Retour


De Marie à Laridée

Musicothérapie active : Hôpital de Jour enfants.

Michel Torrès


     
Introduction :

Je vais parler d'un travail de musicothérapie active avec un groupe d'enfants de 5 à 7 ans. Ces enfants dépendent de l'hôpital de jour « la Villa ».

Une fois par semaine, ils vont venir au CMP, accompagnés d'une collègue infirmière qui participe aux séances.
En amont, une réflexion avait été menée avec l'équipe soignante de l'hôpital de jour concluant à la pertinence de cette activité thérapeutique pour ce groupe.
Je vais donc essayer de montrer comment la musicothérapie active va aider ces enfants à évoluer ; et pour ce faire, de quelle manière va être structurée l'activité du groupe tout en tenant compte de chaque individualité.
Comment, avec des enfants qui sont dans l'agir, il va être possible d'instaurer, au fil des séances, un travail continue évolutif passant par une mise en jeu du corps et de la parole.
Comme il est important de conserver une certaine dynamique, il faudra préserver un équilibre entre ce que pourront amener les enfants et la structuration que nous élaborerons.
Il s'agira aussi d'apporter un certain souffle pour animer ces séances.
Il y a très longtemps, à la question que posait un psychiatre à un enfant que nous recevions : « qu'attends-tu de nous ? » celui-ci avait répondu « que vous me réanimiez ! ».

 

Première partie

Le début de la séance est très agité. La nouveauté des lieux, de l'activité, du thérapeute suscite une certaine angoisse. Seule est rassurante la présence de ma collègue qui fait lien entre la Villa et le CMP. 
Ces enfants sont collés à la pulsion et très dispersés : il n'y a pas de temps entre la pensée et l'acte. Il y a de nombreux instruments dans la salle et c'est très attirant.

Pour regrouper tout ce petit monde, je propose que l'on se réunisse autour des tambours (djembé, conga, bongos…).

Nous commençons par un petit rituel de présentation. Je frappe deux coups sur le tambour et je dis mon prénom :  le groupe répète les deux coups et le prénom. Chacun passe à tour de rôle.
Dire son prénom permet de s'inscrire dans le groupe, et le renvoi des autres aide à venir exister et insuffle un élan pour la suite.
Le frappé initial sert à séparer le geste de la parole, ce qui n'est pas si simple, mais qui va fonctionner à peu près.

Ensuite, pour couper court au brouhaha des tambours, car ça dégénère vite, je propose un protocole simple et abordable à tous.
Nous tapons 8 temps réguliers conjointement et nous produisons ensuite un roulement avant de nous arrêter lorsque le « stop ! » est énoncé.
Les huit temps permettent de jouer un tempo régulier ensemble, dans l'attente de libérer la tension en sachant ensuite qu'il y aura la buté du stop.
Tout le monde commande l'arrêt à tour de rôle. Le fait que chacun commande maintient l'attention.
C'est Daniel Marcelli dans « La surprise chatouille de l'âme » qui écrit au sujet du bébé dans les premiers jeux avec sa mère, dont les chatouilles : « La réaction de l'enfant comprend trois temps marqués d'abord par  l'engagement, auquel succède une phase de montée tensionnelle, puis enfin une phase de libération tensionnelle marquée par le rire. »  
Nous voyons là à quel niveau nous nous situons.
 
Le groupe est constitué de trois enfants .
Jazz, ainsi prénommé car ses parents se sont rencontrés lors d'un festival de jazz. Celui-ci avait un mois quand son père est décédé d'une overdose.       Sa mère, en grande difficulté, a demandé qu'il soit placé en famille d'accueil. Il se rend chez elle un week-end sur deux.
Un retard de développement sur fond de carence était énoncé à son arrivée à l'Hôpital de Jour.
Un retard global de développement est à noter aussi chez Dylan. Lorsqu'il était plus jeune, il ne parlait pas et il ne s'exprimait que par gestes. Ses parents sont divorcés.
Thibaut, dont les parents sont divorcés aussi, présente des problèmes de comportement et d'expression.

Jazz, même s'il comprend bien la consigne, a du mal à démarrer en même temps que les autres. Se fondre dans le groupe n'est pas anodin.
Dylan est assez timide et il a, comme on a vu plus haut, des difficultés au niveau de la parole. Là, il est tout émerveillé du silence qu'il a provoqué lorsqu'il a dit stop.
La montée tensionnelle dans l'attente des roulements est très notable chez Thibaut où toute émotion se joue au corps.
Ce protocole ne servira qu'aux premières séances. Nous passerons vite à des échanges d'aller-retour, individu/groupe.
France Schott Billmann ( « Quand la danse guérit ») : « le groupe correspond, comme la mère pour l'enfant, au premier « autre » auquel il a à s'articuler tout en s'en différenciant selon une dialectique fusion/défusion qui régit aussi bien la relation enfant/mère que l'articulation individu/groupe ».

Pour donner de la respiration au groupe, après ce jeu de tambours, nous passons à des instruments plus mélodieux : entre autres, les carillons. Pour l'instant, c'est un peu difficile.

Ensuite pour maintenir leur intérêt, je propose un jeu d'imitation de différents éléments de la nature tel que l'orage, la pluie etc.. et ce, par le biais d'instruments : c'est là aussi quelque chose de très basique. J'en parlerai plus loin.

Puis il y aura un rituel qui marquera la fin de la séance.
Les rituels de début et de fin sont importants ; il viennent atténuer la difficulté des passages toujours générateurs d'angoisse.
Nous dansons une ronde en chantant « La polka du roi ». Tout le monde peu ou prou va chanter au fil des jours. La chanson qui commence par « Mon papa ne veut pas... » n'est pas négligeable, si l'on tient compte, dans l'histoire de certains, de l'absence réelle ou symbolique du père.
Il y a aussi dans cette chanson un changement de rythme. L'attente de l'accélération à la fin « C'est Gugusse avec son violon... » produit une certaine jubilation.
Par rapport à d'autres groupes, je constate qu'ils ont déjà la capacité de marquer la cadence des pas en accord avec le chant sans que ce soit formulé.

Donc, durant cette première réalisation, le canevas des séances futures se dessine : il y a un rituel de début et un échange aux percussions, puis un passage à des instruments plus mélodieux, ensuite un jeu sonore l'orage et enfin le rituel de fin.
Lors des séances suivantes, après les carillons qui se jouent assis autour d'une table, nous allons bouger et occuper tout l'espace de la pièce. Cette mise en mouvement aidera à développer un travail plus global : marches scandées, chant, jeux de tambourins. Nous tenons la structure de la séance.
Il est à noter que les enfants montrent beaucoup de plaisir à participer.

Je vais maintenant parler des différentes parties avec leur développement et de l'évolution que cela amène chez les enfants.


Le début de la séance :

Après la présentation, nous nous en tenons pour l'instant qu'aux jeux de percussions, seul moyen de faire participer  Dylan et Thibaut.
Thibaut a quelques impulsions. Il peut être plus ou moins « éparpillé » et il pousse des cris aigus. Les jeux rythmiques arrivent à le contenir. Il adore jouer des percussions. Il faut l'aider à se structurer en lui donnant des repères de basse/médium, aller-retour, quelques rythmes basiques pour ne pas le laisser livré à ses pulsions, sinon ses frappes tombent dans une confusion la plus totale.
Lorsque l'on se répond, Jazz est tout fier d'avoir inventé « le jeu du moustique » : il tapote le tambour du bout des doigts et il est ravi d’entendre le groupe lui répondre en jouant comme lui. Il est créatif. Il est très à l'écoute de tout ce qui se passe (il faut même faire très attention, car ce qui est dit est dit ! Il ne faut pas ensuite déroger).

Lorsque nous mettrons en place un rythme avec deux basses, un médium, un silence, il sera capable de le reproduire seul la semaine suivante (c'est souvent le cas pour toutes les nouveautés).
Ce rythme permettra de pouvoir chanter différentes choses ensemble et notamment  « J'entends le loup, le renard et la belette... » (Chant Breton) : en effet Thibaut parle beaucoup de la Bretagne, région où vit son père.      J'essaye par ce biais de l'amener à participer et pourquoi pas à chanter.
Il y a un problème avec Jazz. Il fait l'idiot pour faire rire Thibaut et ça part vite en vrille ; il perd complètement le fil de la séance. Il faut le recadrer, mais ce n'est pas si simple. Dans ces cas là, il se vexe et il peut se bloquer totalement.
Heureusement, il va y avoir la découverte du cajòn (caisse) qui sera importante pour lui. « C'est Paco de Lucia qui a introduit le cajón dans la musique flamenca au travers de Ruben Dante son percussionniste qui est Brésilien.  L'instrument est Péruvien, mais c'est Ruben Dante qui l'a introduit dans le sextet de Paco ». (José RENATO « Sur le Flamenco » 2003 Mondomix).
Le choix des instruments n'est jamais anodin.
Jazz est perché sur le cajòn, les pieds ne touchent pas par terre. Il fait corps avec l'objet, en lien direct avec les vibrations de l'instrument.
Gilbert Rouget dans «  Musique et Transe » dit que « baigner dans la musique n'est pas qu'une métaphore. Il arrive qu'on la reçoive véritablement par la peau. »
Grâce à cet instrument, il va arriver à mieux se repérer entre la basse et le médium. Par rapport aux tambours il y a ici une notion d'espace plus importante et qui permet de mieux se situer. Il y a le milieu de la caisse pour jouer la basse et le haut pour le médium.
Perché sur cette caisse, il reste très sérieux et concentré. Il peut donc se différencier des autres tout en participant au groupe. Il y a aussi le plaisir de bien prononcer le nom de l'instrument.
Bien sûr, les jours où il ne va pas bien, ce sera un peu plus compliqué.

Justement, un jour il est très mal. Il ne voulait pas venir. Ma collègue me dit que ça ne se passe pas toujours bien avec la famille d'accueil et elle rajoute qu' il n'a pas de nouvelles de sa mère.
En arrivant dans la salle, il se cache, disparaissant sous la table. Au bout d'un moment, après l'avoir appelé sans résultat, je tambourine sur le cajòn en disant « Jazz va arriver car il aime le son du cajòn ». Il va sortir de dessous la table et à partir de là il va réaliser une très bonne séance. Il a pu jouer à disparaître/apparaître, et vérifier qu'il avait sa place.

Au cours de l'année, les prestations vont être plus riches. Nous allons pouvoir passer à l'étape suivante. Nous n'avons travaillé jusqu'à présent  que sur les tambours ; l'introduction de chansons à gestes, de paroles sur des jeux corporels vont instaurer un nouveau souffle.

Je vais présenter la comptine « Quand Marie était un bébé... ».
Ce qui accroche d'abord les enfants, ce sont les mimiques, les jeux du personnage.
Pour l'instant, Dylan ne chante pas, mais il est très intéressé et il interprète les mimes et les voix des différentes étapes à la perfection. Il adore souvent s'exprimer par des grimaces. Quand nous musiquons, il y a parfois, de par ses mimiques, de réels échanges non verbaux (âge des mimiques, 6-7 mois).
Thibaut a plus de mal. Il écoute. Il lui faudra deux ou trois séances avant de s'y mettre avec plaisir.
Jazz sera de suite très intéressé. La séance suivante, il demandera la comptine et nous la chanterons une deuxième fois car il désire la mener lui-même. Il a de suite retenu les paroles et j'apprends qu'il a ensuite chanté ailleurs, et cela sans se tromper. Il accentue avec jubilation à « poussière », qui devient « poussiairr ! »
.


Deuxième phase de la séance :

Après les échanges percutants de début et les comptines, une seconde phase se joue avec les instruments plus mélodieux.

Protocole : nous allons jouer des ostinatos avec les carillons.
Mais là aussi, pour fédérer nous allons mettre en place un jeu de chef. Celui qui dirige demande à un partenaire d'inventer un ostinato et quand cet ostinato est en place, il nomme les autres, chacun leur tour, pour qu'ils s'articulent à ce qui est produit et ce, jusqu'à ce que tout le monde joue ensemble. Ensuite il en est de même pour s'arrêter : il les désigne un par un jusqu'au dernier.
Tout le monde commande à tour de rôle. 
À chaque passage, cela donne des productions très différentes et très intéressantes.

Ce moment de création sera un moment important et très contenant dans la séance. Cela permettra ensuite d'élaborer d'autres protocoles.
Il est intéressant de voir comment chacun tient son rôle avec sérieux lorsqu'il joue le chef d'orchestre, puis, en tant qu'exécutant comment ils sont peu ou prou à l'écoute de l'autre.
Dylan, le plus timide, accomplit sa mission à la perfection, exigeant et obtenant le silence avant de démarrer.
Parfois, lorsqu'ils sont exécutants, la frustration de devoir s'arrêter est grande ; mais ils acceptent. Ils jouent tous le jeu.
Le problème est que Jazz peut vite se perdre. Lorsqu'il se sert d'un instrument il lui arrive d'être dans la fascination : dans ces moments là, il n'en sort plus. Il a donc besoin de protocoles rythmo-musiqués où il invente, il élabore, il s'exprime.
Après quatre mois, Thibaut, pour la première fois jouera d'autre chose que des percussions : il osera le carillon.

Nous tenterons, plus tard, de jouer en pentatonique (cinq notes): c'est encore difficile.  La raison en est le vide laissé par les lames enlevées. Jazz accepte, mais il remet vite les lames après avoir joué.
Dylan enlève toute les lames et il tape le rythme sur le bois.. . ( Plus tard nous jouerons avec les Boom  Wackers et la Tamboa : cela posera moins de problèmes).

Nous tentons aussi une impro chantée. Mais ils répètent chacun en boucle : Jazz c'est «pipi au lit !», Dylan « bateau pirate !» Thibaut « lapin crétin !». On n'en sort pas. J'ai beau incanter (mise en chant) pour aller plus loin. Non, il est difficile d'articuler autre chose pour l'instant.


Troisième temps : Evolution dans la salle :

Après un temps où nous jouons assis, le besoin se fait sentir de bouger dans la salle.
Cette partie est plus liée à ce que peuvent proposer les enfants, à des faits  qui permettent de mettre en jeu le corps par le rythme pour ensuite essayer d'amener à une parole avec des histoires qu'ils imaginent.
Un mot qui est à la mode chez les psy en ce moment, c'est la  sérendipité : en science le mot signifie « faire une découverte de façon fortuite » : par exemple la tarte Tatin inventée par accident. Donc, depuis des années, comme Mr Jourdain, nous faisions de la sérendipité sans le savoir. Étant à l'écoute du groupe, tout fait fortuit, tout accident, donne lieu à une mise en jeu, une élaboration commune dans lesquels nous incluons des protocoles. Les enfants sont acteurs et cela ouvre à des espaces transitionnels.
Cette mise en jeu plus libre est possible car il y a eu les phases contenantes au paravent.
Il y aura les tuyaux sonores qui amènent immanquablement à imiter les éléphants. Nous marquons les pas en rythme lorsque je chante. Dylan comprend de suite, il est très réceptif au rythme. Thibaut va y arriver aussi. Jazz qui s'est un peu perdu avec les grelots revient dans le jeu...
Thibaut est celui qui demande le plus à évoluer dans la pièce.

Une autre fois Dylan, à l'aide de castagnettes, imite le crocodile. Les autres, avec des instruments en bois imitent le bruit des chevaux : nous scandons les pas à différentes vitesses : pas, trot, galop... Nous essayons toujours de structurer.
Avec les grelots, nous danserons « Jean petit qui danse ! » mais ce sont les adultes qui chantent et ça s'estompe vite...
 
L'adulte peut aussi être à l'origine d'une mise en commun. Un jour je tape un rythme avec un bois à 2 tons : Thibaut dit « c'est brésilien ! », je lui dis que oui. Il saute de joie. Il est très content d'avoir deviné et nous évoluons dans la salle en chantant sur un rythme de samba. Il faut toujours trouver des moyens de le raccrocher au groupe.


L'orage :

Il y a un instrument que les enfants aiment bien car il reproduit le bruit de l'orage. Ils éprouvent souvent un mélange de crainte et de plaisir à l'utiliser.
À partir de là on peut imaginer. Les idées fusent : l'orage, la pluie, le vent... Il ne reste plus qu'à articuler le tout.
Lorsque nous imitons des sons naturels, nous sommes dans le concret.
De plus, comme il y a beaucoup de confusion, une histoire simple va permettre d'instaurer une notion de temps.
Les différents éléments qui entrent en jeu progressivement vont donner du sens au rôle de chacun. Je vais être le garant de bonne tenue du jeu.
Au lieu d'entrer dans une relation de toute puissance avec des injonctions, ici la loi prend sens et elle est acceptée par chacun. C'est la différence entre la loi et l'exigence : la loi demande du sens, donc de l'échange, l'exigence est du côté de la toute-puissance.

L'histoire est des plus basiques :
il fait beau, puis tout à coup le vent se lève : là entrent en jeu les tuyaux sonores qui tournent, puis la pluie arrive avec le carillon et le bâton de pluie et enfin, l'orage gronde avec « l'instrument qui imite l'orage ».
Ensuite, lorsque l'orage, le vent, la pluie s'arrêtent, le soleil revient et les oiseaux (flûtes à coulisse) chantent.
Au début, il va falloir beaucoup cadrer. Ils ont du mal à attendre leur tour.  Il faut déterminer le rôle de chacun, tous voulant faire l'orage. Nous travaillons la frustration.
Chacun change de rôle à chaque fois. Il y a l'importance du rejeu qui les aide à tenir leur place dans la scansion du temps.
Après cette mise en place, nous n'en restons pas là. La suite peut donner lieu à des jeux improvisés.
À la troisième séance Thibaut devient un loup qui mange les oiseaux (il est toujours dans des histoires de dévoration, d'oralité).
Avec les tuyaux vont venir des jeux d'éléphants (beaucoup amenés par Thibaut encore). Nous marchons au pas et des borborygmes, des cris sortent par les tuyaux et nous tentons des responsoriaux...


Au final de cette première partie:

Nous voyons que Thibaut est parfois éparpillé  et qu'il peut décrocher: il faut l'aider à se ressaisir avec des choses qui le touchent :  la Bretagne, « J'entends le loup ...» entre autre. Il y a aussi le contenant rythmique des percussions (Brésil etc...) où il est performant. Il bouge beaucoup, mais il est créatif et il apporte son souffle dans les parties où il y a plus de mouvement : marches, danses...  au fil des jours il arrivera à être plus calme et à pouvoir scander des rythmes avec moins de confusion (contenant rythmique).

Dylan nous montre qu'il prend beaucoup de plaisir. Il se saisit de tout, malgré ses difficultés de parole. Il est performant sur les ostinatos, les jeux mélodieux, les rythmes... il adore la chose musicale.

Jazz est dans l'observation et il apprend vite tout ce que l'on fait. Il faut que les choses soient sûres. Pour l'instant, nous restons au premier degré : pas de plaisanterie, ni même de langage imagé. Un jour, il me dit qu'il vient de boire je lui dis « heureusement que tu as bu, sinon tu allais tirer la langue ! » il me répond en me montrant «  oh non ! Elle est bien accrochée ! ».
Il est vite envahi par ses problèmes. Ces jours là, il y arrive moins bien. Avec le temps, il parvient à mieux se récupérer grâce aux protocoles mis en place (jeu du chef …). 
Il y a une bonne évolution : avec certains instruments, il est maintenant passé de la fascination à l'expérimentation : il explore toutes leurs possibilités. Il se détache de l'objet.
La découverte de « Marie » a été pour lui une révélation. Par rapport aux autres il est plus disposé à travailler au niveau de la voix.

Lors de la dernière séance, Jazz est le seul enfant présent. Nous organisons une réunion avec ma collègue et lui. Il sera très sérieux et il prendra la parole pour demander à ce que l'année prochaine nous fassions plus de chant.
 


Deuxième partie

Une nouvelle année va démarrer. Thibaut est parti vivre chez son père en Bretagne. Jean Baptiste arrive.
Jean Baptiste est un garçon qui a besoin d'occuper toute la place. Il voudrait tout diriger lui-même. Le manque est angoissant. Le moindre changement le perturbe.
La frustration est très difficile. Mais il me dit en arrivant qu'il aime la musique.
Il va trouver du plaisir avec le djembé puis avec la chanson  « Marie ».
Il l'a chantera assez vite sans se tromper. Elle sera très importante pour lui aussi et il la reprendra toute l'année.
À la deuxième séance, il va falloir vite recadrer car il fait l'idiot. Il cherche à empêcher le groupe de fonctionner. Il veut l'exclusivité: « regardez-moi ! ».
Quand c'est à lui, ça va, mais quand les autres jouent et qu'il faut répondre, ça ne l'intéresse pas, c'est insupportable.
Il se heurte à la bonne cohésion du groupe. Une fois, il se met à crier « stop! » sans que ce soit prévu ; le groupe continue de jouer comme si rien n'était. Il récidive une deuxième fois, une troisième puis il cesse. Il se remet à jouer. C'est la force du groupe.

Compte tenu de l'évolution, j'introduis une autre chanson : « Un éléphant qui se baladait... »Avec un jeu de voyelles « an alaphant » etc... ça plaît beaucoup à Jazz, mais c'est plus difficile pour les autres. J'essaierai de les intéresser en ajoutant le o = le papa, le a = la maman, le e = le frère, le i = le petit u = la grand-mère... mais c'est long et ça ne marche pas. Après peu de séances j’abandonne.

Je réajuste et je propose une chanson à geste et randonnée : « Pour bien danser Laridée » qui correspond mieux (corps/rythme/parole).
C'est un peu difficile pour Dylan en ce qui concerne le chant, mais il est au point pour les mouvements.
Jazz se jette par terre à la fin de chaque gestuelle ; il faut l'aider à tenir debout et éviter que cela devienne un jeu récurrent.
Souvent, il a un temps d'avance. Il anticipe le geste. Jazz a des problèmes avec le temps : il me parle souvent de « ce qu'on a fait hier » pour des séances passées. Mais nous avons aussi réadapté la chanson à la deuxième interprétation ; il se peut qu'il en soit resté à la première version: « ce qui est dit est dit ! ».
Cette chanson marche très bien. Quelques mois après, Jazz va accepter le temps et rester debout.
Et il y a surtout Dylan qui va chanter Laridée.

La bataille de Reischoffen : vite apprise. Elle réveille le groupe tout en cadrant, belle unité ! (corps/rythme/parole). Jazz proposera de jouer aussi avec les épaules.
Lorsque nous la jouons pour la première fois, Jean Baptiste demande si nous pouvons la refaire car il dit n'avoir pas tout compris. Il y a une évolution pour quelqu'un qui ne supportait pas la moindre nouveauté.
Il a énormément besoin de rituels et de répétitions. Il arrive à accepter l'innovation si nous l'amenons avec parcimonie.

Daniel Marcelli « La surprise chatouille de l'âme » : « Inscrit dans un macrorythme suffisamment répétitif, stable et sûr, le bébé peut « construire » la continuité de son narcissisme, sa sécurité de base, où ce qui est attendu advient,où l'attente confirmée calme et apaise.
En opposition, le microrythme est la survenue aléatoire dans la linéarité du temps (registre du pulsionnel). C'est la conjonction des deux temps qui fonde le rythme dans lequel va s'installer le bébé. »
«  Le rythme sert à ouvrir la boucle du temps, il permet à l'être humain de passer d'un temps circulaire à un temps linéaire, la surprise étant le couperet dont il se sert pour trancher la circularité du temps archaïque, cassant la répétition pour un instant, dénouant les liens protecteurs du temps circulaire pour projeter l'individu dans la course solitaire d'un temps linéaire angoissant. Mais il n'y a pas de surprise sans surgissement d'un autre et c'est par cet autre que l'ouverture du circulaire au linéaire s'opère ».

Cette chanson amène Jazz à descendre du cajòn, car il faut être assis avec les pieds qui touchent par terre.

Pour aller plus vers l'improvisation, nous allons mettre en place la chanson « Je suis un artiste ! » en la détournant un peu. Chacun raconte sa matinée , des choses simples en responsorial: d'où il vient, son petit-déjeuner, comment il est habillé, par quel moyen il est arrivé, « et il sait jouer du... »  Nous  finissons par le refrain « la la la » en nous accompagnant des tambours.
Nous tenons enfin notre présentation avec l'éventualité d'improvisation. Il y a possibilité de laisser aller son imaginaire, mais c'est encore compliqué.
Jazz, petit à petit, peut dire des choses concernant sa vie : déménagement, sa mère vient le chercher pour goûter etc... Il tente même parfois de dire quelque chose de faux tout en se rattrapant vite en disant « c'est pour rire ! », il ne faut pas exagérer !.
Dylan commence de plus en plus à laisser aller la parole. Il raconte parfois des bêtises et rit avec plaisir. Il fait des efforts pour dire quelque chose : qu'il n'a pas déménagé (par rapport à d'autres) et qu'avec son père ils ont été à Colomiers et il a vu des avions etc...
Jean Baptiste se cantonne à ce qui lui est demandé. Mais il participe en fonction de ce que racontent les autres.

Tout cela reste fragile. Jazz est très influençable. Il suffit qu'il y en ait un qui fasse l'idiot, il suit.
Dylan, l'air de rien, sait faire démarrer les autres (il suffit d'un mot...)
Les débuts de groupe sont parfois difficiles, avec des cris, des bruitages genre « prout » etc... les uns entraînant les autres! Durant toute cette année la recette miracle va être la chanson « Marie ».
Après chaque interprétation, le groupe se récupère, se calme et tout le monde est prêt à travailler.
Avec « Marie » se déroule les étapes de la vie, la mort et surtout comme dans tout conte nous refermons le livre à la fin. Nous nous inscrivons dans un temps symbolique.
Ma collègue met en place un jeu de mains simple pour accompagner les paroles, un temps les mains claquent et un temps sur les cuisses, jeu de va et vient.
Quand Jean Baptiste chante Marie, Jazz dit « il le sait mieux que moi !» ce qui n'est pas vrai. Il faut conforter Jazz et l'aider dans sa préhension de la réalité. Cela permet également d'ouvrir la discussion.
Dylan commence à chanter là aussi.

Nous pouvons maintenant faire des jeux de tapés corporels avec des improvisations verbales, onomatopées ou pas. Dylan est friand d'onomatopées. Quand il ne sait plus quoi dire, il égrène des mots : « taureau, chien, chat, souris... » et il jubile au plaisir de les dire...
Jean Baptiste arrive aussi à produire des responsoriaux très variés.
Jazz peut se lancer dans des bruits de bouche.


Deuxième phase :

Au début, les protocoles avec ostinato sont difficiles pour Jean Baptiste. Il ne voudrait jouer qu'en soliste et quand c'est au tour des autres il ne veut pas répondre. Mais cela va s'améliorer assez vite. Il se laisse porter par le musical, même les jours où il est moins bien.
Il découvrira le Ukulélé : il est très fier de se débrouiller avec. Il gratte les cordes en rythme, jouant des va et vient.
Il va aussi jouer du N'goni (harpe luth africaine): il pourra faire le bourdon et le groupe peut jouer autour.
Il est à noter l'intérêt de prêter des instruments fragiles. Les enfants se sentent investis de responsabilités et ils font toujours très attention.
Avec Jean-Baptiste, nous sommes passés de quelqu'un qui était dans la toute-puissance et qui ne voulait jouer qu'en vedette à quelqu'un qui peut être la base du groupe même s'il est encore inconstant.
Souvent, lorsqu'il joue, il me regarde en cherchant mon approbation. Il a besoin que nous l'aidions à comprendre la réalité du moment.
Quand à Jazz, lorsqu'il dirige et qu'arrive le moment où tout le monde joue, il ne commande plus la suite. Il faut lui rappeler, sinon ça peut durer.
Vers la fin de l'année je dis à Jazz de se dépêcher, mais il me répond « ne me dis rien ! », il en a conscience.

Il y aura aussi un travail sur l’intensité, il joue trop fort. La sanza servira à faire baisser le volume sonore. Jazz s'y applique ainsi que les autres. Une parenthèse: Sanza est le nom Camerounais, en Afrique Australe elle est appelée Kalimba, en république du Congo et R.D.C. c'est Likembé . En Afrique du Sud, Mbira. Il y a un nom différent pour chaque ethnie. On parle aussi de « piano à pouce »).
Mais Jazz ne commande pas n'importe comment, c'est très réfléchi. Souvent lorsqu'il laisse jouer seul quelqu'un en dernier, il balance en rythme, en prenant beaucoup de plaisir et il laisse un peu de temps avant d'ordonner l'arrêt.
Au contraire de Jazz, Jean Baptiste va trop vite lorsqu'il commande. Il ne laisse pas jouer un minimum ensemble. Il dit vite qui commence et ensuite aussi vite qui finit. Il est difficile pour lui de laisser du temps, de la respiration. Cela viendra.
La reprise de l'activité en septembre, après la coupure des vacances, a été difficile pour Dylan. Cela a duré 2 mois. Ensuite il a retrouvé la forme. Il va très bien se débrouiller à ce protocole. Parfois il ferme les yeux pour apprécier ce qui se joue ou pour se concentrer.
Il râle après les autres lorsqu’ils ne respectent pas les consignes.
Il joue un super ostinato au carillon.

Vers la fin de l'année, il y a de plus en plus de moments où la musique est plus douce : Ukulélé, cithare, carillon, sanza.
Jazz fera des va et vient avec le chime puis il sera capable d'organiser des sons, ce qui n'est pas facile.
Nous essayons des improvisations verbales : c'est encore un peu limité.


Évolution dans la salle :

Jean Baptiste a beaucoup de mal avec la mise en jeu du corps. Il lui est difficile de suivre les autres, d'aller dans le même sens, de se tenir à la règle... le rythmo-musical va l'y aider.
Petit à petit se met en place la chanson « Ah les crocodiles ». L'intérêt est qu'il y a 2 rythmes différents : une marche pour le couplet (2 temps) et un refrain plus syncopé.
Nous pouvons nous servir des balancements et jouer différentes variations avec les tambourins.
Pour que ça fonctionne, à tour de rôle, celui qui passe devant commande.
A un moment, un groupe joue les crocodiles et un autre les éléphants avec des responsoriaux.

Un « jeu de fantôme » se développera à partir de Dylan qui souffle dans une flûte à coulisse.
Tout le monde joue les fantômes à l'aide des flûtes et Jean Baptiste, pour terminer, a l'idée de faire sonner le gong en annonçant que les fantômes se transforment en humains.
En ce qui concerne Jazz, lors de ce jeu, ma collègue me fait remarquer que c'est la première fois qu'il fait des allers-retours entre elle à moi (triangulation) avec une grande demande affective.
A l'origine du « jeu du fantôme », il y a eu une chose intéressante: un échange particulier avec Jazz. Il souffle dans une flûte à coulisse et comme le son est trop fort, je l'apostrophe mais en parlant à « Mr l'oiseau ». Il me répond au moyen de la flûte en faisant des bruitages qui ressemblent à des paroles. Un échange, un dialogue surréaliste, s'instaure. Lui qui d'habitude est bousculé dans ce qui n'est pas réalité est parvenu à entrer dans le jeu.


Fin de séance :

La première fois où Jean Baptiste a découvert le jeu de l'orage, il semblait se dire : « où est-ce que je suis tombé ? »
Mais plus tard, quand il jouera avec nous, il pourra enchaîner avec une histoire qu'il invente à l'aide des tuyaux « c'est un petit éléphant qui a perdu sa maman. Il est tout seul dans un coin. Un autre éléphant vient le chercher, il dit que c'est le papy éléphant ( moi !!!), et nous partons en chantant en rythme. »
Cette année le jeu de l'orage s'éteindra de lui même : nous passerons assez vite à autre chose.

En fin de séance la parole se libère. Souvent Jazz me dit « je te mets au placard ! » plus tard « A la poubelle ! ». Je reprends cela avec lui : « est-ce qu'il a déjà été dans un placard ou est-ce qu'on lui en a parlé etc... » ma collègue me dit que sa mère a souvent jeté ses jouets à la poubelle (notamment sa Nintendo) ou bien elle les a mis dans un placard fermé.  Cela interroge encore sur son rapport sujet/objet.
Jean Baptiste est toujours prompt à venir me donner la main pour la ronde.
   
Conclusion :

L'évolution du groupe au cours de l'année a été manifeste. Des jeux basiques aux percussions nous sommes passés à une mise en jeu du corps, du rythme et de la parole. Des improvisations simples ont pu émerger. Le passage au jeu d'instruments plus variés avec ostinato a donné lieu à des moments très intenses.
Nous nous retrouvons en fin d'année avec Jazz et Dylan qui tranquillement parlent ensemble de leur amoureuse à l'école.

Plusieurs fois Dylan a eu un petit bobo. Il fut une temps où cela suffisait à gâcher toute une séance. Dernièrement, il s'est fait mal : il a pu poser des mots, raconter en détail ce qui c'était passé et il n'a pas été en difficulté pour la suite.

Jazz est performant dans ce qui est chanté. Il est toujours très sérieux dans tout ce qu'il fait. Le symbolique reste un peu compliqué. Il est encore envahi par certains problèmes mais il fait des efforts. Il a du mérite. Par exemple, en juin, la mère d'un autre enfant de la Villa a appelé son chien « Jazz ! »...

Jean Baptiste a aussi beaucoup évolué : il peut supporter de ne plus être le premier. Il arrive à attendre son tour. Il faut toujours être vigilant et les jours de moins bien les protocoles rythmo-musiqués l'apaisent et le contiennent.

Mais tout cela reste fragile. Nous sommes toujours assujettis aux aléas de leur quotidien qui leur est souvent difficile à surmonter.
Il est à préciser que ce travail en musicothérapie s'articule avec les différentes prises en charges de l'hôpital de jour. Durant l'année, ma collègue fait le lien avec les autres intervenants et je participe aux réunions de synthèses.
 
Je terminerai avec cette parole de Marcel Jousse : « C'est avec le geste de la parole passive et de l'audition passive qu'on fait mourir. C'est avec le geste de la parole active et de l'audition active qu'on fait revivre ».

Et pour cela, je propose de danser ensemble « Laridée ».