
Ces trois formations de base constituent le socle de mes pratiques professionnelles
et inspirent mon titre :

Musiquons le geste, et le massage devient un jeu !
Lieu de travail  : Foyer de vie pour adultes autistes créé il y a 7 ans en région parisienne.
A mon arrivée, il y a deux ans et demi, l’établissement était encore fortement tourné vers des activités conçues sur un modèle comportementaliste inspiré de la méthode TEACH, dont certain parents, créateurs du centre, étaient de fervents apôtres.  
Assez éloignée de ce genre de pratique, j’ai personnellement apporté une note beaucoup plus axée sur la sensorialité avec les résidents, utilisant des médiateurs de balnéothérapie, d’atelier sensoriels et de « massage ».
En tant que psychomotricienne c’est le terme de toucher thérapeutique qu’il conviendrait d’utiliser, et la massoponcture est le terme usité pour les massages chinois qui s’exerce par des pressions sur les points d’acupuncture (l’acupressure).
L’ordre des masseurs–kinésithérapeute par sa création au printemps dernier veut réserver désormais le terme «  massage » en exclusivité à ses professionnels.  
Dans mon établissement d’adultes autistes, un certain intérêt se porte maintenant sur mes pratiques en ce domaine, y compris par bon nombre de parents.
Par contre, la musicothérapie n’est pas à l’ordre du jour.Il existe des ateliers de musique dont je ne m’occupe pas.  L’animation y est menée par des « éducateurs » plus ou moins formés.  
Ce sont mes manières de psychomotricienne, massopunctrice et musicothérapeute  que j’ expose aujourd’hui  devant vous, par la présentation clinique de deux résidentes prises en charges individuellement dans cet établissement.
« Je rythme donc je suis » disait Marcel Jousse  
« Je te rythme pour que tu sois » M-C Tuscher 

Jouer pourquoi faire ?
Pour favoriser l’activité créative dans une quête de soi et la rencontre de l’autre…
et ne pas me perdre dans les jungles envahissantes des différents autismes !

Première présentation clinique

1) Présentation de A.

A. comme Agitée, Automutilatrice et Attirée par la moutarde.

A. est en agitation quasi-permanente avec des gloussements ascendants gutturaux particulièrement efficace pour fatiguer chacun d’entre nous.

Intouchable, elle vous glisse entre les mains comme le fait le personnage de « barbapapa » que je lisais à mes enfants il y à 20 ans. Son corps massif est mû par une volonté irraisonnable  de s’insinuer à travers les barreaux d’une fenêtre, dans les interstices d’un grillage, à tel point qu’elle s’en déchire trop souvent le corps. Son enveloppe  ( sa peau et ses muscles) est marquée de nombreux points de suture et autres cicatrices .

Elle enjambe les obstacles dont elle ne semble pas tenir compte dans leur existence réelle. Tendue vers l’urgence permanente d’atteindre le seau de moutarde qui lui fait office d’obnubilation, elle développe une inventivité et une observation extraordinaire pour subtiliser un trousseau de clef dont elle connait parfaitement celle qui ouvre les cuisines.

L’autre  n’est, la plus part du temps, pas reconnu en tant qu’entité autonome, même s’il se place en écran physique sur son chemin. Son regard est transperçant, s’accrochant difficilement. Nous sommes parfois pourtant sollicités par A., mais plutôt comme un prolongement de ce qui lui manquerait pour arriver à ses fins.

Par exemple nous sommes intéressants en tant que détenteur de clefs pour lui permettre de pénétrer dans la cuisine et aller renverser la moutarde en badigeonnant  le sol (probablement à la recherche de l’odeur piquante). Elle se mire aussi sans en être rassurée pour autant, dans le reflet des plats en inox dont elle semble vouloir faire partie ( elle s’insinue entre les pile des plats).

Nous sommes parfois utilisés comme dessinateur exclusivement de sapins de Noël, qui lui procurent le souvenir d’une émotion sans cesse renouvelable, à l’identique, et qui nous parait vide d’un sens partageable car insatiable. Je pense alors à leur valeur d’ « objet autistique ».

Référence aux  travaux de R.W.Winnicott,  Mélanie KLEIN, Ester BLICK, Michel et Geneviève HAAG sur la différenciation des « objets transitionnels » (doudous mous, malléables, personnalisables, déformables) et les « objets autistiques » (dures, non malléables, utilisés comme tels ou bien cassés, utilisés comme bouclier parexitatoires).

Notre voix est le plus souvent couverte par des stéréotypies vocales « Ouloulou ! »... « La ! La ! »

Dans les moments de relative inaction, lorsque le contexte la contraint à une trop longue attente, les automutilations se produisent par épluchage des doigts. Elle en macule ses vêtements de petites taches de sang. Elle n’est pas agressive envers son entourage.

A. nous présente un typique tableau clinique de l’autisme tel que le décrivait Léo KANNER (1943)  et décliné ensuite par ses successeurs.

On y retrouve les altérations graves du développement dans les trois domaines de :  
-  La communication verbale et non verbale (regard, vocalises, mimiques)
-  Les interactions sociales.
-  Les activités, comportements et intérêts restreints et stéréotypés.

Aujourd’hui, on aurait tendance à dire, des troubles envahissants du développement.
Me voila donc chargée d’inventer urgemment une prise en charge en psychomotricité avec cette charmante jeune femme tout à fait inaccessible à mes premières tentatives traditionnelles de séance. Elle ne veux pas entrer dans mon bureau, ne se laisse ni toucher par mes mots, ni par mes propositions, encore moins par mes mains.

Par quel bout la prendre ?

Je décide d’ouvrir ma valise de musicothérapeute et je trouve matière à nous nourrir. Il faut vous dire, à ce propos, que A. englouti sa nourriture à table sans en être jamais rassasiée.

2)  Création d’un rituel de début, et de fin :

Pour me rendre sur son unité de vie où A. est en constante attente, je marche en musiquant mes pas avec une maracass (J’ai pensé à cet instrument pour faire lien avec le pays d’origine de sa mère qui est brésilienne.) Sur son groupe, je la salue par une poignée de main et je fais de même pour chaque colocataire rencontré. Pour ouvrir la porte de sortie dans laquelle elle s’engouffre, je lui demande de me tenir l’instrument, le temps de faire jouer les clefs dans la serrure.

Une étape plus tard, je lui demande de porter cette maracas jusqu’en bas des escaliers ce qui produit inévitablement une rythmisation de ses déplacements. C’est moi ensuite qui la suis, modulant le jeu rythmique sur ses allures de marche,  puis de course (elle se précipite vers chaque porte d’entrée possible amenant aux cuisines).

Bien sûr elle est pour un temps perturbée par mon insistance et semble vouloir me chasser de son champs de stimulation, qui me met en interaction directe avec ses mouvements. Pour moi, c’est une manière de marquer mon attention à son égard, et un élément d’accroche pour ne pas être expulsée systématiquement par son système défensif autistique.

Le rituel de fin est de se serrer la main et je lui dis « au-revoir ».

3)    L’apprivoisement par le toucher rythmé, alterné et nommé :

Lorsqu’elle s’assoit, déçue de sa quête inaccessible, je m’installe à coté d’elle et je rythme : « Trois fois sur ma jambe », suspens,  « trois fois sur ta jambe », tout en chantonnant comme une sorte de comptine.

Quelques étapes d’apprivoisement plus tard, nous pouvons aborder les bras, le dos qu’elle me présente  probablement souvent en guise de rejet, puis la tête avec les oreilles, la bouche…bref tout ce qui constitue la structure locomotrice du corps, sa charpente, et ses appendices sensoriels et communicatifs. A.se met alors à produire toutes sortes de sons avec des dentales, des gutturales, des labiales…, quelques éructations, des rires d’excitation crispant tout son visage. Ces rires n’ont pas pour moi un caractère clair d’expression  d’un réel plaisir, mais plutôt d’une mimique excessive qui m’interroge.

Durant ces moments d’accalmies déambulatoires temporaires A . devient  une partenaire de discussion et d’échange. Je peux lui parler, et elle manifeste des syllabes en retour , ou des sons, ou des regards qui deviennent sensés.

4)     Les corps existent : le mien, le sien, et c’est pas grave :

Au fur et à mesure de nos rencontres, il semble que je devienne moins insupportable pour A. M’aurait-elle un peu intussusceptionnée ? Elle accepte de me donner, en main propre, la maracass au lieu de l’abandonner à terre. J’existe ! La rythmisation de nos déplacements est devenue un standard pour nous, comme dans un morceau de jazz, on le décline en plusieurs improvisations et on se retrouve sur notre tempo de déplacement commun, en phase. A. se retourne avec un coup d’œil furtif, comme interrogative lorsque je laisse trop de silence ou qu’il advient des versions inhabituelles. Je gagne de son attention.

La référence aux travaux de Daniel Marcelli sur les macro et micro-rythmes dans le développement de la capacité de penser des nourrissons m’est inévitable.

Peu à peu, elle semble me percevoir comme moins menaçante vis-à-vis de cette tension qui la submerge et dont je lui parle abondement ( la moutarde, le cuisinier en colère qui ne veux plus la voir, les clefs que nous ne lui donnerons pas …) autant de frustrations  à supporter et que mes paroles portent !

Nous prenons du temps pour soigner ses doigts épluchés en y mettant pommade et pansements, elle accepte de renter dans mon bureau jusqu’à une demi-heure, et le jeu chantonné du touché –nommé devient plus longuement supportable.

J’ai bien la notion du caractère intrusif de mes propositions, mais A. a perçu mes capacités à supporter ses fuites tout en ne l’oubliant pas. La porte de mon bureau ne sera jamais plus fermée à clef sauf pour lui faire elle-même manipuler le trousseau sans l’associer au caractère toujours interdit qu’il avait aquis puisqu’elle allait ouvrir les cuisines pour…..la moutarde.
Le morcellement n’est pas nié, mais nous tâchons de garder un lien sensoriel (sonore, tactile), un lien kinesthésique  et communiquant (gestuel et verbal ) entre tous les éléments en jeu dans notre prise en charge.
Je signifie ma présence acharnée à ses côtés tout au long des séances sans en être détruite.
Elle n’est pas dans une contention insupportable. Nous ne sommes pas en contrainte – opposition, nous cherchons des canaux communs d’entente. En fin de séance je suis entière, mais complètement épuisée.
Au fur et à mesure, je me fatigue pourtant moins, la sensibilisation d’A. à ma pratique de prise en charge se fait à dose homéopathique. Impossible de lui proposer un traitement « de choc en bloc- préfabriqué ». Sa psychose est plus forte.

C’est dans les interstices de ce que W.R.BION repère comme « non psychotique même dans les psychoses les plus envahissantes » que je m’évertue à immiscer cette petite dose de jeu.

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5)     Du réel, du symbolique et de l’imaginaire :

Nous avons durant une semaine construit et reconstruit chaque jour une maison en carton dehors exposée aux quatre vents : La maison de NAFNAF. 
La deuxième année de prise en charge, à l’occasion de la semaine nationale de
récupération des emballages, en automne, nous avons récupéré un grand carton provenant de la fameuse cuisine tant convoitée. Nous avons ficelé, dessiné, bibouillé une maison dans laquelle nous arrivions à tenir serrés à trois adultes.

Cette inoubliable expérience de jeu s’appuyant sur la fameuse histoire des trois petits cochons et du menaçant loup, restera un grand moment de joyeux partage avec A. invitant même d’autres résidents intrigués à se joindre à notre histoire.

Un an après un résident me demande encore quand est-ce-qu’on refera la maison des trois petits cochons : ( travail inscrit dans la mémoire affective tenace !)

La mère de A., émue, en voyant les photos de notre dinette : ( sa fille, le regard rieur,  donnant à manger à un autre résident trois grains de riz que nous nous partagions dans une minuscule assiette de poupée), s’est exclamée : « Et dire que l’on prétend que le jeu n’est pas accessible aux autistes ! »

Première conclusion

Cette aventure de maison de NAFNAF  mériterait à elle seule un article détaillé que je m’efforcerai peut- être d’écrire pour la revue Carmina ou pour un prochain colloque.
Ce qui est certain c’est que sans ma valise de musicothérapeute, je n’aurai pas trouvé l’audace, ni assez de justification  conceptuelles pour mener mon travail avec A. de cette façon. 
Dans la forêt vierge de son autisme, j’ai pu semer des petits cailloux blancs pour retrouver mon chemin de thérapeute et accompagner A. dans les dédales de sa pathologie.

Deuxième présentation clinique


Pour cette résidente, que j’appellerais Cécilia…, (tout rapport avec un personnage médiatique actuellement connu est totalement fortuit…) un geste simple : lui tendre la main et lui dire bonjour.

1)  Présentation de l’ogresse : la grande baffeuse.

Chaque matin comme pour chacun des résidents de notre institution, je tends la main à Cécilia pour lui dire bonjour.
D’une pierre deux coups : J’anticipe une réaction négative de Cécilia, toujours redoutée,  par cette invite accueillante à lui tenir la main ,et je la salue en lui prodiguant dans la foulée un mini massage circulatoire du Taé  Yang ( méridien situé au bord externe de la main, et qui remonte vers le coude ).
Ce circuit de l’énergie (yang) est intéressante à stimuler pour accompagner son appogée naturelle ( TAE= grand) le matin. (Nous nous voyons vers  10 heures) .

Cette femme si explosive se prête volontiers à ce contact, comme surprise à chaque fois que l’on puisse lui tendre la main ! Elle qui baffe tout le monde !...   On retrouve chez Cécilia des manifestations psychotiques décrites par BION dans des comportements face à la frustration.   Elle fait de très nombreuses crises « d’angoisse ? » qui l’amènent à taper violement sur les résidents les plus craintifs ou le personnel à sa portée, sans que l’on puisse toujours « le voir venir ».  
Elle fait faire à son « Bébé » (une poupée en chiffon), de multiples bêtises allant du simple allumage de robinet ou de lumière, à l’arrachage des essuies- glasses  des voitures (objets dures, cassables) sur n’importe quel parking. Sa mère a subit de très nombreuses agressions. Elle lui donne volontiers à porter  un tas d’objets qui lui occupent les mains, lui permettant ainsi de se protéger quelque peu. Cécilia se promène donc avec tout ce fatras en quasi permanence.Ces objets mous, déformables… seraient-ils des « objets transitionnels » ?.  

2)  Questionnement sur le diagnostic. Apport des théoriciens de la psychiatrie.
 

Il est fait un diagnostique de pathologie du narcissisme primaire, sur un versant déficitaire et un fond dépressif !!!. Une dysharmonie…que je veux espérer évolutive.   Depuis mon arrivée dans l’établissement, j’entends dire par les éducateurs que cette résidente n’a pas sa place ici, qu’elle ne serait pas autiste, et en même temps pas de place possible non plus en hôpital psychiatrique, et trop déficitaire pour un foyer occupationnel ou un C.A.T..  
Bref, entre les ajustements diagnostiques, les querelles de pouvoirs institutionnels, la position familiale fragile, et le questionnement des équipes éducatives, nous devons imaginer un TRUC avec Cécilia qui est là, bien vivante, à nos côtés depuis 7 ans et qui nous encombre dans nos capacités à imaginer, à rêver un projet pour et avec elle.  
Dans la violence de ses pulsions dévastatrices, elle  manifeste son intolérance à la frustration. Je perçois chez elle ce que BION décrit de la crainte de l’anéantissement de certains traits psychotiques : « …une lutte menée par les pulsions, contre la réalité, les perceptions sensorielles et la conscience. »  

Cécilia s’est habituée à faire ses besoins là où elle se trouve, sans pouvoir différer seule cette nécessité primaire, de la même façon qu’elle agresse son entourage immédiat à la moindre contrariété, projetant et rejetant sur un extérieur une tension interne.  
BION nous dit que pour certaines psychoses, «  Le Moi peut aller jusqu’à se décomposer, expulsant des parties du Moi clivées dans des objets environnants extérieurs.  Ce qui provoquerait chez le sujet une impression d’être entouré d’objets  bizarre, menaçant de l’envahir en retour. »   Par ailleurs, le mécanisme de projection vers l’extérieur viserait à expulser le contenu de l’appareil psychique et à y empêcher l’établissement de liens, ce qui pourrait avoir une influence directe sur les capacités à penser du sujet.  
BION postule également l’existence d’une fonction alpha comme « fonction de liaison symbolique des impressions sensorielles et des ressentis émotionnels très primitifs  ». Cette fonction serait assurée par la mère dans l’idée que celle-ci joue un rôle primordial dans l’établissement de la capacité à penser du nourrisson.  

C’est  avec la lanterne de Daniel MARCELLI et son article sur les macro et micro-rythmes, que je retrouve maintenant notre chemin qui nous mène au jeu de « la petite bête qui monte… ».   Article paru dans :  «La psychiatrie de l’enfant »Vol. XXXV 1/ 1992 - P. 57-82.Le rôle des microrythmes et des macrorythmesDans l’émergence de la pensée chez le nourrisson  

3)  Retour à la musicalité du geste pour Cécilia, au massage et au jeu.

  -   « La petite bête qui monte » permet l’apprivoisement.  

En réfléchissant à ma manière spontanée et personnelle d’aborder Cécilia, je  repère dans un premier temps, l’évidence d’une distance toujours équivalente et donc une durée toujours identique entre mon geste d’invite avec mon bonjour verbal, et le moment du contact, du toucher de la poignée de main et du micro-massage.   Je me suis aperçue  ensuite, que de plus en plus de distance et donc de durée était possible entre mon invite qui s’est au fur et à mesure aussi diversifiée (« bonjour Cécilia ! » , « Tu veux venir boire un peu d’eau ? » ou encore « Tu veux que je t’ouvre la porte pour aller aux toilettes ? » et le contacte avec les mains. 
Cécilia apprécie de plus en plus ce jeu et viens maintenant d’elle-même le devancer en tachant de prononcer mon nom, elle réclame même une bise le matin ( je viens d’apprendre que sa sœur lui recommande depuis peu d’être gentille avec nous, leur mère étant récemment décédée, elle soutient de près la  prise en charge de Cécilia dans l’établissement).  

Je conçois cet aspect comme particulièrement musical dans nos rapports, dans le sens de la structuration du temps pour Cécilia, de sa capacité de se sentir espérer et donc de rêver.

Ou au moins être espérée et être rêvée par moi-même, et non plus seulement crainte.   Nous organisons par ce petit jeu matinal un différé possible et une frustration « cortiquée, et non plus seulement instinctive ou émotionnelle. » ( référence  au livre « Le complexe de Barbe-Bleue, psychologie de la méchanceté et de la haine. » de Jean- Albert MEYNARD)C’est la création ludique de ce que je perçois comme un moment d’attente possible, avec sa dose d’attente-espérance (S.FREUD) qui, comme le dit  MARCELLI aussi, stimule et permet, par conséquent la capacité de penser. Nous avons créé un espace possible de rencontre : On joue, on se touche, on rythme, on inscrit de la musicalité dans la rencontre matinale, contre la reconduction à l’identique des comportements intolérables que Cécilia nous impose ( immuabilité  de la psychose) et contre aussi la rigidité des méthodes comportementalistes méthode TEACH qui faisaient loi à mon arrivée dans l’établissement.
Par la critique ici de cette rigidité perçue dans une telle méthode , je ne jette pas pour autant le bébé avec l’eau du bain comme on dit populaire nous le recommande si bien. Je garde un intérêt et une attention réelle aux travaux théoriques et aux pratiques cognitivistes lorsqu’ils respectent la personnalité de chacune des personnes dont nous avons la charge , en évitant de faire à l’identique pour tous les autistes.Le vécu singulier de chacun imprime trace aussi sur les autiste y forgeant leur personnalité, et les pathologies autistiques sont plurielles.
Ce débat important nous renvoi également aux vertus pédagogiques de la musique en regard de nos pratiques thérapeutiques, mais il n’est pas le propos principal de mon exposé maintenant.Reprise de l’exposé clinique :Tous ces préalables autour du bonjour avec la main, m’ont permis ensuite d’envisager une proposition de touchers sur les épaules puis sur le dos lorsqu’une situation suffisamment intime nous le permettait.  

   Nous sommes dans une possibilité de soins en massopuncture
.  

Maintenant, elle accepte aussi le contact massant le long des 2 bras qui est devenu notre code de gratification accompagné d’un « C’est bien Cécilia ! ».   MARCELLI nous précise qu’« Il n’y a pas de développement cognitif sans un double investissement du temps dans le sens  rétrojectif  de la mémorisation, et dans le sens  projectif  de l’anticipation. »  

    Nous sommes alors aussi avec Cécilia dans un prossessus d’apprentissage.
 

Ces moments duels où nous pouvons être un peu à distance, pas trop submergées par d’autre résidents ou encadrants, sont précieux et en même temps source de potentiel  conflit dans la société de notre établissement.L’autre, perçu comme  intrusif ou comme concurrent perturbateur lorsqu’un contact positif et apaisant est établi avec Cécilia est rapidement investi par elle comme un « mauvais objet » et tapé comme tel, ce qui n’est pas sans poser d’autre problèmes d’ordre relationnel dans l’institution. Cécilia n’est pas guérie, elle se construit, et je m’étonne aujourd’hui d’être arrivée à faire ce bout de chemin avec elle. Elle est perméable à mes propositions ludiques puisqu’elles peuvent devenir facilement des sources de plaisirs partagés et de gratifications.  

    Son sourire et sa bise du matin me font penser que sur le domaine relationnel, elle va parfois aussi un peu mieux.
 

Une autre histoire est  celle d’arriver à raconter à mes collègues éducateurs nos modalités de rencontre entre Cécilia et moi, en étayant leurs valeurs thérapeutiques.  

Deuxième conclusion

Allez donc dire que l’on peut faire de la musicothérapie en disant bonjour le matin !!! Moi, je n’y arrive pas encore.Cette présentation devant vous m’y incitera sans doute en espérant que vos questions de tout à l’heure m’aideront à étayer mon analyse.En tout cas, Cécilia et moi on n’est pas perdu ensemble, et on ne s’ennuie pas ; ce qui me parait un atout déjà important dans notre difficile travail auprès d’une  tel population de patients.
 
Conclusion finale

L’utilisation des opportunités de rencontre en dehors de cadres fixes de travail restent  pour moi une source d’inspiration  à la relation qui ne me semble pas moins thérapeutique pour autant. L’établissement d’un cadre rigoureux de Prise en charge est une autre dimension de notre travail ; héritage de situations psychanalytiques (freudiennes ?) dont je ne suis pas spécifiquement friande dans leur application trop rigide auprès des autistes.
Ceci invite à une discussion sur notre cadre d’intervention, sur le statut de musicothérapeute dans une institution qui est avant tout éducative, et l’intérêt ou pas de reconnaître et nommer la pratique d’une activité musicothérapique « clandestine » dans ce contexte.  Là-dessus,  votre éclairage  me sera certainement précieux.  
Je vous remercie de votre attention

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Bibliographie  
« Le complexe de Barbe- Bleue » Psychologie de la méchanceté et de la haine, Jean-Albert MEYNARD, Edition de  L’archipel, 2006  
« La construction de soi »  Un usage de la philosophie, Alexandre JOLLIEN,Edition du Seuil, oct. 2006  
« Buffo » Howard BUTEN    Edition Actes Sud, 2005  
Du même auteur :      « Il y a quelqu’un là-dedans : des autismes », Édition Odile JACOB, 2003  

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Soigner ensemble : "De la guerre à la paix"lundi 25 juin 2007 par Fatima Degoy, Anaël Fournier, Estelle Le Bohec, Marie Quentin, Delphine Rambaud.

ANNEXE

1)  Les définitions :

Musiquer : Ce verbe ancien  n’est pas sans évoquer un sens commun à notre assemblée.
Délaissé depuis le début du 20eme siècle, au profit du terme  « Faire de la musique ou jouer de la musique », il est revenu dans notre jargon spécifique de musicothérapeute par Willy Bakeroot lors de notre formation.
Il donne la notion d’une transformation d’actions verbales, ou même plus primairement sonores, mais aussi gestuelles, en quelque chose qui aurait attrait à une composante artistique, culturelle, communicative en supplément de l’action qu’il vient transformer.

Le geste est érigé comme une quasi spécificité dans notre profession de psychomotriciens , je le présenterai aujourd’hui comme un mouvement du corps, volontaire (ou non), dirigé et à vertu communicante. La locution « faire un geste pour » lui donne sa valeur thérapeutique.  
Dictionnaire historique de la langue française (Alain REY)
Latin gestus  = mouvements du corps, attitude, mimique et  jeu..  Et de gestum  =  accomplir, gérer, faire.  

Massage 

Dictionnaire Alain REY : Origines probablement orientale ; presser, pétrir la peau de quelqu’un dans un but hygiénique ou thérapeutique.  
Problème de légitimité vis-à-vis de la création du conseil de l’ordre des masseurs – kinésithérapeutes au printemps 2007.
Association française  de massage chinois (Gym. Alimentation, rapport de l’environnement avec ses influences des heures, saisons, cosmos,  etc. ... C’est cette connaissance ancestrale chinoise de santé basée sur la circulation énergétique le long des méridiens à laquelle je me réfère en parlant  de  Massopuncture.Toucher thérapeutique : C‘est le terme officiellement admis en psychomotricité.  

Le jeu

Dictionnaire d’Alain REY : Jeu vient du latin jocus = jeu en paroles, plaisanterie. Puis associé à ludus = ludique, jeu en action ; ce dernier lui a transmis ses valeurs.  

2)  Les auteurs de référence auxquels j’ai pensé : (non exhaustifs)

D’emblée il semble incontournable de citer  Donald Woods Winnicott dans son livre « Jeu et réalité ». Une conception du jeu, par quoi il faut entendre une capacité de créer un espace intermédiaire entre le dehors et le dedans ; le moi et l’autre.Nous sommes nombreux à nous intéresser à la fonction intégratrice du jeu dans son rôle sublimatoire de l’agressivité (batail au tambourin), son rôle socialisant, sa richesse de modalités d’apprentissages…  C’est une voie royale de la communication dans mon travail actuel auprès des autistes que je côtoie dont on dit  pourtant qu’ils ne sont pas accessibles au jeu.  
D.W. Winnicott
  (1896- 1971) part de son article consacré aux « objets transitionnels » pour développer son analyse de la fonction du jeu dans le développement de l’enfant.  

Mélanie KLEIN
développe et étaye à son tour la notion d’objet transitionnel.Mais pour les autistes, les observations d’Esther BICK (1902-1993)  de Michel et Geneviève HAAG, nous amènent à penser que « l’objet autistique » ( dur, non malléable, utilisé comme tel ou bien cassé, utilisé comme bouclier paréxitatoire) est différent de « l’objet transitionnel » ( mou, déformable, où l’empreinte et la déformation  personnelle joue un rôle important dans son identification et donc sa fonction d’interaction avec le monde extérieur : mon doudou irremplaçable !).  
D’où l’idée que le jeu ne serait pas accessible aux autistes, car les autistes manipulent leurs objets autistiques et non des objets transitionnels qu’ils n’ont pas la capacité (sublimatoire ?) de créer.  

Heureusement, je trouve avec Wilfried  Ruprecht BION un allié à mes observations et mes tentatives de jeu. Il approche la notion de personnalité psychotique ou autistique en postulant que toute personnalité individuelle possède une fraction psychotique.
Selon lui, cette fraction est plus ou moins importante selon les individus. Elle coexiste avec une part non psychotique qui est conservée quel que soit le stade d’envahissement de la psychose, maintenant le lien avec la réalité extérieure. C’est avec cette partie non psychotique que je m’évertue à créer du jeu dans mes prises en charge.
Pour BION, la psychose se définit par « la capacité de déliaison et d’attaque des liens en particulier au sein de l’activité de penser, expulsant dans l’acte ou dans la réalité extérieure le matériel psychique non intégré.».
Les ressentis violents du nourrisson, reconnus et recueillis par la mère, transiteraient par son psychisme afin d’y être transformés en éléments alpha, affects moins violents réintégrables par le nourrisson. Pour se faire, la mère use de sa « capacité de rêverie ». Peu à peu se forme une « barrière de contact », constituée d’éléments alpha, séparant les fantasmes et émotions d’origine interne des perceptions de la réalité et permettant au sujet de passer de l’un à l’autre sans perdre le contact avec l’un d’entre eux.Si la mère n’est pas apte à être le réceptacle des ressentis violents de l’enfant, les affects violents et impressions sensorielles non élaborées ne peuvent être transformés en éléments alpha et deviennent des éléments bêta non intégrés dont le sujet essayera de se défaire par le biais de l’identification projective. L’accumulation d’éléments bêta constitue pour BION, par la suite « l’écran bêta », caractéristique de la structure psychotique, qui engendre une indistinction entre conscient et inconscient et l’incapacité à créer des liens symboliques, origine des troubles de la pensée. Les objets bizarres se forment en conséquence d'une identification projective pathologique.
Cette projection massive aboutit non pas à l’objet partiel, mais à une telle fragmentation que les représentations investies se brisent et perdent leur sens. C’est en me référent à cela que je poursuit mon obstination à proposer  ma capacité de rêver aux patients autistes et  tenter par cela même  de permettre d’organiser une pensée.
Pour parler « BION » : Proposer des éléments alphas face aux écrans bêtas, dont je constate chaque jour la malléabilité possible. Mais faut être patient et persévérant comme pour bon nombre d’activités thérapeutiques. W.R.BION identifie certains traits dominants de la fraction psychotique dont L'intolérance à la frustration, la crainte de l'anéantissement, la violence des pulsions destructrices et la lutte menée par ces pulsions contre la réalité, les perceptions sensorielles et la conscience. Le sujet, tributaire de la violence de ses pulsions dévastatrices tenterait, selon lui, par le biais de l'identification projective de rejeter les ressentis de déplaisir comme la frustration ou la douleur.

Prfs. Daniel MARCELLI 

Article paru dans :  «La psychiatrie de l’enfant »Vol. XXXV 1/ 1992 - P. 57-82. Le rôle des microrythmes et des macrorythmesDans l’émergence de la pensée chez le nourrisson (Micro et macrorythme, Interaction précoce, Attente et incertitude)  
L’auteur s’interroge sur les moyens dont dispose un nourrisson pour se dégager du système perceptif d’un côté, et hallucinatoire de l’autre, afin de s’engager dans un travail de mise en représentation qui implique la tolérance à la frustration imposée par l’attente.
Deux contextes interactifs différents et contradictoires participent à cette émergence : d’un côté les contextes macrorythmiques dominés par la répétition impliquant les partenaires interactifs dans leur globalité et concernant plus particulièrement les relations de soins au bébé  : d’un autre côté les contextes microrythmiques dominés par les ruptures de rythmes, les attentes trompées impliquant les partenaires dans de courtes séquences et concernant plus particulièrement les interactions ludiques.

Le rythme conditionne la capacité d’investir le temps d'attente et par conséquent la capacité de penser. »    « . S. Freud décrivait ce moment particulier de l’attente en particulier l’attente-espérance. Les psychologues actuels parlent volontiers de conduite anticipatrice. Quand les mots “attente”, “continuité”, “anticipation” sont prononcés chacun conçoit qu’on se réfère de façon implicite ou explicite à l’investissement du temps.
Il n’y a pas de développement cognitif sans un double investissement du temps dans ses deux flèches rétrojective et projective : l’investissement rétrojectif du temps de la mémorisation, l’investissement projectif du temps de l’anticipation. »
 

Mots de la fin :

Après avoir Psychomotrisé, Massoponcturisé, Musicothérapeutisé, et vieilli, je me suis mise à jouer et j’aurais tendance à inviter désormais chacun de nous à le faire.

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