Musicothérapie active

 

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DUOSTINATI

pour tiroir et xylophone

 

 

Marie-Christine GARAT

Orthophoniste – musicothérapeute

Gap et Guadeloupe

 

Léo a 7 ans 10 mois et fréquente notre institution en hôpital de jour depuis 3 ans. C’est un enfant psychotique qui a pu être scolarisé en CLISS (classe d’intégration spécialisée) depuis un an.  En tant qu’orthophoniste pratiquant la MA, (Musicothérapie active) je vois Léo dans le cadre de séances individuelles et de groupes.

 

Depuis son arrivée à l’hôpital de jour, le langage de Léo est en évolution ; il est passé de quelques mots à quelques phrases sur le mode écholalique , à des mots et phrases sur un mode spontané avec une construction syntaxique normale. Il remplace de plus en plus l’utilisation de son prénom et le « tu » par le « je ».  Il a accédé au langage écrit, versant transcription avec le clavier de l’ordinateur d’abord puis avec un instrument scripteur et versant lecture de la même façon ; premiers mots sur l’écran et ensuite sur les livres. La relation avec les adultes et surtout avec les autre enfants de l’institution et de sa classe ne cesse de s’améliorer.

 

Dans les premiers temps, quand Léo arrivait dans mon bureau pour sa séance individuelle, il avait institué une sorte de rituel  qui se répétait donc à chaque fois mais qui a sacrément évolué au fil des séances et de leur contenu. Je peux ainsi noter  4 temps de la rééducation ;

 

1- Léo me devance et entre dans mon bureau en me claquant très fort la porte au nez.

De l’autre côté de la porte, je frappe :  « toc toc » et dis « je peux entrer ? »

Et Léo ouvrait la porte  sans rien faire, sans rien dire.

 

2- Quelques séances après : toujours le même scénario de la porte violemment claquée avant que je ne rentre.

 

Je frappe : « toc toc » et dis : « je peux entrer ? »

Et Léo ouvrait la porte en enserrant ses bras autour de ma taille et en me poussant  dans la pièce.

 

3- Quelques séances après : même rituel de la porte claquée très fort

 

Je frappe et je dis «  je peux entrer ? »

Et Léo d’ouvrir la porte en répétant un « je peux entrer » sur la même intonation que le mien. Paradoxalement ce message écholalique m’était quand même adressé mais je faisais remarquer à Léo que ce qu’il me disait n’était pas une réponse à ma question mais une répétition de ma question. Pendant quelques séances dailleurs, je lui propose des jeux de langage sur la différence entre la répétition et la réponse.

 

4- Quelques séances encore après,  rituel de la porte claquée.

 

Rituel de mes frappes et de ma question.

Et Léo ouvre la porte et  me donne des réponses différentes selon son humeur : « Tu peux entrer, Varie-Christine » il s’adresse bien à moi.(il ne prononce pas encore correctement mon prénom)

 

« Oui »

 

« Entrez » dit-il d’une voix tonitruante et sérieuse !!

 

Les  séances de jeux rythmo-musicaux que je vais décrire maintenant se situent dans les temps 1- et  -2-  de la  prise en charge.

 

Une fois le rituel de la porte fini, Léo va s’allonger  près de mon bureau et se met à ouvrir et fermer inlassablement les tiroirs métalliques de celui-ci. Les principales stéréotypies de cet enfant sont les ouvertures et fermetures de portes automatiques (en plus des interrupteurs et des fenêtres).

En ouvrant et fermant les tiroirs, il regarde le va et vient et semble écouter les bruits de glissement et frottement dans les coulisses et le bruit plus bref et plus sec du tiroir cognant en fin de course.

 

Ces mouvements et bruits répétitifs le fascinent; A chaque fois que le tiroir souvre, on entend le bruit du glissement : tsssss

Là, Léo attend quelques secondes  temps de silence Puis Léo le pousse pour le refermer, à nouveau bruit du glissement    : tsssss

Le tiroir arrive en bout de course et claque contre le fond métallique :  clac

Et à nouveau, ouverture      :  tsssss

Et à nouveau,  temps de silence

Et à nouveau,  fermeture  :  tsssss

Et à nouveau, claquement    :   clac

 

Je pouvais parler à Léo, me déplacer auprès de lui, m’asseoir à mon bureau, lui proposer un jeu. Je n’existais pas, seuls existaient les tiroirs et leurs bruits accompagnant leur va et vient et rien ne le fait changer de sa position couchée et d’observateur des mouvements des tiroirs.

 

Même si la production de Léo était d’ordre stéréotypé, j’ai entendu une certaine musique et je lui ai parlé de celle-ci, qu’il faisait avec ces drôles d’instruments, que je l’écoutais et que j’avais envie de jouer avec lui. Je me suis mise au xylophone pour jouer avec lui avec un instrument différent. J’écoutais donc son tsssss et sur le temps de silence suivant, je jouais quelques notes, créant un ostinato que je faisais en complémentarité avec son propre jeu. Notre morceau était ainsi composé :

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Tsssss

Pim   Pam

Tsssss

Clac

Tsssss

Pim    Papapam

Tsssss

Clac

Etc.

 

Nous avons joué ainsi ensemble un bon moment, je ponctuais mes frappes de temps forts, de temps faibles, je variais les ostinati d’une séance à l’autre. Et Léo a commencé à lever la tête tout en continuant ses mouvements d’ouverture et fermeture. Il a souri et ensuite son corps s’est animé montrant qu’il entendait tout à fait d’autres sons que les siens. « Il sort de s’entendre lui-même pour m’entendre en tant que je m’occupe de lui, mais à la condition  que je me règle sur sa construction. » ( Ref : texte : l’autiste, un psychotique au travail ») Les sons venant de l’autre, rythmés et d’une sonorité différente lui ont permis d’accéder à un jeu de va et vient plus distancié et de balancement entre lui et moi. Le rythme s’est introduit peu à peu et lui permit d’exister et donc de pouvoir entrer en relation.

 

Ce type de jeu rythmo-musical nous a donné la possibilité de jouer ensemble tout en étant singulier, car nous ne jouions pas la même chose et cela permettrait à Léo de sortir du système écholalique.

Ensuite Léo a pu quitter les tiroirs et venir sasseoir à mes côtés au xylophone. Dans un premier temps, il m’écoutait puis, il prit lui aussi des mailloches et s’est mis à jouer avec moi, cette fois du même instrument sans pour autant faire la même chose.

 

Les séances suivantes, Léo est, bien sûr !!!! retourné au tiroir, mais il n’y est pas resté longtemps. Il a pu venir partager un moment avec moi par l’intermédiaire des instruments de musique qui sont tout à fait objets de médiation. Tous ces temps de jeux musicaux se sont déroulés quasiment sans parole et pourtant nous étions bien dans la communication, et çà lui a permis d’accéder de plus en plus au verbal et d’améliorer de plus en plus son langage oral, même si certaines fois, surtout dans des situations émotionnelles, il utilise des néologismes et un parler « charabia ». C’est comme s’il n’arrivait pas à rassembler ses mots pour que son discours soit compréhensible. Ou peut-être ne veut-il pas se faire comprendre ?

 

Le travail associé de la MA et de l’orthophonie ont favorisé chez cet enfant l’expression de son langage et la communication avec l’autre. Çà lui a permis aussi, à partir de ses propres constructions de pouvoir être écouté par l’autre et lui, de pouvoir entendre le discours de l’autre. 

 

Léo a participé à des séances de MA en groupes ; avec des enfants « normaux » non hospitalisés et aussi avec des enfants de l’hôpital de jour. Ces séances furent plus ou moins évidentes ; le groupe de par l’intensité des voix et des jeux avec les instruments provoquant parfois des angoisses, il fallait être très attentifs à ses réactions, prudents et adapter des protocoles pour qu’il puisse participer au mieux. Ses jeux préférés sont : le jeu de la croix, les chansons, les jeux avec les instruments de musique, les contes.  

 

A l’heure actuelle, Léo continue à faire des progrès dans la relation surtout avec les autres enfants ; il manifeste de l’opposition, de l’agressivité qui est parfois mal acceptée de sa mère et qui surprend son enseignante.

 

Il s’exprime et lit de mieux en mieux sur n’importe quel support. Il écrit sans faute d’orthographe.

 

Par contre, la compréhension reste le point faible ; il ne fait pas encore suffisamment de liens, d’associations, et son langage est parfois « plaqué ». La communication reste réduite. Jai parfois tendance à oublier qu’il est toujours psychotique..

 

NB :  J’ai toujours Léo en charge et ses progrès les plus notables sont au niveau du langage écrit mais il semblerait qu’il commence à faire des associations, des liens car il est capable maintenant d’évoquer une personne absente, de poser des questions, de parler d’un moment d’une séance qui s’est passée plusieurs semaines avant avec l’aide de la trace écrite (à la fin des séances, j’écris en gros ce qu’il a fait et il le lit toujours avec plaisir.) Il répond de plus en plus à nos questions par des réponses adaptées.

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