INTRODUCTION
I L'INSTITUTION
1- Le lieu
2- La structure
3- La population résidante
4- L'environnement
II LE CHAMP DE MON ACTIVITE
1- Les conditions d'exercice
2- Mon statut
3- Les objectifs
III QUE SONT LES DÉMENCES DES PERSONNES AGÉES ?
IV L'IMPORTANCE DE LA MEMOIRE ET SON RAPPORT AU TEMPS
1- Comment définir la mémoire?
2- Comment la mémoire évolue t-elle?
3- Où et comment intervient la musicothérapie active ?
a)- Le temps calendaire
b)- Les jeux rythmo-musicaux
Le rituel de présentation
Le quatrain "musiqué"
Le conte "musiqué".
CONCLUSION
Je ne sais pourquoi je suis là
Je suis accablée ici-bas
Regardez-moi, mon coeur est las
Ecoutez-moi dans mon débat.
BUC RESSOURCES
FORMATION À LA MUSICOTHERAPIE ACTIVE
ÊTRES ÉGARÉS... À LA DÉMESURE
DE LEUR MÉMOIRE...
MÉMOIRE PRÉSENTE EN VUE DE L'OBTENTION DU CERTIFICAT
DE MUSICOTHÉRAPIE ACTIVE, LE 7 Décembre 2006
Catherine NOSBAUM
Le Havre
SOMMAIRE
INTRODUCTION
O ma mémoire
est impotente
Pour quelques trous,
que de déboires!
Ta santé me semble importante
Pour la traiter dans ce mémoire...
Face aux perturbations profondes du comportement que j'ai observées chez les personnes qui ont perdu la capacité de mémoriser ou de se rémémorer, la fonction de la mémoire m'a interpellée. Aussi, ce sujet mérite t-il, ici, une réflexion.
La défaillance de la mémoire est devenue
de nos jours l'attribut des personnes atteintes de démences séniles
:en effet, avec la perte progressive de ses repères et sans le "gain
d'une autre vie", la personne âgée s'inscrit progressivement,
au vu de ses conduites incohérentes,. dans le cadre des démences
Les
troubles observés traduisent son égarement,
une désorientation dans le rapport au temps. Aussi convient-il d'appréhender
ce dysfonctionnement temporel, pour s' engager dans un travail sur les rythmes
du temps, et, par voie de conséquence sur la mémoire, avec
les outils mis à notre disposition dans la formation à la
musicothérapie active.
En séance de groupe ou en séance individuelle,
je vais donc m'appuyer d'une part, sur le temps calendaire,
et d'autre part, sur le temps musical.
Réintroduire
la perception qualitative du temps
calendaire, c'est donner à ces personnes, non seulement la possibilité
de s'ancrer dans " l'ici et maintenant », de se mettre
en cohérence avec le déroulement du temps météorologique
et cosmique, mais aussi de découvrir ou de redécouvrir toute
l'histoire, toute la culture véhiculée par le calendrier.
Comme le mentionne Hélène Benichou,
les fondements mythiques et religieux du calendrier "témoignent
d'une profondeur existentielle où s'enracine la vie quotidienne apparemment
banale de chacun d'entre nous" (1)
Remettre du sens
dans le temps qui s'écoule, c'est
permettre à ces "êtres égarés" de se
relier à la réalité pour exister.
Puis, pour accorder ces personnes un peu plus, avec ce
temps qui passe, je vais proposer quelques jeux rythmo-musicaux.
Parmi ces jeux, s'inscrit d'abord le rituel de présentation : dans un cadre rythmique et gestuel, il autorise la personne à s'édifier ou plutôt à se réédifier, remettant ainsi en jeu la mémoire de ce qui l'a construite, le fil de son histoire personnelle, puis à se faire reconnaître par l'autre.
Ensuite, je présente ensuite un épigramme
sous forme de quatrain octosyllabique et rimé, en lien
avec le temps par la description d'une situation réelle, concrète,
marquant la qualité du jour. Sa forme bilatérale et son balancement
binaire m'autorisent à le "musiquer" selon des motifs rythmo-mélodiques
variés et souvent improvisés.
Le quatrain devient
alors un chant, un chant qui, par son sens et le mouvement qu'il génère, va s'incarner et faire
mémoire au fil des répétitions.
Enfin, avec le conte, je célèbre le temps : par son ordonnancement rythmo-mélodique, le langage du conte est un support ludique à la mémorisation et, par ses racines mythiques qui lui donnent un plein de sens, il permet un travail de symbolisation. Un langage qu'il me convient d'animer d'une part, par le rythme, le ton de ma voix, et d'autre part par un échange, une participation active, entre moi et le groupe.
Aussi le temps, le fil du jeu rythmo-musical, est-il, bien inscrit dans la pratique de la musicothérapie active, une pratique que je présente ici, dans le cadre d'une institution médicalisée, où a été défini le champ de mon activité, au sein d'une population âgée atteinte de démences.
I
L'INSTITUTION
1- Le lieu
Située dans la région parisienne, l'institution
est une maison de retraite médicalisée qui bénéficie
d'un cadre agréablede par son environnement boisé.
2- La structure
Elle dispose de cent
chambres dont vingt appartiennent à une unité , protégée
pour l'accueil de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
3- La population résidante
Cette
maison de retraite accueille des personnes atteintes de diverses démences, qui par les conséquences de leur état,
nécessitent une prise en charge totale de leurs besoins.
Ces
personnes sont bien inscrites dans le registre social comme "individu âgé" ; mais puis-je, ici, poser la
question : "quand devient-on vieux ?", et je vais essayer d'y
répondre.
Même si on est toujours le vieux de quelqu'un d'autre, pour Jack Messy, "la personne âgée n'existe pas" (1) comme entité individuelle. Maud Mannoni souligne également que "la vieillesse n'a rien à voir avec un âge chronologique. C'est un état d'esprit. Il y a des vieux de vingt ans et des jeunes de quatre-vingt dix ans". (2) Elle décrit aussi la vieillesse comme un évènement qui surgit brutalement : " quand la vieillesse vous tient, c'est toujours de façon inattendue ». (3). Par ailleurs, deux exemples empruntés à la vie de Sigmund Freud et d'Eugène Ionesco appuient l'hypothèse de Jack Messy selon laquelle l'apparition de la vieillesse, de cet état, se ferait à l'occasion d'une rupture brutale du vieillissement.
Ce vieillissement, un processus qui marque notre temporalité
résulte d'un équilibre entre des pertes (renvoyant à
des notions d'usure, d'affaiblissement avec ses conséquences corporelles
et physiologiques) et des acquisitions dans la maturation, l'accroissement,
la bonification de l'être : nous vieillissons comme nous vivons.
Et
c'est la rupture causée par une perte en trop
( quelle que soit le type de perte), qui précipiterait donc la personne
dans la vieillesse. La vieillesse se manifestant alors par la dépression,
le repli sur soi, le désinvestissement du monde extérieur.
(1)Hélène BENICHOU "Fêtes et calendriers",
Mercure de France, 1992, page 207.
(1) Jack MESSY, La
personne âgée n'existe
pas, Payot, 1992.
(2) Maud MANNONI, cité par J. MESSY, La personne
âgée n'existe pas,p.19
(3) ibid., p.46
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(1) Yolande MOYNE-LARPIN, "Musique pour Renaître," Epi/Desclée
de Brouwer, 1988, p.184
4- L'environnement humain
L'institution
assure la prise en charge totale des besoins des résidants avec un personnel qualifié qui, d'une part dispense
des soins ( médical et corporel ) au quotidien, et qui, d'autre part,
veille au bien-être et au maintien d'une vie sociale.
II.
LE CHAMP DE MON ACTIVITE
1 - Les conditions d'exercice
Les
conditions ont été définies précisément
au départ entre l'animatrice, la psychologue, et moi-même.
a- choix du jour et de l'horaire :
Le
mercredi après-midi, à partir de quinze
heures.
b- choix du lieu :
Etroitement associé au jour, par la disponibilité
de l'espace, le mercredi après-midi : cet espace a été
progressivement bien délimité par la pose de rideaux. Je tiens,
ici, à souligner l'importance du choix du lieu, et, de sa qualité
pour son impact dans l'effet de, " dépaysement et de distanciation
par rapport au quotidien ". (1 )
c- Constitution des groupes :
La
constitution des groupes a été prise en
charge par la psychologue pour les résidants de l'unité protégée,
et par l'animatrice pour les autres résidants de l'institution.
Cette
démarche a nécessité de la part
de la psychologue et de l'animatrice beaucoup d'attention et de bienveillance
pour pouvoir proposer à ces personnes fragilisées, de par
leur état et leur placement en institution, une activité nouvelle
et inhabituelle. A noter ici toutes les difficultés rencontrées
par l'animatrice pour fidèliser quelques personnes au sein d'un groupe.
Ceci
reflète bien toute l'ambiguité de la
position de la musicothérapie active : présenter cette activité
sous l'angle animation et/ou sous l'angle thérapeutique?
Malgré cette situation complexe et inconfortable,
deux groupes ont été constitués, un premier de six
personnes et un second de huit à dix personnes. Ces groupes ont ensuite
été orientés vers l'animation entre quinze et seize
heures pour le premier groupe, et, entre seize heures trente et dix-sept
heures trente pour le deuxième, (seize heures étant l'heure
du goûter pour tous ! ).
d- mise à disposition par la direction d'instruments
de musique:
des maracas, des claves, un triangle et une
cymbalette m'ont été très rapidement fournis par la direction
de l'institution..
e- Intégration de l'activité :
L'activité a été intègrée
dans le programme d'animation, et, inscrite sous la forme : " corps
et musique ", à partir du mois de septembre 2005.
2 - Mon statut
En qualité de médecin, j'ai exercé
pendant vingt-cinq ans dans les établissements français de
transfusion sanguine, et j'ai décidé personnellement, il y
a cinq ans de quitter ces fonctions, pour m'orienter vers une nouvelle pratique
professionnelle s'inscrivant dans le champ thérapeutique.
J'ai
rencontré la musique il y a une dizaine d'années
et, pour en avoir perçu une certaine dimension, aujourd'hui, la formation
en musicothérapie active me permet de faire " mes premiers
pas " dans cette nouvelle orientation.
Et c'est,
avec l'accueil favorable de la direction de l'institution, et l'accord du responsable
de la formation, qu'en qualité de stagiaire
bénévole, j'anime une activité musicale dans une maison
de retraite depuis le mois de septembre 2005.
3 Les objectifs
L'objet de ma démarche est d'animer, d'impulser
du mouvement à l'aide de jeux rythmo-musicaux, ceci afin de stimuler
les personnes âgées, pour leur permettre d'accèder à
une expression personnelle, et, à une relation avec l'autre.
C'est également la possibilité de faire naître
chez la personne, l'expérience d'un présent vivant, d'un présent
nouveau, l'expérience d'une nouvelle réalité dans l'échange,
le dialogue et la prise de conscience de possibilités physiques et
intellectuelles qui semblaient taries.
Aussi j'ai observé que l'activité " animation "
s'est progressivement métamorphosée en activité de
musicothérapie pour être traduite sous la forme d' Atelier
" corps et musique " dans le programme d'animation.
Cette évolution correspond tout à fait à la prise en
compte d'une nouvelle donnée dans mon objectif, à savoir le
travail sur la mémoire des personnes âgées atteintes
de démences.
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III.
QUE SONT LES DÉMENCES DES PERSONNES
AGÉES ?
Les démences dans cette institution s'articulent essentiellement autour des démences préséniles avec la maladie d'Alzeheimer, des démences séniles et des démences vasculaires.
Le terme de démence s'applique aux troubles mentaux
qui évoluent progressivement vers une altération définitive
des fonctions intellectuelles, avec désintrication des conduites
sociales par altération de la personnalité.
Il
est toutefois intéressant de souligner, ici,
que le terme de démence est issu du mot latin " dementia "
qui signifie la folie en général.
Par ailleurs, la notion de démence s'est modifiée
dans le temps, et si elle a disparu de la terminologie médicale,
elle persiste cependant dans l'article 64 du code pénal de 1810 :
" il n'y a ni crime, ni délit, lorsque le prévenu
était en état de démence au moment de l'action ".
Ce qui signifie que la psychiatrie et la justice sont intriquées,
de même qu'il y a une intrication entre la mort et la folie : "la
folie est la mort de l'humain dans l'homme ". (4)
La
spécificité de la démence ne résiderait-elle
pas dans un trouble de l'identité, plutôt que, dans l'importance
des déficits? En tout cas, pour Claude Balier, pionnier de la gérontologie,
" le syndrome démentiel doit être appréhendé
comme une interrelation entre l'atteinte organique et la personnalité ".
(5)
Les démences de la personne âgée rassemblent
un certain nombre de déficits. Parmi ces déficits, la perte
de mémoire en est une des principales caractéristiques, et
le premier type de mémoire affecté est la mémoire récente.
La mémoire ancienne reste en général intacte jusqu'à
un stade avancé de la maladie.
Au fur et à mesure que la maladie progresse, les
pertes de mémoire deviennent plus importantes comme ne plus se rappeler
le nom de ses proches ou d'avoir participé à " l'animation
musicale " sitôt cette activité terminée...
Etroitement
liée à la défaillance
de la mémoire, la désorientation temporo-spatiale affecte
ces personnes. Nombreuses sont celles qui sont incapables de savoir et de
dire le jour de la semaine, encore moins, le mois et à fortiori l'année.
Ils peuvent confondre le jour et la nuit, et se mettre à errer jusqu'à se
perdre et ne plus pouvoir retrouver leur domicile.
Puis, apparaissent progressivement des modifications fondamentales
de la personnalité et du comportement avec un retrait de la vie sociale,
une perte d'intérêt pour les activités courantes. Sans
raison apparente, ces personnes présentent des sautes d'humeur pouvant
passer d'un état affable et placide à des explosions de colère,
voire d'agressivité. Certaines sont particulièrement agitées,
ne tenant pas en place et déambulant pendant des heures.
Les
difficultés à accomplir les tâches
quotidiennes comme cuisiner, se laver, s'habiller..., les difficultés
de communication que ce soit au niveau du langage, de la lecture ou de l'écriture,
rendent à terme, ces personnes dépendantes d'un environnement
professionnalisé.
C'est ainsi, qu'après appréciation de leur
symptomatologie, ces personnes âgées, atteintes de démence,
sont placées en institution pour une prise en charge totale de leurs
besoins matériels.
Pour conclure, nous pouvons finalement dire que la défaillance de la mémoire associée ou confondue parfois à un déficit cognitif, est devenue " l'étendard du mal vieillir ". (6)
(4) Michel FOUCAULT cité par J.MESSY, op. Cit. p174
(5)
(6) Claude BALIER cité par J.MESSY, op. Cit.
p173
IV.
L'IMPORTANCE DE LA MÉMOIRE ET
SON RAPPORT AU TEMPS
1- Comment définir la mémoire?
En
référence au Petit Larousse, c'est un
ensemble qui inclut :
•
une activité biologique et psychique qui permet
de retenir des expériences antérieurement vécues,
•
une
aptitude à se souvenir,
• un souvenir qu'on garde
de quelqu'un ou de quelque chose, voire ce qui reste ou restera dans l'esprit
des hommes,
•
une
relation écrite faite par une personne des évènements
qui ont marqué sa vie ( écrire ses Mémoires ).
C'est aussi aujourd'hui, " l'organe " de l'ordinateur qui permet l'enregistrement, la conservation, et la restitution des données.
Et, parmi ses différentes mémoires, mentionnons ici la mémoire vive comme une mémoire effaçable pouvant être reprogrammée au gré de l'utilisateur.
2- Comment la mémoire évolue t-elle ?
Le vieillissement modifie la capacité de mémoriser
et de se rémémorer de par le nombre réduit de neurones
et de dendrites, de l'organe qu'est le cerveau.
Aussi, avec
le nombre d'années, le traitement de
nouvelles informations requiert-il un certain temps, un temps qui sollicite
chez une personne " normale " toute sa présence
attentive, attention indispensable à la mémorisation.
La mémoire est aussi marquée par la fuite du temps. Ce temps qui, pour paraphraser Saint Augustin, vient de l'avenir, passe par le présent, puis va dans le passé où il constitue la mémoire .Chez une personne atteinte de démence, ses troubles ne relèveraient-ils pas d'un processus temporel ? Son rapport au temps est vide de sens.
3- Où et comment intervient la musicothérapie active ?
Tenter de restaurer le rapport au temps et à la mémoire, et vérifier cet objectif, c'est essayer de le faire " travailler " par les personnes accueillies, en m'appuyant sur le calendrier, et sur des jeux rythmo-musicaux.
a) LE TEMPS CALENDAIRE
Je commence donc la séance en évoquant le temps calendaire. Les personnes participantes à la séance sont réunies et disposées en cercle.
Je pose alors la question :
- " aujourd'hui, quel est le jour
de la semaine ? "
- samedi, mardi...
- " oui, mercredi, c'est le bon jour ".
Je prends alors le calendrier de l'année, un grand
calendrier où je situe la position du mercredi : il est le troisième
jour de la semaine.
Je leur signifie que mercredi, par sa
racine latine " mercurii
dies " a une correspondance avec la planète Mercure, et
que, tous les autres jours de la semaine.ont aussi une correspondance significative
Par ailleurs, selon la Tradition, les planètes sont
reliées avec les notes demusique. Ainsi, mercredi est le jour de
Mercure, et, la planète Mercure est liée à la note
sol. Mercure, c'est aussi un dieu dans la mythologie grecque et romaine,
un dieu messager qui favorise la liaison, les échanges, donc le mouvement
et l'adaptation. Son attribut est le caducée : un bel accompagnement
pour les premiers pas d'une stagiaire en musicothérapie active !
Puis, j'inscris ce jour, mercredi, sur une grande feuille
de papier.
Je leur fais égrener alors, l'un après l'autre, les jours de la semaine. La semaine, qui par sa racine latine " septimana "signifie un espace de sept jours, ce qui correspond à un cycle qui existe depuis des millénaires. Le premier peuple à l'utiliser fut le peuple hébreu.
Je leur indique également qu'au premier chapitre
de la Genèse, Dieu créa le monde en six jours et, le septième
jour, son ouvrage étant achevé, il se reposa.
Si
sept, c'est six plus un, c'est aussi quatre plus trois. Le nombre quatre symbolisant
la Terre ( avec ses quatre points cardinaux ), le nombre trois le Ciel ( avec
les trois mouvements des astres ), le nombre sept représente la totalité de
l'Uni-vers en mouvement.
Dans toutes les civilisations, on retrouve ces notions
de globalité et de perfection liées au nombre sept. Aussi
prête t-on à Hippocrate cette sentence : " le nombre
sept, par ses vertus cachées, maintient dans l'être toutes
choses ; il dispense vie et mouvement, il influence jusqu'aux êtres
célestes ". (Jean CHEVALIER & Alain GHEERBRANT, Dictionnaire
des symboles, Robert Laffont, 1996, p.860)
Aussi si le temps,
signifie par sa racine latine " tem-pus ",
une durée découpée et délimitée, il s'inscrit
toutefois, dans un mouvement linéaire où existent un avant
et un après, avec des évènements qui tissent la chronologie
et l'histoire, et, dans un mouvement cyclique, avec la répétition
des semaines et des jours.
Avec les informations données par le calendrier,
je poursuis en montrant la date du jour qui elle-même est rattachée
à un mois, et, le mois à l'année. Ce
faisant, j'indique ainsi que le calendrier ordonne l'un après l'autre, les jours et les mois dans l'année.
Je
reprends alors la grande feuille pour y inscrire à
droite de mercredi, le numéro du jour, le mois, et l'année
comme suit : mercredi 22 février 2006.
Et, si nous nous intéressons maintenant à
l'histoire du calendrier, qu'est-ce qu'elle nous apprend, dans la mise en
place de cette organisation ?
J'indique que la structure de base de notre calendrier
repose sur l'observation du Soleil et de la Lune, de ces deux luminaires
visibles dans le Ciel.
Le Soleil, ou plus exactement la position de la Terre par rapport au Soleil a permis avec le phénomène des solstices et des équinoxes, d'avoir très tôt des repères. Ainsi, un premier calendrier dit " solaire " fit son apparition avec Jules César : le calendrier " julien " qui a été par la suite, revu et corrigé, par le pape Grégoire XIII en 1582 ; ceci, pour faire correspondre au plus près le temps que met la Terre à parcourir l'anneau elliptique autour du Soleil (soit 365,24 jours : année tropique). Ce calendrier dit calendrier grégorien est notre calendrier actuel (l'an 1 ayant été fixé à la date présumée de la naissance du Christ), et il est le calendrier civil pour tous les pays du monde.
Je fais par ailleurs remarquer que certains calendriers traditionnels ont été conservés en parallèle dans certains pays de culture non occidentale, ce qui fait figurer deux dates sur leurs journaux.
Et qu'en est-il de la Lune ?
Je demande l'autre mot qui est synonyme du mot calendrier.
- " l'almanach " : en effet : un mot
qui vient de l'arabe et qui, par sa racine " man " signifie
Lune ; ce qui montre bien le lien qui unit la Lune et le calendrier.
Les
almanachs étaient, à l'origine, les livrets
de la Lune, et les premiers calendriers furent lunaires (mais l'année
de douze mois ne durait que 354 jours !).
"Et comment nous
apparaît la Lune en ce moment ?"
-" on ne sait pas... "
La
Lune était dans sa phase de décroissance,
et, indiquée sur le calendrier sous la forme d'un " croissant "
bombé à gauche.
Je montre bien que cette phase dure en moyenne sept jours,
pour ensuite disparaître à ce qu'on nomme " la nouvelle
lune ", période au cours de laquelle elle va renaître
pour un nouveau cycle.
Ce cycle est inscrit sur le calendrier
(naissance, croissance jusqu'à plénitude:c'est la pleine lune, puis décroissance
jusqu'à disparition).
Aussi je propose aux personnes de regarder le ciel le soir
avant de fermer les rideaux...
En leur faisant observer ce
cycle, je leur évoque
le mythe de " l'éternel retour ".: dans les sociétés
primitives où est né ce mythe, seul le temps cyclique comptait, et
c'est en observant le ciel, et en essayant de prédire les déplacements
du soleil, de la lune et des planètes, que les hommes envisageaient
la prévision de périodes aussi vitales que le retour des saisons,
pour la bonne gestion des réserves alimentaires.
Puis, j'évoque la saison et ses principaux caractères en début de période. Par exemple, pour l'hiver, ce fut le mercredi 21 décembre 2005 (le jour du solstice d'hiver). J'invite alors les personnes à observer la nature et à me communiquer leurs observations.: en hiver, la nature est dépouillée, hormis les pins et sapins, ce qui m'a permis d'illustrer cette observation par la première partie du chant " mon beau sapin " :
Mon beau sapin
Roi des forêts
Que j'aime ta verdure
Quand par l'hiver
Bois et guerets
Sont dépouillés
de leurs attraits
Mon beau sapin
Roi des forêts
Tu gardes ta parure.
Par ailleurs, les nuits sont plus longues que les jours, bien que les jours commencent à rallonger progressivement chaque mois (pour devenir l'égal de la nuit, à l'équinoxe du printemps le 21 mars). La température extérieure froide engage à " l'hibernation " comme les ours...
Vivre en harmonie avec la nature, c'est, à cette période, privilègier " le dedans " pour se préparer à accueillir la saison à venir, à savoir le printemps. La végétation pourra alors " jaillir ", exploser, de par la montée de la sève durant l'hiver. L'hiver a, comme toute saison, sa propre dynamique : c'est une période d'espérance. Il oeuvre, dans le bourgeonnement souterrain pour une renaissance de la nature, et je me plais à comparer cette saison, à la période de la nouvelle lune.
J'insiste ensuite, au fil des mois sur les effets visibles, ne serait-ce que l'augmentation progressive de la lumière du jour, conséquence de l'inversion du mouvement du soleil qui commence à monter chaque jour un peu plus au-dessus de l'horizon, puis, de l'apparition des premières fleurs printanières dès la fin du mois de février.
Si les mois qui jalonnent les saisons, permettent d'observer
l'évolution du monde visible de la nature, ils sont aussi marqués
par des fêtes et des dates anniversaires, autant de points de repères
temporels qui donnent du sens au temps qui s'écoule.
Si
je reprends le mercredi 22 février, c'est le
jour de la Sainte Isabelle.
A ce propos, je fais remarquer que le calendrier grégorien civil a hérité du calendrier religieux pour la célébration des saints ou de faits importants de l'histoire du Christ. Alors, que nous révèle ce jour ?
Avec l''origine hébraique du prénom Isabelle, il nous fait découvrir que " Dieu est plénitude ", puis, un; fait d'histoire avec " la fondation au XIII ème siècle de l'Ordre des Clarisses de Longchamp " par Sainte Isabelle de France, soeur de Saint Louis.
D'autres fêtes marquent par ailleurs le mois de février comme : La fête de la Chandeleur le 2 février, une fête de purification qui illustre par ailleurs, bien ce mois (son étymologie latine " februare " signifiant " purifier "). C'est un mois qui a été nommé aussi, " mois des fièvres ", en raison des maladies dues aux rigueurs du froid et de la fièvre.
A l'origine, la Chandeleur était une fête
paienne, purificatrice à Rome, avec des chandelles allumées
pour la célébration ; puis, elle est devenue le jour de la
purification de la Vierge Marie, avec la coutume de laisser les chandelles
allumées ce jour-là, dans l'église.
C'est
aussi le jour des crêpes,un jour bien concret
pour tous, un jour où il est bon aussi, d'observer la lune : nous
étions en période de nouvelle lune (et en lune noire, le printemps
est prêt...).
Autour de la pâte à crêpes, les " langues
se sont déliées " pour me donner tous les ingrédients
nécessaires à sa réalisation. Nous avons alors défini,
la forme (ronde) et le changement de couleur des crêpes avant cuisson
(blanche) et après cuisson (dorée à brune ou presque
pour les crêpes au sarrasin), sans oublier de mentionner le louis
d'or dans la main !, car c'est l'ouverture vers une période de fécondité...
Ainsi,
faire des crêpes, c'est, et ce fut une manière
festive de se préparer à l'arrivée prochaine du printemps.
Ce jour-là, le chant " j'aime la galette,
savez-vous comment ?
Quand elle est bien faite, avec du beurre
dedans... " s'est imposé naturellement, et il y a eu une très
bonne participation de l'ensemble avec beaucoup de joie une joie qui
a continué de se manifester avec le chant, une fois la séance
terminée-.
La Saint Valentin (placé au 14) : la " fête
des amoureux ", la fête de l'accouplement des oiseaux .
La fête
de Carnaval, une fête mobile
(car liée à la lune ) comme celle de Pâques : elle se
situe sept semaines avant Pâques, pour se clôturer au Mardi
gras, fixé cette année au 28 février.
A
ce propos, j'évoque d'une part, les origines des
différentes pratiques carnavalesques qui ont existé en Grèce
et à Rome, et d'autre part, l'esprit qui y régnait pendant
cette période : cétait alors une véritable explosion
des hommes. Toutes les règles de la société semblaient
voler en éclat,tout était inversé et renversé
(sexe, âge, rang social, hiérarchie, valeurs...), d'où
les déguisements en animaux sauvages (ours, loup,...), les outrances
dans tous les domaines.
Un temps d'orgies et de débauches, qui selon Mircéa
Eliade,existait dans les sociètés primitives comme une façon
de renvoyer le monde au chaos primordial, chaos précédant
toute création de formes organisées. Dans l'orgie, les hommes
perdent leur individualité pour se fondre dans la grande matrice
universelle. Ainsi, en faisant circuler la force, la vie, ils préparent
symboliquement " le renouvellement ".(Mircéa
ELIADE cité par H.BENICHOU, op. Cit. p152)
Aussi,
peut-on considèrer le Carnaval comme une
fête annonçant le printemps.
On peut également le regarder,aujourd'hui,sous l'angle
social, et remarquer qu'il permet à la contestation de s'exprimer,
tel un désordre provisoire, nécessaire probablement.
Avec le Mardi gras,
c'est la mort de Carnaval, auquel lui succède le mercredi des Cendres qui
ouvre à une
période d'abstinence : la période de Carême, période
de préparation à la fête de Pâques, dans le recueillement
et le calme.
Le calendrier véhicule ainsi,au fil des mois une
étonnante quantité d'informations,qui donnent, et, redonnent
du sens à notre rapport au temps.
Les fêtes
nationales,
signant l'apport du calendrier politique célèbrent des faits
historiques importants.
Aussi, au moment opportun, je resitue l'évènement
dans son contexte. Par exemple, dans la semaine du 6 novembre,
j'ai évoqué
avec la Saint Martin, le 11 novembre, jour de l'Armistice qui est une fête
du souvenir. Il est alors intéressant de se réfèrer
à la signification du mot Armistice : " arrêt des
armes ", et de le relier, à l'évènement du
11 novembre 1918. La flamme présente lors de la cérémonie
ne symbolise-t-elle pas à la fois la chaleur existentielle entre
tous les hommes,et la lumière visant à toujours sensibiliser
l'humanité sur ce qui a été vécu?
Cette
reviviscence ayant donc pour objet, de renforcer la mémoire qui nous constitue, une mémoire qui a besoin sans
cesse d'être renforcée, remise au jour, revécue.
Pour ce qui est des dates anniversaires, je mentionne ici l'occasion que j'ai eue de fêter quelques anniversaires (ayant pu avoir les dates de naissance des personnes participant régulièrement aux séances) : ce fut celui de Gabriel, puis d'Hélène, de Marianne puis de Violette.
Ces jours-là, j'ai mis en place un petit rituel
:
au centre du cercle, j'ai plaçé une bougie
que j'ai allumée.J'ai, en quelques mots, présenté étymologiquement
" l'élu du jour ", et offert un quatrain comme
:
Tous réunis autour de Vous
Chère
Violette, bon Anniversaire
Que l'Amour soit au rendez-vous
En votre Coeur qui nous est cher.
- quatrain que j'avais retranscrit sur une carte " fleurie ", en souvenir pour l'élu. Puis, nous avons chanté ensemble " joyeux anniversaire... " ; s'est installé alors, un bref temps de silence auquel a succèdé un jaillissement de mots : " Bon anniversaire et bonne santé ", " on vous souhaite plein de bonnes choses ", " du bonheur, beaucoup de bonheur ". Propos qui ont exprimé avec force, le désir du " Bon " aussi bien pour soi que pour l'autre.
Si pour Mircéa Eliade, " tout rituel a un modèle divin "(7), n'y avait-il pas là un appel pour souhaiter trouver et retrouver le Bon-heur des origines ? Au milieu du cercle, une " flamme de vie " éclairait les sourires présents sur tous les visages ; un courant de joie avait traversé tous les coeurs. Ce fut pour moi une merveille et un grand étonnement à la fois.
Si la date anniversaire reste un repère familier et traditionnel, cette tradition peut toutefois, même si elle est répétitive, devenir vivante et active, par la nouveauté et l'imprévu.
Enfin, je clôture la séance avec un chant adapté au jour, comme dans notre exemple : " Aujourd'hui, mercredi
le 22 février
de l'année
2006,
et nous fêtons ici
la très
Sainte ISABELLE.
Ah, Ah,Ah oui vraiment
Ce jour est BON
pour moi ".
J'invite le groupe à chanter en alternance : le
groupe répète ce que je chante (en responsorial), puis la
reprise entre les deux moitiés du groupe (en antiphonique) dans un
second temps.
La parole musiquée et rythmée est associée
à une gestuelle simple, comme d'étendre le bras et la main
sur la date inscrite sur la feuille de papier, et d'imprimer un geste de
contentement à la fin, ceci pour contribuer à mieux incarner
le jour évoqué.
Ce rituel en début de séance, ne peut que
favoriser et permettre la cohésion du groupe.
Il est, par ailleurs intéressant de souligner qu'en hébreu, les jours de fêtes sont appelés " yom tov ", ce qui signifie " bon jour ".
Le temps calendaire,ce temps qui rythme la vie sociale
permet donc de donner un " plein de sens " au temps
qui s'écoule, et, qui ne rebrousse pas chemin. Sa
double structure y est reflètée dans les
calendriers, avec d'une part, le temps linéaire nous orientant du
passé vers un avenir énigmatique, et, avec d'autre part, le
temps cyclique qui nous ramènent dans le cercle des repères
familiers des dates anniversaires de la vie quotidienne.
Ainsi,
les calendriers, avec leur réservoir de significations
et de symboles, ne sont-ils pas là, pour nous rappeler le rapport
de l'homme au temps et au cosmos ?
(7) Mircéa ELIADE cité par H.BENICHOU, op. Cit. P163)
b) LES JEUX RYTHMO-MUSICAUX
Après l'évocation du temps calendaire et de ses éléments rythmiques, je propose naturellement au groupe des jeux rythmo-musicaux.
Le rituel de présentation
Je poursuis donc, avec le rituel de présentation. Il s'agit ici que chaque personne se présente au reste du groupe en donnant son prénom. J'ai expérimenté ce rituel sous différentes formes. Avec une mimique gestuelle et une création, rythmique :
Je montre la gestuelle qui est ensuite, reprise par le groupe, comme de frapper les mains sur les cuisses, puis de frapper dans les mains. J'y associe un rythme binaire, puis la voix avec " je suis (suivi du prénom) " ; sur la même gestuelle et le même rythme, il y a reprise avec " il (ou elle) est (suivi du prénom) " par l'ensemble du groupe.
Avec ce type de présentation, j'ai pu observer toutes les difficultés rencontrées par ces personnes : d'une part dans leur coordination personnelle, et d'autre part dans leur coordination aux autres. C'est aussi leur permettre de s'approprier le geste avec la répétition, car l'apport de la voix génère souvent l'abandon du geste. Il faut alors stimuler en leur donnant confiance pour tendre au résultat souhaité : à savoir un geste rythmé à l'unisson. Il me semble aussi important de souligner, que se prénommer fut chose difficile au début, dans la mesure où l'institution nomme les personnes : Monsieur ..., Madame....
Avec la base du protocole de "la balle nommée" :
Dans un premier temps, je lance librement le ballon à chaque personne, qui, alors me le renvoie ; puis, progressivement j'essaye d'initier un tempo régulier dans le " va et vient " du ballon. Sur ce tempo, je demande qu'avec le lancer du ballon, la personne donne son prénom à voix haute. Ce protocole se réalise aisément en séance individuelle, sans rupture du mouvement et du rythme. En groupe, il y a souvent un arrêt, comme une réflexion au moment de se prénommer avec le lancer.
Avec une improvisation musicale :
Je distribue des petits instruments à percussion
(maracas) et, je demande que chaque personne improvise un petit module musical.
Puis, sur ce petit module de dire son prénom. Le module
est ensuite reproduit avec la reprise du prénom
par l'ensemble du groupe.
Cette présentation n'a pas rencontré de difficultés
majeures et, elle a permis à toutes les personnes de se prénommer.
Avec une créativité gestuelle et rythmique :
Chaque personne doit alors proposer un geste rythmé
pour se prénommer, geste repris par l'ensemble pour la reprise du
prénom. Cette variante a été proposée au bout
de quelques mois, ceci pour permettre à chaque personne d'oser une
expression personnelle. Chaque personne a effectivement osé un geste, même
si celui-ci était simple, voir répétitif. J'ai pu toutefois
observé pour la plupart, une absence de coordination avec la parole.
Ce
rituel placé en début de séance,
permet aux personnes de prendre une place au sein du groupe, et de s'accueillir
mutuellement.
Cet accueil : " la façon dont on est reçu,
c'est agréable " que Violette a mentionné, en réponse
à la question de la psychologue de l'unité protégée
: " que pensez-vous de l'activité de la musicothérapie
? ".
Ici, il importe de mentionner l'impact du
lieu et de son environnement, car proposer à ces personnes " dans le repli
sur elles-mêmes ", de quitter leur entourage habituel au
profit d'un espace neutre, sans connotation particulière, sinon,
celle du plaisir à faire quelque chose, c'est leur permettre de poser
un regard neuf sur un nouvel environnement et d'offrir une certaine disponibilité
pour l'activité musicale. De ce changement, il en résulte
un déconditionnement bienfaisant qui amène détente,
plaisir et sentiment d'exister. Ce mouvement représente une opportunité pour
'une mise en relation entre les personnes.
Soulignons aussi, que la disposition en cercle permet à chacun d'avoir une place, dans un espace égal à celui de l'autre. En tant qu'outil de communication, il sert à voir et à être vu, autorisant l'échange des regards, des sourires et des expressions entre les personnes du groupe.
Par ailleurs, la répétition du rituel favorise le retour à l'identité tout en la consolidant avec le temps. Elle favorise cette mémorisation, qui elle-même, fait sens dans ce qui ferait la spécificité de la démence, à savoir un trouble de l'identité. Ce trouble traduit " la projection de la débauche du moi " avancée par Jack Messy dans un article intitulé " le temps du miroir brisé ".(Jack MESSY, op. Cit. p50)
" Mon visage a quelque chose qui fait peur ", Jeanne me le dit souvent. Sous cet aspect, la vieillesse s'évoque pour la plupart des personnes, en termes d'esthétique, porteurs de qualités negatives, avec une image de soi perçue comme hideuse. C'est ainsi que l'horreur de vieillir (avec toutes ses pertes) trouve son reflet dans le miroir, sous l'aspect du moi hideur, révèlé par la chute de l'idéal du moi. Avec cette chute, il n'existe plus la médiation régulatrice de l'idéal du moi, ce qui laisse les possibilités du symbolique, à organiser un imaginaire repoussant et effrayant.
Ainsi, la démence émergerait, lors de la substitution de l'idéal du moi, par la hideur du moi, ( mettant ainsi à l'écart le moi ), à l'occasion d'une perte " en trop ", celle qui détermine l'entrée en vieillesse.
Ce rituel peut donc être considèré
comme une rencontre avec soi : en prenant le temps de se prénommer,
c'est aussi, avec la reprise du prénom par le groupe, une rencontre
gratifiante dans la mesure, où il y a reconnaissance, et sentiment
d'appartenance à un ensemble. Ce sentiment a été très
bien exprimé par Hélène, dans le journal interne de
l'institution : " on est tous réunis, et, je trouve çà
important la réunion. Moi, j'y retourne avec plaisir ".
Ce
plaisir verbalisé par tous les résidants
de l'unité protégée n'est-il pas la manifestation de
la place prise par le sujet en un point l'idéal du moi
d'où il se voit comme susceptible d'être aimé, et comme
le souligne Sylvie Le POULICHET : " le symbolique en arrive à
prévaloir sur l'imaginaire et l'organise ". (Sylvie Le
POULICHET cité par J.MESSY, op. Cit. P52)
Le quatrain " musiqué "
Si la répétition du rituel de présentation concourt à une réorientation temporo-spatiale, elle permet également, selon la formule de Saint Augustin, que le temps ne s'engouffre pas n'importe comment, dans le présent, ce temps qui vient de l'avenir, passe par le présent, puis va, chargé de sens, dans le passé, où il constitue la mémoire.
Je propose alors d'investir le jour présent, avec
un quatrain, ou, un chant emprunté au registre des
chansons traditionnelles. Pour la plupart des quatrains,
j'ai essayé
de traduire des situations concrètes en langage poètique,
teinté toutefois d'un peu d'humour.
Parmi les thèmes évoqués,en
voici quelques exemples :
dans le rapport au temps présent :
Stopper feu rouge, rouler feu vert
Mais attention si nez en l'air
L'aventure
est dans le présent
Plus question d'être somnolent.
dans le rapport au cycle de la journée:
Le temps du jour, besoin d'effort
Pour exister, aimer son sort ;
Le temps du soir, besoin d'oubli
Pour aller vers une autre vie.
en rapport avec le chant : un quatrain qui m'a été suggèré par Gabriel suite à ses mots : " n'importe qui, n'importe quoi ",
Une chanson sans prétention
N'importe qui peut la chanter
N'importe quoi, il faut oser
Dans
toutes les situations .
Quelques quatrains ont évoqué le temps de la saison, comme celui du mois de décembre :
Gar'au vent, gar'au vent d'hiver
Sifflant, soufflant dans nos oreilles
Gar'au temps, gar'au temps d'hiver
Refroidissant tous nos orteils.
celui du mois de mai :
Mois de mai, fais ce qu'il te plaît
C'est le printemps et je le sais
Beauté de
toutes les couleurs
La nature entre dans nos coeurs.
Enfin, un ensemble où chaque vers reprend à l'identique la fin du précédent, ceci pour en faciliter la mémorisation
Battons des mains avec entrain
Avec entrain, au p'tit matin
Au p'tit matin, j'ai toujours faim
J'ai toujours faim, viv' le bon pain.
Viv' le bon pain fait à la main
Fait à la
main dans le moulin
Dans le moulin, il y a du grain
Il y
a du grain jusqu'à demain.
Jusqu'à demain, j'irai bon train
J'irai bon train, cueillir du thym
Cueillir du thym, du romarin
Du romarin, just'un p'tit brin
Avec le quatrain, je propose fantaisie et nouveauté, ce qu'Hélène, un jour a exprimé : " on est toujours content de découvrir quelque chose ".
D'abord, je récite oralement le quatrain du jour. Puis, je demande, à ce que chaque syllabe soit accompagnée d'un geste musical et, d'un son à travers le jeu instrumental (à l'aide de maracas, de claves...) de manière à bien marquer les huit temps. A souligner ici, toutes les difficultés que présentent ces personnes désorientées, à marquer un temps à l'unisson.
Il s'agit là d'être patient et persévérant,
pour obtenir au fil des séances, le résultat escompté,
et, pour leur faire partager cette expérience commune, une , expérience
bénéfique pour la cohésion du groupe . Le groupe devenant
en quelque sorte une matrice qui balance, pulse, réactive l'élan
vital.
Puis, je reprends chaque vers, et invite les personnes à apprendre et à s'approprier les mots : d'abord, sur la première
moitié du vers, c'est- à- dire sur quatre temps, de maniére
à bien placer la respiration ; puis,sur la deuxième moitié,
e,t enfin sur le vers dans sa globalité, c'est- à-dire sur
huit temps.
Chaque vers est répèté plusieurs fois
par l'ensemble du groupe, puis individuellement, ce que Jeanne a bien remarqué
: " on claque des mains, et puis, on répète des
choses ".
La coordination de la parole et du mouvement corporel requiert plusieurs séances, car le corps a tendance à retourner très vite, dans son immobilité première. Lors de l'apprentissage du texte et de la récitation, il n'est pas rare que les vers subissent quelques transformations.
Pour en citer ici, un exemple : avec la comptine
Quand
j'étais petit
Je n'étais pas grand
Je n'ai pas appris
Quand il était
temps,
Emma a spontanément, changé les deux derniers vers, qui sont alors devenus :
" J'ai eu des enfants Avec mes parents ".
Elle a toutefois conservé la base rythmique, et, ses vers sont restés rimés ! Un exemple qui illustre bien ici, les propos de Marcel Jousse : " on ne rythme pas par mots, mais par propositions ". (8)
Pour ces personnes très déficientes, l'apprentissage
sur quatre temps me semble être une base bien adaptée, une
base offerte par la structure binaire du quatrain. Elle concourt par ailleurs,
à une bonne régulation respiratoire, dans l'exercice du souffle
et de son rythme. Comme le souligne Marcel Jousse, le souffle, dont l'importance
est capitale, permet à la parole de se déplier hors du corps. Ensuite,
j'improvise une mélodie rythmée,
pour permettre à la parole de s'écouler dans un " flux ",
tel un balancement vivant. Je chante le quatrain dans sa
globalité, et, l'apprentissage
de la mélodie se réalise entre moi et le groupe, en responsorial. L'alternance ne se met pas en place facilement, aussi faut-il
encore ici, beaucoup de patience, et laisser oeuvrer le temps pour tendre
au balancement.
Un balancement inscrit dans le grand Ordre
de l'Univers, et, que l'Homme , selon Marcel Jousse, ne peut qu'exprimer : " l'Homme
se réfléchit en réfléchissant l'Univers ".
(9)
Ce balancement nous est offert ici par la structure bilatérale du quatrain, la structure de l'être humain, que Marcel Jousse évoque dans sa formule du " SEPTENAIRE " :
L'Homme va partager le monde selon sa stucture
bilatérale :
il crée la DROITE, il crée
la GAUCHE,
il crée l'AVANT et il crée l'ARRIERE
il
crée le HAUTet il crée le
BAS,
avec, au CENTRE, l'Homme qui fait le partage.(10)
La structure bilatérale du quatrain permet donc un partage, répartissant ainsi la " charge " de l'exercice, pour en faciliter sa mémorisation.
(8) Marcel JOUSSE, Anthropologie du geste, Resma,
1969, p126
(9) ibid., p100
(10) ibid., p203
Si le responsorial s'est bien déroulé, je propose alors, une " version " chantée par le groupe lui-même. Pour ce faire, je répartis les personnes en deux sous-groupes, et je mets en place le chant en antiphonique :
- d'abord, avec la répétition simple : le
premier sous-groupe entonne le chant d'un vers, puis l'autre sous-groupe
le répète, sur la même mélodie.
-
puis, les vers sont chantés deux à deux,
sur la même mélodie.
Dans chaque sous-groupe, il se dégage assez vite un " leader ", sur lequel les autres vont s'appuyer. Ici encore, c'est la répétition qui permet la mise en place correcte des motifs rythmo-mélodiques e,t la réalisation de l'exercice. A souligner que le rythme est un élément " essence-ciel ", exprimé dans cette formule de Marcel Jousse : " je rythme donc je suis ". (11) car, même s'il est peu ou pas perçu, par l'ouie souvent bien déficiente de ces personnes très âgées, il l'est par contre, par la peau et les organes internes qui présentent des récepteurs sensibles.
Le rythme invite donc la personne à être présente
; une présence que j'ai eu l'occasion d'observer en fin de séance,
sur des bribes de phrase exprimées notamment par Violette, réagissant
à l'actualité du jour : "ce n'est pas bon tout ça,
ce n'est pas bien ...".
On peut dire aussi,
que les processus rythmiques sont inscrits dans le mouvement corporel, ce que
Gabriel m'a donné à voir,
lors d'une séance individuelle. Gabriel sombre facilement dans la
somnolence, et ce jour-là, je lui ai proposé une conversation
rythmique sur tambourin. A la fin de la conversation, il a " explosé "
en chantant une série de chansonnettes rythmées et rimées...,
la brillance de ses yeux reflétait un éveil qui a été
très vite remarqué par l'équipe soignante, dès
son retour dans l'unité.
Les personnes âgées, pour la plupart aiment chanter, et cette activité leur procure du plaisir.
Si je choisis, un chant traditionnel pour la séance,
ce sera volontiers une comptine comme " une souris verte ",
"une poule sur un mur", "un, deux, trois," pour les
inviter à bien marquer la pulsation, avec un frappé de mains
ou avec, une petite percussion. C'est la répétition du geste qui permet l'enracinement
de ce rythme primitif présent dans la chanson populaire.
Puis,
je les fais chanter assez facilement, la mélodie
souvent connue, ce qu'Hélène a exprimé : "je
bats des mains et je chante en même temps, parce que souvent je connais.
Moi, j'aime beaucoup". Ainsi, par une approche ludique
et simple, on revivifie une mémoire sensorielle archaique, sans laquelle, il ne peut y avoir
de réorganisation claire du langage.
Je citerai ici, le cas d'Emma, qui était
figée
dans une impressionnante immobilité, lors des premières séances
: je l'ai vue, en séance individuelle, chaque semaine durant dix
à quinze minutes,et ce, depuis le mois d'avril. Après trois à quatre séances, elle
a commencé à retrouver l'usage de quelques mots et une communication
extérieure a pu progressivement se réamorcer. C'est
avec la pulsation de la comptine "Un, deux,
trois" que je lui imprimais , par la percussion de ma maracas, sur
celle que je lui avais mise dans sa main droite, qu'un mouvement a jaiili,
à travers le chant qu'elle s'est mise à entonner. Au cours
des séances suivantes, j'ai engagé un peu plus son corps avec
le ballon, exercice qui lui a permis de se prénommer et de me prénommer.
Cette
expérience m'apparaît comme une réponse
à un appel qui était bien présent chez Emma. Ce qu'elle
a communiqué au mois de juin, en réponse à la question
posée par la psychologue qui lui posait cette question : "cette
activité du mercredi après-midi vous plaît-elle ?"
"Ho,
oui, ça je sais", alors qu'elle n'a pu verbaliser ce qu'elle
y faisait :
- "je ne me souviens pas trop".
Ces
quelques mots "ça je sais", ne sont-ils
pas là, pour nous dire avec certitude, combien les outils de la musicothérapie
active (ici avec le chant et le jeu instrumental) peuvent contribuer à
la structuration, voire à la restructuration de l'être, dans
sa globalité ?
Puisse ce quatrain résumer, et, exprimer en même temps, l'essence de ma réflexion :
Se balancer pour partager
Mémoriser
et mieux penser
Le flux des mots s'exprime à temps
Dans le souffle au rythme incessant.
(11) ibid., p145
Le conte " musiqué "
Par leur structure binaire, les quatrains se présentent comme des comptines, voire comme une musique élémentaire. Elémentaire ? Au sens d'essentielle, relative aux origines, si on se réfère à la racine latine "elementarius". Les rythmes élémentaires qui y sont contenus, sont à la base d'une organisation claire du langage. Et, nous retrouvons cette organisation dans le conte, à travers son ordonnancement rythmo-mélodique. Qui dit ordonnancement, dit rythmisation, mesure, formulation ordonnée, soit, tout ce que nous pouvons trouver dans un énoncé rythmo-musical.
Ainsi, le conte s'inscrit-il naturellement ici ; et, que
nous propose t-il pour ces personnes qui ont perdu la mémoire des
mots, et, qui présentent une parole mal assurée, voire souvent
balbutiante ? Par son ordonnancement rythmo-mélodique, c'est l'accès
au symbolique, c'est-à-dire à la parole ; et, par son contenu,
l'accès à un sens qui est, par essence, mythique (du grec
" muthos " qui désigne la parole).
Et,
comme le dit Bruno Bettelheim, le " travail "
du conte opère au coeur même des processus de symbolisation,
et c'est là que réside à la fois la fascination qu'il
provoque ainsi que son efficacité et, Willy Bakeroot ajoute que " si
les contes sont fascinants, c'est sans doute parce qu'il nous relient à
des racines mythiques qui ont toujours servi à nommer les grands
mystères de la vie ".(12)
Quelques séances ont donc été consacrées
au conte.
Je présente d'abord le titre du conte : par exemple
"Les fiancées de l'ours", un conte extrait d'un recueil
de contes Russes (Grund). Dans ce conte, on peut dire qu'il
y a deux personnages principaux, un ours et un chat. Sur une grande feuille,
je trace la morphologie imposante de l'ours et, à côté, celle
plus fine du chat. Je demande au groupe de prononcer un "ouah" grave
en pointant la main sur l'ours, et un "mia-ou" léger et
aigu sur le chat. Puis, je donne la consigne suivante : dès que je
prononcerai le mot ours ou chat au cours du récit, le mot devra être
accompagné du geste et du phonème adapté.
Je
commence alors à raconter, à égrener
les mots du récit, tout en les modulant bien avec le ton de ma voix,
et avec un rythme qui puisse offrir par ses silences, une possibilité d'engager
un mouvement corporel.
J'observe très rapidement que le groupe reprend
difficilement la consigne : hésitations,silences pour certains, absence
de coordination geste-phonème, manque de cohésion dans le
groupe. Alors, raconter, n'est-ce pas aussi "re-compter" ?
L'étymologie du mot conte, nous le fait découvrir : le terme "conte" est un avatar populaire du terme "compte", tous deux issus du mot latin "putare" qui signifie "apurer un compte". Je vérifie donc, et j'arrête en quelque sorte le compte, telle une mise en ordre nécessaire pour pouvoir inscrire la parole dans l'objectif de la démarche.
Comme le mentionne Willy Bakeroot, "cette parole ne peut exister pleinement si elle ne s'enracine pas dans le mouvement du corps et le rythmo-mélodisme".(13) Compter, c'est énumèrer (égrener les mots), mais c'est aussi répartir, distribuer. Aussi, le conte, par son organisation et ses structures cycliques, m'offre t-il la possibilité de proposer à ces personnes une participation adaptée.
Je reprends donc le récit, l'aménageant de bonnes respirations, avec une modulation plus prononcée de ma voix. Le déroulement du récit m'amène très rapidement à un partage entre moi et le groupe. En effet, un premier paragraphe présente une structure simple et répétitive. Au premier énoncé, je demande au groupe de reprendre la phrase, comme suit :
Si je dis : "le petit chat saute la
barrière",
le groupe reprend : "le
petit chat saute la barrière",
puis, je
continue avec : "la jeune
fille saute la barrière",
le groupe reprend
: "la jeune fille
saute la barrière"...
Comme ce passage revient à trois reprises dans le
récit, je vais à la deuxiéme reprise nommer seulement
les sujets, comme :
je dis : "le petit chat...", et j'invite le groupe
à terminer la phrase, et ainsi de suite avec "la jeune fille...".
Par
ailleurs, je propose un geste qui fasse sens par rapport au déroulement
de l'action.
Les personnes, au début, ont quelque hésitation à entrer dans le processus, mais la répétition des couples de phrases tend progressivement à un mouvement d'ensemble, à un balancement vécu dans le plaisir.
Comme le souligne Michèle Simonsen, "il y a un plaisir rythmique de l'ordonnancement qui dépasse le narratif" (14), ce qu'Eve a exprimé aprés une séance de conte : "oui, c'est bien, c'est drôle" et qu'Emma a verbalisé lors d'une séance individuelle, dès le début de la comptine : "quand j'étais petit, je n'étais pas grand..." par une série de petites formules comme : "je fais pipi au lit", "mes parents sont vivants", "ils sont dans le ciel"..., tel un égrenage litanique- paroles qui célèbrent en quelque sorte la mort de ce qui ne sera jamais retrouvé, et, qui peuvent trouver, par ailleurs, un écho dans cette expression de Jacques LACAN : "les comptines, ça me fait penser à un rituel mortuaire" (15).
D'autres passages se présentent également
trois fois au cours du récit, mais de manière différente.
Pour exemple, nous avons cette séquence : " Tu
m'as amené une bien jolie ménagère,
mon petit chat Griffes d'Or. Nous aurons maintenant bonne vie ici. Et toi,
ménagère, il te faudra me faire bien manger et boire et je
t'apporterai tout le bien que tu voudras."
"Prends
ces clefs. Tu peux ouvrir cette armoire-là,
tupeux ouvrir cette armoire-ci, mais la troisième, je te défends
de l'ouvrir sinon je t'étranglerai ".
Une
séquence où je vais demander plus de
participation : j'invite les personnes à improviser, à créer
un geste en rapport avec l'action, et à s'approprier un geste collectivement.
Ici,
les situations sont simples et très concrètes
: "on boit, on mange, on ouvre la porte...".
Quoi qu'il en soit, obtenir un geste collectif, si simple
soit-i,l requiert un minimum de temps pour ces personnes qui ne font souvent
qu'ébaucher un mouvement. Là, j'ai pu remarquer que le groupe
en tant que matrice, est aidant, pour tendre à la réalisation
du bon geste, un geste qui fasse sens, pour établir une relation
de l'organisme à sa réalité, rejoignant ici la notion
de "l'efficacité symbolique" exprimé par Levi-Strauss.
(16)
L'obtention d'une certaine cohérence est l'objectif
à atteindre, ceci afin de rejoindre celle que le conte nous offre,
par les différents rythmes qui y sont inscrits : rythmes de l'ordonnancement,
de la structure, et en leur sein, celui de "l'âme", du sens.
Et, ce sens est mythique.
Si, nous revenons à l'étymologie du mot "conte",
avec "putare", qui signifie à l'origine "élaguer
les arbres", les contes sont, tel que les présente très
poétiquement Willy Bakeroot, comme les rameaux d'un arbre dans lequel
ils ont puisé leur substance. Cet arbre est l'arbre des mythes.
(12) Willy Bakeroot, "contes, comptes et comptines",
1991. ( Revue "Art et Thérapie" 1991)
(13)
Willy Bakeroot, "le conte en musicothérapie
active : un travail de symbolisation." (Doc pour la formation)
(14)
Michèle SIMONSEN, cité par Willy BAKEROOT, le conte en musicothérapie
active : un travail de symbolisation.
(15) Jacques LACAN,
cité par Willy BAKEROOT, "contes,comptes
et comptines", 1991
(16) Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale,
Plon, 1974, p.205-226
Ainsi, en se reliant à la tradition, le conte revivifie une mémoire collective qui nous enveloppe, et nous conditionne, ce que Marcel Jousse traduit de la façon suivante : "Dans un milieu de style oral, l'improvisateur-récitateur ne crée pas les formules, mais il crée avec des formules que pourtant, il n'a pas inventées". (17)
Par ailleurs, le mythe a donné naissance au "muthos",
qui signifiait à l'origine chez les grecs, la parole prononcée,
la parole formulée.
Conter, c'est donc s'inscrire
dans le "muthos",
dans une formulation à la fois ludique, par les images et les métaphores
employées, et, ordonnée par le déroulement cyclique
du récit.
Aussi, la parole dans le mouvement qu'elle
génère,
va t-elle s'incorporer et s'imprimer dans la structure du système
symbolique, tout en s'articulant avec le système imaginaire.
Ces
systèmes, ces instances font référence
à la structure de l'appareil psychique (symbolique, imaginaire, réel)
définie par Jacques Lacan, et représentée par le noeud
borroméen. De l'étymologie grecque "boros", qui
signifie "tourner", cette représentation montre bien les
articulations des instances entre elles, et leur interdépendance.
Qu'une articulation vienne à faillir, et l'ensemble se dissocie,
générant alors, des conflits et des pathologies.
Aussi,
pour tenter d 'expliquer la perte de mémoire
chez les personnes atteintes de démences, je m'en réfèrerai,
ici, aux propos de Jack Messy : "Si le système symbolique ne peut plus s'accoler
à son système imaginaire, la personne perd alors les mots".
(18)
Toutefois, les mots ne sont pas tout le langage, et c'est
ce qu'Emma m'a donné à voir, au décours des premières
séances : un signe de tête pour un oui, ou un non ; un sourire
pour exprimer sa joie, son plaisir.
Ce que Jacques Lacan,
par ailleurs, traduit de la façon
suivante : "Par son corps même, le sujet émet une parole"
(19), comme si ces personnes entendaient et comprenaient le sens des mots
prononcés avec l'impossibilité de dire.
N'est-ce-pas
rejoindre aussi, ici, Sigmund Freud sur la perte de la représentation préconsciente des mots, telle qu'il
la définit dans sa première théorie (sa première
topique), sur l'appareil psychique présentée dans le chapitre
VII de "l'interprétation des rêves" ? La
représentation préconsciente des mots
étant liée au langage verbal, et, aux représentations
de mots.
Ce que j'ai pu observer avec Emma et Gabriel, en séance
individuelle, ce sont :
- soit des mots transformés, voir incompréhensibles,
comme "les sensants renséris...", donnant l'impression
d'une absence de préconscient,
- soit une absence
de contrôle des mots, un égrenage
inlassable de mots, avec souvent la répétition d'une même
formule, "Lise passe devant l'église", "le
bataillon sonne le carillon"..., comme si la seconde censure de l'appareil psychique
ne fonctionnait pas - cette censure sélectionnant le passage des
contenus psychiques entre le préconscient et le conscient.
L'existence
de cette censure favorise naturellement l'activité
de l'attention, une activité consciente indispensable à la
mémorisation.
Ainsi, mobiliser l'attention de ces
personnes ne peut que les aider à restaurer progressivement le fonctionnement
de leur appareil psychique. Et le conte, par sa formulation
vivante et créative,
me semble être une activité à privilègier.
C'est
ainsi que, pour ces personnes qui aiment bien chanter, je place facilement des
chants simples au décours du récit,
des chants qui illustrent la situation formulée : comme,
dans le conte "Les fiancées de l'ours",
quand l'ours souhaite bien boire et bien manger, les personnes ont facilement
entonné et mimé ce petit chant : "Boire un petit coup,
c'est agréable".
Boire un petit coup, c'est doux
Mais il ne faut pas rouler dessous la table
Boire
un petit coup, c'est agréable
Boire un petit coup,
c'est doux".
Ces moments permettent une participation dynamique, un
dialogue entre moi et, le groupe de personnes. Ce sont des
instants vécus dans le plaisir, plaisir
par ailleurs bien exprimé par les personnes participantes : "c'est bien", "moi, j'aime bien", "j'y
retournerai avec plaisir", "il y a toujours quelque chose
de nouveau".
Dans un autre conte, "Les trois langages" de
Grimm, j'ai accolé deux comptines, chacune a été reprise
dans le déroulement du récit trois fois, ce qui favorise un
peu plus la mémorisation, tout en contribuant à la compréhension
du texte.
Ainsi, dans la première partie, pour illustrer l'enseignement donné au fils stupide, j'ai proposé cette comptine :
quand j'étais petit
je
n'étais pas grand
j'ai beaucoup appris
en jouant tout'l temps.
Puis, dans la seconde partie du conte, où le fils est abandonné à lui-même, cette variante :
quand j'étais petit
je
n'étais pas grand
depuis j'ai grandi
écoutant tout'l
temps.
Ceci, pour souligner le développement harmonieux de ce garçon qui a intègré tout ce qu'il a appris, ce qui va lui permettre d'atteindre et d'acquérir son autonomie. A la fin du récit, j'ai pu observer une expression d'admiration sur la plupart des visages et, j'ai pu percevoir comme un bien-être dans le groupe, une sérénité qui imposa naturellement un instant de silence, telle une nécessité pour continuer à savourer la substance du conte - une substance incantatoire que le mot lui-même contient, et, qui fait dire à Willy Bakeroot que le conte, d'une certaine manière, est une mise en chant-.
Une mise en chant subtile, qui s'intègre merveilleusement au sein de la musicothérapie active : en effet, c'est en imprimant les différentes instances psychiques, à la fois par son ordonnancement rythmo-musical,et son plein de sens que le conte offre dans sa globalité, des possibilités de construction, voire ici de restauration. Et, pour ces personnes devenues démentes, et ayant perdu la mémoire des mots, pour dire les choses, puisse le " conte musiqué " s'inscrire dans une démarche thérapeutique, comme un véritable projet ?
(17) Marcel JOUSSE, Anthropologie du geste, Resma,
1969, p329
(18) Jack MESSY , op. Cit. p.179
(19)
Jacques LACAN, cité par J.MESSY, op. Cit. p.183
CONCLUSION
La mémoire est un capital
En
flux constant à écouler
La restaurer
vers l'idéal
N'est-ce-pas l'enjeu à se
donner ?
ÊTRES ÉGARÉS, ils le sont DEVENUS....
Aujourd'hui, objets de leur âge, et/ou de leurs lésions
cérébrales, ils résident en institution. Nous appellent-ils
pas toutefois, à les regarder comme sujets désirants, et,
à les soutenir dans leur quête ?
Avec les années, les pertes qu'ils ont subies ont
engendré des ruptures qui, sur le plan psychique, ont crée
des "trous" dans leur moi (une des instances psychiques définies
par S. Freud), qui se trouve alors l'objet d'une desquamation, voir d'un
assèchement imaginaire.
Et, pour citer ici, les propos
de J.Messy : "nous
vieillissons...comme notre idéal du moi veille sur nous". (20)
En l'absence de nouvelles acquisitions, il ne reste plus
de leur moi qu'une épure, un moi à fleur de peau. Cet effacement
progressif du moi, ne préside t-il pas à l'orientation de
ces êtres dans le registre des démences ?
Une
fois basculés dans la démence, ces êtres
manquent de mots pour traduire leurs maux, interrompant de ce fait, toute
communication avec l'autre, ce qui fait dire à M.Mannoni : "le
drame de bien des vieillards perdus dans leurs repères est qu'on
ne leur parle plus". (21)
En utilisant le langage du corps, le langage de l'action, celui qui est à la base de tous les langages, la musicothérapie active n'est-elle pas là, pour offrir à ces êtres égarés de nouvelles perspectives ? Pour ces personnes présentant des difficultés d'expression et de communication, ma première démarche est celle d'un don au niveau de la joie avec les jeux rythmo-musicaux. Cet élément ludique est exprimé par H.Spittler dans les aspects sociodynamiques de la musicothérapie , comme offrant "directement des possibilités thérapeutiques très importantes..." en relation avec " l'affermissement du moi que procure le fait de prendre plaisir "(22) Aussi, les jeux musicaux sont-ils vécus, à travers le chant et le jeu instrumental comme une activité particulièrement stimulante.
Proposant à la fois répétition et nouveauté, l'activité rythmo-musicale permet donc à ces personnes, de faire l'expérience d'un présent vivant, reconnaissable à leur bien-être, un bien-être partagé car porté au-delà de la séance vers les autres, ce qui est souligné par ce propos de G.Brelet : "participer au rythme, c'est éprouver à la fois un élan et un apaisement, c'est connaître ce loisir heureux d'une activité dans le libre exercice de son acte et s'établir dans la sérénité féconde du présent". (23)
Le rythme se trouve bien au coeur même, de la pratique en musicothérapie active, et, sa portée n'est-elle pas, ce que mentionne D. Marcelli : "le rythme sert à ouvrir la boucle du temps, il permet à l'être humain de passer d'un temps circulaire à un temps linéaire" ? (24)
Que ce soit avec le temps calendaire, ou, le temps musical,
le cadre de la séance, offre un mélange subtil de ces deux
temps, permettant d'assurer d'une part, avec la répétition,
une structure de base, une sécurité, où ce qui est
attendu advient, et d'autre part, d'accueillir le changement dans ce qui
survient, dans la "surprise", d'où l'étonnement,
l'éveil parfois surprenant de ces personnes, telle une brèche,
pouvant augurer alors, de nouvelles perspectives.
Et D.MARCELLI
précise : "Mais il n'y a
pas de surprise sans le surgissement d'un autre et, c'est par cet autre,
que l'ouverture du circulaire au linéaire s'opère".(25)
Nest-ce pas dans l'autre que l'on se trouve ?
Pour ces personnes qui se sont progressivement repliées sur elle -même (à l'image du mouvement de notre société individualiste), les exercices collectifs leur permettent d'accepter l'autre, de le reconnaître dans sa globalité et, de vivre la communauté du groupe dans le partage, un partage inscrit dans les règles du jeu. Et, si le plaisir est une nécessité vitale indispensable à l'acceptation de la réalité, il l'est aussi quand à l'expression de ces êtres, pour qui l'âge est venu interdire ce que nous accorderions plus volontiers à un jeune, à savoir, une attention bienveillante.
Quelques exemples dans cette institution, notamment au sein de l'unité protégée, m'ont montré qu'une stabilisation, voire des progrès peuvent être obtenus, grâce à la mise en place d'un environnement affectif, attentif et confiant. En effet, la confiance manifestée à l'égard de ces personnes, une confiance imprègnée de patience permet, sans nul doute, des "renaissances" vocales, motrices et mémorielles.
Alors, EGAREMENT..., DEFAILLANCE de la mémoire..., DEMENCE...
Un énoncé, en tous les cas, où demeurent encore bien des mystères, et si la communication y est interrompue, cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de demande, qu'il n'y ait pas de réception, d'où la nécessité d'émettre des messages, de capter les appels quellles que soient nos impressions, et de toujours travailler, comme le dit si justement J.Messy :
"AVEC le DESIR au COEUR".
(20) J.MESSY, op. cit. P200
(21) M.MANNONI,
cité par J.MESSY, ibid., p177
(22) H.SPITTLER, cité par
Y.MOYNE-LARPIN, op. Cit. P172
(23) G.BRELET, cité par
Y.MOYNE-LARPIN, op. Cit. P219-220
(24) D.MARCELLI, La
surprise, la chatouille de l'âme,
Albin Michel, 2006 p158
(25) ibid., p158
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES :
BENICHOU Hélène, Fêtes
et Calendriers,
Paris, Mercure de France, 1992
CHEVALIER Jean et GHEERBRANT Alain, Dictionnaire
des Symboles, Paris, Robert
Laffont, 1996
GRIMM J.et W., Contes 1, Poitiers, Flammarion, 1997
LAPLANCHE Jean et PONTALIS J.- B., Vocabulaire
de la Psychanalyse,
Paris, Puf, 2004
LE BRAS Florence, La
Bible des Prénoms, Italie,
Marabout, 2002
LEVI-STRAUSS Claude, Anthropologie Structurale,
Paris, Plon, 1974
MARCELLI Daniel, La Surprise, chatouille
de l'âme,
Paris, Albin Michel, 2006
MARTYN Christopher et GALE Catharine, Troubles
de la Mémoire,
Hong-Kong, Marabout,2000
MESSY Jack, La personne âgée
n'existe pas,
Paris, Payot, 1992
MOYNE-LARPIN Yolande, Musique pour
Renaître, Paris, Desclée de Brouwer, 1988.
ARTICLES :
BAKEROOT Willy,
"Résumé des recherches de Marcel JOUSSE"
(documentation pour la formation)
"Contes, comptines et quatrains ou les chants à penser"
"Contes,
comptes et comptines"
"La musicothérapie
et le temps symbolique"
"Le conte en musicothérapie
active : un travail de symbolisation."