Musicothérapie active
Orthophoniste et
Musicothérapeute.
(Gap et Guadeloupe)
Avec la permission de la Revue
SOINS N° 152/153 Jun/Jul 1993
Dans le Service de
Pédo-psychiatrie, où je travaille comme orthophoniste depuis 11
ans, j'ai été confrontée aux difficultés de prise
en charge d'enfants autistes, psychotiques, à gros troubles du
comportement et de la personnalité chez lesquels se manifestent des
troubles plus ou moins importants de la parole et du langage. J'ai pu,
hélas, constater que ma technique se trouvait quelquefois insuffisante
dans les pathologies lourdes (cas très graves). C'est pourquoi, j'ai
fait une formation de musicothérapie active (MA) pour l'utiliser dans le
Centre psychothérapique et à l'hôpital de jour.
La musicothérapie active
La MA (musicothérapie active)
telle qu'elle m'a été enseignée est une thérapie
active par et avec la musique, non pas seulement la musique telle qu'on la
trouve habituellement définie, mais telle une “incantation
(étymologie: être dans le chant), une mise en sons du sens, une
incarnation du sens”. (1)
La musicothérapie active se
différencie de la musicothérapie réceptive (passive) qui
n'utilise ni l'aspect corporel du patient, ni l'aspect vocal de la musique, au
profit de l'écoute passive..
La MA s'inspire des traditions de la
musique dans les sociétés de style oral. Elle est fondée
sur les travaux de Carl Orff
(2) dont elle utilise les
instruments de percussion. Elle favorise le jeu relationnel plutôt qu'une
technique musicale proprement dite. Le musicothérapeute propose donc
à l'enfant de faire de la musique activement en utilisant le rythme, le
corps et la parole (envisagée et travaillée donc dans son
enracinement corporel et sa substance rythmo-musicale) dans un cadre et avec
des protocoles de jeux bien définis, ceci dans un esprit vivant,
convivial et créatif.
“Les protocoles dynamiques de
la MA mettent le patient en situation d'œuvrer dans et avec le temps. Ils
transforment le patient en artisan de sa pensée par l'organisation
temporelle de sa parole. Ils remettent en jeu les grandes constructions archaïques;
l'articulation - obligatoirement temporelle - des sons entre eux, par laquelle
nous entrons dès l'enfance, dans le temps de la relation humaine”.
(3)
La MA peut être
utilisée dans les rééducations des troubles de la parole,
tels que le bégaiement, en association avec l'orthophonie.
Musicothérapie et
orthophonie
Avec un enfant de 4 ans et demi,
bègue important, je propose des séances ritualisées par
une comptine à gestes,
permettant ainsi à l'enfant et moi-même de nous retrouver, de nous
lier le temps de la séance et de marquer le début et la fin de
celle-ci. Puis d'autres comptines sont utilisées qui ont de nombreux
intérêts, car elles renvoient à la tradition orale. Leur
transmission se fait grâce à l'apport conjugué de la
parole, du rythme, du mime, du geste et de la répétition.
Certains auteurs pensent qu'elles sont une stimulation pour l'oreille et
favorisent la mémorisation. Le corps est engagé grâce aux
gestes associés, et le geste corporel va être intimement
lié au geste vocal favorisant
ainsi ce dernier.
Je propose aussi de nombreux jeux
rythmo-musicaux à partir de balancements; le balancement étant un
rythme bien vivant - attention à bien faire le diagnostic
différentiel, quand il s'agit de stéréotypie «qui
est peut-être l'essai désespéré de passer au
balancement vivant et ordonnateur” (4) - qui fait revivre à l'enfant des moments très
primi tifs. Les balancements sont associés à des sons, à
des mots, à des frappes de mains, de pieds, de tambourin, de claves.
D'autres jeux rythmo-musicaux sont
faits avec des cer ceaux, des bâtons symbolisant une échelle au
sol, des ballons.
Tous ces protocoles ont
l'énorme avantage de mobiliser corps et parole en rythme. Les trois sont
toujours liés.
N'oublions pas que l'enfant est un
“rythmo-verbo-mélodieur” (5). Pour que l'enfant bègue
retrouve la fluidité de sa parole, il ne faut pas
«s'acharner» sur elle, mais la travailler dans la globalité
du petit être.
Dans les séances, il y a
toujours une sensibilisation à la respiration, aux souffles buccal et
nasal avec prise de conscience corporelle, association de vocalisation, de
paroles chantées en «recto- tono” (6) .
Lors de certains jeux libres, je
mets en sons certaines paroles de l'enfant en créant des petits
quatrains à structure octosyllabique (comme la plupart des comptines),
bien rythmés et rimés. Puis, nous les chantons ensemble pendant
les jeux.
Je me permets de rappeler
l'importance du chant : “Les enfants vont au chant comme à la
source... le nourrisson chante avant de parler, il gazouille avant de formuler
clairement ses premières syllabes”; “Le chant est la voie
royale pour le langage et l'apprentissage. L'enfant en modulant sons et
syllabes se crée des mécanismes d'intégration
définitifs, les comptines, les chansons enfantines “fraient”
le passage du langage. Elles “comptent” et “content”
les sons qui reviennent plus facilement quand on veut les rappeler”. (7)
Dans la plupart des jeux
proposés, l'enfant est «acteur du temps». Il participe
pleinement, et sa parole s'améliorant (non pas seulement en situation de
chant, comme cela est bien connu chez le bègue) dans son discours
spontané, il prend confiance en lui, il trouve goût à la
parole, à la communication grâce à la difficulté de
son discours. Cet enfant qui était à la fois passif et
hypertonique, paradoxalement remuant, se met à l'écoute, a une
attention de plus en plus soutenue, peut se calmer rapidement et devenir actif.
A l'école et en famille, les progrès sont notables. La relation
établie dans un cadre bien défini permet l'évolution de
l'enfant bègue.
Les groupes
J'utilise aussi la MA, comme elle se
doit d'être, en groupes, tout à fait indépendamment de
l'orthophonie.
Elle se fait dans l'atelier sonore
où nous accueillons des enfants de 5 à 12 ans, pris en charge
à l'hôpital de jour, qui ont des pathologies diverses plus ou
moins graves. J'anime ces groupes avec une éducatrice
spécialisée et deux infirmières psychiatriques.
La MA s'appuie essentiellement sur
le traitement du temps. Les séances se déroulent donc dans un
cadre bien défini, commençant et finissant par un rituel,
celui-ci ayant pour nous une importance thérapeutique. Le rituel est une
action répétitive qui marque le temps, facilite le passage d'un
temps et d'un lieu à un autre.
Je souhaite qu'on entende par action
répétitive non pas le fait de répéter de
façon banale et ennuyeuse, non pas un manque d'ouverture, mais au
contraire le fait de reproduire quelque chose de nouveau, semblable à ce
qui est perdu et qui peut tranquilliser l'enfant handicapé mental. En
plus, dans ce sens, la répétition peut amener à la
compréhension et à l'apprentissage.
Pour les groupes dont les enfants
ont le langage, nous avons choisi comme rituel une chanson à gestes,
pour les groupes d'enfants sans langage, nous proposons la manipulation d'un
instrument.
Ensuite, la séance continue
par des protocoles de jeux; entre chacun, un enfant est invité à
le signaler par l'écoute d'un instrument (toujours le même dans ce
cas) dans un temps très court. Les protocoles de jeux sont divers et
variés, et le musicothérapeute les adapte selon les enfants en
fonction des groupes qu'il a en charge (tableau 1).
Atelier conte
Nous choisissons des contes
traditionnels ou modernes que nous racontons, ceci est très important,
sans les lire. On favorise le plaisir du langage, le style oral, la
musicalité, car, dans le conte, nous retrouvons certaines composantes de
la MA, notamment la structure rythmique et la structure mythique; ainsi nous
abordons l'ordre symbolico-imaginaire.
Tableau 1. Protocoles et
objectifs de la musicothérapie active
Protocoles
proposés
Jeux rythmo-musicaux avec
percussions corporelles : - avec
bâtons - avec ballon - avec
instruments de percussion - avec voix - avec déplacements
Les ostinati (structure rythmique
répétitive) - avec voix - avec instruments
Les comptines et chansons du patient
- celles que connaissent les enfants - celles que l'on crée à
partir de productions poétiques (quatrain)
Les jeux de langage - Le Conte - La
danse primitive - Les formes responsoriales - Le Théatre (dans une
perspective rythmo-musicale)
Objectifs de la MA
“Globalise”
pour éviter le morcellement
Engagement du corps
Meilleur accès au langage et
à la parole
Favoriser la prise de parole
Favoriser la mémorisation
Engagement du discours propre
Permet la création Permet
l'improvisation Traite le temps, l'agressivité, l'inhibition, le pouvoir
de décision, la distance à l'autre, la distance au groupe. Favorise la prise de confiance
Améliore l'écoute et
la communication
Ce qui importe par rapport aux
enfants, c'est de créer le questionnement. Ce sont leurs questions qui
comptent, et nous ne leur donnons pas de réponses dans le réel.
Le conte a valeur d'échange, de dialectique.
Les enfants aiment beaucoup les
contes et leur répétition. Nous avons vu quelques enfants
instables, sans possibilité de formulation, se calmer, se mettre
à écouter, y prendre du plaisir, et pouvoir enfin parler de leurs
émotions, de leurs peurs, de leurs histoires.
L'important dans les séances
de MA, c'est cet espace de jeu, de fantaisie, espace potentiel qui est
créé. «Là, où se rencontrent confiance et
fiabilité, il y a espace potentiel, espace qui peut devenir une aire
infinie de séparation, espace que le bébé, l'adolescent,
l'adulte peuvent remplir créativement en jouant, ce qui deviendra
ultérieurement l'utilisation heureuse de l'héritage
culturel” (8).
Le musicothérapeute
va redonner un sens à l'oreille; il va utiliser la musique comme
médiateur de soins. Il donne une loi de jeu, des lois musicales qui
allient rigueur de la loi symbolique et fantaisie de l'imaginaire. “Le
rôle du musicothérapeute est de se servir de la musique pour
établir un cadre de jeu, des protocoles à partir desquels les
patient' vont rejouer leurs propres difficultés”. (9)
L'autre avantage du travail en
groupe dans certains protocoles est que “ça permet de jouer
ensemble tout en étant singulier”.
L'utilisation de la MA seule ou en
association à une tech nique bien précise telle que l'orthophonie
est une richesse considérable dans les soins proposés aux enfants
du secteur pédo-psychiatrique. Elle ne veut et ne doit pas remplacer la
psychothérapie individuelle ou la psychanalyse, mais elle peut en
être un complément utile.
La MA pratiquée dans un
hôpital de jour apporte à celui ci rythme, convivialité,
pulsion de vie dont les soignants ont tout à fait besoin pour s'occuper
des enfants qui peuplent ces
services. Et elle pourrait avoir, à mon avis, une. valeur encore plus
thérapeutique si elle s'intégrait vraiment dans l'institution
dans la perspective d'un rythme calendaire.
(1) Willy
Bakeroot - Formation de Musicothérapie active, Lyon, INFIPP,
1992.
(2)
Musicien
bavarois, né en 1895.
(3)
Willy
Bakeroot op cit.
(4)
Ibid
(5)
Marcel
Jousse, L'Anthropologie du geste, Gallimard, 1974.
(6)
Sur un ton
régulier, texte dit sans intonation particulière.
(7)
Alfred
Tomatis, Les Troubles scolaires, ERGO, 1988.
(8)
Donald W.
Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 1975
(9) Willy Bakeroot, op. cit.