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Colloque sur l'art et le soin.  

Espace Saint Martin. 2 et 3 février 2007

Le temps, le rythme et la mémoire en musicothérapie active.

 

Le TEMPS, le RYTHME et la MÉMOIRE sont les trois références essentielles de la musicothérapie active. 

Le Temps qui, comme dit saint Augustin, vient de l'avenir, s'engouffre dans le présent puis va vers le passé.(1)  

Le Rythme et son jaillissement. 

La Mémoire et ses connotations mythologiques.

Je ne ferai que les évoquer parce qu'en une demie heure, on a tout juste le temps de montrer qu'elles existent et qu'elles habitent notre terrain de travail. Ce sera donc quelques généralités.

Le programme paraît un peu prétentieux, mais ces thèmes offrent suffisamment de résonances et d'aspects divers pour qu'on n'ait jamais fini de les épuiser. Pour la pratique rythmo-musicale, je vous proposerai, à la fin de l'exposé, de nous lancer dans un jeu pratique sous forme de responsorial. 

Par rapport à la mémoire, liée aux rythmes du temps, je trouve que c'est un privilège que de venir parler du temps le 2 février. Aujourd'hui, c'est la fête de la Chandeleur et de la Purification dans le calendrier catholique qui est celui dans lequel nous vivons.(2)  

Mais c'est aussi un point de repère immémorial qui marquait, dans le monde Celte, le premier jour du printemps. Il s'agissait de la fête d'Imbolgh, fêtant aussi la déesse Brigid - qui nous est restée sous le nom de sainte Brigitte, une des patronnes des enfants et qui avait la spécialité de se promener avec une bonne vache laitière. Tout ce qu'elle touchait devenait fécond.

Dans l'organisation calendaire populaire, nous entrons dans une période de lancement de la fécondité de la terre, Cette période s'achèvera le 14 février à la saint Valentin, jour où, traditionnellement, les oiseaux s'accouplent.

Nous sommes 40 jours après Noël, la Vierge ou la déesse se remet de son accouchement et se purifie.

Traditionnellement, le 2 février est le jour où l'ours sort de son hibernation. Il ramène avec lui les âmes des morts qu'il lâchera - par un gros pet - dans la nature afin qu'elles fécondent la terre. 

Par un joli travail de condensation, c'est aussi le jour où les ourses féminines sortent. Vous devez savoir qu'elles désignent les menstrues. C'est aussi pourquoi c'est la fête de la purification. On y trouve la déesse Artémise qui se lave dans sa fontaine, épiée par Actéon.

Demain ce sera la Saint Blaise. Blaise signifie "souffle". Ce colloque est donc placé sous deux temps populaires : celui des cycles menstruels et celui des souffles fécondants. On ne peut pas rêver à mieux pour évoquer le Temps.

Vous devez me trouver ringard ? Mais ça ne me dérange pas beaucoup. De toutes manières, ce soir, la plupart d'entre vous vont faire sauter les crêpes et accomplir ainsi un rituel immémorial, un rituel de magie qui consiste à noircir la lune pour faire venir le printemps. Ce n'est ni plus ni moins sérieux que ce que je vais vous raconter. 

On aurait dû obliger tous les participants à venir avec une poêle pour faire sauter les crêpes. D'autant plus qu'aujourd'hui, nous sommes en pleine lune et que si nous ne la noircissons pas, il faudra attendre encore longtemps avant de voir venir le printemps.

Le TEMPS, le RYTHME et la MÉMOIRE, trois mots qui, joints l'un à l'autre, forment une sorte de pléonasme se référant à quelque chose qui ne nous appartient pas. Ils sont extérieurs à nous et nous constituent. Ce sont aussi trois thèmes bien difficiles à aborder car leurs significations se croisent sans cesse. Il n'y a pas de temps sans rythme ni sans mémoire, le rythme organise le temps et son déroulement n'a pas de sens sans la mémoire.

Essayons d'abord quelques éléments de définitions. 

 

1) Le mot "Temps" viendrait du mot "Temple". Et le temple désignait autrefois un espace sacré sur lequel on prenait place pour regarder le mouvement des étoiles et des planètes. C'est grâce à ces observations qu'on pouvait organiser le déroulement des jours.

Le déroulement calendaire dépend encore aujourd'hui de la marche du Cosmos. Certains cherchent fébrilement à supprimer toute dépendance, mais jusqu'à nouvel ordre, il semble difficile d'établir un calendrier sans en référer aux mouvements du ciel, à commencer par ceux du soleil ou de la lune.

Curieusement, l'émission de télé la plus regardée est celle du temps, confondue avec la météo. Les mouvements du ciel doivent donc encore bien intéresser les gens. La question qu'on peut se poser est : "en connaissent-ils encore la teneur." 

Le TEMPS est souvent confondu avec la DURÉE. La durée est le déroulement physique, le temps mécanique de l'horloge qui fait se succéder régulièrement les heures sans pour ça qu'elles aient de sens particulier. Mais ce n'est pas tout à fait le TEMPS SYMBOLIQUE qui lui donne du sens à la durée.

Si je vous dis que nous sommes aujourd'hui à la Chandeleur, c'est que j'évoque le temps symbolique qui donne au temps physique un sens inscrit dans un rythme. Ici, le temps n'est pas seulement une métrique.

Si je place une croix sur une des cases du planning Quo Vadis, j'ai à faire au temps physique, c'est-à-dire à la durée qui n'a pas de sens à priori.

Il se pourrait que l'intérêt pour l'émission de télé sur le temps soit le témoin de l'intérêt des gens pour le temps symbolique dans ce qu'il a de plus rythmique, changeant et contrasté : les jours qui se suivent mais ne se ressemblent pas. Les vents, la pluie, le soleil, les pressions atmosphériques donnent à chaque jour une rythmicité qui dépasse de loin la métrique d'un calendrier qui serait purement mécanique.

Généralement, dans notre mode de fonctionnement actuel, nous envisageons surtout la durée. Sans doute parce qu'elle est plus ou moins maîtrisable alors que le temps a un aspect rythmique bien difficile à contrôler et même à aborder. Nous devons sans cesse réajuster notre rapport au temps. Toutes les organisations calendaires se réajustent par intermittence. Même la durée scientifique se réaccorde de temps à autre avec la marche du cosmos. Un exemple simple est celui des années bissextiles.

Cette impossibilité de maîtrise du temps nous porte à utiliser plutôt un discours de l'espace, même pour nommer les processus temporels. C'est bien plus confortable. Toute la psychologie est empreinte du discours de l'espace avec les images identificatoires, le schéma corporel, l'image du corps, l'enveloppe du moi, l'espace transitionnel etc. 

La plupart des tests psychologiques qui sont pratiqués partent uniquement de considérations spatiales et graphiques. Chez les orthophonistes, les tests ne laissent qu'une toute petite place au temps. Et encore, il s'agit avant tout de la durée. Que ce soient les tests de Myra Stambak ou ceux du RVI (la rétention verbales immédiate) Il s'agit de mesurer la mécanique de la durée mais certainement pas le temps symbolique. Chez les psychomotriciens, ils s'agit d'abord de durée.

Je me garderais bien de dire que ces configurations sont fausses. Elles correspondent seulement à un mode de compréhension spécifique aux choses de l'espace. Les technologies de l'écriture nous ont habitués à cette approche des réalités qui passent plus par la vue que par l'oreille. Toutes ces configurations ne rendent pas compte du temps d'une relation. 

Je ne donne pas non plus de jugement de valeur, je tendrais plutôt à un plaidoyer pour les processus du temps qui sont loin d'être pris en compte comme ils le devraient.

C'est dans ce cadre de l'espace que la "maîtrise" est la plus accessible puisqu'il construit des épures abstraites. L'espace est maîtrisable, rangeable, classifiable alors qu'il n'en est pas de même pour le temps qui est lui, le maître qui nous emmène obligatoirement vers la mort. Il est difficilement calculable et oblige à de fréquentes rectifications de son approche. On peut tout juste l'épouser et jouer dans son sens. La règle de ce jeu est le "lâcher prise". Il est intéressant de remarquer combien tout dysfonctionnement temporel est toujours lié à une volonté de maîtrise, donc à une angoisse qui est souvent loin d'être consciente.

Dans ces modes de fonctionnement donnant la primauté à l'espace, la musicothérapie a bien du mal à trouver sa place sauf à  se glisser dans des cadres spatiaux de la musique de style écrit. Or, si le temps est le fil du jeu rythmo-musical, il est aussi celui de la musicothérapie. 

C'est en se basant sur ces notions que nous essayons de donner du sens au temps en utilisant le rythme-musical tel qu'il le fut jusqu'à l'invention de la musique pure, c'est-à-dire lié intimement à la parole.

La durée rythmique ne nous semble vraiment efficace que dans la mesure où elle devient temps, liée à la parole ou à un sens plus large, y compris le sens calendaire et donc festif. C'est pourquoi nous proposons toujours l'utilisation du temps calendaire et de la mythologie qui le fonde.

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2) Cela nous amène au RYTHME.

Henri Meschonnic, dédie à "l'inconnu" (3)  son livre "Critique du rythme"! C'est dire que, malgré l'énormité des informations que le livre contient, le rythme reste, pour lui, toujours inconnu.  C'est dire aussi que le sujet est complexe.     

C'est un terme qui est bâti sur une racine grecque : "Rheo" qui a le sens de "couler". Le rythme est ce qui coule. L'image la plus proche de la réalité rythmique est celle de l'eau qui sourd à la source puis qui change sans cesse de tonus et de forme tout au long de son parcours vers la mer.

Héraclite pensait que tout coulait "panta rei". Il disait aussi que "On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve". C'est que le rythme est un flux. Il est irréductible au signe ou à la métrique. Dès qu'on essaye de noter et donc qu'on écrit un rythme, on le dénature.

Le rythme n'est pas la mesure même s'il peut se soumettre à une métrique.

La mesure est le mètre qui annule l'effet contrastant du rythme. Autant le rythme est un jaillissement, autant le mètre impose une régularité et un ordonnancement contrôlé.

La mesure est surtout une notion de solfège, donc d'espace écrit. Lorsque nous musiquons sans nous référer au solfège, et que nous sommes dans la régularité des scansions, (nécessaires en groupe) nous laissons le terme "mesure" au profit de celui "d'ostinato" pour désigner les cellules rythmiques qui se répètent. Ostinato signifie "obstiné". À la différence de la mesure, il implique le mouvement du corps. 

L'ostinato contient l'idée d'une dynamique de la succession. Il "avance" dans le temps. Le mesure, notion plus cérébrale implique une idée de division en segments.

Il est dommage que de nombreuses définitions du rythme l'associent à la répétition. 

Cela occulte une véritable compréhension du rythme. La répétition peut être présente dans le rythme mais elle n'en n'est pas la substance. Confondre "rythme" et "répétition" engendre, en outre, une confusion entre les "stéréotypies" et les "balancements". Les stéréotypies sont figées dans la suite morcelée des segments temporels qui se suffisent à eux-mêmes et ne s'articulent pas entre eux. Il n'en est pas de même pour les balancements qui s'enchaînent les uns aux autres en une suite dévénements articulés. La stéréotypie semble être une tentative désespérée de parvenir aux balancements.   

La répétition est de l'ordre du mètre et de l'ordonnancement culturel issu à la fois de l'agencement architectural du corps humain, bilatéralisé, et des nécessaires processus d'individuations et de distanciations entre les corps . Le rythme vient de plus loin et de contrées plus sauvages. Et pourtant, c'est lui qui amènera autre chose que le binaire.

Il se jaillit selon une logique qui n'est pas celle du mètre binaire. Si le binaire est un élément fondateur et nécessaire, l'élaboration rythmique doit aboutir à ce qu'on appelle des rythmes catalectiques, soit des rythmes ternaires, boiteux, irréguliers, comprenant des syncopes ou des chutes imprévisibles. Ils rejoignent ainsi les rythmes du langage.

Daniel Marcelli, (4)  lorsqu'il parle du jeu de la chatouille, insiste beaucoup sur la surprise dans l'irrégularité des interventions de la mère. Nous sommes là dans le champ du rythme et pas dans celui de la mesure.

Henri Meschonnic5  fait remarquer que la psychanalyse n'a pas de discours sur le rythme parce qu'elle ne peut le définir que binaire en s'originant dans une relation à deux. Or, le rythme devient alors symétrique et s'apparente au mètre. 

Un des premiers geste accomplit par le bébé dans sa relation avec sa mère est celui de la succion. Il se présente comme une cellule rythmique qu'on appelle le "Ïambe". Le ïambe est constitué par une brève suivie d'une longue. 

Mais ces ïambes ne forment pas encore vraiment un rythme coulant mais ils sont proches d'une suite de ce qu'on appelle "ictus", suffisamment régulier pour faire partie du mètre et de la mesure.

Je ne m'aventurerai pas trop sur ce terrain car il faudrait approfondir et se demander si le rythme de succion est vraiment et seulement binaire. D'autre part, il faudrait voir ce que dit Meschonnic sur l'intervention du tiers.

Ce que l'on peut dire c'est que la mesure est un support confortable et rassurant. Marcher au pas n'est pas une grande aventure. 

Lorsqu'on a à faire à des enfants très anxieux ou angoissés, il ont peu de propension à s'exprimer sans supports. L'improvisation n'est pas leur fort. 

Le problème est le même en formation avec des stagiaires qui se trouve dans un très grand embarras lorsqu'ils doivent quitter la mesure pour suivre leur propre rythme. Même des musiciens patentés et diplômés peuvent être en difficultés lorsqu'on leur propose de lâcher leur partition mesurée.

Marcel Jousse dit que "le rythme n'est pas fait pour être vu des yeux avec des barres et des ronds. Le rythme d'une formulation n'est pas une ligne typographiée d'une certaine façon. Tout rythme est un mouvement qui doit être senti vitalement et globalement. Le rythme du langage, il faut le prendre à sa source même, originale et globale qui est anthropologique." (6) 

Il est intéressant de constater que dans le Vaudou, les Dieux sont des rythmes. Ils ont bien sûr une forme et des caractéristiques mais celles-ci ne sont pas limitées à la vue. Tous les Dieux parlent, chantent, vocifèrent et dansent. 

On donne à l'initié la devise du Dieu qui le possède. Cette devise est une cellule rythmo-mélodique singulière. Chaque fois que l'initié entend la devise, où qu'il soit, il sait que le Dieu est là et le possède, il entre alors en transe. La devise fait revenir le Dieu avec qui on va négocier la suite des événements.

Il en va de même dans la spiritualité Indoue. Dieu est un son et donc un rythme, contrairement à notre représentation du Dieu Occidental qui est une image. 

La musicothérapie active va jouer sur les deux aspects, à la fois le binaire répétitif et le rythmique boiteux et pulsionnel. Celui-ci s'étale selon une logique singulière sans être ni le désordre, ni l'anarchie. 

Le rythmique conserve toujours une racine dans le binaire. On se trouve là devant la métaphore du destin humain : de marcher sur la terre avec ses deux pieds mais qui, dépassant la scansion, si ça lui est possible, laissera le souffle du rythme exprimer sa propre liberté dans son jeu avec le temps. 

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3) La MÉMOIRE se trouve être à la rencontre du temps et du rythme. Elle est le conservatoire vivant des rythmes de la vie. Elle sauvegarde et perpétue tous les flux qui nous ont habités depuis notre origine.

Je me réfère à Marcel Jousse - malgré les outrances qu'on peut lui reprocher - pour indiquer que la mémoire n'est pas une simple banque de données. Lorsqu'il dit que l'être humain est un édifice de mémoire, il signifie que c'est la mémoire qui nous définit. (7) 

La MÉMOIRE est une chose vivante. Même si l'on se tourne vers la théorie Freudienne des représentations, on découvre en la mémoire un être vivant qui n'est pas seulement l'accumulation de souvenirs. Dans la phase d'accumulation, chaque nouvelle entrée modifie l'ensemble de la mémoire.

Marcel Jousse situe le premier travail de mémoire dans un geste qui mime le réel. Pour distinguer le mime volontaire du mime spontané des enfants, il utilisera plutôt le terme "mimisme". (8)  

Ce que ce geste "mimisme" du réel, est dit triphasé et donc rythmique. Ce qui est mimismé n'est pas un objet mais un mouvement dynamique de trois choses qui inter-réagissent entre elles : "un agent, agissant un agi". C'est pourquoi Marcel Jousse l'appelle "interaction triphasée".

Chaque interaction mimismée constitue un mimème. Chaque mimème est une unité de geste au même titre qu'un phonème est une unité de langage.

Les mimèmes sont intussusceptionnés (9). L'imbrication de ces mimèmes constitue la mémoire.

Il s'agit de mettre à l'intérieur de soi les processus rythmiques du réel. Pour Jousse, la mémoire est donc un ensemble rythmique que l'enfant construit au fur et à mesure de ses expériences concrètes et corporelles du réel.

A la fin de la vie, les interactions de désimbriquent et la mémoire se perd.

Mémoire et rythme sont donc intimement liés.

Trace des flux rythmiques qui nous ont modelés, la mémoire est d'essence mythologique. Par elle nous sommes inscrits dans une généalogie familiale et sociale. Elle nous rappelle sans cesse le temps et les rythmes de notre histoire. Refuser la mémoire, c'est refuser le temps et son rythme. C'est nous isoler dans un espace qui se voudrait éternel.

Un professeur d'anglais travaillant dans un lycée de la banlieue parisienne, avec des adolescents me disait que dans certaines situations où il était amené à dire aux enfants "mais qui est-ce donc qui a fait votre éducation ?", ils avaient des réactions souvent très violentes. 

En dehors du reproche toujours difficile à accepter parce qu'il crée de la culpabilité, le refus de se sentir inséré dans une généalogie va de pair avec le refus du temps au profit de l'immédiat d'une jouissance sans partage. En plus, la mémorisation dérange en nous faisant replonger dans des souvenirs qui ne sont pas toujours agréables à faire resurgir.

Être dans le temps, c'est accepter de ne pas être éternel, mais c'est aussi reconnaître les rythmes desquels nous dépendons et donc assumer une mémoire mythologique.

A plusieurs reprise, jai eu l'occasion de remarquer la tension que créait tout rappel de la relation généalogique surtout avec certains psychotiques. La toute-puissance exige "ni Dieu ni maître", donc ni parents ni généalogie ni mémoire. 

Certains psychotiques ont des carences considérables en ce qui concerne la mémoire. C'est peut-être pourquoi ils aiment quelquefois contempler indéfiniment l'eau qui coule comme s'ils avaient la nostalgie du temps rythmique, installés qu'ils sont dans leur espace stéréotypé, avatar malheureux de l'éternité.

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Que ce soit le temps, le rythme ou la mémoire, ces trois données ne nous appartiennent pas. Elles nous construisent et font de nous ce que nous sommes. Pas question ici de maîtrise comme on peut la chercher dans le domaine de l'espace ou de la mesure. On peut tout juste épouser le temps, participer au rythme, et nous souvenir de ce qui a été construit. C'est un gage de plénitude.

Mais dans cette perspective, on peut facilement percevoir la portée du "lâcher prise" chère à tous les thérapeutes. il ne s'agit pas d'une attitude passive mais d'un jeu très actif dans le rapport au réel.

Je suis frappé par les réflexions d'élèves qui travaillent le rythme-musical avec des personnes âgées qui souffrent de ce que l'on appelle la maladie d'Alzheimer. Ils parlent souvent du plaisir qu'ont ces gens à retrouver un geste et un rythme qui remet en jeu les processus de mémorisation. Ça évoque quelquefois une renaissance.

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Jeu pratique :

Pour aborder plus pratiquement la différence entre rythme et mesure et même entre temps et durée, je propose de nous lancer dans la pratique d'un procédé musical vieux comme le monde : le responsorial.

Nous le ferons en deux temps. D'abord métrique puis rythmique.

Le jeu utilise un vieux rituel rythmo-musical : le Responsorial (Réponse) qui se définit par la réponse d'un groupe à un soliste. 

1) MÉTRIQUE : La règle, ici, est : quatre temps pour le soliste et quatre temps pour le choeur. Le soliste improvise une histoire par phrases mélodiées installées sur quatre temps réguliers. Le choeur répète ce que chante le soliste. 

Exemple : Un  beau jour je me prom'nais  - dans la rue de Rivoli - etc. Le choeur rechante à chaque fois en miroir

2) RYTHMIQUE : Même procédé, mais on abandonne les quatre temps réguliers. Le soliste improvise une histoire de manière purement rythmique (irrégulière et libre) et le choeur répète en miroir. Les rythmes sont, autant que possible, variés et contrastés en durée et en intensité. De temps à autre, le soliste répète régulièrement deux ou trois séquences afin de "reposer" le choeur.

Exemple : Il était une fois - un roi - deux rois - trois rois - nooooon ! - un roi - etc.

Le choeur répète en miroir (pendant les tirets). Le chant peut-être accompagné de gestes.

 

 (1)-  Cf. SAINT AUGUSTIN, Les confessions, Trad. J. Trabucco, Garnier-Flammarion, 1964.
(2)- CF. Les travaux de CLAUDE GAIGNEBET, Art profane et religion populaire au Moyen-âge, Puf, 1985 ou A plus hault sens, Maisonneuve et Larose, 1986
(3)-   "HENRI MESCHONNIC, Critique du rythme, Verdier 2006
(4)-   Sur le rythme, voir l'article de DANIEL MARCELLI paru dans "La psychiatrie de l'enfant" N° 35 de 1992. Il s'étend sur les microrythmes mais surtout sur le rôle de l'anticipation. On retrouvera sa pensée dans un livre récent : La surprise, chatouille de l'âme, chez Albin Michel.
(5)-   Op. cit.
(6)-   GABRIELLE BARON, Introduction à sa vie et à son oeuvre, Casterman, 1965 P. 45.
(7)-   Dans "La critique du rythme" d'Henri Meschonnic, il y a plusieurs pages sur Marcel Jousse. Elles nous renseignent bien sur la pensée de celui qui, le premier, à affirmé l'importance du corps dans l'apprentissage du langage. Je regrette cependant que Meschonnic n'ait pas  mis plus en valeur le fait que Jousse ait réhabilité la mémoire.
(8)-   MARCEL JOUSSE, Anthropologie du geste, Gallimard, 1974
(9)-   Terme de botanique qui signifie : prendre dehors pour mettre dedans. (Intus suscipere) Les plantes se nourrissent par intussusception.

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