Danse-thérapie auprès de personnes incarcérées en section psychiatrique

en institution pénitentiaire

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Johan Dhaese

Anvers - Belgique

 

 

Intervention au colloque l'Art et le Soin - Février 2004 Paris

 

 

Johan Dhaese s’est formé à la danse-thérapie par l’Expression Primitive auprès de France Schott-Billmann.  Il a complété sa formation auprès de différents autres professeurs en danse et par de nombreux voyages à caractère anthropologique (Zimbabwe, Cuba, Brésil, Cook Islands, etc.).

Johan est donc pédagogue et danse-thérapeute.  Il travaille principalement en Belgique, mais enseigne également aux Pays-Bas, en Italie et en Tchéquie où il propose des formations à l’Expression Primitive.  Il s’adresse à différents groupes (adultes et enfants, personnes valides ou handicapées mentales et/ou physiques, aile psychiatrique en institution pénitentiaire).

Il recherche leur intégration par le biais de la danse.

 

VIDEO projetée

 

Titre: “Rencontres par la danse”

Cette vidéo illustre quelques aspects de mon travail en insitution pour personnes handicapées physiquement et/ou mentalement.  Le but de ce travail est d’établir une rencontre par le biais du non-verbal, du rythme, de la voix et du geste.  Il s’agit donc d’abord d’établir un lien entre le danse-thérapeute et le groupe.  Ce lien permettra ensuite à chacun de s’exprimer dans un contexte sécurisé et dans le cadre valorisant de la beauté qu’amène la danse.

 

 

INTERVENTION

 

Danse-thérapie auprès de personnes incarcérées en section psychiatrique

en institution pénitentiaire.

 

J’ai commencé mon travail en institution pénitentiaire en septembre 2002 à la demande de la direction de la prison d’Anvers. (Belgique) Le groupe de personnes avec lequel on m’a demandé de travailler change constamment au cours du temps.  Ce sont en effet des personnes en attente de jugement suite auquel elles seront soit incarcérées, soit placées en institution psychiatrique.

C’est un groupe exclusivement masculin issu d’un milieu social plutôt défavorisé et très peu dévelopé culturellement.  Inutile de préciser que c’est un environnement très machiste dans lequel la référence à l’art et à l’esthétique est très péjorative.

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Premiers contacts

 

1. Le bâtiment : une prison.

 

Mes impressions:

 

- Beaucoup de portes que des gardiens ouvrent, referment à double tour, et tout cela se répète jusqu’à la salle où je donne cours.

- Des gardiens, des uniformes, des caméras, des barreaux, des couloirs, des cellules. 

- Des gens qui attendent une visite: des avocats, des interprètes, des membres de la famille des détenus, ...

 

Finalement, je rencontre celle qui m’a invité, la directrice de la prison ainsi que les différents gardiens qui soutiendront le projet.  J’ai pu visiter la salle où nous danserons et nous avons fixé la date du premier cours.

 

 

2. Premier cours : rencontre avec les détenus

 

Mes impressions :

 

- RESISTANCE, RESISTANCE, RESISTANCE: je réalise que le mot DANSE n’est absolument pas un bon terme à employer, et je le remplace par BOUGER.  Je vois aussi que le mot THERAPIE est tabou.  Expliqué aux détenus, mon objectif est de faire un passage de l’inactivité à l’activité.  Je ne parle jamais de danse-thérapie.

 

- Je remarque vite que la plupart des détenus se sont installés dans l’inactivité, plus facile et surtout moins dangereuse.  Ils veulent dormir, fumer, regarder la télévision, manger, ...  Je sens que ces personnes n’ont aucune relation entre elles, et il n’existe pas de groupe.  Cela est peu étonnant car les détenus passent 18 heures par jour en cellule et même s’ils partagent la cellule avec d’autres, ils restent pour la plus grande partie du temps dans leur lit, sous les couvertures.

 

- Je survis au premier cours et j’emporte toutes mes impressions en rentrant chez moi.  Ces impressions me collent littéralement et physiquement au corps.  L’odeur de la fumée de cigarettes imprègne mes vêtements, la douleur physique et psychique des détenus a pénétré en moi.  En arrivant chez moi, je prend une douche pour me nettoyer de tout cela.  Je me sens propre physiquement mais pas émotionnellement.  J’ai un besoin de BEAUTE que je vais satisfaire en achetant des fleurs.  Plus tard, j’ai réalisé que ces fleurs représentaient un objet transitionnel qui me permettait de me débarasser des impressions négatives que j’emportais en quittant la prison.

 

C’est la première fois que je prends autant conscience de la différence entre la vie en cellule et la vie dans ma maison, entre la détention et la liberté, entre vivre en espace fermé et étroit et vivre en espace ouvert, entre être seul et être en groupe, entre n’être personne et être quelqu’un, entre l’absence et la présence de l’art, ...  Ces ingrédients deviendront les bases sur lesquelles je construirai mon travail.

 

 

Les premiers mois

 

La résistance des détenus à mon égard est toujours très grande et je réalise qu’il existe une grande distance entre nous.  La plupart des détenus coupent le contact physique (ce qui se traduit dans leur langage corporel par bras et jambes croisés) et coupent aussi le contact social (ils m’ignorent).

 

Le seul contact que je peux installer est de les saluer en leur donnant la main et en me présentant.  Desmond Morris a souligné l’importance de cette poignée de main qui signifie: “je viens sans armes et sans mauvaises intentions”.  J’ai vite remarqué que cette poignée de main que j’accompagnais aussi de mon regard les a surpris et a établi ce premier contact, encore très faible.

 

Je leur explique toujours que je suis quelqu’un qui vient de l’extérieur (je ne porte pas d’uniforme) et qui vient travailler avec eux pour faire un peu de bien au corps et aux articulations (danse et thérapie sont toujours tabou).

 

Malgré leur résistance, je m’obstine et je danse.  J’arrive souvent à entraîner une ou deux personnes avec moi.  Quant aux autres qui assistent comme spectateurs, je réalise que la musique et la danse provoque chez eux des réactions.  Inconsciemment, ils marquent le rythme par les doigts et les pieds.  Ils en sont au stade de la pré-danse.

 

Après la leçon, ils viennent gentiment me parler, mais est-ce une vraie gentillesse ?  En fait, ils me complimentent sur mon travail mais me disent que c’est peine perdue et que ce serait mieux si je ne revenais pas.  Ce que j’offre n’est pas pour eux, et ils me disent qu’ils ne participeront jamais.

 

Malgré le fait qu’il n’y a pas vraiment de liens sociaux au sein du groupe des détenus, je me rends compte toutefois qu’il existe une hiérarchie avec des meneurs.  D’un cours à l’autre, ceux qui avaient pu commencer à participer sont repris par les meneurs et convaincus de ne plus participer.

Je peux observer ce combat qui est à la fois un combat entre le groupe et l’individu mais aussi un combat pour l’individu lui-même qui a envie mais qui n’ose plus.

 

Cet obstacle supplémentaire me pousse à rechercher toujours plus dans mon expérience de danse-thérapeute, et j’arrive chaque fois à trouver les moyens pour faire fondre leurs résistances et à capter leur attention par le détour et la surprise.  Souvent aussi, j’ai un instant de doute: c’est eux ou moi...  mais je continue.

 

Après chaque cours, j’ai toujours besoin de prendre une douche et d’acheter des fleurs.  Je réalise que c’est chaque fois une TRANSFORMATION qui a lieu APRES le cours et je commence à réfléchir à comment obtenir cette transformation PENDANT le cours.

 

Cette nouvelle transformation (pendant les cours) ne sera cependant possible que suite à plusieurs rencontres avec la directrice et les gardiens grâce auxquelles je vais progressivement installer plus de règles et donc plus de structure dans le groupe.

 

Les premières règles seront:

- présence obligatoire avec liberté de participer ou non (la présence est à leur niveau déjà une activité)

- ne pas déranger ceux qui participent

- ne pas fumer.

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Très progressivement, le rituel d’une heure de récréation active s’installe.

 

La charnière: la danse s’installe

 

Certains gardiens ont spontanément commencé à participer occasionnellement aux cours.  Cette participation a permis une transformation d’une relation très ancienne entre gardien et prisonnier.  La danse a atténué une différence fondamentale.  Par ailleurs, la participation du gardien a fait que les détenus se sont sentis moins gênés de participer à leur tour (le gardien représente l’autorité et le fait que l’autorité se permette et encourage le loisir était pris comme un incitant).  La danse entrait petit à petit dans leur univers.

 

Si auparavant les détenus me parlaient pour m’encourager à ne plus revenir, ils viennent maintenant me parler de leurs problèmes physiques (mal de dos, de jambes, etc.).  Plutôt que d’apporter une solution individuelle aux problèmes physiques de chacun, je propose des exercices collectifs durant lesquels je travaille à la fois le personnel et le collectif.

 

Un nouveau rituel s’est donc installé par le biais d’un échauffement, même si cet échauffement se fait encore en position assise parce que cette position est plus sécurisante pour les participants.  Cet échauffement permet au corps des détenus de recevoir en partie la nourriture dont il manque: respiration, mouvement, circulation sanguine, etc. Pour rappel, les détenus passent 18 heures par jour en cellule.

 

Un pas plus loin : se lever

 

Pour moi, l’objectif suivant était de parvenir à les faire se lever de leur chaise.

 

Progressivement, j’ai réussi à les convaincre de se lever mais j’ai utilisé la chaise comme objet transitionnel car ils avaient la possibilité de se rasseoir s’ils le désiraient.  La chaise restait comme élément sécurisant.

Les détenus avaient donc la possibilité, la liberté d’aller et venir entre la participation et la contemplation (par laquelle ils restaient spectateurs actifs).

 

Ma relation avec les détenus a encore changé.  Les règles et la structure sont toujours présentes mais je leur apporte aussi le jeu, la surprise, le plaisir.  Les détenus qui participent plus ou moins régulièrement me disent qu’ils éprouvent un grand bien-être.  Les autres, spectateurs, continuent à trouver mon travail un peu fou ou enfantin.  Mais je peux observer des réactions positives au niveau de leur corps même s’ils sont en situation passive.

 

Toujours plus loin: l’espace

 

Après qu’ils se soient levés, je voulais parvenir à ce que les participants prennent l’espace.

 

Mais que représente encore l’espace pour une personne qui passe la plupart de son temps sur le lit d’une cellule ?  J’ai pu observer que l’emprisonnement les amène à perdre le sens de l’espace.

 

Pour recréer la relation à l’espace, j’ai travaillé avec eux sur 2 plans complémentaires : d’abord le travail sur leur espace personnel (la kinésphère), ensuite la mise en place et en mouvement de cet espace personnel dans l’espace environnant.

 

Même si jusque là, j’avais déjà utilisé les éléments de l’Expression Primitive, ce n’est qu’à partir de la prise de l’espace que j’ai pu les utiliser de façon de plus en plus intense.

 

Le rythme a permis de passer de la pré-danse (ou de la prudence) à la danse. On se rappelera que les participants spectateurs “participaient” en marquant le rythme de leurs doigts ou de leurs pieds.

 

Les petits mouvements ont grandis sans danger d’entrer en contact physique avec l’autre (respect de la kinésphère) mais en même temps avec la présence des autres (prise de l’espace).

 

La voix s’installe.  Les participants répondent à mes invitations soit par des sons secs et courts, ou par des jeux d’appel-réponse.

 

La relation au sein du groupe a encore changé.  J’ai pu établir cette relation entre le groupe et moi, mais aussi entre les membres du groupe grâce aux éléments de la danse (rythme, mouvement et voix).

 

Je peux aussi à présent utiliser la symbolique dans les cours.  Jusque là, les participants acceptaient les mouvements que je leur proposais mais dont l’énoncé était très littéral et sans aucune allusion symbolique: ouvrir-fermer, loin-près, avant-arrière, droite-gauche, grand-petit, force-douceur, ...  J’ai pu commencer à introduire la symbolique (premier pas vers l’esthétique) dans mon énonciation: ouvrir les bras comme des ailes, bouger le dos comme un serpent, prendre le rythme avec les pieds comme des guerriers, ...

 

Par le biais de la symbolique mais accompagné par une structure forte, j’ai cherché à ouvrir et transformer leur espace intérieur.  Je leur offrais également l’espace pour exprimer en la canalisant une agressivité toujours fort présente.

 

Je pense aussi être parvenu à établir la relation animateur-groupe sur laquelle repose l’Expression Primitive.  Le besoin de transformation que j’éprouvais APRES chaque cours et que je réalisais en achetant des fleurs était sans doute dû au fait que durant chaque cours j’énonçais mais je ne recevais pas de retour.  La dialectique animateur – groupe ne s’installait pas.  A partir du moment ou cette relation s’est établie en utilisant l’esthétique de la danse comme moyen, je n’ai plus ressenti ce besoin de compensation ou de transformation après le cours.  La transformation s’opérait PENDANT le cours.

 

Le rituel de la danse s’est installé.  Le groupe, y compris les spectateurs actifs, présente moins de résistance (même si le travail est continu).  Je vois maintenant des gens qui rient ou d’autres qui ont les larmes aux yeux.

Ils me racontent d’autres choses que leurs plaintes physiques ...  Ils me disent: “A la semaine prochaine”, et si je n’ai pu y aller, ils me demandent où j’étais.

 

 

Aujourd’hui

 

La prison est toujours le même bâtiment mais je me sens différent dans cet environnment.  J’ai une bonne relation avec les détenus mais aussi avec les gardiens, je suis entre les deux.  Aux yeux de tous, je représente le mouvement et je leur donne une heure de liberté physique et émotionnelle par semaine.  Ils m’ont appelé l’homme caoutchouc.

 

D’autres projets se sont installés à l’initiative de la direction de la prison, mais aussi à l’initiative des gardiens eux-mêmes: peinture, poésie, musicothérapie (donnée par une professionnelle), ...

 

C’EST LA RELATION QUI FAIT QUE L'ART TRANSFORME .

 

Johan Dhaese, Anvers.

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