Jouer, jouir, jouer à qui perd gagne
Tel sera le titre de mon propos pour aborder la question du jeu et de la répétition en psychanalyse dans le cadre de ces rencontres de « musicothérapie active ».
Le vent joue avec les feuilles des arbres, le chat joue avec la souris ou avec la pelote de laine, le chien joue avec la balle, avec ou sans son maître. Le bébé joue avec son corps, il le découvre, il joue à produire des gazouillis, les répète inlassablement, babiller l’initie au langage. Il joue avec maman, fait tomber les objets et fait dès lors l’expérience de la pesanteur. Il les fait disparaître sous la couverture pour mieux les retrouver, fait coucou babaou avec le visage de maman. Il joue à cache-cache dans le miroir, s’assurant d’une présence absence, moment clé de l’organisation structurale humaine, ce que Jacques Lacan après les travaux de Henri Wallon va conceptualiser par « le stade du miroir «.
L’enfant joue avec. Il peut
jouer seul, mais avec ce qui pour lui fait office de jouets, un caillou, un
bâton ou le panier à salade peut faire l’affaire. Il manipule
les objets. Maman le conduit au jardin dans l’aire de jeux, il fait
des pâtés de sable, ou monte sur le toboggan. Il joue en présence
de sa mère, dans une aire d’illusion sécurisante appelée
aire transitionnelle par Winnicott. Il apprendra à négocier
les séparations.
Il joue aussi avec ses copains, partenaires de jeux. Ils peuvent jouer au
ballon, à la corde à sauter, ou à des jeux de société.
Il s’installe dans l’échange et le challenge avec l’autre.
Par nature si je puis m’exprimer ainsi l’enfant joue. Sa nature
c’est précisément sa culture, car l’homme est un
être de culture. Le petit d’homme n’échappe pas au
langage.
Le jeu s’avère indispensable.
Quand il ne joue pas on s’en inquiète. De quelles exigences s’affranchit
donc le jeu ? Ses jeux sont souvent répétitifs. Le jeu est inhérent
à sa construction psychique.
Le jeu chez l’enfant à la différence de l’animal,
va prendre source dans l’imaginaire certes, dans sa relation à
l’autre face au miroir par exemple, mais c’est par le symbolique,
mouvement par lequel il se retourne et regarde sa mère, que se témoigne
l’appel au Grand Autre, instance symbolique inaugurale du langage. Le
petit d’homme est pris dans une relation à l’autre, tel
que s’articule le réel, le symbolique, l’imaginaire, catégories
définies par Lacan.
On raconte des histoires aux enfants,
des contes, pas question de rater un seul mot, il nous a au tournant car l’histoire,
il la connaît par cœur, on répète inlassablement
le soir la même histoire. Parfois, jouant avec lui, les histoires, on
les invente. On fait peur à la nuit, aux fantômes, on s’apprivoise
les pires ennemis, les démons de la nuit. On nourrit sa fantaisie.
Les récits, mythes et légendes puisés dans le patrimoine
commun vont bon train. Son imaginaire se nourrit de nos trouvailles, il s’étoffe
et alimente les pulsions en vigilance, les canalise, les rambarde. Ce monde
du jeu est dit ludique, souscrivant au dit principe de plaisir tel que Freud
nous en a conté fleurette.
Ses jeux, Maman les interrompt parfois. Elle lui dit de ranger sa chambre,
il rechigne à ranger les jouets. Il joue avec son assiette, maman joue
avec lui en faisant des ronds dans la purée, puis maman gronde aussi
car il faut manger, il faut tenir la fourchette et le couteau et apprendre
à se tenir à table, on ne joue pas toujours. Elle met frein
au plaisir du jeu.
Le principe de réalité
va venir contrarier le principe de plaisir, du jeu dans ce qu’il a de
plus ludique. Cela s’appelle l’éducation, ce qui interpelle
la fonction paternelle.
Ce qui caractérise l’enfant c’est le jeu. Les psychanalystes
d’enfants, à l’instar des psychanalystes d’adultes
ne se sont pas privés pour les mettre en équivalence avec le
travail des rêves.
Je resterai quant à moi prudente quant à considérer que
les jeux, manifestations de l’inconscient, certes, puissent se mesurer
aux rêves, formations proprement dites de l’inconscient. Quoiqu’il
en soit, l’observation des jeux d’enfant n’a pas été
économisée, la dynamique et le contenu des jeux en ont attiré
plus d’un.
A chacun son style, Mélanie Klein la doyenne de la cure analytique
par le jeu, damant le pion à Anna Freud, verra sa descendance assurée
en la personne de Winnicott. Quels qu’en soient les excès, le
foisonnement d’une interprétation un peu trop outrancière,
pour Mélanie Klein, ils auront néanmoins trouvé l’audace
d’en révéler l’enjeu.
Au sein d’une relation thérapeutique,
ce que tous deux, nous ont fait appris, c’est à les entendre
ces jeux à leur juste mesure. Ils auront mis l’accent sur la
construction et déconstruction du psychisme infantile et leur mode
de fonctionnement. Position schizoïde et paranoïde pour l’une,
Mélanie Klein, espace transitionnel pour l’autre, Winnicott,
ainsi va se conceptualiser à partir de la teneur sérieuse, sinon
tragique des jeux de ces enfants, une théorie de l’infantile,
soubassement de l’archaïque du psychisme humain. Le principe de
plaisir y sera mis à mal.
Le principe de plaisir, une fois évincé par le principe de réalité,
va devoir se faire oublier. Sous l’effet du social, les forces refoulantes
opérant sans réserve vont tenter de lui clouer le bec. C’est
là que le bât blesse, l’insistance pulsionnelle à
valeur constante, agie par ce principe de plaisir et le refoulement alors
en concurrence vont faire un sacré carnage.
Qui sera le plus fort dans la bagarre, le combat n’est jamais gagné
d’avance, ça insiste pourrait-on dire, le ça fait valoir
ses droits sous toutes ses formes.
Les formations de l’inconscient lesquelles permettent une construction
aménageable, pleuvent, à travers toutes les modalités,
rêves, lapsus, mots d’esprits, actes manqués, incluant
ses propres ratages, phénomènes réitératifs, répétition.
L’échec va signer la névrose, manifestations symptomatiques,
la psychose fixité des instances, délires, hallucinations, ou
l’autisme peu ou pas d’accès au langage, balancements,
stéréotypes.
C’est cette insistance sous toutes ses formes que nous révèlera
le phénomène dit de répétition, la « wiederholungszwang
» traduit tour à tour par compulsion de répétition,
contrainte de répétition. Le refoulé à l’œuvre
va faire sillon soit par mémorisation dans le domaine de la pensée,
soit sous une forme plus agie, plus motrice caractérisant avec plus
ou moins d’embarras ou de violence certains comportements répétitifs
de la vie quotidienne.
Freud le premier a balayé cette notion de répétition
au cours de sa théorisation, nous en avons les prémisses dans
ses lettres à Fliess, à partir de 1895, puis en 1914 «
Remémoration répétition, perlaboration ». Il va
nous le livrer en concept en 1920 dans « Au-delà du principe
de plaisir », lequel a fait date. C’est ce que l’on appelle
le tournant de 1920.
Révisant sa théorie des pulsions, faisant appel à un
« au-delà du principe de plaisir », il va alors nous introduire
à la pulsion de mort. Après diverses observations mettant en
échec sa clinique comme la relation thérapeutique négative,
ou la constatation chez les traumatisés de guerre, de l’insistance
de la répétition douloureuse, ne pouvant souscrire au seul principe
de plaisir, il va reformuler la question et partant toute sa théorie.
L’anathème prend forme.
Les différentes écoles
psychanalytiques vont venir s’y cogner et les chipoteries vont commencer.
Sur le délicat sujet de la représentation psychique, elles feront
scissions et ruptures. Ce qui va forcément avoir des incidences cliniques
pas négligeables. Nous en évoquerons les enjeux.
Lacan lui emboîtant le pas, à la lumière des travaux de
la linguistique et du structuralisme se servira de cette pulsion de mort pour
la dialectiser avec la pulsion de vie. À partir de sa théorie
du signifiant il en fera la clé de voûte du paradoxe de l’articulation
signifiante, l’articulation langagière.
Le jour vient sur fond de nuit, le cri s’inscrit dans le silence, le
oui va se conjuguer au non, ce qui fera prévaloir le principe de dénégation,
véritable archet de la symbolisation.
Il va inaugurer la théorie du manque sur lequel viendra se lover la
question du désir.
Nous observons aisément chez l’enfant cette période d’opposition
où le non systématiquement s’impose dans ses paroles.
Nous le voyons aussi appendu au bouton électrique du salon, éclairer,
éteindre inlassablement.
Comment se représenter mieux cette articulation langagière rendue
possible qu’à partir d’un vide, du manque princeps de l’appareil
psychique sinon en convoquant ce jeu du taquin, appelé parfois jeu
du pousse pousse, où une case manquante va permettre la circulation
de toutes les autres lettres.
Le jeu de lettres n’est rendu possible que par cette place manquante.
On voit bien l’importance du vide, de l’espace, de la mobilité,
venant à l’encontre de la fixité. Il en est de même
de l’appareil psychique où les forces en présence pour
se mouvoir doivent se prévaloir de quelque espace.
L’enfant est roi en la matière lequel jongle avec les espaces,
les parcourt, les fait se chevaucher, les empiète où s’y
empêtre. Ya du jeu comme dirait l’autre.
Le prototype de la représentation
psychique n’est-ce pas précisément le célèbre
jeu de la bobine, dit jeu du fort da ?
Pour rappel : le petit fils de Freud, Ernst, sous l’effet traumatisant
du départ de sa mère va littéralement inventer un jeu
par lequel il va assimiler ce départ, mentaliser cette absence, la
juguler et par le caractère actif de son acte, éviter de la
subir et ainsi s’en rendre maître.
Ernst, 18 mois, lors d’un départ de sa mère, va s’amuser
à faire disparaître derrière son lit une bobine de fil,
en en tenant un bout et la faire réapparaître aussitôt
en tirant dessus.
Le plus important à noter dans cette affaire, c’est non seulement
la jubilation que cela lui procure, de présentifier sa mère,
mais le fait de ce qu’il prononce, pour accompagner ses gestes. Fort
pour loin, sur le versant de l’absence, et Da pour la présence
au retour de la bobine, seront les prémisses de cette alternance présence
absence dans le langage.
On perçoit là comment va se jouer le point de départ
de la symbolisation, sous l’égide de la représentation
psychique, matrice de toutes les représentations ultérieures.
C’est non seulement la répétition motrice pure et simple
dont il est question dans cette mise en acte, mais l’opposition fort
et da, opposition signifiante qui signe la mise en articulation langagière.
Déplions la scène : première perte, l’objet de
la réalité, la mère en tant qu’objet de satisfaction
et d’amour. L’enfant en proie au traumatisme, par le caractère
actif de cette mise en acte répétitive va tenter une première
symbolisation muette si je puis dire de cette perte.
Celle-ci sera redoublée par la mise en mots, génératrice
d’une autre perte, laquelle va redoubler l’absence, mais installera
le dé-fusionnement. Le mot tue la chose. Schématiquement, on
passe de la représentation de choses à la représentation
de mots.
Le détachement se produit non plus entre l’enfant et sa mère,
mais entre le sujet et lui-même à l’image des caducs, enveloppe
placentaire où Lacan nous indique que lors de la naissance, l’enfant
ne se sépare pas de la mère, mais des caducs du tissu placentaire,
désormais devenus caduques.
Le jeu de l’enfant est la réponse du sujet à ce que l’absence
de la mère est venue créer comme béance en lui du fait
de sa condition d’être parlant.
Les signifiants « fort et da » mis en alternance, sinon en opposition,
portent témoignage de cette perte du sujet à lui-même,
signent la perte de cette fusion originaire, socle d’une jouissance
de la mère désormais barrée car interdite.
Plus que la mise en acte, la mise en mots va permettre la mise en représentation
de la perte du sujet, de sa séparation d’avec l’objet.
Processus qui lui est interne.
C’est d’une partie
de lui-même que l’enfant va devoir se séparer, il laisse
choir une partie de lui-même, ce que Lacan nommera objet a, objet perdu,
objet définitivement perdu pour qu’advienne le langage.
La construction de ce vide, de ce manque, passe par une perte, un «
écorne ment ». Et ainsi dans ce passage au désir va se
mettre en place le processus de la chaîne parlée, métonymique,
support du désir par la recherche incessante de l’objet définitivement
perdu.
Le jeu de la bobine nous indique que ce qu’il y à gagner à
ce jeu c’est le devenir psychique après la perte, le devenir
du sujet, dé-fusionné de la relation à sa mère.
C’est le jeu du qui perd gagne.
L’inscription de la perte sous le signifiant permettra que l’objet
soit perdu et recréé par le signifiant lui-même, la perte
pouvant dés lors être assumée dans le registre du symbolique.
La réitération à travers les signifiants allant au-delà
de la mise en acte, fera vaccin de cette perte, et matrice de toute perte
à venir. L’accession au langage passe par ces deux temps. On
voit là que répétition et symbolisation sont dans un
même procès.
Ceci nous permet d’indiquer
deux fonctions de répétition,
- le versant du côté du réel, non symbolique, ce que Lacan
en appelant aux catégories aristotéliciennes appelle la tuché,
le traumatisme. La répétition est alors à situer du côté
de la jouissance, nous n’y avons pas accès sinon sous forme traumatique,
hallucinations, accidents, risque mortel,
- et le versant symbolique, l’automatom, ressort de la logique du signifiant
constitutif de l’inscription de l’être humain dans le monde
du langage. La répétition serait à situer alors du côté
de la perte de jouissance, de ce qui vient faire obstacle à la jouissance,
jouissance étant entendu comme chemin allant vers la mort. L’automatisme
de répétition prend son principe dans ce que nous avons appelé
l’insistance de la chaîne signifiante. Elle se situe alors dans
le registre du désir. Elle est inhérente à toute démarche
humaine.
A partir de là nous pouvons percevoir les moments d’arrêt,
de fixation chez les patients en souffrance névrotique ou psychotique,
voire autistique, et cela donne indication de la qualité de nos interventions
en tant que soignants.
Accès ou non au langage, psychoses, névroses, ou passages à
l’acte délinquants nous convoque à une certaine place
car le diagnostic clinique établi, la mise en place thérapeutique
tiendra compte du type d’appréhension des phénomènes
symptomatiques.
Cliniquement on peut observer dans les dessins d’enfants par exemple
l’apparition d’un vide, le trou dans l’arbre en témoignage
de cette perte, de cette trouée psychique, précurseur de névrose
et non de psychose. C’est toujours un bon signe.
Il suffit de se pencher sur l’histoire
de la cure analytique elle-même pour en saisir la démarche. Le
passage de la méthode cathartique, à la méthode de l’association
libre, puis du travail sur les signifiants nous en montre l’évolution.
Le maniement du transfert dans la cure va permettre l’aménagement
de ce passage de la jouissance, au sens de réel traumatique, au désir.
De manière schématique on peut dire que :
Freud le premier après avoir découvert la psychanalyse à
partir du discours des hystériques, par la méthode hypnotique,
cathartique, s’efforçant de ramener le refoulé à
la conscience, et se cassant le nez sur la question transférentielle,
à savoir la reconduite sur sa personne des émois de l’enfance,
autrement dit la répétition, a pris en compte la question de
la résistance à ce mouvement de retour, et inaugurer la méthode
de l’association libre.
La répétition dans le transfert, oeuvrant sur un double tranchant,
de figure de résistance à la remémoration du refoulé,
dans le même temps que révélation des éléments
oubliés, va pouvoir être prise en compte et orienter la cure
sur un autre principe, celui de l’analyse de ce transfert.
Lacan reprenant le flambeau avec la théorie du signifiant et sa théorie
du désir et de la jouissance, va lui aussi conceptualiser cette question
de la répétition. Cette notion va parcourir toute son œuvre,
et prendra assise dans son séminaire 11. Elle sera érigée
alors comme l’un des 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse.Clair
que dans cette aventure, l’être humain a besoin de l’autre
pour se construire. Il acquiert le langage de l’autre, et par l’autre.
L’apprentissage de la langue nous est indispensable, pour faire partie
de la communauté des humains. C’est ce que l’on appelle
le monde du parlêtre.
L’enfant rentre dés sa naissance dans un bain de langage, les
règles en sont établis par avance. La règle du jeu humain
c’est avant tout l’accès au langage qui se soutient de
la rencontre avec l’autre/Autre.
Les parents, les partenaires sociaux, éducateurs, pédagogues
sont là pour permettre cet accès. Le jeu est princeps pour la
construction psychique. L’éducation va canaliser nos pulsions
et permettre la symbolisation sous toutes ses formes.
C’est ensuite par défaut qu’interviendra le champ du thérapeutique
ou de l’analytique.
Le jeu ne relève pas on le sait d’un contrat, mais d’un
pacte, on parle de dette de jeu, dette d’honneur. La dette est au principe
du jeu, du jeu humain. Ce pacte, n’est-ce pas celui que le petit d’homme
doit accepter dans son rapport au langage, en devenant parlêtre ?
Il se doit s’affirmer un oui ferme et définitif à ce monde
symbolique dans lequel il fait ses premiers pas. Cet engagement vital suppose
un crédit fait à l’Autre.
Dans sa rencontre avec l’autre, dans ses relations ordinaires avec les
petits autres, il va rejouer à son insu le rapport inconscient à
l’Autre, le jeu à son insu de tuché et automaton, autrement
dit de ce qui s’est organisé de son inconscient, dans cette mise
en place de son appareil psychique.
Le jeu proprement dit, avec ses règles de fonctionnement, organise
un rapport de fiction où il s’agit toujours de forcer le hasard
et d’obtenir ainsi de l’Autre réponse et reconnaissance.
Sur la scène sociale, vient ainsi, se rejouer l’importance et
l’insistance y compris dans le monde adulte de ce qui se rejoue de la
scène psychique. Dans cette quête du jeu sous toutes ses formes,
c’est peu dire qu’on apprend avec les jeux. On apprend les mathématiques
avec les jeux, on apprend l’anglais avec les jeux, avec les chansons
aussi, les comptines.
En chantant tout devient tellement plus facile. Car les hommes chantent, les
enfants d’ailleurs chantent très tôt.
Si pour les oiseaux la musique leur est naturelle, les chiens, les chats,
les poules, les serpents, les plantes ne chantent pas.
D’une certaine façon on peut dire que le chant et la musique
qui l’accompagne est le propre de l’homme.
Après avoir jouer avec sa voix, l’enfant peut jouer aussi du
pipo ou de n’importe quel instrument. Cela suppose des règles.
Ce sont les règles musicales. Il apprend alors le solfège, le
rythme, l’adulte lui donne le tempo. On obtient une mélodie.
On peut chanter sans savoir le solfège remarquez, mais on a de l’oreille.
Si on veut être sérieux on apprend à jouer, on apprend
à jouer d’un instrument. On répète alors la leçon
tous les soirs et matins, avec force et régularité. Le jeu demande
alors de la discipline. Si l’on veut jouer bien il faut s’y soumettre.
La musique ne s’improvise pas, pas tout à fait.
D’aucuns parlent d’un langage musical ce qui suppose une symbolique.
Je ne m’aventurerai pas sur ce terrain je laisse aux exégètes
le soin d’en décider. Les signifiants musicaux n’ont pas
en soi de signifiés.Il en est ainsi de la musique, il en est ainsi
du langage, il en est ainsi de l’échange humain.
Soumis à l’ordre
du langage, du symbolique, le petit d’homme apprend à parler,
à chanter, à jouer avec son prochain selon certaines modalités.
Le langage on l’a vu reste la clé de voûte de l’édifice
humain. Nul n’échappe au langage et à l’ordre signifiant,
les règles en sont établies avec invariance.
C’est ce langage qui va permettre la différenciation, le repérage,
dans la généalogie, et dans la position masculin, féminin.
La sexualité fait le lit de ces repérages.
Rendons hommage à Claude Lévi-Strauss qui a su mettre en évidence
ces règles invariantes d’échanges dans la communauté
humaine ainsi que leur structure de base.
Comme chacun sait, Claude Lévi-Strauss était très lié
à la musique, il dit avoir construit ses mythologies comme on construit
un opéra.
La découverte du structuralisme a été un moment fécond.
La règle auquel nul n’échappe c’est la règle
de l’interdit de l’inceste, dont les modalités varient
selon les civilisations. L’homme ne peut faire fusion, sinon ya confusion,
folie, désordres.
C’est cet interdit versé à l’ordre paternel, qui
va mettre en place le langage, métaphore, métonymie. L’inceste
verbal pourrait-on dire se repère dans les désordres langagiers,
les néologismes par exemple chez le psychotique.
La règle au sens princeps va orchestrer règles et règlements.
C’est encore l’interdit et son maniement à travers les
règles de bonne conduite qui va permettre le respect et la bienséance.
Le non respect des règles entraîne l’éviction du
monde des humains, transgressions délinquantes par exemple, celle que
la police réfrène.
Mais c’est la Loi du père, loi avec un grand L, fondement de
l’ordre de l’humain laquelle empêche la fusion avec la mère,
qui va permettre la différenciation et la position dans la chaîne
généalogique et nous éviter la folie. Quant adviennent
les troubles, c’est là que rééducateurs, thérapeutes,
professionnels de la santé, voire psychanalystes interviennent.
On fait de la prose sans le savoir, du chant de la musique sans le savoir,
de la comédie sans le savoir, mais à un moment se pose la question
du savoir comment y faire quand le désordre s’est produit.
Les souffrants s’adressent alors à un spécialiste de ce
savoir y faire.
A partir d’une demande adressée
à l’autre, c’est la règle de ce jeu humain qui va
être mise à l’épreuve. Sur le terrain de ce qui
a été conceptualisé comme besoin, demande et désir,
vont se déployer toutes les facettes, modes d’intervention, présupposés
théoriques, et place de chacun.
Sur la scène de la musicothérapie j’avancerai à
pas feutrés, n’en connaissant pas les rouages. Il m’a semblé
en entendre un large écart sinon un grand écart avec la musique
proprement dite. Sinon peut-être ce serait simple on amènerait
tout le monde au concert.
Vous avez vos méthodes sinon votre dispositif, lequel s’appuie
sur une théorie, implicite ou non. La rencontre avec un enfant, voire
un adulte, sur le terrain de la psychothérapie suppose cet enfant ou
cet adulte en souffrance, en désordre, désordre qu’il
vous adresse, à travers une demande implicite, ses défaillances
interrogent et vous intervenez, ou demande explicite, il s’adresse alors
à un savoir y faire, un savoir voir, un savoir entendre.
C’est le jeu qui a semble-t-il retenu votre attention pour le thème
de ces journées, nous avons vu comment il pouvait être lié
à celui de la répétition.
Nous avons repéré l’impact de la répétition
en tant qu’élevée au rang de concept dans le mouvement
psychanalytique. Il a largement défrayé la chronique en son
temps et a entraîné bien des ruptures et des controverses qui
sont loin d’être assouvies.
C’est de cette place de
psychanalyste que j’ai essayé d’aborder le sujet.
C’est le propre de la parole de nous introduire au langage. Elle est
essentielle en psychanalyse. La cure analytique s’est fondée
sur la parole « talking cure » dans une adresse à un autre,
l’autre du savoir, du sujet supposé savoir. L’un parle,
l’autre écoute et pour ce l’autre se tait.
C’est le jeu de deux partenaires en dissymétrie, en présence
absence, où l’effacement de l’un sollicite la présence
de l’autre par le discours.
L’analyste reçoit les contenus associatifs du patient par le
biais du transfert. Dénouée du regard, sur cette scène
analytique vient se dire, se répéter à travers rêves
et discours, voire se montrer par les passages à l’acte répétés
hors séances, la question prégnante sinon insistante du patient.
Il ne cesse de répéter les signifiants de son histoire, cette
répétition favorisée par le transfert lui-même.
La répétition en analyse, c’est bien elle qui mène
la barque. Le maniement du transfert et l’interprétation viendront
la mettre en forme.
Sans doute, pouvons-nous considérer l'entrée dans la cure analytique
comme une répétition par l'analysant, du pari fait sur l'existence
de l'Autre, laquelle inclut, comme dans tout jeu, la tentative de faire déchoir
l'Autre, de lui damer le pion.
La différence, c'est que l'analyste, au lieu d'entrer dans le jeu comme
partenaire animé de la même intention, en s'esquivant comme petit
autre, en mettant ses affects au vestiaire, vise à permettre à
l'analysant de découvrir son propre jeu avec l'Autre, son inconscient
autrement dit, et la nature du gain qu'il en escompte. Si du moins, il est
prêt à payer le prix d'une remise en jeu qui ne serait pas vaine.
J’aurais aimé
avant de conclure me saisir de votre intérêt pour le jeu pour faire
une incursion du côté du psychodrame analytique. Je le réserve
éventuellement pour la discussion.
Et en guise de conclusions, j’avancerai que psychanalyse, pédagogie,
musicothérapie active, quelles que soient les modalités d’approche,
de la question d’un enfant, d’un patient, en souffrance, à
un moment, il nous reste à oublier notre théorie pour aller vers
la rencontre, notre présence à l’autre reste irréfutable.
Alors si vous me permettez j’ajouterais ces quelques mots.
De retour dans l’actualité, grâce à son passage poignant lors de la chute du mur de Berlin, écoutons ce que nous dit Rostropovitch lors d’une interview : que la musique n’était qu’une succession d’oppositions, et parlant alors de l’œuvre enregistrée, « ce qui fait la qualité d’un CD c’est aussi ce qui fait son défaut, il rend la musique pour ce qu’elle est une pure opposition de notes. Le son d’un CD est pur, il n’y manque qu’une chose, le musicien qui a joué cette œuvre, sa vibration personnelle, son âme. »
*********
Liliane VALENTIN-THERME
Rencontre musicothérapie active
Besançon 11 novembre 2009