Le Schulwerk
Rétrospective et Perspectives

Carl Orff
Jahrbuch, Orff Institut, 1963, Mainz, Schott 1964

Ce texte nous a été communiqué grâce à l'aimable concours du Orff-Zentrum München
Staatsinstitut für Forschung und Dokumentation
A
insi que grâce à l'aimable autorisation de
Schott Music GmbH & Co. KG, Mainz

Traduction de l'Allemand  : Jérôme Pâque
Les sous-titres ont été rajoutés par nous
afin de faciliter la lecture.

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Création du SCHULWERK

Afin de comprendre au mieux l'objet et la visée du Schulwerk, il faut en suivre le développement. Rétrospectivement, je dirais que le Schulwerk a connu une « croissance sauvage ». C'est l'image qui me vient à l'esprit, étant fervent amateur de jardinerie.  A la manière des végétaux, essentiels, qui s'implantent dans la nature et y trouvent une terre fertile, le Schulwerk est né à partir d'idées que j'avais en tête à l'époque et qui ont pris racine dans mon travail. Le Schulwerk n'est pas le résultat d'un projet minutieux – je n'aurais jamais pu imaginer un projet d'aussi grande envergure – mais bien d'une nécessité que je considérais comme telle. L'expérience montre que toute croissance incontrôlée pousse particulièrement bien, tandis qu'on est souvent déçu de plantations méthodiques.

De cette caractéristique, on peut déduire la nature du Schulwerk, ainsi que ses avantages et désavantages. Les systématiciens purs n'adhèrent pas vraiment à cette idée, et à fortiori à tout ce qui est improvisé de manière dynamique, ce qui est imposé artificiellement. Le Schulwerk a pour objectif, dans chacune de ses phases, de toujours proposer des suggestions, afin qu'il soit élaboré de manière indépendante, ainsi, il n'est jamais définitif et fermé mais toujours en développement. Un grand danger y réside cependant, celui d'avancer dans la mauvaise direction. Une progression autonome nécessite qu'on soit formé professionnellement et qu'on soit totalement familiarisé avec le style, les possibilités et les objectifs du Schulwerk.

Revenons toutefois à sa création: cela remonte aux années 20. La jeunesse européenne était animée de nouvelles sensations concernant le corps, le sport, la gymnastique et la danse. Le travail et les idées de Jacques-Dalcroze, répandues dans le monde entier, avaient principalement contribué à préparer le terrain pour ce nouveau mouvement, grâce aux « séminaires pour la musique et le rythme » de Hellerau. Laban et Wigman (deux noms parmi tant d'autres), étaient à l'apogée de leur carrière. Rudolf von Laban était sans conteste l'un des plus grands pédagogues de la danse et chorégraphes de son époque. Ses travaux sur la danse lui valurent une reconnaissance internationale. La fabuleuse Mary Wigman, élève de Jacques-Dalcroze et de Laban, créa même une nouvelle danse d'expression. Les travaux de ces deux professeurs eurent de fortes répercussions dans les domaines artistiques et pédagogiques. C'était le temps où de nombreuses écoles de danse et de gymnastique furent fondées en Allemagne. Toutes ces initiatives m'intéressaient car elles étaient étroitement liées à mon travail pour le théâtre.

Fondation de la Güntherschule.

En 1924, j'ai fondé, avec Dorothee Günther à Munich, la Günterschule, une école de gymnastique, de musique et de danse. J'y voyais une possibilité d'instaurer une nouvelle éducation rythmique et de concrétiser mes idées allant vers une compréhension actuelle de l'éducation par les mouvements et la musique. Spécificité de la Güntherschule, son co-fondateur et co-directeur était musicien. C'est ainsi que, dès le départ, l'accent était mis sur tous les efforts musicaux et j'avais trouvé un terrain idéal pour expérimenter mes idées.

L'aspect musical devait évoluer par rapport à celui de l'époque. Le centre de gravité fut déplacé de l'aspect harmonique vers l'aspect rythmique. En conséquence : les instruments rythmiques devinrent privilégiés. Je me suis écarté de la méthode d'éducation par le mouvement basée sur l'utilisation du piano comme elle était (et est encore aujourd'hui) habituellement pratiquée, et je voulais arriver à ce que les élèves improvisent et composent leur propre musique.

Je ne voulais pas d'une éducation recourant à des instruments artificiels sophistiqués mais d'abord d'instruments axés vers la rythmique et assez faciles à apprendre.

L'instrumentarium

Pour ce faire, il fallait cependant trouver un instrumentarium approprié. Je disposais de bon nombre de purs instruments rythmiques – d'ici ou d'ailleurs – grâce à l'évolution du jazz, il fallait seulement faire le tri, mais sans instrument d'accompagnement ou de type bourdon, impossible de mettre sur pied un instrumentarium autonome. C'est ainsi que furent d'abord construits les instruments de percussion, à lames de bois ou de métal, les différents modèles de xylophones, métallophones et glockenspiels.

Les créations étaient en partie nouvelles et d'autre part inspirées de modèles du Moyen-Âge ou de l'étranger. Les xylophones en auge n'avaient rien à voir avec les xylophones utilisés en orchestre, ils tiraient leur origine de formes indonésiennes sophistiquées. Je trouvai en Karl Mändler, le créateur de pianos munichois, qui s'était fait un nom au début du siècle en redonnant vie au clavecin, un homme ouvert à mes idées d'expérimentation. Les nouvelles formes de xylophones et de métallophones qu'il avait développées, aujourd'hui connues dans le monde entier, donnaient un son sans pareil et irremplaçable dans notre instrumentarium et en ont formé sa base, de même que les Glockenspiels. Ils furent construits en gammes soprano, alto, tenor et basse.

Outre les percussions, la flûte devint rapidement un instrument mélodique supplémentaire. La flûte est un des plus vieux instruments mélodiques, voire le plus vieux. Après plusieurs essais à l'aide de types de flûtes de pays étrangers, j'optai pour la flûte à bec, qui jusqu'ici faisait de la figuration. Grâce au concours tout particulier de mon ami Curt Sachs, qui à l'époque était directeur de la collection d'Etat d'instruments de musique de Berlin, j'obtins tout d'abord un quatuor de flûtes à bec formé selon l'ancien modèle, à savoir des flûtes soprano, alto, ténor et basse. Dans notre ensemble, nous utilisions en plus des timbales et des percussions, les instruments à corde comme instruments basse pour les accompagnements de bourdon en quinte, combinés aux violoncelles, violons et violes de gambe de toutes sortes. Le groupe d'instruments à cordes pincées était composé de guitares et de luths.

Nous avions réalisé une première progression pour l'instrumentarium pour la Güntherschule. Il est clair que la musique devait être d'abord créée mais appropriée, élaborée et établie pour cet instrumentarium. Dans cette optique, le folklore national et le folklore étranger entrèrent les premiers en ligne de compte. Je voulais, d'un point de vue pédagogique, amener les élèves assez loin que pour créer eux-mêmes leur musique et l’accompagnement de mouvement, même de façon modeste. La manière de composer la musique pour ces instruments provint du jeu même avec l'instrument. Le développement de la technique d'improvisation y joua un grand rôle. Grâce à ces exercices, l'élève devait surtout apprendre à s'exprimer spontanément, personnellement et musicalement.

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Musique élémentaire

La première édition du Schulwerk fut publiée en 1930. Le premier volume, fondamental, intitulé « Méthode rythmique et mélodique » (1), commence par ces mots: « Le Schulwerk est un livre de musique élémentaire ayant pour but d'initier aux formes primitives et naturelles de la musique ». Dans une préface, Fritz Reusch a écrit à ce sujet: « Les exemples musicaux de la méthode rythmique et mélodique dans un sens propre : la « musique primitive » est facilement accessible aux profanes grâce à son caractère ludique et dansant. Comme toutes les véritables musiques folkloriques, celle-ci est liée au mouvement, c'est-à-dire que l'union de la voix, des sons et des mouvements, union motivée par un besoin de s'exprimer, est intacte. Le rythme comme force naturelle est représenté sous sa forme la plus primitive via les applaudissements, la démarche, et en tapant des pieds. […] Il ajoute : « L'éducation musicale contemporaine devra être construite quand elle comprendra les signes du temps. »

Conséquence immédiate: bon nombres de manuels supplémentaires ont été publiés, tels que « Méthode pour carillon et djembe » , « Méthode pour timbale », « Méthode pour percussions », « Méthode pour flûte à bec » (2) ainsi que des parties « danse et jeux » pour différentes attributions. Dès le début, mon élève et encore aujourd'hui collaboratrice Gunild Keetman a pris une part significative dans la création de l'instrumentarium et dans l'élaboration des volumes du Schulwerk. Mes assistants d'alors à la Güntherschule, Hans Bergese et Wilhelm Twittenhoff, s'y étaient également associés.

Le groupe de danse de la Güntherschule s'est développé à partir de ces efforts musicaux et pédagogiques, avec sa propre musique d'accompagnement, écrite par Gunild Keetman. Les chorégraphies étaient mises au point par la danseuse et pédagogue Maja Lex. Au cours des représentations, les musiciens et danseurs pouvaient échanger leurs rôles. Pour donner une idée de la variété de l'orchestre de danse, il suffit d'en citer la composition : des flûtes à bec, des xylophones de tous registres, des métallophones, des glockenspiels, des timbales, de petites timbales pour la danse, toutes sortes de tambours et de toms, des gongs, différentes cymbales, des triangles, des cloches adaptées et des claves, ainsi que, dans la plupart des cas, des violons, des violes de gambe, des Spinettino et un orgue portable. Pendant des années, le groupe de danse est parti en tournée en Allemagne et à l'étranger, tournées qui ne passèrent pas inaperçues. En plus de cela, les présentations pédagogiques lors des congrès les plus diverses ont fortement contribué à la propagation de l'idée du Schulwerk.

Au cours de mes tout premiers essais à la Güntherschule déjà, plusieurs pédagogues étaient attentifs aux travaux, notamment Leo Kestenberg qui était chef du département de la musique au ministère de la culture de Berlin. A l'aide de ses collaborateurs, les Drs Eberhard Preussner et Arnold Walter, il s'est mobilisé pour le Schulwerk. Il avait pour projet de le tester en grande pompe dans les écoles berlinoises, à la suite de quoi le Schulwerk fut directement imprimé.

Pour mes amis éditeurs, Ludwig et Willy Strecker, propriétaires de la maison d'édition Schott, publier un livre était une décision significative qui, dans l'histoire de la musique, devait être synonyme de révolution qui n'avait cependant jamais pu être réalisée, faute d'un nombre suffisant d'instruments ad hoc. Déjà en 1931 j'avais les idées, les expériences musicales de la pédagogie à la Güntherschule pour exploiter l'éducation musicale des enfants sous forme de « cours de musique élementaire ». C'est ainsi qu'en 1932 parut un aperçu de la maison d'édition Schott, « L'Orff Schulwerk – musique pour et par des enfants – Chants folkloriques et populaires ». (3) Ces éditions programmées ne pouvaient pas être publiées et même Kestenberg ne pouvait plus réaliser ses objectifs. Il fut rapidement destitué de ses fonctions.

Destruction puis nouveau départ

La vague politique jeta à la poubelle toutes les idées développées dans le cadre du Schulwerk. Toutes ces incompréhensions sont encore d'actualité. Au cours de ces évènements, la Güntherschule de Munich fut totalement détruite et brûla dans un incendie lors duquel la majorité des instruments furent perdus; elle ne fut pas reconstruite, les temps avaient changé. Je m'étais moi-même complètement détourné du travail pédagogique et j'étais dans l'attente, bien malgré moi, d'un nouvel appel.

Cet appel, au sens propre du terme, survint en 1948. La radio bavaroise était au bout du fil. Le Dr Panofsky, un employé de la radio bavaroise, avait retrouvé un disque du temps de la Güntherschule, épuisé depuis longtemps, et l'avait fait écouter à Annemarie Schambeck, directrice de la radio bavaroise. Le disque contenait de la musique pour danses avec l'instrumentarium de la Güntherschule de l'époque, pour enfants et adolescents. Il m'a demandé si je pouvais leur écrire de la musique dans ce style pour enfants, qu'ils pourraient ensuite eux-mêmes jouer. Selon eux, cette musique ne laissait pas les enfants indifférents. Ils avaient dans l'idée de diffuser quelques programmes régulièrement.

A ce moment-là, je travaillais sur la partition de mon Antigonae et je n'avais plus rien à voir avec le domaine pédagogique. Malgré tout, j'étais tenté par cette offre car cela me confrontait à de tout nouveaux problèmes et signifiait que j'allais pouvoir poursuivre mes essais, interrompus du jour au lendemain. Comme je le disais, l'instrumentarium de la Güntherschule avait été presque totalement détruit et les temps étaient si durs que l'on ne pouvait se procurer le matériel de base pour le reconstruire.

Outre l'instrumentarium manquant, je dus faire face à des problèmes bien plus importants : lors de sa création, le Schulwerk était destiné à des éducateurs de disciplines de mouvements, c'est-à-dire pour des personnes plus ou moins adultes, et n'était donc pas utilisable tel quel pour des enfants ayant atteint l'âge de la puberté. Je savais bien que l'éducation physique ne devait pas seulement être inculquée à des jeunes gens, mais bien à des enfants en âge d'aller à l'école, voire même plus jeunes. Une fois de plus, une nouvelle occasion de réaliser mes expériences s'offrait à moi.

L'unité de la musique et du mouvement, qui dans ce pays n'est pas facile à inculquer à de jeunes gens, est naturellement présente chez l'enfant. Ce fut la clé de mon nouveau travail pédagogique. J'étais tout aussi conscient de ce qu'il manquait au Schulwerk. A l'exception de maigres tentatives, nous n'avions pas considéré le chant et les paroles à leur juste valeur. A présent, nous devions partir du cri, de la rime, des paroles et du chant. En plus de mes travaux de l'époque, je n'arrivais pas à décider quel « morceau pour enfants » j'allais écrire pour la radio, mais l'idée d'une éducation musicale adaptée aux enfants me fascinait. Je décidai donc d'accepter cette offre et de continuer à ma manière.

Les choses reprirent leur place d'elles-mêmes : la musique élémentaire, l'instrumentarium élémentaire, une forme de mouvement et de mots élémentaires. Que signifie « élémentaire » ? Elementaire, du latin elementarius, signifie « relatif aux éléments, à la matière première, à l'origine. » Alors, qu'est-ce que la musique élémentaire ? Ce n'est pas seulement de la musique, elle est liée au mouvement, à la danse et à la langue, c'est une musique à créer soi-même, dans laquelle on est impliqué non pas comme auditeur mais bien comme co-auteur. Elle est spirituelle, elle n'a pas d'architecture, elle apporte de petites formes successives, l'ostinato et de petites formes rondo. La musique élémentaire est terre-à-terre, naturelle, corporelle, elle peut être vécue et apprise par tous, elle est adaptée à l'enfant.

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Pentatonique et comptines

En collaboration avec un professeur expérimenté, le directeur Rudolf Keetman et moi commençâmes à mettre au point les premiers programmes à la radio bavaroise. C'est ainsi que, de ces travaux, le nouveau Schulwerk pour et avec des enfants fut créé. Notre point de départ mélodique était le cri du coucou, une tierce descendante, un espace de deux tons qui, élargi progressivement, devint une pentatonique sans demi-tons, proche du mode majeur. Les points de départ linguistiques étaient des appels nominatifs, des comptines et les chansons enfantines les plus simples. Cet univers était facilement accessible à tous les enfants. Je ne pensais pas à une éducation d'enfants particulièrement doués mais bien à une éducation sur une base plus large, à laquelle l'enfant médiocre et peu doué peut participer. Mon expérience m'a appris qu'il n'existe que très peu d'enfants qui ne soient pas musiciens et que chacun, à quelle occasion que ce soit, en est conscient et est capable d'être stimulé. L'impuissance pédagogique a renversé les sources à de nombreuses reprises par ignorance et ramené les talents.

Les émissions débutèrent en automne 1948 avec des élèves de 8 à 12 ans non préparés, avec le reste de l'instrumentarium de la Güntherschule. Ce dernier fut accueilli avec enthousiasme, et ce sentiment, véhiculé par les enfants, s'est transmis à de nombreux auditeurs. Rapidement, il fut clair que nous n'allions pas en rester à quelques émissions, il y avait là le germe d'une évolution encore imprévisible à ce moment-là. Les répercussions sur les élèves allèrent au-delà de nos attentes, les enfants étaient motivés et voulaient également jouer ce type de musique. C'est pourquoi les gens se sont de plus en plus demandé où trouver l'instrumentarium. Klaus Becker, un jeune luthier qui avait encore appris ses gammes chez le vieux Maendler, s'engouffra dans la brèche et construisit du mieux qu'il put le matériel nécessaire, à savoir les premières percussions pour le nouveau Schulwerk. L'année suivante, rencontrant moins de difficultés pour se procurer le matériel, il put déjà créer ses propres ateliers pour la construction d'instruments, la société Studio 49. C'est là, avec ma collaboration, qu'il a continué à développer les instruments.

Très vite, la radio put organiser des concours avec élèves auditeurs et musiciens dans les écoles, qui recevaient des instruments en guise de prix. On demandait aux enfants, à partir de rimes et de textes de chansons donnés, de trouver et d'écrire des mélodies et des accompagnements. Les bons résultats, réjouissants, nous montraient que les émissions avaient bien été comprises et bien utilisées. Les nombreux dessins et peintures intempestifs envoyés avec les chants et les rimes démontraient que nous avions aussi stimulé leur imagination dans ce domaine. Il existe encore de nombreuses possibilités inexploitées en relation avec les Beaux-Arts. Les émissions régulières s'étendirent sur 9 années.

Entre 1950 et 1954 parurent, dans les 5 tomes de « Musique pour enfants » (4), les résultats des travaux, dont Wilhelm Keller rédigea une introduction détaillée. Après quelques cours d'essai avec les enfants du « Mozartreum », son directeur, le Dr Eberhard Preussner, engagea Gunild Keetman comme professeur pour le Schulwerk. A partir d'automne 1951, elle dirigea des classes d'enfants et put également entamer le travail du mouvement, chose qui n'avait pas pu être réalisée à la radio.

A ce moment-là, nous avions, pour la première fois, la possibilité d'enseigner le Schulwerk exactement comme nous nous l'étions imaginé. Lors de différentes présentations dans le cadre de congrès pédagogiques à Salzbourg, un grand nombre de participants prirent également connaissance des travaux du Schulwerk. Après une nouvelle rencontre avec le Dr Arnold Walter, ce dernier eut l'idée d'étendre cette méthode de travail au Canada, et de l'y implanter. A sa demande, Doreen Hall étudia chez Keetman à Salzbourg et, de retour au pays, introduisit les travaux du Schulwerk à la perfection. Le Suédois Daniel Helldén fit de même dans son pays après ses études à Salzburg, ainsi que l'assistante de Keetman, la Danoise Minna Lange, à Copenhague.

Internationalisation

Le Schulwerk atteignit successivement la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, l'Angleterre, le Portugal, la Yougoslavie, l'Espagne, l'Amérique latine, la Turquie, Israël, les Etats-Unis et la Grèce. Les émissions de la radio bavaroise sur le Schulwerk, dont les enregistrements furent repris par de nombreuses stations étrangères, ont joué un rôle de précurseur. On commença à traduire ou à adapter les ouvrages originaux de « Musique pour enfants » dans d'autres langues. Cela ne pouvait pas se limiter à de la traduction, les chansons et rimes pour les enfants de chaque pays devaient être réécrits pour qu'ils collent au style du Schulwerk. La première édition publiée à l'étranger le fut au Canada; vinrent ensuite les éditions en langues suédoise, néerlandaise, danoise, française, portugaise et espagnole. Toutes ces adaptations ne dépassaient pas les cultures occidentales, elles n'étaient pour ainsi dire que des variantes.

Lorsque le Japon s'est intéressé au Schulwerk, un nouveau problème se posa : la méthode pouvait-elle être intégré à une civilisation orientale évoluée, qui a été créée et existe selon d'autres lois ? En 1953 déjà, le professeur Naohiro Fukui, le directeur de l'Académie de Musique Musashino de Tokyo, assistait à une présentation du Schulwerk à Salzburg. Il développa les travaux au Japon, tout d'abord de manière autonome, à l'aide des ouvrages sur le Schulwerk, de films et de disques.

Ce n'est que l'année passée, alors en déplacement pour donner des conférences et effectuer des travaux, que Keetman et moi-même pûmes mesurer la spontanéité avec laquelle les enfants japonais réagissaient aux travaux du Schulwerk, l'ouverture des professeurs et la facilité avec laquelle le style primitif se fondait bien dans la culture musicale étrangère. Entre-temps, au Japon, en plus de l'édition originale traduite, qui est pour ainsi dire une introduction à la musique et la mentalité occidentales, une édition tenant compte des chants et textes pour enfants et des niveaux japonais fut publiée. A l'Académie Musashino, un lieu d'apprentissage pour professeurs fut également créé.

Mais revenons en Europe. Une fois les 5 volumes de « Musique pour enfants », 2 disques documentaires et un film achevés, je pensais en avoir fini avec mes travaux pédagogiques.

Cependant, la propagation incessante du Schulwerk, la rédaction de nouvelles éditions ainsi que l'arrivée de nouveaux domaines de travail tels que la médecine n'en finissaient pas d'apporter leur lot de tâches imprévues. Les demandes sans cesse croissantes, surtout provenant de l'étranger, où une éducation authentique pour professeurs du Schulwerk était possible, et le fait que de plus en plus de personnes considéraient le Schulwerk comme amateur et erroné m'ont convaincu qu'il était nécessaire de créer un lieu central d'apprentissage. Les mauvaises interprétations et les absurdités que l'instrumentarium faisait naître faillirent, en beaucoup d'endroits, faire perdre tout son sens au Schulwerk.

Le Orff-Institut

Je me sentais donc obligé d'intervenir personnellement. C'est une fois de plus le Dr Preussner qui me le permit, à l'académie de musique et d'art dramatique, le Mozartreum de Salzburg, où le soutien généreux du ministère autrichien est à souligner. Après la création, pour la première fois, d'un institut spécialisé, l'Orff-Institut, destiné exclusivement aux travaux du Schulwerk et tout ce qui s'y rapporte, un point central pour tous les amateurs du Schulwerk a vu le jour, un lieu de rencontre pour professeurs et élèves allemands ou étrangers, mais surtout un lieu d'apprentissage, si souvent exigé, pour professeurs du Schulwerk.

A ce stade, on ne peut plus nier l'importance que prend le Schulwerk dans la pédagogie du soin, ce qui a toujours été rapporté à ce sujet dans la littérature spécialisée. Il est seulement mentionné que le Schulwerk et ses instruments sont utilisés dans des établissements pour aveugles et sourds-muets, des écoles de soin par les langues, des établissements pour personnes inadaptées, chez des névrotiques de toutes sortes ainsi que comme ergothérapie dans différents hôpitaux psychiatriques.

Ces dernières années, on a beaucoup écrit sur le Schulwerk, en Allemagne comme à l'étranger; toute une série d'ouvrages à ce sujet ont été publiés. Aujourd'hui, le Schulwerk est cité dans presque tous les ouvrages se rapportant à la pédagogie musicale. Des « suites », « compléments », « corrections », « transformations » et des livres de chant pour l'école sont également sortis après le Schulwerk – beaucoup d'ivraie mais malheureusement peu de bon grain. Certes, les instruments estampillés « Orff » sont aujourd'hui répandus dans beaucoup d'écoles, mais il serait faux d'en conclure que le travail du Schulwerk y avait trouvé sa place définitive. Les gens n'ont pas du tout compris comment utiliser les instruments, d'ailleurs ils ont été plus endommagés qu'utilisés.

Tout au long de l'année, et en tous lieux, un grand nombre de cours de méthode Schulwerk pour éducateurs de toutes sortes furent donnés, en plus des cours scolaires : dans des écoles de chant, de musique pour jeunes, de gymnastique et de danse, comme cours privés. Aussi louables que furent ces efforts, ils ne changent rien au fait que le Schulwerk n'a jusqu'ici pas trouvé la place qu'il mérite réellement, où il peut être le plus efficace et où existe la possibilité de poursuivre le cours de manière continue et de développer et d'utiliser des connexions. Cette place, c'est l'école – et nous abordons le thème de notre séance : « L'Orff-Schulwerk à l'école ». « Musique pour enfants » appartient à l'école.

Lutter contre la désertification de l'esprit

Etant donné que je ne me sens pas compétent pour parler de questions et de réformes scolaires, dont on discute tellement dans le monde entier, je voudrais résumer mes pensées en une seule image, objective, et oser une nouvelle comparaison avec la nature : la musique, les textes, le mouvement et le jeu élémentaires, tout ce qui réveille et développe les forces mentales, forme les racines de l'âme, racines sans lesquelles nous allons à l'encontre d'une désertification de l'âme.

Quand la désertification se produit-elle dans la nature ? Quand une région est exploitée unilatéralement; quand l'agriculture détruit les réserves naturelles en eau; quand, pour des raisons utilitaires, des forêts sont sacrifiées; quand l'équilibre est perdu dans la nature à cause d'interventions limitées. De la même manière, je tiens à rappeler qu'il y a désertification lorsque l'homme, quand il se détache de l'élémentaire, perd son équilibre.

Tout comme les racines dans la nature, la croissance donne naissance à la musique élémentaire par la force des enfants, sans quoi elle ne peut s'épanouir. Il faut donc souligner que la musique élémentaire à l'école primaire ne doit pas être créée comme accompagnement mais comme base. Ici, il ne s'agit pas exclusivement d'éducation musicale (qui peut mais ne doit pas suivre), mais d'éducation de l'homme. Dans le programme scolaire, cela va bien plus loin que ce que l'on appelle les « cours de musique et de chant ». Il s'agit de développer l'imagination et d'étoffer l'expérience à un âge précoce qui y est exclusivement prédestiné. Tout ce que l'enfant apprend durant cette période, ce qui est éveillé et entretenu en lui, est déterminant pour toute sa vie. Si je vous dis qu'il existe encore aujourd'hui des « écoles muettes », des écoles dans lesquelles on ne chante pas, et beaucoup où les cours de musique sont insuffisants, cela ne peut qu'inquiéter.

Mon exigence est donc claire: placer la musique élémentaire au centre des préoccupations, et pas comme une matière parmi d'autres dans l'éducation des élèves, une exigence dont la réalisation et l'apparition des effets prendra quelques dizaines d'années. Cette exigence, je l'ai déjà abordée avec de grands pédagogues allemands et étrangers et j'ai cherché à savoir si elle pouvait être satisfaite. Nous faisons ici un pas de plus, mais un grand pas.

La musique élémentaire peut être apprise par tous et est absolument nécessaire à ceux qui se destinent à un métier dans l'enseignement, surtout dans les écoles primaires. Celui qui n'a pas accès à la musique élémentaire, qui y est étranger, ne peut donner cours aux plus jeunes car il lui manque des prérequis essentiels. Ce n'est que lorsque le primaire a préparé le terrain que le secondaire peut mettre sur pied un cours de musique efficace. Dans le Schulwerk, les ressources nécessaires à ce type d'enseignement sont prêtes. Dans certains cas, on travaille déjà dans ce sens, avec succès, même lors de cours scolaires normaux.

Si nous continuons aussi, à l'Institut, à travailler, à rassembler des informations et à mener des essais, il faut savoir que le complexe Schulwerk tout entier, uni et fiable, doit être considéré comme une donnée. Cependant il est aménagé de telle sorte que le matériel à disposition peut être transformé des façons les plus diverses. En toute modestie, mais avec grande insistance, je voudrais conclure en citant Schiller: « J'ai fait ce que j'ai pu… »

(1) Titre original: « Rythmisch-melodische Übung ».
(2) Titres originaux, dans l'ordre: « Übung für Schlagwerk und Handtrommel », « Übung für Pauken », « Übung für Stapspiele », « Übung für Blockflöten ».
(3) Titre original: « Orff Schulwerk – Musik für Kinder, Musik von Kindern – Volkslieder »
(4) Titre original: « Musik für Kinder »

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