Philippe Berthelot
Le pays o lĠon
ne meurt pas
Version beauceronne
AT 470 B
Il y a de cela bien longtemps. Un garon de ferme nomm Pierre ne
pouvait se faire son humble condition ; il ne rvait que grandeur et
richesses. Il se fit soldat et
comme il tait assez courageux, il obtint bientt un grade et le roi, lĠayant
remarqu, lui confia le commandement de son arme.
Il remporta de nombreuses victoires. Le roi en rcompense le nomma son premier
ministre. Ds lors lĠorgueil de
notre homme ne connut plus de bornes.
Les courtisans le voyaient dĠun mauvais
Ïil et jurrent de lĠabaisser. LĠun
dĠeux eut lĠimprudence de lui reprocher sa basse origine ; Pierre en fut courrouc et obtint du roi
quĠil soit enferm dans un sombre cachot.
LĠordre fut excut ; mais comme on
lĠentranait il jette lĠorgueilleux parvenu ces mots :
Ç Tu as
beau tre puissant, il ne tĠen faudra pas moins mourir È.
Ces paroles frapprent Pierre.
Ç Non È, se dit-il, Ç je ne mourrais pas ! È , et il prit cong du roi et partit la recherche dĠun
pays o lĠon ne mourait pas.
Aprs avoir longtemps march il trouva
enfin ce pays fortun. Aucun des
habitants n'y tait encore mort depuis la cration du monde. Pierre sĠy fixa et il y vcut sans
soucis.
Il y avait dj trois cents ans quĠil
tait dans ce pays lorsquĠun jour, on vit sĠabattre un oiseau si gros quĠil
obscurcissait le ciel. Cet oiseau
se nourrissait de sable et de terre, et les habitants du pays apprirent
Pierre que lorsquĠil aurait mang tout le pays ce serait pour eux la fin du
monde ; mais ils taient tous
si vieux que la vie leur tait charge et ils nĠapprhendaient point la mort.
Tel nĠtait point lĠavis de Pierre, il
quitta aussitt ce pays et partit la recherche dĠun autre o la vie serait
galement indfinie ; mais o
il nĠy aurait point dĠoiseau pour y mettre un terme.
Il arriva dans une le o lĠon ne mourait
point. Il y resta six cents ans. Et certes il ne pensait pas mourir
lorsque les habitants lui signalrent un poisson dĠune grosseur monstrueuse qui
buvait dĠnorme quantit dĠeau ; quand il aurait bu toute la mer qui
entourait cette le ce serait pour eux la fin du monde.
Pierre, effray de cette rvlation, prit
son bton et partit la recherche dĠun pays plus favoris que ces deux
premiers. Mais il eut beau
parcourir la terre en tous sens il ne peut en dcouvrir.
Combien il regrettait alors dĠavoir
quitt lĠle o les habitants avaient encore de longues annes vivre avant
que le poisson nĠet puis la mer !
Il prvoyait que sa fin tait
proche ; il sĠassit tristement
sur lĠherbe les yeux fixs au sol.
Tout coup son attention est attire par la vue dĠune mouche qui se
dbattait dans une toile dĠaraigne.
Machinalement il enlve la toile et dlivre la mouche. Il avait fait cela sans y
penser ; sa bonne action nĠen
fut pas moins rcompense. La
mouche se transforma aussitt en une fe richement vtue qui lui demanda de
souhaiter ce qui lui plaira pour sa rcompense.
Ç Je
voudrais ne jamais mourir È, lui dit Pierre.
Ce nĠest point sur la terre que tu
trouveras cela, dit la fe ;
mais je vais te transporter dans une toile o nous demeurons. L, on ne meurt jamais.
La fe le toucha aussitt de sa baguette
et il se trouva transport dans lĠtoile.
Des sicles et des sicles se passrent,
Pierre tait devenu immortel ; mais on sĠennuie de tout, mme
dĠtre trop heureux.
Il dsirait revoir son
village ; il parla la fe de
son dsir. Elle sĠeffora de lĠen
dissuader ; mais voyant que cĠtait bien son ide, elle lui donna un
cheval qui devait lĠy conduire.
Mais surtout, lui recommanda-t-elle, garde-toi
bien de descendre sous aucun prtexte.
Le cheval fendit lĠair et bientt Pierre
arrive son village, mais il ne put le reconnatre, tellement tout tait
chang. CĠtait maintenant une
grande ville et tous ceux qui il voulait raconter quĠil y avait demeur
quelque chose comme mille douze cents ans avant eux, outre quĠils avaient
peine comprendre son langage, le prirent pour un fou et le chassrent.
Pierre poussa le galop plus loin. Il fit alors rencontre dĠun charretier
embourb qui lui demanda de venir lĠaider.
Ç Je nĠaurai pas cette simplicit È se dit Pierre. Mais le charretier est si insinuant que
force lui est de cder ; il met pied terre et se met en devoir dĠaider
le charretier.
Ce charretier tait la Mort. Elle reprend sa forme habituelle, tandis
que sa voiture devient un tas de souliers.
Voil bien du temps que je te cherche,
toi, lui dit-elle, mais cette fois tu ne mĠchapperas pas.
Pierre veut remonter sur son cheval, mais
il sĠest enfui. La Mort sĠapprte
le trancher de sa faux.
Ç Au moins
me diras-tu, È
lui demande Pierre, Ç ce que sont
tous ces souliers ? È
Ç Ce sont
tous ceux que jĠai us te chercher È, lui dit-elle Ç et elle le tranche de sa faux È.
Le conte
populaire franais (Delarue & Tnze)