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Rencontre des Musicothérapeutes

Besançon novembre 2007

 

 

 

Témoignage de mon expérience de Musicothérapeute

Danielle BAL

 

 

« Le bon protocole au bon moment

dans des circonstances particulières »

 

 

A - Mon parcours

 

Je m’appelle Danielle Bal.

Je travaille ce jour et depuis juin 2007 seulement, dans le Centre ADAPEI de Valfleury dans la Loire, entre Lyon et St Etienne. Ce centre accueille des adultes handicapés de vingt à soixante ans, avec des troubles du comportement.

La directrice de ce centre cherchait une personne ayant à la fois le diplôme d’éducateur spécialisé et un diplôme de Musicothérapeute.

 

Mais, pour arriver là,  cinquante ans de vie et, comme tout à chacun, un parcours assez particulier .

 

Très vite trois passions : l’éducation, la musique et la danse…  Un Bac

Et puis… deux enfants et donc, le merveilleux accompagnement, mère au foyer !

 

Une fois ceux-ci à l’école, je constate le manque d’activité musicale, je propose à l’enseignant ma coopération… elle accepte.

Me voilà lancée !

 

J’intègre alors une association du département (la Drôme) qui défend la culture en milieu rural.

Je deviens « Intervenante en éveil musical et en expression corporelle »

Entre temps, j’entre dans le racontage pur, car le conte fait déjà parti intégrante de mes interventions, il donne du sens.

 

Très tôt sensible aux méthodes de pédagogies actives, ma démarche a tout de suite été

« Partir de ce qu’est la personne (enfant ou adulte), avec sa façon de bouger, de chanter, de sentir, de s’exprimer… » 

Mon but est non pas d’enseigner un savoir brut, une technique précise, mais plutôt de donner à chacun le désir et la possibilité de s’exprimer à sa façon, de lui permettre de prendre conscience de sa propre expression, de lui donner des outils, du vocabulaire pour préciser et approfondir son  langage afin de dire mieux.

 

A ce moment là, et sans savoir exactement pourquoi, je ne peux me restreindre à me spécialiser. Pour moi, la musique, la danse, le conte forment un grand tout.

 

Après un long parcours auprès d’enfants, dans les quartiers, écoles, associations, villages, en 1993, on me propose d’intervenir auprès de personnes adultes handicapées.

 

Cet accompagnement de la personne en grande difficulté de vie auquel je n’avais jamais songé est une révélation.  

Comme une évidence, c’est là que je dois être, c’est là que je suis.

Tout de suite, ma démarche trouve auprès de ce public une force nouvelle. Je laisse encore davantage mon intuition me guider, et petit à petit, mets en place de nouveaux  protocoles…

Me voilà animatrice Musique dans  le centre ADAPEI « La source » de Gap où je resterai 7 ans.

 

Histoire de voir un peu ce qu’est la Musicothérapie de plus près… je suis la formation de musicothérapie active proposée par l’INFIP de Lyon à Versailles.

Musique, conte et danse sont au programme. La formation ne fait que confirmer mon intuition, mon activité et me pousse à m’engager davantage.

 

Puis, pendant 5 ans, j’essaie de défendre la Musicothérapie dans les Hautes-Pyrénées. Je frappe à une multitude de portes… Les centres spécialisés ont déjà… un aide-soignant, un éducateur, un orthophoniste qui a fait un stage…(de Musicothérapie)

L’accueil à domicile que je tente de mettre en place balbutie. Cependant, les quelques prises en charge qui me sont données de faire renforce mon expérience.

La personne est accueillie dans un cadre privé, familial. Elle y retrouve des repères précieux et surtout, hors contexte de « malade », de ce fait, elle n’est plus la même!

Elle est prise en charge en individuel et donc dans toute son intégralité. Elle est une personne et pas un individu de plus dans un groupe. Il n’y a pas la lourdeur institutionnelle.

Les maisons de retraite sont en grand besoin mais n’ont pas de moyen  et puis…de la thérapie, pourquoi faire ? Pourtant, une directrice plus ouverte que les autres me propose d’intervenir auprès des personnes les plus dépendantes (notamment malades d’Alzheimer)

Travail passionnant ! tant sur le plan humain que sur le plan professionnel. Et… de l’évidence, forçant à l’humilité !

 

En 2004, je passe et obtiens le diplôme d’éducateur spécialisé par validation des acquis.

Mais, je suis Musicothérapeute à part entière, enfin… dans mon corps, ma tête et mon coeur car sur mon bulletin de salaire…. Ce n’est pas encore ça !

 

Grâce à cette multitude de rencontres avec ces personnes en difficulté de vie, je peux ce jour vous témoigner de mon expérience.

Vous retrouverez sans doute des attitudes qui vous sont propres puisqu’un même cheminement nous a conduit à cette pratique de la Musicothérapie Active. Cependant, j’espère que mes exemples de prise en charge sauront quelque peu dévoiler ma particularité.      

 

 

B - Quelques précisions…

 

La signification des mots

 

Un Protocole ?

Ma définition est  « Proposition d’un faire dans la perspective d’un mieux être »

 

Un « bon protocole » ?

C’est celui qui se rapprochera le plus de ce dont la situation exige

 

Au bon moment ?

Les personnes en difficulté de vie plus que les autres passent par des émotions intenses et parfois totalement opposées dans l’instant. Ils ont des comportements, des troubles inopinés que leur pathologie souvent très lourde les obligent à vivre et à faire vivre à leur entourage.

Le bon moment, c’est dans cet instant là qui n’a rien à voir avec celui d’avant, celui du changement soudain.

Ce peut-être aussi, au sein d’un protocole proposé, parce que non-adapté ou parce qu’une réaction amène une autre suite que celle prévue, plus riche

 

Dans des circonstances particulières

Ce sont les contextes de travail différents dans lesquels j’ai exercé et avec des personnes de pathologies et d’âges très  divers.  

 

L’incontournable

 

Pour moi, ce travail d’accompagnement passionnant demande non seulement beaucoup d’énergie mais surtout et avant tout Une grande disponibilité.

 

C’est la qualité de ma disponibilité qui va…

 

            • permettre d’être réceptif à ce qui se passe, induire une observation précise et cocasse.

            • générer l’écoute ( voir ce qui ne se voit pas avec les yeux, entendre ce qui ne s’entend pas avec les oreilles) celle qui éveille l’intuition.

            • permettre une adaptation instantanée qui saura tirer du savoir-faire ou du don de création, le protocole adéquat.

 

 

C - Exemples

 

Auprès d’un groupe de personnes-âgées

 

Je suis à la résidence « les Logis d’Aure » de Guchen, où je reçois tous les mardis et durant une heure chacun, deux groupes de  6 personnes.

Celui dont je vous parle ici est composé de six femmes âgées de plus de 8O ans. 

 

En plus de son grand-âge, chacune a sa pathologie propre mais des constantes dans les difficultés sont là, dont la plus forte est la perte de la mémoire donc perte de vocabulaire, perte de l’utilité de l’objet, non souvenir des dernières rencontres, pas de souvenirs de ce rendez-vous hebdomadaire ni de moi-même…   

Pour palier à cette perte de mémoire, il me faut inventer, imaginer, chercher puisqu’une telle prise en charge qui n’a rien d’un temps occupationnel, est encore très rare dans les résidences pour troisième âge et donc avec peu de témoignages.

 

Ce que je propose est chaque fois un défi,  poussée par ma grande confiance en la possibilité de l’être humain.

 

Pour réveiller les mémoires, le désir de vie, le désir de participer, de communiquer, j’en appelle aux 5 sens et  à cette énergie universelle qui se cache en nous et qui capte toutes les vibrations.

Je fixe sur des panneaux images, photos, mots en gros caractères, créations personnelles ou de groupe concernant le thème en cour.

 

Ce jour là, pour clôturer la dizaine de séances sur le thème de la rivière, je propose à chacune de créer un petit refrain sur ce même thème.

 

Pour susciter leur désir de participation, ne pas avoir à partir de rien  de concret et risquer de les mettre en échec, je leur demande de tirer au sort une des étiquettes de mots que j’ai préparées, mots déjà utilisés au fur et à mesure de ce travail, donc réemployés, donc révisés et peut-être remis en mémoire.

Ce « tirage au sort » est déjà un protocole à lui tout seul.

Pour ce public, c’est une difficulté première. Cela demande beaucoup d’énergie, d’attention et stimule beaucoup de fonctions…

 

Il faut

• CHOISIR et… dans une institution, « avoir le choix de » est tellement rare que très vite, les résidants ne savent plus faire. Il faut oser, n’être pas freiné par cette obsession du « je vais me tromper » ou du « et après, que va-t-elle me demander ? »… 

• ATTRAPER… Les doigts, les mains n’obéissent plus comme avant. Beaucoup de concentration de leur part pour parvenir à ce geste simple  !

• MANIPULER l’étiquette… la retourner côté écriture, la mettre dans le bon sens si /besoin.

• LIRE les mots, si la personne se souvient des lettres.( Suite à mon observation, j’ai pu constaté que les mots écrits restent plus en mémoire que les mots parlés tout comme les chiffres restent bien longtemps dans la mémoire après que les mots soient partis)

S’ajoute à cela…

• COMPRENDRE les mots, se rappeler, réfléchir, prendre la parole, laisser encore de /côté le « je peux me tromper » trouver les bons mots…

Je dois leur laisser du temps pour tout ça… 

 

F. tire le mot « peuplier » Elle ne sait plus ce que c’est ou ne trouve plus les mots pour l’expliquer, rien ne lui vient en tête.

Alors, pour dédramatiser la situation, j’improvise un refrain

 

Refrain

Un peuplier ?

Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?

Un peuplier ?

Qu’est-ce que c’est ? … J’ai oublié !

(ça y est, je l’ai retrouvé !)

 

(Les questions que je vais lui poser et auxquels elle va répondre deviennent les couplets  créant ainsi une chanson ribambelle que tout le groupe peut reprendre )

 

Couplets

- Est-ce une fleur ?… Non !

- Un animal ?… Oui ! Non, je me suis trompée, c’est le sanglier !

 

(souvent les mots qui viennent ressemblent phonétiquement à celui qu’elle cherche. Là, elle s’en est aperçue mais, parfois, et cela correspond à un certain stade de la maladie d’Alzheimer, la personne parle toujours ainsi. Vous pouvez imaginer combien il est difficile de traduire ce dire)

 

- Est-ce un bijou ?… Non !

- Un vêtement ? … Non !

- Est-ce un grand arbre ?… Oui !

Oui, c’est un grand arbre !

C’est un grand arbre !

 

D’une non-réponse, nous avons crée une « chanson ribambelle » qui, de plus,  a su réveiller la mémoire des mots et dynamiser le groupe.

Quasi pas d’échec possible dans ce protocole car même l’ignorance, l’incapacité, le questionnement, voire l’erreur sont source de créations.

 

CREER, quel que soit l’objet (chanson, texte, objet…) ravive le sentiment d’existence, il prouve qu’on est bien vivant et capable ! Il est indispensable et primordial de faire sentir cela à ces personnes dans l’oubli de tout jusqu’à elles-mêmes 

Attraper au vol les non-réponses est un procédé très efficace et dont je me sers souvent.

 

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Auprès d’un jeune garçon, pré-ado autiste

 

• Inciter au faire   

 

Comme l’an passé, j’accueille K à mon domicile. Il m’est confié à la journée, par l’IME de Tarbes et ce durant la fermeture annuelle des vacances d’été.

K. a douze ans, il est autiste « sévère » n’a aucun langage parlé. Il est incontinent. Son objet  fétiche : une ficelle qu’il mouille dans sa bouche, roule dans ses mains et à laquelle il peut attacher un ou des objets qu’il fait tourner en cercle devant lui.

J’ai appris, durant nos rencontres de l’année  d’avant, qu’il est inutile de lui proposer directement quoique ce soit.

Le mieux, c’est de faire devant lui et sans se préoccuper de lui… (à moi d’avoir l’intelligence de composer ce qui peut provoquer un intérêt de sa part)

 

Exemple : Lire à haute voix une poésie et poser le recueil sur le sol… Faire marcher  une marionnette et la poser… Ecrire son nom et poser le crayon… Fouiller dans la boite de mots et la refermer… Danser et m’arrêter… jouer du piano et le laisser ouvert…

 

Ce jour, je suis assise par terre (c’est là que tout se passe) je feuillette les pages d’un classeur d’images, le referme et le pose à côté de moi 

J’attends sa réaction, c’est elle qui va me souffler la direction à prendre

Celle-ci ne se fait pas attendre.

Il prend le classeur ( à ses allés et venus incessants dans le couloir, j’aurais pu supposer qu’il ne l’avait même pas vu ) Il le feuillette comme pour chercher une image précise qu’il a déjà repérée. Il la trouve, plonge son visage dessus et reste longtemps comme à l’observer…

Je regarde à mon tour cette image, c’est un pont sur une rivière. Je prends le classeur de mots (que j’ai mis en place persuadée qu’il sait lire) et j’écris en gros « LE PONT SUR LA RIVIERE »

(Je sais que le lendemain,  il  va ouvrir le classeur et tourner les pages jusqu’à un mot  et le regarder plusieurs secondes, voire me donner un crayon pour que je lui fasse écrire ce mot… J’ai appris aussi que souvent, c’est une manière de me dire quelque chose de précis)

 

Puis, j’entonne « Sur le pont d’Avignon » en dansant.

Il me regarde un sourire au coin de l’œil. A la fin de la chanson, je ne bouge plus. Il me regarde, attend puis me prend la main comme pour m’inviter à « redanser » je recommence, ensuite, je la lui fais faire. Il se laisse guider en riant puis, soudain me lâche et court dans le couloir en poussant de petits cris. 

 

 

• Partir de ce que l’autre est et de ce qu’il fait

 

 « Ce jour, K. est assis sur le sol dans la petite pièce. Il entortille, comme il le fait souvent,  un cheval et son cavalier Playmobil à sa ficelle.

Mais, aujourd’hui, j’ai préparé une ficelle pour moi.

Je m’assois face à lui, prend ma ficelle et un cheval, l’entortille à sa façon, et  attends...

Il veut prendre ma ficelle.

Je refuse et lui explique qu’il a la sienne et que celle-ci est la mienne.

Il regarde mes mains, ma ficelle, reste coi un temps… Puis il reprend la sienne et la fait tourner de façon à ce  que le cheval et son cavalier dessinent de grands ronds devant lui.

Je reproduis son geste, à son tempo..

Mon cheval ne tient pas bien… je suis moins doué que lui ! Il faut que je le fixe à nouveau.

 Il sourit, et poursuit son geste !

Je continue aussi mais, accompagne le geste cette fois d’un son chanté continu qui, très vite, en s’appuyant sur la hauteur des objets va avoir deux hauteurs de sons différentes, dont un temps fort et un temps faible, ceci reprenant toujours la vitesse de K.

Il s’arrête…j’arrête aussi.

Il reprend, je reprends… Il s’arrête, je m’arrête…

Il reprend, je reprends.

 

Toujours en continuité du mouvement de nos ficelle/objet, j’improvise alors une courte mélodie sur laquelle, très vite, je mets des mots qui le concerne, du style : « K. fait tourner son cheval », que je répète plusieurs fois.

Cette fois, c’est moi qui cesse la première et le geste et le chant… il s’arrête.

 

Je reprends  le tout, il reprend son geste… pas de son !

J’arrête, il s’arrête.

Je sors le carillon  et fais sauter  doucement le cheval (toujours accroché à ma ficelle) sur les lames. 

Puis je pousse le carillon vers lui.

Il continue son geste ficelle/cheval  sans tenir compte de l’instrument.

Je m’approche du carillon et fais sauter à nouveau le cheval en reprenant la petite chanson à laquelle j’ajoute un nouveau couplet « D. fait sauter son cheval », et ce, plusieurs fois de suite.

K., impassible continue son mouvement sans tenir compte de moi.

Mais, lorsque j’arrête … il s’arrête.

Comme je ne reprends pas,  il reste un temps immobile … puis, il s’approche de moi, me prend la main (qui tient toujours ma ficelle avec le cheval) et fait sauter  mon cheval sur l’instrument.

A mon tour, je prends sa main et fais sauter son cheval sur l’instrument.

Puis, il s’immobilise.

Je délaisse ma ficelle/cheval, prends les mailloches (baguettes) et joue du carillon et reprend la mélodie de tout à l’heure sur le carillon.

Il délaisse sa ficelle et regarde mes mains sur l’instrument. Je lui tends une mailloche… il ne réagit pas, puis se lève et part en courant  dans le couloir en émettant de petits cris sur le son « i » 

 

Commentaire

Je pars de son objet, de son geste, geste d’enfermement. Je reprends ce geste. A celui-ci j’associe des sons, puis des mots qui font de ce geste d’enfermement un geste vivant, puis j’offre une ouverture en mêlant l’instrument de musique au geste primitif comme pour dire :

« - Regarde, tu peux sortir de ton geste, rien de grave ne se passe » Enfin, je délaisse l’objet pour ne garder que l’instrument «- Viens voir comme c’est bon, même hors de la ficelle »

 

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Auprès d’une personne anorexique

 

J. est une femme de 50 ans. Elle aime la musique et s’est adressée à moi pensant que par ce biais, je pourrais peut-être l’aider à vivre un peu mieux.

Anorexique depuis l’adolescence, « elle vit sans vivre » (ce sont ses mots) plongeant parfois dans une telle détresse qu’elle sent la mort toute proche, je veux dire une envie irrésistible au suicide.

« Tout bonheur lui est interdit »

Son corps est dans un tel état de délabrement (si on peut dire ça) qu’il la porte à peine.

Elle vient me voir depuis un an. Très sensible, l’imaginaire débordant, très habile de ses mains, elle a beaucoup de capacités qu’elle refuse de voir.

 

Ce jour, J. arrive et ne peut que me dire « Tout va mal »

Elle est « dans le noir » ( sur l’échelle de couleurs, baromètre de son mal être que nous avons établi ensemble, le noir signifie « au plus près de la mort »)

Elle s’assoit sur le fauteuil, enfermée dans sa veste, repliée sur elle-même, et reste muette.

Je sens bien qu’elle est au bord du précipice mais ne sais que lui proposer pour l’éloigner du danger.

Il me faut la joindre sans me laisser emporter. 

Je m’assois à côté d’elle, attend en silence, j’écoute le peu de vibrations qu’elle m’envoie.

 

Aucun protocole usité possible.

Je lui demande, très doucement si je peux mettre une musique.

Elle murmure « comme vous voudrez »

Sans réelle conscience d’un raisonnement, je cherche la musique qui s’apparenterait le mieux à  la déstructuration de J.

Je mets « Rusted satellites » n° 2 . C’est une musique expérimentale. Les sons sont d’abord diffus et lointains, puis, plus audibles, ils deviennent incohérents et lancinants. Durant ces 5 premières minutes,  je reste assise à ses côtés, en silence, à son écoute...

Je « l’entends » morcelée, elle n’habite pas son corps, a perdu la connaissance de ce corps.

Je sens que je dois l’aider à réunifier ce corps, l’aider à le réinvestir.

 

Aussi, lorsque la voix du chanteur (en anglais)entre enfin (mélodie simple, voix gémissante) je demande à J. de s’asseoir sur le tabouret (pas d’appui, importance du vide autour du corps pour faire surgir le plein de ce corps) et au milieu de la pièce ( pour mesurer  davantage la présence de ce corps et de son être dans l’espace)

Elle accepte.

Je lui propose d’imaginer ce que le chanteur peut bien vouloir dire et de le traduire avec ses mots à elle.

Elle ne réagit pas.

Je me place alors derrière elle, pose mes mains sur ses épaules, et l’encourage à tenter la chose. Avec une toute petite voix, elle réussit à parler.   

Mettre des mots permet à J. d’extérioriser sa propre douleur sans se sentir dévoiler (elle parle du chanteur, pas d’elle), je devrai dire  lui permet de cracher ce qui coinçait son être. Sans cette vomissure préalable, rien n’aurait été possible.

Peut-être, maintenant, peut-on tenter une réunification corporelle.

 

Pour aider à cela, (toujours porter par mon intuition)  je mets des chants de Haendel.  Contrairement au premier extrait, cette musique est bien structurée.

 

Toujours debout derrière elle, elle, assise, je lui  propose d’appuyer son buste et sa tête contre moi, et de bien laisser aller le haut de son corps.

Je la berce comme pour l’amener au monde.

Petit à petit, je prends ses mains et débute une danse « ouvrir et fermer très lentement les bras » invitation subtile à relancer la respiration dans ce corps.

Puis, je lui demande d’accompagner sa main de la tête, puis du regard. Je m’applique alors à entraîner tout le haut du corps dans cette danse.

Mon corps est un moule pour le sien. Elle peut sentir l’espace face à elle, au-dessus d’elle, elle peut oser investir cet espace, sentir ses membres entrer dans cet espace sans peur de s’y perdre ou de les perdre…  

 

Puis, je guide ses mains sur son visage, ses cheveux, ses bras, ses épaules tout le haut de son corps afin de tenter une conscience du corps, un remembrement, un retour vers une unité, son unité.

Je fais tout cela dans l’écoute totale de ses vibrations, je fais confiance absolue en ce qui se passe et ce que je propose.

Ce n’est que plus tard, lorsque je ferai le compte-rendu de la séance que je prendrai conscience du déroulement adéquate (pour moi !) de celle-ci.

  

Je sens que je peux passer au corps tout entier.

 

Autre  musique : « Shakti…  » rencontre de deux traditions musicales, occidentale et indienne.

Je l’invite à se mettre debout.  Je reste toujours derrière elle, contre elle comme un tuteur pour un arbre, je l’aide à rester debout. Je suis toujours un guide.

Je propose une suite de la danse qui va vers une plus grande ouverture du corps et un plus grand investissement de l’espace.

Au début quelques raideurs freinent le mouvement mais, la confiance aidant, elles disparaissent très vite et le mouvement se fait sans heurt.

Je la prends dans la marche, dans l’Oser bousculer l’air, le néant, le Tout, faire partie de ce Tout, avoir sa place.

 

Le rythme soudain des percussions est le bienvenu, il installe une nouvelle dimension, la certitude de vie, le rythme… le cœur bat.

Nous prenons le tempo dans les pieds et marquons les quatre points cardinaux comme pour signifier notre appartenance à ce monde.

 

Je sens J. entrer dans le tempo. Son corps et son énergie semblent former à nouveau un tout.

Elle peut sortir du moule. Elle peut danser seule.

Petit à petit, je me décolle d’elle, puis ne garde que mes mains sur ses épaules, un doigt, et enfin plus rien.

Elle danse seule, je danse seule, mais nous dansons ensemble. Nous ne nous touchons plus. Chacune a son propre corps, sa propre énergie, son espace.

 

A la fin de la musique, j’arrête la séance.

Visiblement très « remuée » par ce travail, elle s’en va me serrant les mains très fort et me remerciant chaleureusement.

Pour cette fois encore, nous avons éloigné le précipice.

 

    

Premières heures d’une nouvelle prise en charge

 

Quatre résidants m’attendent. Je connais tout juste leur prénom.

La semaine d’avant, j’avais eu quelques-uns d’entre eux  au sein d’un autre groupe et ceux-ci avaient refusé toutes mes invitations à participer à nos jeux d’instruments. Ils sont restés avachis sur le fauteuil, muets.

Comme la dernière fois, ils sont sur le canapé. Je leur propose de venir s’asseoir sur les chaises que je commence à installer en cercle. Mais, personne ne bouge !

Faire avec. Aller au plus simple… « on va écouter »

Je vais en profiter pour vérifier leur potentiel auditif, connaître leurs capacités et leurs possibilités.

Je mets une suite pour violoncelle de Bach et demande à chacun s’il entend bien. Tout le monde répond « oui »

Je joue alors avec l’intensité de l’appareil, monte un peu le son, beaucoup, le baisse un peu, totalement et pose la même question.

Là, je me rends compte que la plus-part disent entendre très bien,  même… quand il n’y a plus de musique ! !!… (Toujours vérifier le plus basique)

 

Sachant cela, je propose un style plus populaire en faisant écouter Charles  Trenet « Le jardin extraordinaire »  et ce, sans consigne. J’observe ce qui se passe… « un battement de pieds et… c’est tout ! » Pas de réaction !

N’entendent-ils pas ? N’ont-ils pas envies ? Ils ne me connaissent pas, sont-ils en observation ?

Voyons ce qui se passe en présence d’un instrument

Je prends alors le xylophone et l’installe sur la table basse, devant le canapé où ils sont.

Je profite du thème de la chanson écoutée juste avant pour lancer un « Je descends dans mon jardin » et je joue une descente de gamme sur l’instrument. Arrivée « en bas » je m’adresse à l’une d’entre eux « Que vois-tu dans ton jardin ? »

A ma grande surprise, j’ai une réponse : « une fleur »

Je lui demande des précisions (afin de découvrir son langage, son vocabulaire…) elle me répond « bleue, petite, elle sent bon, je la regarde »

Je lui propose alors de « descendre les escaliers pour aller au jardin » et, pour ce faire lui donne les mailloches et approche l’instrument… surprise, elle se décolle du fauteuil et essaie !

Puis, j’improvise un petit refrain sur ses mots en m’accompagnant de l’instrument. Elle semble ravie.

Suite à cela, je ferai de même pour chaque résidant. Tous accepteront de dire et de faire    

Il y aura « de l’eau pour arroser les légumes » « des oiseaux qui mangent les cerises » « une marguerite dans la terre »     

Petit protocole tout simple, mais, assorti d’un thème précis et donc une mise en situation affective qui a su inciter les résidants à la participation et à se dire.

 

 

D - Conclusion

 

J’ai pris ici des exemples de circonstances particulières. Mais, dans un travail hebdomadaire courant, au sein de certains protocoles, comme « les positions extraordinaires » tout comme dans la création de chanson, je dois « jouer » avec la proposition, la trouvaille, le choix, la réponse ou la non-réponse de la personne.

 

Dans la majorité des prises en charge qui me sont confiées, je connais le public que j’accueille.

Je prépare toujours chaque séance avec grand soin.

La plus part du temps, je choisis un thème support que mes propositions illustreront. Mon travail consistera donc à tirer profit au maximum de ce  thème et d’imaginer toutes les réactions que celui-ci seraient susceptibles de provoquer.

Ainsi, tout au long des semaines, ce thème se déclinera successivement au travers de l’instrument, la chanson, le conte, la création concrète d’un objet, le corps, la découverte…

 

Pour moi, la présence du thème donne du sens, et donner du sens va susciter la participation et donc, installer un mieux-être plus conséquent !

 

Le thème sème des repères, rappelle les lieux, les faits, les habitudes donc il touche l’affect, il permet la révision d’un vocabulaire, le réveil des sens, la découverte...

 

Ce thème peut prévaloir bien sûr, d’une fête calendaire, de la saison qui vient, d’une tradition du pays, mais aussi, d’une angoisse évoquée lors d’une séance, d’un savoir ou savoir-faire particulier d’un résidant, d’un événement personnel ou mondial, d’une habitude de vie (linge, café, savon, vélo, couteau…)

 

Ce sont les premières réactions  des personnes qui vont définir le chemin que je vais emprunter.

Cependant, et heureusement, il arrive l’inattendu ! Je me retrouve alors dans la même situation que dans les circonstances particulières évoquées ci-dessus.

C’est peut-être le moment le plus grisant de ce métier de Musicothérapeute !

 

Pour moi, l’essence même de ce métier est contenu dans cet instant-là : 

« Face à un comportement précis, savoir proposer LE protocole, celui qui saura répondre parfaitement à l’instant »

 

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