Retour

Envoyé sur Internet sur les sites : “Amis du conte” et “Aecoute”

28 novembre 2003

Bonjour,

Jeudi 27 novembre, théatre de la ville à Paris, une femme, quatre hommes. Ils viennent du Badakhchan au Tadjikistan. Elle chante, ils jouent avec des instruments populaires dont les tambourins et trois autres cordes qui s’appelent "ghijak" et qui sont de la famille des "ood-mandolines-sas-banjo..."

Elle chante avec une voix populaire un peu rauque, qui n’a rien à voir avec celles de nos divas corpulentes. Il faut dire qu’elle n’est même pas enveloppée cette gracieuse conteuse d’Asie centrale. De temps à autre, elle danse en "mouvements-mimes" qui doivent provenir des gestes paysans.

Ici, la musique y est un bien commun. L’ensemble se plie aux formes populaires et conviviales qui nous sont presque devenues étrangères dans notre fonctionnement narcissique. L’expression rythmo-musicale n’appartient pas à un petit groupe mercantile.

Les "responsoriaux" et "l’antiphonique" sont de mise. Les hommes répondent aux "dits" de la femme. Ils s’accordent entre eux selon des balancements qui suivent les souffles de la parole. Le tout sur un fond d’ostinati, rythmiquement souvent complexes, changeants, et passant du 4 au 5 temps puis au 7 puis au 9 et encore à d’autres rythmes qui ne peuvent se formuler que dans la mesure où ils sont intimement liés aux mouvements du corps.

La femme - elle s’appelle Sâhiba - chante mais surtout elle dit. Elle raconte, je ne sais quoi car je ne comprend pas sa langue. Mais ses gestes indiquent une intention de ponctuer les explosismes de la parole. Sa voix porte splendidement, elle est claire et ses mots doivent être bien compris pour qui comprend la langue. Nous sommes en plein dans la logique modale.

Ce qui me frappe le plus, comme d’ailleurs cela me frappe lorsque j’entends le Pansori Coréen, c’est la globalité de l’expression. Il est difficile de séparer ce qui est - selon nos catégories - du "dit" et du "chanté". Corps, musique et parole ne font qu’un. Il n’y a pas, d’un côté un conteur qui serait "accompagné" de l’autre côté par ce que nous appelons une "musique".

Ce concert me frustre beaucoup car il nous montre ce qui nous manque, ou ce que nous avons perdu. En même temps il me ravi par sa cohérence. D’autre part, il me conforte dans l’idée que depuis que la "musique" s’est détachée de la parole pour prendre une vie autonome, (grâce à la mécanique du système tonal), - et cela, sans doute, depuis la fin du Moyen-âge, - nous sommes devenus un peu "divisés" et limités dans nos "catégories" de l’expression. Nous nous rattrapons par la catégorie de "l’esthétique" telle qu’elle fut inventée au 19ème siècle. Mais à partir de cette catégorie, on peut y faire n’importe quoi.

Bonsoirs modaux

Willy Bakeroot