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Évocation de quelques références de la musicothérapie active.

 

 

En débutant cette rencontre, il me semble bon de rappeler sur quelles bases nous avons  construit nos modalités de travail et quelles en sont les références.

Je vais évoquer quelques clefs qui nous ont ouvert la voie. Mais je serai bref car il y a pas mal de participants qui piaffent à l’idée de raconter ce qu’ils font dans leur quotidien. D’autre part je souhaiterais que ça se fasse sous forme d’échanges car il y a des points auxquels je n’aurai sans doute pas pensé. N’hésitez donc pas à m’interrompre.

 

 

La première des clés est que nous nous inspirons des recherches de Carl Orff qui lui-même s’est inspiré des procédés des traditionnels africains et asiatiques.

Procédés qui, d’ailleurs, existaient chez nous avant l’arrivée en force du système tonal. Cette arrivée fut concomitante au développement technologique qui permit de fabriquer de instruments adéquats et donner à la musique une indépendance qu’elle n’avait jamais eu jusqu’alors, liée qu’elle était au langage parlé et chanté. C’est ainsi qu’est née ce qu’on a appelé la “musique pure”.

 

En élaborant ce qu’il a appelé le Schulwerk, (musique d’école ou de groupe) Carl Orff avait une intention toute pédagogique. Bien qu’il se soit légèrement frotté à la thérapie, de manière occasionnelle, son propos n’allait pas jusque là, il voulait avant tout offrir un espace d’épanouissement pour les enfants.

Cependant, pour lui, la pédagogie musicale était d’abord au service de cet objectif d’épanouissement. Il s’agissait avant tout de permettre l’accès des enfants à une meilleure expression globale. Que quelques enfants se soient destinés à approfondir le domaine musical après avoir baigné dans le jeu avec les instruments ne serait pas étonnant. Mais le propos purement musical était secondaire par rapport au dessein relationnel et psychologique.

 

Remettre à jour les procédés traditionnels, sans en adopter les contenus ethniques, sociaux, ou religieux, n’évite pas qu’ils portent avec eux une philosophie et des potentiels entièrement tournés vers la socialisation et la convivialité.

Ces procédés obligent à la relation. Témoin, par exemple, le responsorial ou l’antiphonique.

 

Il faut ajouter que tous les processus de guérisons traditionnels, surtout en ce qui concerne les dysfonctionnements des rapports humains ont toujours été intimement accompagnés de rythme-musical. A savoir aussi que l’expression traditionnelle est globale, c’est-à-dire que le jeu musical ne se distingue pas, comme chez nous, du mouvement corporel ni de la parole chantée.

 

Carl Orff était aussi un conteur connu en Bavière pour ses talents de conteur. De même, c’était un amoureux de la langue, s’intéressant aux origines du langage et à sa rythmicité.

On lui a reproché un moment de collaboration avec les nazis. Les choses n’ont pas été si simples. On oublie de préciser qu’au moment où il a compris de quoi il s’agissait, il a “laissé tomber”.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt de ses recherches est qu’il nous emmène dans un chemin plus anthropologique qu’esthétique et nous invite à approfondir les fondements du Rythme-musical.

De plus, la mise au point des instruments du Schulwerk, (xylophones, métallophones, carillons, timbales etc.) copiés sur les instruments traditionnels et adaptés à nos systèmes, permet de se lancer d’emblée dans le jeu sans passer par la complication de la démarche cérébrale du solfège ou des systèmes occidentaux de la musique tonale.

 

 

Suite à cette première référence, nous nous inspirons donc des grandes Traditions de la musicothérapie dont on peut encore trouver trace aujourd’hui dans les sociétés non-occidentales.  Dans ces sociétés de type oral, l’écrit n’a pas l’importance que nous lui donnons chez nous. Leurs modes d’expressions donnent une grande importance à la parole et favorisent le mouvement du corps. Ils sont globaux.

La maladie y est considérée comme le résultat d’un dysfonctionnement temporel. Elle est provoquée par un “dieu” possesseur à qui on n’aurait pas rendu les hommages dans le temps qu’il faut.  La plupart du temps, les dieux sont associés à des rythmes et ont un chant ou un simple rythme mélodié pour attribut.

 

Les guérisons passent par le déroulement de rituels en rapport avec les configurations mythologiques propres aux dieux. Or, le rituel est définit par l’expression globale. Il utilise la parole incantée (mise en chant) et donc musiquée, articulée avec le mouvement du corps et le geste dans une expression rythmique très codée.

 

Le rituel est un déroulement temporel qui incarne le dysfonctionnement à la manière d’un psychodrame. C’est, en quelque sorte un processus de symbolisation du conflit et de ses non-dits.

Le contenu mythologique ou psychologique des rituels traditionnels ne peut être transposé chez nous. Il dépend étroitement de la société qui les a fabriqués. Nos contenus ne peuvent être que différents et en rapport avec nos drames, nos conflits et notre fonctionnement psychologique et sociologique. Il s’agit bien là de mettre en “cause” notre propre mythologie.

 

C’est avec le contenant que nous pouvons travailler. Contenant ritualiste qui déroule le temps rythmique mais qui se déroule aussi dans le temps calendaire plus large.

La succession des séances offre de s’inscrire rythmiquement dans un temps symbolique - en l’occurrence celui du calendrier qui sous-tend notre culture, donnant un sens au déroulement de l’année. Il offre une multiplicité de thèmes ayant trait aux passages, devenirs, métamorphoses, naissances et morts, fécondité ou stérilité, drames hagiographiques, angoisses et espérances etc. Ces thèmes sont souvent en rapport avec le corps humain. Ils offrent une immense surface de projections mais aussi de nombreux points de repères favorisant l’ancrage dans le temps.

La séance de musicothérapie active étant, en elle-même, un rituel, c’est à ces occasions que la malade peut dire ce qu’il ne dirait nulle part ailleurs. La mise en chant favorise la symbolisation.

 

 

La troisième clé liée à la précédente, essaye d’articuler, au maximum, la parole rythmo-musiquée avec le mouvement corporel. C’est une constante des expressions traditionnelles. Le fait d’allier les trois dimensions de la parole, du corps et du geste implique entièrement la personne qui s’exprime et met en jeu toute sa cohérence dans une synergie très efficace.

Cet aspect prend toute sa force dans les jeux tels que la création de type dramatique qui est figurée dans les formes “comédie musicale” ou, plus simplement, dans les rituels que nous avons évoqué.

 

La comédie musicale, (le rituel ou le drame musical), est sans doute la plus ancienne des formes musicales. Les formes édulcorées qui nous restent aujourd’hui prennent leurs racines dans ces rituels sociaux, festifs ou soignants anciens. Et cela malgré la distance qui semblent les séparer.

Aujourd’hui, nous les nommons opérette ou opéra. Il n’y a pas si longtemps que l’on parlait de mistères ou de pastorales ou de jeu dramatique. Ils existent encore aujourd’hui et peuvent contenir des éléments de ce que nous appelons le psychodrame.

La différence avec les comédies anciennes tient à ce que le statut des réalisations d’aujourd’hui en fait des spectacles auxquels les gens participent peu sinon à applaudir. Les drames anciens supposaient la participation de la communauté. Ceux qui assistaient n’étaient pas que spectateurs.

 

Cet aspect ouvre sur la mythologie qui leur donne sens. C’est pourquoi nous utilisons les contes ainsi que la mythologie calendaire qui marque le temps symbolique qualitatif.

Nous faisons l’hypothèse que les contes, plus que des images, portent en eux tous les processus rythmiques de base facteur de construction de la personnalité. Ils sont avatars de mythologie et la racontent de manière abordable par tous.

 

 

La quatrième clé consiste à placer ces modes de fonctionnements dans les catégories du Jeu. Nous utilisons avant tout le jeu car il est l’essence du rituel qui mène à la création. C’est, d’autre part, la voie royale riche de contenus favorisant les métamorphoses. D’autre part, le jeu ouvre à la poésie au sens grec du terme : “fabriquer”, “faire”, mais dans une perspective plus rythmée que mesurée. Le participant est mis dans la position d’acteur dans un jeu collectif.

 

 

RYTHME

Le matériau de base de notre travail est le Rythme. Le Rythme en constitue le squelette. Il est directement lié au temps.

Nous en parlerons demain.

 

 

Le TEMPS indissociable du rythme et dont les dysfonctionnements se trouvent au coeur de bien des pathologies. A ne pas confondre la durée physique (temps de l’horloge) et le Temps symbolique.

 

 

Liée à tout ça, la MÉMOIRE. Nous en parlerons demain. Mais je crois que Catherine Nosbaum nous en servira le plat consistant.

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Par rapport aux habitudes et aux catégories psychiatriques qui courent en Occident depuis deux siècles, notre position serait plutôt marginale.

Le rythme-musical n’a pas d’orientation particulière en ce qui concerne les catégories de la nosographie psychiatrique. Bien sûr, on ne travaille pas tout à fait de la même manière avec différentes populations mais les procédés restent identiques. Ils sont seulement à adapter aux us et coutumes et aux besoins du lieu où ils sont utilisés. De même qu’ils sont utilisables selon les possibilités du musicothérapeute.

On ne travaille pas non plus de la même manière dans une relation individuelle. Il faut adapter les jeux et tenir compte beaucoup plus intensément de l’état psychologique de la personne prise en charge.

Personnellement, je pense que la fabrication d’une indication qui permettrait à quelqu’un de musiquer me semble relever de la fantaisie ou d’une volonté de toute-puissance. Le rythme-musical, lié intimement au langage est un exercice trop nécessaire et trop salutaire pour qu’il fasse l’objet d’une censure.

J’aurais plutôt tendance à promouvoir une indication concernant la prise en charge d’un malade par tel ou tel musicothérapeute. A condition que celui-ci sache un peu à quoi il s’engage.

 

 

Cela amène à situer le musicothérapeute.

Il n’est pas indispensable qu’il soit musicien au sens où nous l’entendons sous nos latitudes. Il est cependant bon qu’il en connaisse “un bout”. Bien sûr, une expérience de pratique musicale peut faciliter le travail à condition qu’elle soit un véritable outil au service de la mise en jeu des malades.

La tendance des musiciens est souvent de se servir de “l’objet-musique” pour imposer aux malades des systèmes ineffables et purement émotionnels qui favorisent la confusion. Le système tonal occidental - épiphénomène dans l’ensemble universel des expressions rythmo-musicales - est un système rigide qui a la particularité d’occulter, ou au moins d’inféoder la parole. Cela, contrairement aux processus de la musique modale qui se base sur la parole. C’est pourquoi nous proposons l’utilisation des systèmes modaux à la fois plus simple à utiliser et offrant une variété considérable de possibilités.

 

De plus, nous avons presque toujours en charge des personnes qui sont bien incapables d’aborder les démarches cérébrales que demande ce que nous appelons “la musique”. Il n’est donc pas nécessaire pour le musicothérapeute d’avoir une formation musicale de conservatoire.

 

La formation dite “psychologique” est un aspect essentiel à condition qu’elle ait un ancrage dans la pratique du média rythmo-musical. Elle dépend des voies choisies par le musicothérapeute. Nous proposons la référence à des clefs psychanalytiques. Mais le musicothérapeute n’est pas un psychanalyste. Les éléments que nous offrons durant la formation sont des pistes de travail qui sont appelées à être constamment étudiées. Sa formation est donc permanente. A lui de trouver les modalités qui lui permettront d’approfondir ses références.

 

Il nous paraît bénéfique de ne pas travailler seul. Tout d’abord pendant la séance, la présence d’un partenaire favorisera la réflexion sur ce qui se passe. Puis, la collaboration dans l’ensemble d’une équipe avec laquelle on peut partager et rendre compte de ce que l’on fait me paraît plus importante que l’acquisition d’un savoir qui se voudrait exhaustif.

 

 

De toutes ces clés est issu une certaine configuration de la musicothérapie active.

Si on peu l’appeler musicothérapie, c’est parce les éléments de cette configuration touchent aux fondements des constructions de la personnalité et font resurgir des mémoires de dysfonctionnements. C’est sur ces résurgences que peut travailler le musicothérapeute à condition qu’il s’interroge d’abord sur l’effet que lui font ses propres résurgences.

 

 

Reste un dernier point à évoquer : la difficulté de trouver sa place dans une logique dominée par l’espace.

Le statut de la musicothérapie n’existe pas.

 

A mon sens, la lenteur à élaborer un discours de la musicothérapie tient dans la difficulté à formuler un discours du temps face à un discours qui est envahi par l’espace. La langue elle-même tend à réduire les choses du temps à l’espace. Même le langage musical est imbibé de terme spatiaux. Nous empruntons à gauche et à droite pour essayer de constituer un discours qui tient du bricolage un peu cache misère.

 

La même aventure est arrivée aux psychomotriciens qui sont aujourd’hui divisés en deux camps : les psychanalytiques et les cognitifs. Comme ils sont sans cesse balancés entre le “psycho” et le “moteur”. J’exagère un peu car je crois que beaucoup de psychomotriciens font du bon travail mais peut-être pas tout à fait pour les raisons théoriques en cours.

 

Ce ne sont pas les réunions de travail sur le sujet de la musicothérapie qui ont amené quelque chose de suffisamment convaincant pour que les instances administratives se saisissent de ce sujet. Je ne m’en plaindrai pas parce que je trouve que ce qui est élaboré sur la musicothérapie manque de rigueur et se trouve beaucoup trop proche de la conception romantique de la musique et de l’esthétisme façon XIX siècle. En corollaire, la musique objet, le concert, le chef d’oeuvre, les grands maîtres etc. c’est-à-dire tout ce qui touche à une musique objet d’échanges, de spectacles-concerts, d’enregistrements à vendre et d’hypertrophie des Ego tous azimuts. Soit un système bien difficile à investir pour les malades auxquels nous avons à faire. Ils ne peuvent que s’y faire écraser.

 

Il suffit de zapper avec le mot “musicothérapie” sur internet pour y trouver tout et n’importe quoi, les meilleures choses et les plus médiocres.

 

Et si des instances se mettent en place - et au nom de quoi ? - elles risquent fort de faire office de loi à partir de catégories qui manquent d’assises et donc de rigueur. Cela risquerait fort de freiner la recherche en l’orientant de façon réductrice. On semble s’occuper plus des contenants et des contrôles que des contenus. Or, il me semble que l’urgence est du côté des contenus à élaborer.

 

Voilà quelques réflexions un peu désabusées mais centrée plus sur le travail avec les contenus que sur l’identification aux schémas courant du champ médical.

 

Nous avons une chance qui est d’être dans des institutions où nous pouvons travailler entourés d’une protection relative. Profitons donc de redonner au rythme musical sa valeur d’usage liée au déroulement du temps.

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