Musicothérapie active
pour tiroir et xylophone
Gap et Guadeloupe
Léo a 7 ans 10 mois et
fréquente notre institution en hôpital de jour depuis 3 ans.
C’est un enfant psychotique qui a pu être scolarisé en CLISS
(classe d’intégration spécialisée) depuis un
an. En tant qu’orthophoniste
pratiquant la MA, (Musicothérapie active) je vois Léo dans le
cadre de séances individuelles et de groupes.
Depuis son arrivée à
l’hôpital de jour, le langage de Léo est en évolution
; il est passé de quelques mots à quelques phrases sur le mode
écholalique , à des mots et phrases sur un mode spontané
avec une construction syntaxique normale. Il remplace de plus en plus
l’utilisation de son prénom et le « tu » par le
« je ». Il a
accédé au langage écrit, versant transcription avec le
clavier de l’ordinateur d’abord puis avec un instrument scripteur
et versant lecture de la même façon ; premiers mots sur
l’écran et ensuite sur les livres. La relation avec les adultes et
surtout avec les autre enfants de l’institution et de sa classe ne cesse
de s’améliorer.
Dans les premiers temps, quand
Léo arrivait dans mon bureau pour sa séance individuelle, il
avait institué une sorte de rituel
qui se répétait donc à chaque fois mais qui a sacrément
évolué au fil des séances et de leur contenu. Je peux
ainsi noter 4 temps de la
rééducation ;
1-
Léo me devance et entre
dans mon bureau en me claquant très fort la porte au nez.
De l’autre côté
de la porte, je frappe : «
toc toc » et dis « je peux entrer ? »
Et Léo ouvrait la porte sans rien faire, sans rien dire.
2-
Quelques séances
après : toujours le même scénario de la porte violemment
claquée avant que je ne rentre.
Je frappe : « toc toc »
et dis : « je peux entrer ? »
Et Léo ouvrait la porte en
enserrant ses bras autour de ma taille et en me poussant dans la pièce.
3-
Quelques séances
après : même rituel de la porte claquée très fort
Je frappe et je dis « je peux entrer ? »
Et Léo d’ouvrir la
porte en répétant un « je peux entrer » sur la
même intonation que le mien. Paradoxalement ce message écholalique
m’était quand même adressé mais je faisais remarquer
à Léo que ce qu’il me disait n’était pas une
réponse à ma question mais une répétition de ma
question. Pendant quelques séances dailleurs, je lui propose des jeux de
langage sur la différence entre la répétition et la
réponse.
4-
Quelques séances encore
après, rituel de la porte
claquée.
Rituel de mes frappes et de ma
question.
Et Léo ouvre la porte et me donne des réponses
différentes selon son humeur : « Tu peux entrer, Varie-Christine
» il s’adresse bien à moi.(il ne prononce pas encore
correctement mon prénom)
« Oui »
« Entrez » dit-il
d’une voix tonitruante et sérieuse !!
Les séances de jeux rythmo-musicaux que je vais
décrire maintenant se situent dans les temps 1- et -2- de la prise en
charge.
Une fois le rituel de la porte fini,
Léo va s’allonger
près de mon bureau et se met à ouvrir et fermer
inlassablement les tiroirs métalliques de celui-ci. Les principales
stéréotypies de cet enfant sont les ouvertures et fermetures de
portes automatiques (en plus des interrupteurs et des fenêtres).
En ouvrant et fermant les tiroirs,
il regarde le va et vient et semble écouter les bruits de glissement et
frottement dans les coulisses et le bruit plus bref et plus sec du tiroir
cognant en fin de course.
Ces mouvements et bruits
répétitifs le fascinent; A chaque fois que le tiroir souvre, on
entend le bruit du glissement : tsssss
Là, Léo attend quelques
secondes temps de silence Puis
Léo le pousse pour le refermer, à nouveau bruit du
glissement : tsssss
Le tiroir arrive en bout de course
et claque contre le fond métallique : clac
Et à nouveau, ouverture : tsssss
Et à nouveau, temps de silence
Et à nouveau, fermeture : tsssss
Et à nouveau, claquement : clac
Je pouvais parler à
Léo, me déplacer auprès de lui, m’asseoir à
mon bureau, lui proposer un jeu. Je n’existais pas, seuls existaient les
tiroirs et leurs bruits accompagnant leur va et vient et rien ne le fait
changer de sa position couchée et d’observateur des mouvements des
tiroirs.
Même si la production de
Léo était d’ordre stéréotypé,
j’ai entendu une certaine musique et je lui ai parlé de celle-ci,
qu’il faisait avec ces drôles d’instruments, que je
l’écoutais et que j’avais envie de jouer avec lui. Je me
suis mise au xylophone pour jouer avec lui avec un instrument différent.
J’écoutais donc son tsssss et sur le temps de silence suivant, je
jouais quelques notes, créant un ostinato que je faisais en
complémentarité avec son propre jeu. Notre morceau était
ainsi composé :
Tsssss
Pim Pam
Tsssss
Clac
Tsssss
Pim Papapam
Tsssss
Clac
Etc.
Nous avons joué ainsi
ensemble un bon moment, je ponctuais mes frappes de temps forts, de temps
faibles, je variais les ostinati d’une séance à
l’autre. Et Léo a commencé à lever la tête
tout en continuant ses mouvements d’ouverture et fermeture. Il a souri et
ensuite son corps s’est animé montrant qu’il entendait tout
à fait d’autres sons que les siens. « Il sort de s’entendre
lui-même pour m’entendre en tant que je m’occupe de lui, mais
à la condition que je me
règle sur sa construction. » ( Ref : texte : l’autiste, un
psychotique au travail ») Les sons venant de l’autre,
rythmés et d’une sonorité différente lui ont permis
d’accéder à un jeu de va et vient plus distancié et
de balancement entre lui et moi. Le rythme s’est introduit peu à
peu et lui permit d’exister et donc de pouvoir entrer en relation.
Ce type de jeu rythmo-musical nous a
donné la possibilité de jouer ensemble tout en étant
singulier, car nous ne jouions pas la même chose et cela permettrait
à Léo de sortir du système écholalique.
Ensuite Léo a pu quitter les
tiroirs et venir sasseoir à mes côtés au xylophone. Dans un
premier temps, il m’écoutait puis, il prit lui aussi des
mailloches et s’est mis à jouer avec moi, cette fois du même
instrument sans pour autant faire la même chose.
Les séances suivantes,
Léo est, bien sûr !!!! retourné au tiroir, mais il
n’y est pas resté longtemps. Il a pu venir partager un moment avec
moi par l’intermédiaire des instruments de musique qui sont tout
à fait objets de médiation. Tous ces temps de jeux musicaux se
sont déroulés quasiment sans parole et pourtant nous
étions bien dans la communication, et çà lui a permis
d’accéder de plus en plus au verbal et d’améliorer de
plus en plus son langage oral, même si certaines fois, surtout dans des
situations émotionnelles, il utilise des néologismes et un parler
« charabia ». C’est comme s’il n’arrivait pas
à rassembler ses mots pour que son discours soit compréhensible.
Ou peut-être ne veut-il pas se faire comprendre ?
Le travail associé de la MA
et de l’orthophonie ont favorisé chez cet enfant
l’expression de son langage et la communication avec l’autre.
Çà lui a permis aussi, à partir de ses propres
constructions de pouvoir être écouté par l’autre et
lui, de pouvoir entendre le discours de l’autre.
Léo a participé
à des séances de MA en groupes ; avec des enfants « normaux
» non hospitalisés et aussi avec des enfants de
l’hôpital de jour. Ces séances furent plus ou moins
évidentes ; le groupe de par l’intensité des voix et des
jeux avec les instruments provoquant parfois des angoisses, il fallait
être très attentifs à ses réactions, prudents et
adapter des protocoles pour qu’il puisse participer au mieux. Ses jeux
préférés sont : le jeu de la croix, les chansons, les jeux
avec les instruments de musique, les contes.
A l’heure actuelle, Léo
continue à faire des progrès dans la relation surtout avec les
autres enfants ; il manifeste de l’opposition, de
l’agressivité qui est parfois mal acceptée de sa
mère et qui surprend son enseignante.
Il s’exprime et lit de mieux
en mieux sur n’importe quel support. Il écrit sans faute
d’orthographe.
Par contre, la compréhension
reste le point faible ; il ne fait pas encore suffisamment de liens,
d’associations, et son langage est parfois « plaqué ».
La communication reste réduite. Jai parfois tendance à oublier
qu’il est toujours psychotique..
NB : J’ai toujours Léo en charge et ses
progrès les plus notables sont au niveau du langage écrit mais il
semblerait qu’il commence à faire des associations, des liens car
il est capable maintenant d’évoquer une personne absente, de poser
des questions, de parler d’un moment d’une séance qui
s’est passée plusieurs semaines avant avec l’aide de la trace
écrite (à la fin des séances, j’écris en gros
ce qu’il a fait et il le lit toujours avec plaisir.) Il répond de
plus en plus à nos questions par des réponses adaptées.