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Réunion annuelle de formateurs – Lyon novembre 2010

Commentaire pour le groupe sur la RUPTURE

Le premier matin de la réunion, un conférencier mit en valeur une série de concepts concernant la formation. Quelques uns de ces concepts ont été retenus pour le travail en atelier
Le thème de la rupture m’intéressait. Je me suis donc inscrit au sous-groupe qui devait le traiter.

D’après ce que j’avais compris, ce concept s’applique à la situation de formation, supposant de la part du stagiaire une rupture d’avec son travail quotidien et ses habitudes de pensée.
Quoi qu’il en soit de la compréhension du terme par chacun, il ne peut qu’interroger et même inquiéter par la violence de son contenu sémantique. Il a donné le mot « route » mais aussi « corrompre » et son sens initial est « briser violemment ». On peut affirmer sans risquer de beaucoup se tromper que la vie est faite d’une succession de ruptures. Il n’est pas étonnant que nous ayons sans cesse le souci d’installer des « fusibles » afin d’éviter autant que possible la douleur et l’inquiétude que provoqueraient de brusques modifications.

Le début d’un stage de formation est, en soi, une rupture à la fois anxiogène et source d’espoir, de renouveau, de transformation. Le stagiaire se trouve alors devant la perspective d’un changement éventuel. Pour être partie prenante de la formation, il se doit d’accepter cette éventualité. Ce n’est pas simple et cela provoque souvent un ensemble de résistances qui peuvent aboutir à un rejet ou à une méfiance si elles persistent durant le cours du stage.

Dans ce sous-groupe sur le thème de la rupture, la discussion s’envola rapidement en formulant nombre de réflexions en rapport avec des situations vécues. Que faire pour qu’une rupture forcément déstabilisante soit un tremplin positif vers d‘autres acquisitions ? Que faire aussi avec les stagiaires désignés d’office par leur hiérarchie et qui n’ont pas demandé à venir ? Comment amener la rupture nécessaire et positive ? etc.
Au bout de quelques minutes, un participant posa la question de base suivante : « Mais est-ce qu’il n’y aurait pas un truc pour y arriver ? »

J’en ai profité pour demander la parole afin de faire part de mon « truc ».

En général, ceux qui courent après les trucs et les ficelles risquent fort d’être déçu car le truc qui convient à un animateur ne convient pas nécessairement à un autre. De plus, le truc ne constitue pas l’essentiel d’une intervention pédagogique. Les manières de procéder répondent au style singulier de chaque animateur. Encore faut-il pouvoir l’habiter afin qu’il n’apparaisse pas comme une mécanique manipulatoire. Pourtant cette recherche des trucs est assez courante. La demande d’acquisition des trucs et ficelles se présente de façon récurrente tout au long des formations. La question est souvent posée, quelquefois de façon voilée. Comment faire ? quelle est la méthode ?
On trouve là une tendance à éluder tous les problèmes que pose la « manière d’être » indépendamment de la « manière de faire ». Autant de « trucs », autant de points de repères qui peuvent rassurer à court terme et adoucir quelque peu l’anxiété issue des situations d’animation. Cela est aussi valable dans le domaine de la thérapie.

Mon adoption de procédés est issue autant du matériau travaillé pendant mes stages que de la constatation suivante : les stagiaires, en général, se dévalorisent par rapport au Savoir et aux Formations. C’est un phénomène assez général, issu probablement de ce que nous avons toujours tendance à projeter sur « l’autre » un savoir et donc un pouvoir, à fortiori lorsque cet « autre » se présentant avec un statut officiel de « sachant », est perçu comme un expert.

En arrivant au stage, les participants se sentent happés par une institution qu’ils ne connaissent pas et prêtent à cette institution et à l’animateur des pouvoirs imaginés. Le passage depuis leur institution à celle que représente la session de formation provoque différentes attitudes méfiantes : « dites-nous donc à quelle sauce allons nous être mangés ! » La présentation du programme du stage est d’ailleurs quelquefois obsessionnellement dépouillée. Certains stagiaires y reviennent pendant les jours qui suivent : « êtes-vous bien conforme aux repères acceptés par notre institution ? » Il s’agit de parer à l’angoisse que provoque la perspective d’une éventuelle rupture.

Il me semble alors nécessaire de recentrer les participants sur eux-mêmes et de leur faire comprendre que, dans le stage, c’est d’eux qu’il s’agit et non pas de la conformité à telle ou telle configuration.

À la notion de rupture, je préfère l’idée de « décentrage ». Identifiés qu’ils sont aux repères de leurs institutions, et trop habitués à s’identifier à ce qui les entoure, il importe de leur fournir l’occasion de retrouver une « assiette » singulière.

La première tâche me paraît devoir favoriser le décentrage par rapport à leurs configurations institutionnelles mais aussi par rapport à la configuration du stage, configuration qu’ils ne connaissent d’ailleurs pas encore et sur laquelle les représentations fantasmatiques abondent.
Le troisième terme est, bien sûr, leur « assiette » personnelle. La plupart du temps, elle est fragile, floue et peu digne de la confiance que chacun devrait lui porter. C’est pourtant à partir de cette singularité que les stagiaires pourront aborder ce qui va leur être proposé.

Je vais m’y attacher le plus sérieusement du monde.

Néanmoins nous allons entrer dans un grand JEU, celui du changement.
Le changement n’advient jamais sur un mode rationnel, il est indispensable de le vouloir par un désir qui met en jeu toutes les forces de l’imaginaire. Je fais référence au concept d’ « espace potentiel » ou « transitionnel » mis en valeur par D.W.Winnicott. Espace de relation dans lequel l’aléatoire de l’imaginaire travaillent à s’accorder avec les limites du langage symbolique.

Je partirai donc d’abord de ce qui appartient en propre à tous et à chacun, à commencer par leur prénom et leur nom.
J’ai toujours été étonné de constater – du moins sous nos latitudes – le peu d’intérêt pour le sens de ce qui les construit dès la prime enfance. Peut-être cela vient-il du danger que l’on éprouve à voyager dans les soubassements de l’édifice car cette incursion peut faire resurgir des mémoires archaïques et gênantes. Ce n’est pas le cas de stagiaires africains ou asiatiques ou Malgaches qui ont un discours identitaire bien fourni sur ce que représentent les signifiants familiaux. (sauf pour ceux qui sont nés en France dans des familles très identifiées aux configurations françaises)

Je commence toujours un stage par une séance de présentation de chacun. Présentation du prénom et du nom, du métier, du lieu de vie et du récit succinct de l’histoire de chacun. Je me garde de me présenter d’abord. J’interviendrai à la fin, souvent à la demande des stagiaires « alors, et vous maintenant ? »
J’insiste sur l’étymologie, les racines, et la part d’imaginaire que tout cela contient. Je vais jusqu’à leur demander quel est leur signe zodiacal, ce qui n’est pas sans poser de temps à autre des réactions de suspicion. Il est vrai que dans nos milieux de formation, il est de bon ton de se vouloir « scientifique ». Sans trop savoir ce que le terme de « science » signifie, il est avancé par certains sur le mode de la rumeur et confondu avec l’énumération de séries de certitudes. C’est oublier le caractère éminemment conjectural et hypothétique de la science.
Lorsque l’on assiste à des séances de présentations, on peut observer qu’elles sont généralement formulées selon des tournures lapidaires et impersonnelles qui évitent toute entrée dans le sens. C’est du pur état civil. Lorsque j’insiste en demandant ce qu’ils attendent, la gêne commence à se faire sentir.

En même temps, je pose de temps à autre des questions sur les thèmes du stage. (qu’est-ce que c’est, pour vous, un conte ? etc.) Cela me permet de jauger le degré de connaissances ainsi que d’entrer déjà dans le « matériau » du stage.
A la fin des présentations, j’aborde alors le programme. Je sais que le groupe s’est constitué par le fait que chacun a pu intervenir en son nom propre tout en construisant un premier réseau relationnel. Réseau rassurant puisque tous y ont eu accès grâce à leur prise de parole. La « pompe » est amorcée et le programme est investi.

Pour ce protocole des présentations, je suis fidèle à D.W.Winnicott dans son acception de la créativité. La créativité est souvent confondue avec la production d’objets. Winnicott se place, lui, dans une perspective plus large et plus fondamentale. Il définit la créativité, comme « le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue » Plutôt que la production d’objets, la créativité est donc d’abord un état. L’état de créativité me semble la condition sine qua non pour qu’un stagiaire aborde pleinement le contenu d’un stage : « sentiment que ça en vaut la peine ». Sentiment que ça en vaut la peine parce qu’on lui donne d’abord l’occasion d’un renforcement narcissique. Ensuite, et seulement ensuite, on abordera les questions du Savoir.

Pour que ce sentiment prenne corps et qu’il devienne un état, il est essentiel de le faire surgir du narcissisme primaire lié aux premières constructions.
L’institution la plus intime et la plus primitive qui nous modèle est celle du nom. Nous passerons sans doute le reste de notre vie à en faire le commentaire. Quoique nous en pensions le nom est une racine ainsi qu’une marque indélébile qui nous suit partout. Elle permet aux autres de nous identifier. Quelquefois accompagné d’un surnom, le nom est la plantation de base, le signifiant essentiel permettant d’articuler avec l’ensemble symbolique du contexte culturel dans lequel nous sommes tombés.
D’abord attribué, nous nous l’approprions pour ensuite nous distancier en mettant en valeur la part d’imaginaire que suggère ce nom. À savoir qu’il est important de maintenir cet espace imaginaire sans lequel nous risquons de tomber dans la confusion et le délire. Ainsi, si je m’appelle Claude, je ne suis pas nécessairement boiteux dans la réalité. Je sais que « Claude » et « claudication » ont la même racine et donc le même sens initial. Je ne vais pourtant pas me mettre à boiter car je sais qu’il y a là une distance entre la réalité et les mots. Cependant « Claude » renvoie à de multiples configurations mythologiques qui fabriquent des héros qui sont des boiteux et qui ont souvent des problèmes avec leurs pieds. Cette perspective élargit considérablement le réseau symbolique dans lequel je suis inscrit. Réseau langagier tissé autour du thème qu’en psychanalyse, on appelle : la castration.

Ainsi « nominé » par lui même et par sa propre parole, rappelé à sa singularité, chacun des stagiaires à amorcé ce travail de « décentrage ».
Tout au long de la semaine, par des divers exercices, la question du décentrage sera travaillée. Le travail d’expression est un atout puissant. Raconter un conte devant tout le monde n’est pas chose facile. (Ah ! si mes enfants me voyaient ?) Jouer d’un instrument est tout aussi difficile, surtout à cause du terrorisme du savoir musical d’aujourd’hui.

Mais nous sommes dans le jeu essentiel et initial. Et l’on peut imaginer Eurynomé, (voyage au loin) personnage de la mythologie grecque. Au commencement du monde, elle émerge du chaos. Ne sachant où mettre les pieds sur le chaos, elle se met à danser en agitant les bras. Passe le vent du nord qu’elle frictionne entre ses deux mains. Petit à petit, le vent se transforme et, entre ses mains, apparaît un objet, un éteuf, (1) une balle, une sphère. Eurynomé crée le monde en jouant.

(1) Petite balle utilisée au jeu de paume.

Willy Bakeroot

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