Il tait une fois le conte et
ses mythologies.
Rencontres professionnelles
de musicothrapie active
Paris novembre 2012-11-18
Willy Bakeroot
Je voudrais tout dĠabord rendre un hommage Claude Gaignebet qui nous a quitt le 5 fvrier, jour de la sainte
Agathe.
Il a bien contribu nous apprendre ce quĠest le temps symbolique
ainsi que tous les mystres du calendrier.
En principe, aujourdĠhui, il est hors du temps. Mais je pense que
a doit lui manquer moins quĠil nĠen ait dcouvert tous les secrets.
Ici, il va certainement nous manquer car il devait venir nous faire
part de son immense rudition.
Tout ce que nous pouvons faire cÔest lui envoyer un grand salut et
surtout un grand merci.
+
Il y a dj un certain temps que se formulait le dsir de faire une
rencontre axe sur le thme des contes et de la mythologie.
Nous y voici pour le 6me pisode.
Ce serait prtentieux de prtendre puiser le thme en 2 petits
jours. Mais nous allons essayer dĠvoquer quelques points essentiels aussi bien
pratiquement que thoriquement.
CĠest une petite phrase que Pascal Quignard met en vidence dans sont livre Ç la leon de
musique È qui a inspir ce que je voudrais dire ce matin. Ç Quand
est-ce quĠon sĠen va ? È
CĠest une phrase que lĠon entend souvent dans
la bouche des enfants impatients.
Cette phrase fait cho ce que dit Marcel
Jousse dans un de ces cours :
Ç Nous avons vu que ce complexe de gestes innombrables quĠest lĠhomme est propuls par une nergie qui le pousse inlassablement. Depuis le moment de sa conception, jusquĠau dernier moment de son existence, il vaÉ / il faut que comme une mer sans cesse recommence, il sĠen aille, il sĠen ailleÉ/
En face du rel quĠil intussusceptionne,
il Ç rflchit È ce rel, il le rejoue avec cette sorte de propulsion
quĠest la rythmicitÉ È
Le texte de Marcel Jousse autant que la petite
phrase de lĠenfant nous introduisent dans le temps du
rcit. On sĠen va et le rcit commence. Nous entrons dans une aventure
mouvemente.
On pourrait dire que lĠenfant, ds sa
naissance, entre dans un rcit quĠil construira progressivement en rejouant le
rel quĠil a reu. Un rcit dont la chute sera la mort.
Cette construction est un processus permanent.
CĠest presque une habitude sur laquelle nous revenons sans cesse grce la
rptition et au retour en arrire.
Ce rcit, le petit dĠhomme le construit ds la
gestation pendant laquelle le foetus entend des bruits
et des voix. Avant le dveloppement des oreilles, il nĠentend rien, il reoit
ces bruits et ces voix la faon dĠun massage. Les spcialistes dĠaccordent
dire que le bb commence entendre entre le 5me et le 8me
mois. Ce nĠest pas une rgle gnrale.
Quelques exprimentateurs se sont mis
raconter le mme conte, tous les jours pendant un certain temps de la
gestation. Ils ont remarqu quĠune fois n, le bb avait une nette prfrence
pour ce conte.
Aurait-il dj une tendance retourner ses
origines ?
Le Ç il tait une fois È que lĠon
retrouve partout dans les contes nous invite dans un temps rgressif pour y
cheminer nouveau. Il nous invite retourner en arrire pour raconter ce qui
sĠest pass.
Le rcit que le petit dĠhomme va se construire
sera donc fait de ce quĠil a entendu et vcu. Comme dit Marcel Jousse, il intussusceptionne les rythmes du monde puis il va les
rejouer. CĠest en les rejouant quĠil construit le rcit de sa vie. Le fil du
rcit successivera rythmiquement les squences
vcues. Une squence en appelle une autre qui son tour gnrera une suite.
+
Arrtons nous quelques instants sur ce que dit
Marcel Jousse. Pour lui, le rel est fait de ce quĠil appelle des interactions
triphases. On y trouve toujours un agent agissant sur un agi. Ce sont des
processus rythmiques.
Il y a des milliards dĠinteractions qui forment
le rel. Elles sĠimbriquent les unes aux autres et forment un ensemble dans
lequel lĠenfant va tre plong ds son origine.
Cet ensemble va tre mim par lĠenfant.
Marcel Jousse dfinit lĠtre humain comme un mimeur qui, ds son enfance mime spontanment les
interactions du rel. Il les mettra en lui puis les rejouera.
Pour viter la confusion avec le mime prpar,
Jousse utilisera le terme de mimisme qui, lui, dsigne une activit spontane.
LĠenfant passe son temps mimismer ce quĠil voit et
ce quĠil entend. CĠest une activit essentiellement corporelle et donc
gestuelle. Ce que nous appelons le Ç mental È viendra peut-tre
aprs.
LĠenfant va mimismer
les interactions triphases avec son corps. Cette gestualisation
cherchera progressivement le moyen le plus pratique et le plus raffin pour
rejouer ce qui a t reu, et aboutira au geste laryngo-buccal
quĠest la parole.
Cela devient tragique lorsque lĠexpression des
mimismes est inoprante. On entre alors dans la pathologie. Le rejeu de se fera pas et lĠenfant restera en dehors du temps
symbolique.
La parole va sonoriser le langage et faire
entrer lĠenfant dans le temps symbolique. Le temps physique nĠest pas le temps
symbolique. Le temps nĠa pas de sens sans quelque chose qui le marque et donc
le symbolise. Il doit tre marqu dĠune faon ou dĠune autre en constituant
ainsi des points de repres.
Si la parole se cristallise, se fige, se
ritualise pour elle mme sans continuer rester enracine dans la ralit,
Marcel Jousse appellera a lĠalgbrose.
+
Les interactions triphases ne sont pas des
images, ce sont des rythmes qui vont se retrouver dans la parole et le langage.
La grande activit premire de lĠenfant est rythmique.
LorsquĠon se dit musicothrapeute, il est
intressant de remarquer que les rythmes des interactions triphases du rel
sont mimismes, quĠils sont greffs dans notre corps
et forment des units de mmoires qui sĠenchainent et se successivent
pour construire notre mmoire et notre personnalit. Le Rythme et temps sont
les grands acteurs de cette construction mmorise.
Cette chane temporelle se retrouvera dans
diffrents jeux temporels.
On va les retrouver dans les contes sous
diverses formes. Ils formeront le squelette du rcit aussi bien que la rythmisation des thmes.
Un thoricien du conte, Algirdas
Julien Greimas a invent le terme
Ç actanciel È pour dfinir les 3 phases de lĠacte du hros qui est
en qute dĠun objet.
Il poursuit par une srie de terme un peu trop algbross mon got. Algbrose
propre lĠcrit et qui fait que le langage ne
fonctionne que pour lui-mme, en dehors de la ralit.
Les termes de Greimas morclent la position des
actants. Cela aboutit au contraire du rcit. Il nĠy a plus de temps.
Il est curieux de voir que notre logique de
lĠcrit tend tout renfermer dans sa page dĠcriture en rifiant tout ce qui
passe sa porte. Cela sous prtexte dĠune analyse soi-disant rationnelle. Le
thoricien Russe Vladimir Propp a fait la mme chose.
Or il sĠagit bien de temps et de successions
temporelles, rythmiques, enchanement de squences. CĠest lĠenchanement qui
donne le sens.
Mme lorsquĠil sĠagit de successions inverses
ou fantaisistes par rapport notre conception dĠun temps linaire.
On trouve ces processus dans les contes quĠon
appelle des Ç randonnes È : Ç le fermier prend sa femme,
le fermier prend sa femme, etc. la femme prend son enfant, lĠenfant prend sa
nourrice, la nourrice prend le chat etc. È La randonne forme un temps
rcitatif qui se conclura dĠune manire ou dĠune autre, quelquefois en revenant
son point de dpart. Je pense aux comptines qui reviennent sur elles-mmes : Ç Arrtant sa manivelle, il me dit je connais
lĠendroit, suivez la Seine jusquĠ la morgue et aprs cĠest toujours tout
droitÉ È (Cungonde).
On trouve ces mmes schmas temporels dans
dĠautres contes tels Ç la mort de poulette È o tout se clos par la
mort de tout le monde.
Mme les contes dits factieux tels Ç Jean
le finaud È engendre la succession et le rcit. Jean le finaud obit
toujours lĠordre prcdent. Il est toujours en retard dĠun train mais lĠordre
temporel nĠen est pas moins droul.
Le plaisir de la temporalisation se
retrouve par exemple dans le conte
trange de la chvre de Cosquin, ou un homme qui a
une chvre la fait garder par le premier de ses 7 fils avec lĠordre formel de
bien la faire manger sinon il tuera le fils. Le fils emmne la chvre au pr,
puis, la chvre, avec une formule sans trop de signification lui fait
comprendre quĠelle a bien mang.
Le fils rentre donc chez le pre. Le pre
questionne la chvre qui lui fait comprendre quĠelle nĠa pas assez mang.
Alors le pre tue le fils puis envoie le second
quĠil tue aussi et ainsi de suite
jusquĠau 7me puis il envoie sa femme quĠil tue aussi avant
dĠaller lui mme conduire la chvre au pr.
En rentrant la maison il demande la chvre
si elle a bien mang et elle rpond que non puis la chvre tue lĠhomme et elle
devient ainsi matresse des lieux.
Chaque squence est accompagne par une formule
bizarre. Ç Je suis sole et moule, jĠai plein de lait dans ma toule È. CĠest une formule rythmique qui montre bien
lĠintimit de la parole et du conte avec le rythme-musical.
Dans ce conte, on se trouve dans une sorte de
non manĠs land situ entre le rythme pur et le sens. Bien sr, on peut
interprter ce conte de manire moraliste, psychologique et mme
psychanalytique. Mais ces interprtations me paraissent secondaires et sans
beaucoup dĠintrt.
Quand on lit le conte dans le livre de Cosquin, on voit quĠil a rsum le texte partir de la
deuxime squence. Il sĠagit dĠun souci dĠcrivain qui pense quĠil ne faut pas
rpter les mmes squences mme si elles mettent en scne des enfants
diffrents. Ce serait trop long et inutile.
CĠest vrai que nous sommes dans une logique de
lĠcrit. Mais le conte lui est compos dans une logique de lĠoral dans laquelle
il faut rpter et prendre le temps du plaisir dĠcouter et de goter la
succession des squences. On imagine la formule reprise 18 fois par le groupe
dĠauditeurs. CĠest loin dĠtre invraisemblable
et cela devait tre chaque fois ainsi autrefois.
Si dans le monde occidental les chansons que
lĠon coute aujourdĠhui durent environ 3 4 minutes, il nĠen est pas de mme
chez les Arabes o a sĠtale bien plus longtemps. Voir aussi le Pansori (que nous avons abord lĠan dernier) qui pouvait
durer toute la journe.
Si lĠon prend des contes thmatiques, on verra
quĠils se droulent souvent en 3 squences. Pour ne prendre que Jean de lĠours,
les 3 amis, les 3 jours au chteau, les 3 filles du roi de France ou les 3
filles du diable.
Quelquefois cĠest un roi qui a 3 fils ou trois
filles.
Dans les preuves, cĠest toujours le troisime
garon ou la troisime fille qui gagne.
Voir Jean de lĠours.
Vous me direz que a peut tre la mme chose
dans une Ïuvre littraire. Je rpondrai cela que ce qui est crit sur le
papier concerne dĠautres ressorts que ceux de la
bouche et de lĠoreille. Et que, dĠautre part, le littraire ajoute son rcit
des arrts sur image. Ce qui nĠest pas le cas dans un conte sauf si cĠest un
conte rcent fabriqu par des littraires.
Si je considre le conte de Saint Julien, il se
trouve rdig par Gustave Flaubert dans son livre 3 contes. Il fait 40 pages.
CĠest de la belle littrature mais ce nĠest pas racontable car il y a trop
dĠarrts sur images et de cassures de rythmes.
Je lĠai rduit, avec lĠaide dĠune ancienne
lve, Marie-Christine Garat, 4 pages. CĠtait la meilleure faon de lui
donner une temporalit. Et cĠest encore trop. Je compte le rduire un peu plus.
Il faut dire que, dans la Lgende dore, lĠhistoire de Julien tient en 10
lignes.
Tout a pour dire lĠintimit qui existe entre
la parole, le langage et le rythme musical.
CĠest ce qui me fait penser que le conte a
toute sa place dans une dmarche de musicothrapie active. Parce que jĠai
dcouvert que conter cĠest chanter. On y trouve le ton
de la voix, le rythme de la voix et des paroles. La plupart des termes que lĠon
applique la musique peuvent tre utiliss pour la parole.
Nos classifications morceles tiennent de lĠalgbrose. Elles mnent toutes sortes dĠimpasses.
En tant que musicothrapeutes, nous sommes
obligs de nous pencher sur les processus fondamentaux du dveloppement humain
comme sur le sens de ce que nous appelons Ç musique È.
Nous ne pouvons pas utiliser Ç la
musique È sans nous poser des questions sur son bien-fond, revoir son
histoire, connatre ses racines.
Le terme de Ç musicothrapie È,
emprunt la Grce, a t remis en honneur depuis les annes 60. Il a t
appliqu un fonctionnement musical qui nĠa rien voir avec celui des Grecs.
De temps en temps, jĠentends poser la question Ç Mais quĠest ce que les contes ont voir en musicothrapie ? È
Je suis toujours assez dmuni devant une telle question parce que
jĠen connais la dimension ainsi que tout ce quĠelle implique.
CĠest une question qui pose un problme de classification et de
catgorie.
Nous parlons avec des catgories assez troites qui, pour des
raisons X ou Y occultent les rapports quĠelles pourraient avoir entre elles.
Malheureusement, elles font office de loi et prsident des
comportements morcels.
Pour nous, les contes sont lĠaffaire de la parole et la parole
nĠest pas le chant qui nĠest pas non plus un geste, et le geste nĠest pas non
plus de la musique etc.
Les diffrents thmes seront tudis et pratiqus comme des objets
indpendants. Il suffit de voir
comment les contes sont traits dans les fiches de lĠducation nationale.
Il nĠest pourtant pas trs difficile de voir que la parole est le
geste laryngo-buccal et quĠelle a donc son
enracinement profond dans le corps. Sans mouvement du corps, il nĠy a pas de
parole
Il nĠest pas non plus trs difficile de reprer le ton de la voix,
son rythme, sa tessiture et son intensit.
Il nĠen a pas toujours t comme a.
Ë la fin du Moyen ge, avec le dveloppement des technologies et
lĠavnement de la socit industrielle, il sĠest opr un divorce entre la
parole et lĠambitus de la mlodie.
Je crois que a tient principalement la possibilit nouvelle de
construire des instruments trs labors et raffins donnant un son de grande
qualit sonore naturelle.
Autrefois, le rythme-musical tait trs articul aux mouvements
corps. On ne mlodiait quĠen chantant.
Les nouvelles possibilits technologiques nes avec lĠavnement de
la socit industrielle ont valoris lĠambitus mlodique au dtriment de son
enracinement verbal.
CĠest alors que sĠest dvelopp le solfge crit grce
lĠimprimerie. LĠimprimerie tant une technologie nouvelle permettant la
diffusion abondante de texte.
Paralllement la technologie mcanique (on appelait a les ars
mcaniques) se dveloppant rapidement a exerc une vritable fascination. Les
monastres eux-mmes sont devenus de vritables parcs machine. Les arts
mcaniques triomphaient. La socit industrielle prenait son essor.
Avec elle, les systmes solfgiques se
compliquaient ainsi que les instruments. Le rythme musical dveloppait son
indpendance, en dehors du langage parl, en laborant un systme de 12
demi-tons appel systme bien tempr. Puis en inventant lĠharmonie qui nĠest
propre quĠ ce systme. La Ç musique È tait ne.
Ce systme a pris naissance avec Pythagore chez les Grecs du 5me
sicle.
Ce divorce sĠest dvelopp lentement puis sĠest accentu grce aux
technologies jusquĠ la constitution du trait dĠharmonie de Jean-Philippe
Rameau qui scellait le systme pour longtemps. Nous en sommes toujours
tributaire.
Nous sommes aujourdĠhui culturellement prisonnier de lĠambitus. Au
dtriment de la parole. La parole est infode un systme tonal qui nĠa pas
de sens sauf mcanique.
Je nous souhaite bonne chance pour arriver
sortir de la prison dissolvante de lĠambitus et retourner au rythme de la
parole.
Peut-tre devrions-nous prendre beaucoup de
leons chez ceux qui peuvent encore nous en donner, les Africains et les
Arabes.
CĠest en tous cas ce que nous essayons de faire
pendant nos rencontres.
Je souhaite que ces deux journes vous
profitent au maximum.
+
Rappel
Bibliographique en vrac
Quignard Pascal, La haine de la musique, Folio 3008 Gallimard
Quignard Pascal, La leon de musique, Folio 1767 Gallimard
Jamblique Vie de Pythagore Les belles lettres
Illich Ivan Le travail fantme Seuil
James Jamie La musique des sphres ditions du rocher
Cosquin Emmanuel Contes Philippe Picquier
Les frres Grimm Contes Garnnier-Flammarion
Pierre Lafforgues Petit Poucet deviendra grand Mollat diteur 1995
Mardrus Les Mille et une nuits Bouquins Laffont
Simonsen Michle Le conte populaire Puf
Vellay-Valentin Cat LĠhistoire des contes Fayard
Rouanet Marie Nous les filles Presses Pocket
Zumthor Paul La lettre et la voix Seuil
Arveiller J. Des musicothrapies Ed Scientifiques et Psychol
Combarieu La musique et la magie Monkoff – Reprint Genve
Meschonnic H. Critique du rythme Verdier
Gaignebet Claude A plus Hault sens Maisonneuve et Larose
Gaignebet Claude Le folklore obscne des enfants Maisonneuve et Larose
Gaignebet Claude Art profane et religion populaire au Moyen ge
Maisonneuve et Larose
Saint Yves Pierre Les contes de Perrault et leurs origines
Bouquin-Laffont
Vernant J.Pierre Mythe et socit en Grce ancienne Maspero
Walter Philippe Mythologie chrtienne Entente
Bourdieu Pierre Les rgles de lĠart Point essai
Debray Rgis Vie et mort de lĠimage Gallimard
Rabelais Franois Oeuvres compltes Seuil
Schott-Billmann Fr. Possession, danse et thrapie Sand
Schott-Billmann Fr. Corps et possession Gauthier-Villars
Schott-Billmann Fr. Le primitivisme en danse La recherche en danse