L’INFLUENCE QUI GUÉRIT
Extrait de “L’INFLUENCE QUI GUÉRIT” Tobie
Nathan - Ed. Odile Jacob 1994
Dois-je rappeler que partout dans le monde, les systèmes culturels
ont choisi d’attribuer au thérapeute un statut ambigu, mi-sauveur,
mi-sorcier. J’y vois deux raisons essentielles. D’abord, la reconnaissance
réelle de son activité, s’il est capable de sauver, il
peut aussi détruire. Comme si, en soulignant vivement l’envers
de son activité, on rendait son action positive plus perceptible encore.
Ensuite, et surtout, l’obligation de penser l’activité thérapeutique à partir
de l’intentionalité du thérapeute. Il n’y a guère
que la société occidentale pour penser ses thérapeutes à partir
d’une idéologie lénifiante du bien, les décrivant
comme des chevaliers de la santé de l’humanité.
La platitude d’une telle idéologie (qui est d’ailleurs à l’origine
d’une multitude de désastres écologiques) n’aurait
que peu de conséquences si elle n’avait pour corollaire d’exclure
ipso facto l’activité du thérapeute du champ de l’analyse.
Puisqu’il n’est là que pour la santé des hommes, à quoi
bon évoquer ses intentions ? Ne sont-elles pas claires comme le cristal
? A contrario, dans un monde où tout thérapeute peut aussi révéler
le sorcier, le problème demeure toujours d’identifier sa véritable
nature, par conséquent d’expliciter ses désirs profonds.
...... Pages 28/29
On ne mesure pas les effets dévastateurs, sur la compréhension
de l’interaction thérapeutique, du travail d’un certain
Jean-Martin Charcot qui a cru de son devoir de laïciser la possession
en généralisant la notion d’hystérie. Je ne sais
si la notion d’hystérie est plus vraie que celle de possession
(je crois d’ailleurs que cette question, quoiqu’elle ait fait couler
beaucoup d’encre, est dépourvue de sens); je sais en revanche
ce qui implique chacune de ces théories dans l’établissement
de la relation avec le malade.
Une possédée est écoutée, non par bonté d’âme
ou par souci humanitaire, mais parce qu’elle est la seule source d’information
sur l’être surnaturel qui l’a investie. En revanche, une
hystérique à qui l’on attribue des désirs sexuels
inconscients, pour peu qu’elle refuse le divan, comme c’est le
cas le plus fréquent, est confinée dans un univers de suspicion
et progressivement contrainte à la solitude.
Les vieilles patientes ayant toujours été affublées du
diagnostic d’hystérie finissent toujours abandonnées de
leurs médecins et de leurs proches.
N’est-il pas curieux, d’ailleurs,
que la plupart des catégories diagnostiques de l’Occident aient
tendance à devenir des injures (hystérique, obsessionnel, parano,
etc.) ce qui n’est pas le cas des catégories traditionnelles.
En laissant leurs docteurs substituer l’hystérie à la possession,
en faisant confiance à une culture avare en attributions d’existence,
n’abritant aucun être surnaturel, ne partageant l’univers
avec aucun esprit, aucun démon, aucune divinité, les malades
n’ont pas fait une affaire !
Il y a bien longtemps que l’Occident a commencé à se débarrasser
de ces troisièmes termes de nature radicalement différente, de
ses hôtes d’un autre monde. La civilisation occidentale s’est
par exemple d’abord débarrassée de ses saints locaux, puis
du Diable, ne gardant qu’un seul tiers.
Tout récemment, elle a abandonné à son tour le dernier
autre véritable qu’elle maintenait en son sein : Dieu. Elle croyait
aller vers plus de lumière, vers plus d’humanité et elle
s’est trouvée contrainte à la barbarie par simplification.
Pages 30 à 32