RENCONTRE PROFESSIONNELLES DE MUSICOTHERAPEUTES
« LA MUSICOTHERAPIE ACTIVE et SA PRATIQUE AU
QUOTIDIEN »
BESANCON les 2 et 3 Novembre 2007
Avant
tout, je tenais à vous dire
que je suis ravie de participer à ces journées de rencontres
professionnelles de musicothérapeutes, et je remercie Dominique Brugger
et Christophe Grosjean, de l’association TEMPO pour cette initiative, et
cette détermination d’avoir mené à bien ces deux
journées.
Après
avoir lu le titre de ces journées, « la musicothérapie
active et sa pratique au quotidien », j’ai eu envie de vous faire part de mon travail au
sein d’une maison d’accueil spécialisée, dans
laquelle je travaille, à mi temps depuis 2000. J’ai
intitulé mon propos :
Le temps d’une rencontre
Je suis
psychomotricienne depuis 1994, et après avoir travaillé
auprès d’enfants, et d’adolescents, en institut
médico-éducatif, ou en institut de rééducation (dit
ITEP actuellement) je suis
arrivée dans une Maison
d’Accueil Spécialisée. J’ai donc tenté de trouver un sens dans mon travail et dans ce service qui
n’avait pas de psychomotricienne, et ni de musicothérapeute
auparavant.
Cette
maison d’accueil spécialisée reçoit entre autre des
personnes lourdement handicapées, ce sont elles qui vont être au
cœur de mon propos :
- comment aller à la rencontre de
l’autre, cet autre si différent, si stupéfiant, si
effrayant parfois, dont les modes de communication verbaux sont présents
mais si difficiles à entendre, à sentir, à percevoir,
à voir…cet autre qui est la personne polyhandicapée
Alors, tout d’abord, j’ai
observé, la façon dont les personnes polyhandicapées
pouvaient communiquer ; puis,
je me suis formée au concept Snoezelen – l’approche
sensorielle - afin d’affiner
d’autres modes de communication non verbaux. J’ai aussi
amélioré mon travail par la formation au massage (gestalt
sensitive massage), que j’appelle aussi
« Toucher
juste », pour travailler le mode tactile et y mettre du sens.
Je percevais aussi que les personnes me
donnaient des choses à entendre : des sons, des cris, des
stéréotypies verbales, des chants, des cantiques dans le service.
Mais je ne savais quoi en faire, tant dans les couloirs du service, qu’au
sein de la salle Snoezelen. Le mode
auditif ne s’explorait qu’à travers de l’écoute
musicale, pour détendre, pour faire du bien, mais il n’y avait pas
de rencontre particulière.
Alors,
j’ai eu envie de marquer des rythmes sur ces corps
déformés, douloureux, immobiles, qu’à
l’époque j’appelais du “body percut”, mais je
n’y mettais toujours pas de sens; alors, je suis arrivée peu
à peu à la musicothérapie active avec Willy Bakeroot
(promotion 5) en 2003/2004.
C’est alors que j’ai
tenté d’associer le travail fait en salle Snoezelen avec des notions de
musicothérapie active, afin d’être au plus juste dans les
besoins des résidents, et dans ma pratique au quotidien.
L’association de ces deux pratiques m’a permis d’aller
à la rencontre de ces personnes polyhandicapées. Dans cet
écrit, je parlerais essentiellement d’une personne lourdement
polyhandicapée, que je vois depuis 6 ans, avec qui j’ai
utilisé Snoezelen pendant les deux premières années, et
ensuite la musicothérapie active .
Je vais
vous parler de Snoezelen, pour les
personnes qui entendraient ce mot pour la première fois,
aujourd’hui.
Snoezelen est un mot néerlandais,
qui est la contraction de deux
mots « snuffelen » qui veut dire renifler, fureter,
explorer et « doezelen » qui signifie somnoler,
état de langueur ; c’est un concept, c’est un
état d’esprit : c’est créer un environnement qui
s’offre à la rencontre, dans le sens de la motivation à
l’action, de la réalisation de soi et de l’ouverture au
monde. Au premier plan, se trouve l’action, tout en bougeant, en
goûtant, en sentant, en regardant et en écoutant, le contact peut
s’établir. C’est une façon d’accompagner
l’autre, de le rencontrer.
Il
n’y a pas d’objectif à atteindre autre que la relation.
Snoezelen se passe dans une salle adaptée (cela peut aussi se passer
dehors, dans une autre salle, pendant un repas…), en l’occurrence
cette salle, a du matériel prévu aux approches sensorielles.
Cette salle et la présence de l’accompagnant (par son état
de disponibilité) permettent de construire une
sécurité psychocorporelle afin d’ouvrir les
potentialités d’évolution personnelle, de laisser agir, se
manifester dans ses propres modes de communication sensoriel, la détente et le bien
être, ou l’interactivité ou le mouvement. Les personnes
lourdement handicapées, très réceptives à la
sensorialité et à l’environnement, peuvent être
actrices dans le non verbale (toucher, vue, ouïe odorat, système
vestibulaire, système vibratoire).
Pourtant, « l’ouie »
reste peu explorée, si ce n’est à travers de
l’écoute musicale (musique de relaxation), qui me faisait du bien
à moi !!!
Avec
les notions de
musicothérapie active, à visée anthropologique et
psychanalytique, j’ai pu voir arriver les notions de balancement, de
rythmicité respiratoire, de va et vient, de temps de latence, de
jaillissement… alors je suis partie de la propre rythmicité, de la
personne dans le cas clinique qui va suivre
La
personne claque de la langue, c’est ce qu’elle a de plus
archaïque, et de plus
rythmique, ce qui m’a permis d’aller vers l’autre ou à
la rencontre de l’autre, autrement que par le langage.
2002
Je vais
vous parler d’une personne polyhandicapée, que j’appellerais
Patrice, c’est une personne, de 43 ans, née prématurément à 5 mois,
abandonnée à la naissance, accueillie à la DDASS puis hospitalisée
en pédopsychiatrie, en psychiatrie adulte puis en MAS,
jusqu’à aujourd’hui. C’est une personne
présentant un retard mental important ; Les membres
inférieurs sont en flexion, l’extension est possible, il n’a
pas de rétraction. La marche est difficile, elle peut être
réalisée seulement
avec aide. Il est dans un fauteuil
toute la journée, il ne bouge pas, il a une posture hypertonique, dos
droit, bras posé sur les accoudoirs, avec le pouce en extension vers
l’extérieur. Il est attaché aux poignets, le jour dans son fauteuil et nuit, dans son lit
sinon il s’automutile, ce qui entraîne une déformation
importante de ses tempes, un épaississement des lobes auriculaires, des
saignements. Il état attaché aux chevilles, car il se mutilait
les chevilles.
Le
langage est inexistant, il claque de la langue, il peut sourire, il peut
émettre des sons, des grognements, on ne parle qu’avec le toucher.
L’otite
est chez lui une maladie chronique, quand il a mal, il se frappe. Mais, quand
il n’a pas d’otite, il se frappe aussi, les fois où les
scratches des poignets cèdent. Comme il ne voit pas, peut être
veut-il entendre, mais que veut ‘il entendre ?
Patrice vient en séances de Snoezelen depuis 2002, soit 6 ans environ, le demande des séances avait pour indication : une réduction de ses crises d’automutilation, afin d’arrêter la contention.
Donc
cette prise en charge s’est basée sur deux aspects :
partie
plus psychomotrice, basée sur un travail d’enveloppement manuel
partie
plus musicothérapeutique, en partant de ce qu’il me montre, il
claque de la langue
Les
premières séances étaient basées sur des
stimulations sensorielles, pour repérer son mode de communication :
Le
toucher,
le
goût, il peut alors exprimer par des cris, des grognements, des
automutilations, une respiration tonique, une odeur buccale
nauséabonde …J’ai donc proposer à Patrick des
séances autour du toucher
par des enveloppements manuels, et j’ai pu repérer qu’il
claquait de la langue
différemment suivant la fréquence, l’intensité, le
rythme de mon toucher ; je suis partie de cette observation pour
poursuivre mon travail.
Je
vais vous parler d’une séance type Snoezelen
Je vais
chercher Patrice sur son unité de vie, je me présente et je lui
dis bonjour en lui passant la main sur les épaules, je l‘accompagne dans son fauteuil à la salle Snoezelen Au
début, je
l’installais sur un coussin à microbille (avec un autre soignant),
même mal installé, Patrice ne bouge pas, et il reste dans cette position inconfortable, et il attend
que je le réinstalle (point qui sera travailler par la suite.)
Les
séances commencent toujours par le rituel des chaussures, que
j’enlève, tout en verbalisant, puis je l’enveloppe avec un
coussin, au niveau de la nuque et au niveau des pieds. Durant les
premières séances, je pose des coussins sur les avant bras de
Patrice, pour lui faire croire qu’il est attaché, car si je ne met
rien, il se frappe (cette salle est nouvelle, il n’est pas en
sécurité.
Je
poursuis par un enveloppement manuel, en imprimant un toucher léger sur
chacune des parties de son corps , tout en suivant le balancement de sa
respiration, pendant ce temps, je ne
prends pas en considération ses claquements de langue ; une
fois l’enveloppement fini, je lisse pour unifier ce corps ( sur lequel je
pourrais « musiquer » ensuite), je rejoins les deux
côtés de son corps, au niveau des mains , des genoux, des
chevilles, pour mettre en évidence
l’axe ( Patrice est un homme qui a passé sa vie ,
attaché aux poignets et aux chevilles, donc
« écartelé », c'est-à-dire qu’il
a une partie droite et un partie gauche, mais il n’y a pas d’axe ,
pas de centre, peut être que de ne pas bouger permet au moins aux deux
parties du corps de ne pas se séparer. Le fait de réunir les deux
côtés a permis peu à peu à Patrice de pouvoir oser
bouger sans craindre de se casser. (C’était sa propre
sécurité)
Après
avoir tenté d’apporter suffisamment de sécurité,
j’attends … j’attends qu’il exprime de nouveau, il
n’y a plus de contact entre nous, il semble attendre aussi, puis
j’entends un claquement de langue, parfois, ce claquement peut arriver
d’emblée, mais
parfois l’attente est longue, très longue.
Puis
commence le jeu rythmique, il claque de la langue, je réponds par un
claquement de langue de façon parallèle, et en même temps, je frappe sur
sa main, toujours la droite au début. Ce jeu n’est que dans un
sens, c’est moi qui réponds à ces propositions, ses
claquements peuvent être forts, répétés, il y a des
temps de pause. Ce responsorial permet de
créer de l’autre, le responsorial va créer un va et
vient.
tlo, tlo
tap,tap
tlo,tlo
tap,tap
Puis, après quelques
séances, je suis sortie de cette matrice rythmique, je défusionne
et je proposer des modulations, des variations :
tlo, tlo,
tap et tap
tlo, tlo
silence
tap, tap
Les
variations pouvaient être rythmiques, mais étant
psychomotricienne, je proposais des modulations, au niveau de l’endroit
de ma frappe : main droite,
puis main gauche, épaule genou… sur différentes parties du
corps, le premier « tlo » à droite, et le
deuxième « tlo » à gauche. Les modulations
portaient aussi sur les délais de ma réponse
Puis, ce jeu a duré de nombreuses
séances jusqu’à un moment où la
répétition de mes variations l’on fait sourire, rire,
éclater de rire ou aussi s’inquiéter (certaines de mes
variations arrivées trop tôt, ou trop vite, Patrice se frappait)
1 an
passe, 2003
Toujours, avec les mêmes rituels, les séances
se poursuivent et se répètent, avec de légères
modifications nécessaires à l’évolution. Patrice explore des sons nouveau avec
sa gorge, l’exploration corporelle est associée, mon contact se
différencie aussi, en fonction du son proposé. Je peux entendre
des sons comme « ou, ai, tai », il émet aussi des sons
double sur un long temps d’expiration :
te ou
tap, tap
te ou
tap, tap
et je reprends ce rythme en prononçant son
prénom
te ou
Pa-trice
Te ou
Patrice
2004
Patrick
est dans la salle, il est très calme, après les rituels de
début de séance, j’attends…7 minutes, ce jour
là, je ne sais pas pourquoi j’ai attendu si longtemps. Puis,
Patrice ne claque pas de la langue, mais tapote rapidement mais très
faiblement sa langue contre son palais, ce que je reproduis
immédiatement avec mes bouts de doigts. Puis, moi, je propose un
tapotement fort en disant Patrice,
et il répond avec deux claquements de langue fort. Un jeu rythmique de
claquements, forts et faibles s’instaure. Puis, je ne sais pour quelle
raison, je m’arrête, il ne fait rien, c’est le silence, puis
d’un coup, je fais un « ouh » très fort, il
rit.
Fin de
la séance.
Les
séances suivantes se poursuivent autour de différentes
sonorités, qui proviennent plus de la gorge, que de la langue. Patrice
fait des bruits de gorge, je garde en tête que la gorge, c’est le
souffle.
Patrice
n’est plus attaché au fauteuil, on lui pose des serviettes sur les
avant bras, ses serviettes servent de leurre.
Août
2005
Les
séances se passent sans grand changement, au niveau du jeu rythmique,
mais Patrice commence à faire quelques mouvements spontanés.
Lorsqu’il est mal installé, je l’incite corporellement et
verbalement, par des comptines et des balancements à se
réinstaller, mais très vite, l’incitation verbale a suffit.
C’est alors, que j’ai
demandé une aide du kinésithérapeute pour travailler sur
la marche, car depuis quelques temps
Patrice ne marche plus du tout lors des transferts «
fauteuil, lit » alors qu’il fait de plus en plus de mouvements
spontanés dans la salle Snoezelen.
Mars
2006
On
vient de m’apprendre que Patrice a un gros pansement à l’oreille,
décidément, maintenant qu’il ne se mutile plus
l’oreille, il se l’a fait manger. Il s’est fait agresser par un autre résidant, la nuit
précédente.
En
dehors de cet événement traumatisant, Patrice ne s’est plus
frappé, depuis qu’il a les serviettes posés sur les avant
bras. Pourtant, sur prescription médicale, je demande de ne plus mettre
les serviettes, pendant la journée. Une aide soignante l’a vu
enlever, lui-même les serviettes.
Patrice
est encore attaché au lit, pendant la sieste et la nuit.
En
début de séance, je viens le chercher, il est souriant
malgré son gros pansement, nous nous dirigeons vers la salle, et nous
croisons le kinésithérapeute, avec qui depuis quelques
séances, nous travaillons sur la marche
Patrice
a une marche automatique, il peut faire douze pas, et il peut aller de la porte
au coussin à microbille.
Le
kinésithérapeute et moi asseyons Patrice, il est avachi mais il
ne se réinstalle pas.
J’enlève
ses chaussures et je pose ses pieds sur un coussin à bille qui enveloppe
le volume de ses pieds. Patrice est calme, et il fait de minuscules bruits de
gorge.
Je
commence l’enveloppement manuel. Je réunis assez longtemps ses
mains et ses genoux, comme si il avait besoin d’être
réassuré suite à l’agression de la nuit
précédente…
Puis,
je m’installe à sa droite, je lui prends la main droite, et je
tapote en parallèle ses petits bruits de gorge, et je tapote, et je
tapote en réponse à chacun de ses bruits, je ferme les yeux, je
crois que je vais m’endormir…Cela dur au moins 10 minutes. Je
m’ennuie
Alors,
Je prends pour la première fois le métallophone (qui est dans la
salle depuis plusieurs séances), et je prends les deux mailloches, je
me mets à jouer, avec ma main droite sur le métallophone, et avec ma main gauche sur la main de
Patrick, et je joue, je joue, assez vivement, comme pour "le"
et "me"
réveiller, Patrice fait toujours ses bruits. Puis, je me remets
à son écoute, et son
rythme fait comme mi mi do ((mi mi croche) do), puis il fait son bruit, je
répète et ce au moins 30 fois avec les mailloches. Je vois la
commissure de ses lèvres se lever, puis se serrer, je
répète encore, il se met à rire, sa main se relâche
au contact de la mailloche, son pied se pose, et il sourit, il n’ose pas
refaire son bruit comme si il avait peur d’avoir compris que
j’allais lui répondre. Puis il ose, il refait son bruit, et je
répète mi mi do mi mi do.. Patrick sourit. Je ne joue plus
sur sa main et j’attends
qu’il fasse son bruit plus fort, mais il reste sur cette intensité.
Comme
en cadeau, je lui joue avec les deux mailloches une petite improvisation, il
est posé, il semble écouter, je lui ai posé sa main
droite, sur mon avant bras, pour qu’il sente mon mouvement corporel et le
son produit.
Je
refais ce jeu :
-
répéter son rythme suite à son bruit, puis à un
moment il me lâche le bras, de lui même, je continue à faire son bruit et je
répète sur le métallophone, il sourit. Il n’a plus
besoin de me toucher semble il.
Je ne
sais pourquoi, l’envie me vient de lui mettre dans la main une mailloche
et d’approcher le métallophone. Quand je lui mets, Patrice fronce
les sourcils, ses mains sont tendues et il n’accepte pas l’objet,
la mailloche tombe. Je recommence, et cette fois ci, je lui mets la mailloche
dans la main, et je la tiens avec lui, j’ouvre son bras pour qu’il atteigne
le métallophone, il se laisse faire, et j’imprime des mouvement
rapides de haut en bas pour que la mailloche vienne percuter la lame du
métallophone. Patrice n’apprécie pas, il fronce les
sourcils, mais j’insiste… Je fais des poses et je recommence, puis
peu à peu il accepte cette nouvelle matière, ce nouveau
mouvement.
Puis,
sa main se détend, je le regarde, il sourit, en même temps
qu’il se réinstalle spontanément, je sens une tension qui
s’effondre. Patrice prend confiance, il est disponible, je ne tiens plus
sa main, je tiens son avant bras, et il tient la mailloche et je tape sur les
lames en imprimant un mouvement sur son avant bras pour qu’il prenne
connaissance du tonus à mettre, du lien mouvement-son, geste-son, je
répète plusieurs fois. Puis j’arrête…
J’attends un geste de sa part, il ne fait rien, ce n’est pas grave
il a déjà beaucoup donné aujourd’hui.
Pour
finir, il continue ses petits bruits gutturaux, et je les reprends sur le
métallophone, il fait le bruit, et je l’aide à taper, il
fait le bruit, et je l’aide à taper. Il sourit et se met à
rire, Qu’a il compris ?
-
Qu’il peut s’exprimer autrement qu’avec des petits
claquements ?
- Qu’il
est entendu, et que l’environnement (en l’occurrence le
métallophone) lui renvoie en miroir ses sonorités ? (Comme
une enfant qui babille et la mère qui répond)
La fin
de séance arrive, je remets les chaussures, et au moment de mettre la
chaussure, il anticipe en mettant le 2ème pied en avant.
Avril
2006
Les séances suivantes se passent sur
le matelas à eau chauffant, car Patrice est toujours attaché la
nuit, le but est alors de l’aider à percevoir cette position
allongée autrement que
attaché, et de pouvoir enlever les contentions la nuit .
Les
mouvements, les changements de posture qu’imposent de matelas à
eau vont lui permettre de vivre de nouvelles sensations vestibulaires et kinesthésiques, ces
mobilisations seront passives ou actives.
Cette
mémoire corporelle, vécue en position allongée, dans un
contexte suffisamment sécurisant lui permettra d’oser peut
être un réinvestissement de
ces sensations et
perceptions dans son propre lit la nuit.
Les
rituels des ces séances, sur la matelas à eau chauffant, sont les
mêmes, j’ajoute juste quelques jeux de posture, mais les jeux
rythmiques sont les mêmes en position allongé. Je prends, pour la
première fois, le métallophone basse, qui crée des
vibrations plus nettes, sur le matelas à eau chauffant.
Avant
de venir à la séance, de ce mois d’Avril, Patrice est avec le
kinésithérapeute, Patrice fait quelques pas, en l’aidant du
talon et 2 à 3 pas spontanément, il sourit beaucoup.
Je
l’emmène dans la salle, pas de sourire, je l’installe avec
un soignant.
Après
les rituels, Patrice propose un son nouveau,
-
Claquement de langue et smack
Je me
dis que le smack = Pa
Et que le claque = trice
Mai
2006
Patrick
semble fatigué de sa séance de kinésithérapie, je
l’allonge sur le matelas à eau, il grimace, je lui enlève
ses chaussures, je lui fait l’enveloppement manuel, je joue sur les
balancements suscités par le matelas à eau chauffant, il sourit,
puis je reste longtemps la main sur son bras, il s’apaise à tel
point que très facilement, il allonge se jambes et je peux réunir
ses mains.
Cette
séance s’est plus basée sur une présence, une
écoute attentive…le non agir
Juin
2006
Patrick vient de sa séance de kinésithérapie, où il marche lorsqu’on lui soulève le pied, les séances de kinésithérapie se poursuivent par des mobilisations passives du bras, des mains, des doigts, du buste, ce qu’il aime particulièrement.
Nous
allons en salle Snoezelen, un stagiaire est là, je le mets sur le
coussin à microbille. Il claque beaucoup de la langue, je commence
l’enveloppement manuel, il s’arrête et semble être
à l’écoute de ce qu’il ressent, il accueille
l’environnement. Il recommence à claquer lors du lissage, je
réunis les mains et les genoux, il est paisible.
J’attends
un peu, ses bruits sont faibles, je frappe faiblement. Puis, je claque de la
langue fort, mais il ne répond pas, il reste sur des sons faibles.
Ensuite,
je frappe sur le métallophone des sons doux, des sons forts, des
mélodies…. Il est dans l’écoute, je joue des rythmes
rapides et des rythmes lents pour savoir quel est le sien. Patrice apprécie les rythmes lents, ce
qu’il reprend avec sa langue.
Puis,
je lui mets une mailloche dans les mains, il semble de nouveau surpris. Puis,
je tape avec ma mailloche sur sa mailloche. Il commence à sourire (ceci
est un jeu nouveau !).Patrice accepte plus facilement la nouveauté.
Puis je dis « Patrice », il sourit beaucoup, je joue deux notes en disant
Patrice, il apprécie. Puis j’invente une chanson petit
à petit :
« Bien,
l’bonjour, Monsieur Patrice
Qui
aime faire de la
musique… »
Je le répète plusieurs
fois, et il pète sur le coussin à microbilles !!!
J’ajoute :
« Bien, l’bonjour, Monsieur Patrice
Surtout d’la musique antique
Sur un coussin en plastique »
Je
répète de différentes façons cette chanson,
beaucoup de sourire, et fait des « oui » de la tête
spontanément
En
sortant, il grogne
Septembre
2006
Depuis
10 mois, les séances se poursuivent dans la position allongée,
Patrice n’est plus attaché à la sieste.
A la
dernière séance, Patrice est allongé, je lui fais
l’enveloppement manuel, et je le balance de droite à gauche en
reprenant la chanson « Patrice fait de la musique ».
D’emblée il sourit, aucune réticence, il est disponible.
Puis je passe un long moment allongé à côté, il ose
par moment quelques actes moteurs volontaires pour trouver sa bonne posture.
Janvier
2007
Depuis
le début de cette prise en charge, Patrice est toujours installé dans son fauteuil roulant, dans son
unité de vie. Désormais, les mouvements spontanés sont
plus nombreux, il peut se
détendre et suivre la courbure du fauteuil, or son fauteuil n’est
pas du tout confortable. Avec l’ergothérapeute du service, nous
lui proposons un fauteuil confort, et sollicitons l’équipe pour
augmenter les transferts du lit au fauteuil.
Depuis
le début de l’année, Patrice est installé sur un
fauteuil confort (avec son design hospitalier, ignifugée,
hygiénique) mais soit plutôt confort.
Septembre
2007
Patrice
arrive dans la salle, il sourit, l’enveloppement manuel est rapide, je
n’enlève plus les chaussures, comme si il était
suffisamment en sécurité.
La
chaleur, l’odeur, ma voix
sont tant de paramètres qui suffisent désormais à sa
sécurité.
D’emblée,
Patrice claque la langue, et je joue avec les sonorités, par le contact et le son. Puis, je
reprends son prénom en touchant différentes parties du corps.
Assez tôt dans la séance, je prends le métallophone et je
chante une chanson en évoquant son prénom.
Il
n’y a plus de claquement de langue, il semble écouter, il ne bouge
plus, même ses stéréotypies gestuelles au niveau de son
pouce ne sont pas repérables
Puis je
m’arrête, j’attends et je reprends un ostinato, et je joue en
balançant mes mailloches je joue, pendant quelques minutes. Rien ne se
passe, si ce n’est mes pensées qui s’échappent de la
séance, je repense à l’horloge de ma tante, dans la salle
principale de la maison, Et là Patrice sourit.
Peut
être me remercie il, de lui avoir signifier ce temps qui passe ?
Et
nous continuons à savourer
ce temps qui prend du
sens…
Puis,
je propose un claquement de langue, montée en ostinato
complémentaire, avec l’ostinato du métallophone,
j’arrête mon claquement, et je propose à Patrice de le
faire. A cet instant, Patrice ne claque pas de la langue, mais il bouge dans
son fauteuil, il se redresse et je
vois sa gorge bougée. Le
corps a parlé.
Je lui
dis que je n’entends rien, qu’il peut sonoriser plus fort, il
poursuit avec des sons très petits, je l’encourage tout en
continuant mon ostinato, que je n’ai jamais arrêté. Mais,
Patrice ne modifie pas sa réponse.
Je rechante, et je finis en diminuant le
son du métallophone
La
séance se termine, et je remercie Patrice pour ce temps passé
Désormais,
lors des séances, Patrice est dans son fauteuil personnel, sur lequel il
bouge spontanément. Je ne l’installe plus sur le coussin à
microbille, ni sur le matelas à eau.
Il ne
se mutile plus la nuit
Pour
analyser ce travail clinique, je me suis appuyée sur le texte de Daniel
Marcelli, « Le rôle des microrythmes et des macrorythmes dans
l’émergence de la pensée chez le nourrisson, et du livre
« La chatouille, la surprise de l’âme ».
Le
rythme musical, l’attente et la répétition (ces processus
temporels qui construisent) sont tant de points qui sont repérables dans
cette prise en charge. Patrice m’a montré qu’il savait
communiquer par des claquements de langue, il a son propre rythme personnel et,
et je sentais certainement en « accordage affectif »
pour faire résonance à ses appels rythmiques. Patrice proposait
un rythme, et je lui redisais ce rythme, via ma propre personne, comme une
mère « suffisamment bonne », qui renvoie à
l’enfant les productions sonores qu’il a émises.
C’est
cet apprivoisement qui a permis la rencontre.
Le jeu
rythmo-musical a remplacé le langage, cet apprivoisement a
été possible dans ce lieu connu par sa chaleur, son odeur, un
lieu suffisamment contenant pour oser, pour permettre, ou pour permettre
d’oser.
Mon
écoute corporelle et verbale, mon implication corporelle a permis
d’aborder le champ de l’archaïque ; le contenant corporel
avec ses tonalités de voix, sa musicalité, son toucher, ses odeurs,
ses gestes, ses mouvements, son
tonus a invité à
une relation « maternelle » (relation certainement
non vécue, mais par laquelle, il était nécessaire de
passer, pour permettre un processus d’élaboration).
Prendre
soin matériellement du corps d’autrui, c’est lui donner
existence
La répétition des
séances crée une mémoire corporelle, et Patrice se
souvient entre chaque
séance, il sourit à mon approche. Il sait alors ce
qu’il va se passer, il peut alors oser, anticiper.
Pour
lui, le symbole n’est pas le mot mais le geste et la rythmicité de
ce geste. Le rythme autour duquel nous jouons, est fait de silence, de
contraste, d’opposition, de balancements,
Ce
rythme est la vie.
Plus le
temps passe, plus je connais Patrice, et moins le temps nécessaire
à sa sécurité affective est longue, plus la place à
la créativité et à l’imagination est grande.
Marcelli
dit «le délai crée le désir», effectivement le
temps d’attente a permis une élaboration peu être
minime : un sourire
Son
rôle est de transformer la discontinuité d’une sensation,
d’une perception en une continuité d’investissement sur
laquelle l’individu va fonder son sentiment d’existence
Lorsque
j’attends pour répondre, Patrice sourit. Ce sourire adapté
est synonyme de pensée, mais si ce délai est trop long, cela peut
être destructeur.
L’implication
nécessaire à cette relation n’a pu se faire sans beaucoup
d’imagination et beaucoup de patience. Elles m’ont permis
d’avancer pas à pas dans cette quête
d’étincelle de vie, bien enfouie dans ce cops déformé,
pas facile à regarder, pas facile à approcher.
Patrice
était attaché (avec les contentions) le figeant dans un
immobilisme exemplaire. Le son pouvait être le seul geste possible Dans
la salle « Snoezelen », Patrice n’était pas attaché, il n’osait pas
pour autant bouger. Puis, la proposition d’un « objet
transitionnel » - le rythme
et le jeu rythmo musical - a permis d’accéder au jeu,
à l’autre, à un autre type d’attachement, qui celui
là, était humanisant. Il a pu accepter ce détachement
physique, pour un attachement symbolique. Comme il n’a jamais
été attaché à une personne, il fallait bien
qu’il s’attache (contentions) pour qu’il se sent en
sécurité, je lui ai proposé une autre façon de
s’attacher, et lui m’a montré la piste.
A ce
jour, Patrice n’est plus du tout attaché la nuit, il ne se mutile
plus, mais il émet beaucoup de cris. De l’automutilation, il est
passé au cri. Du passage à l’acte, il est passé à la parole. Patrice s’est humanisée, il profite de
l’environnement, il est plus ouvert et plus disponible, aux autres.
La
relation duelle (maternelle) se termine, pour de nouvelles relations avec les
autres.
Lors
des réunions de transmissions, les auxiliaires médico
psychologique trouve Patrice plus épanoui, plus détendu lors de
manipulations quotidiennes. Il
n’est plus du tout attaché, il participe aux autres
activités d’écoute musicale, alors qu’il avait
été dit qu’il était sourd dès son
arrivée.
La
musicothérapie active se base sur l’articulation de la parole, du
corps et du rythme. Malgré les différences et les
difficultés des résidents, chacun peut s’exprimer.
Toutefois, la musicothérapie met en avant la notion du groupe, or il est
difficile de mettre une dynamique de groupe avec des personnes lourdement
handicapées.
Alors
l’articulation Snoezelen et musicothérapie permet d’aborder
un travail très spécifique dans ce genre
d’établissement. Puis, peut être ensuite, un fois que les
sensations archaïques qu’éprouvent les résidants, seront vécues comme moins
angoissantes, le passage dans un groupe, qui jouera à son tour son
rôle de contenant, sera possible.
Dans
cette maison d’accueil spécialisée, les rencontres sont rares, et comme elles sont rares, elles en sont
d’autant plus précieuses … Ces rencontres sont des
instants, des instants où la magie opère :
un corps qui s’ouvre
un petit mot
un petit sourire
une pointe d’humanité.