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Témoignage

Séance de musique avec un groupe d'adolescentes

Évelyne Cutayar

 

Je suis Éducatrice spécialisée et je travaille dans un l'IME : "Le Grappillon", à Ste Foy-les-lyon, dans le Rhône.

L'IMPRO accueille en semi internat 46 jeunes adolescents de 12 à 20 ans, déficients intellectuels légers, affectés de troubles associés, et notamment de troubles psychiques ;

Les adolescents bénéficient d'une scolarité et d'ateliers adaptés ainsi qu'une aide médicale paramédicale et psychologique.

Depuis plusieurs années j'anime un atelier narration pour les plus jeunes ( 12-15ans): je propose aux adolescents des séances de contes et de musique.

Voici quelques séances de musique proposées pendant l'année 2005/2006 à un groupe d'adolescentes. Je vais décrire quelques séances de manière globale ainsi que ce que j'ai mis en place dans le cadre du groupe musique.

Le groupe est composé de 5 jeunes filles (13, 14 ans) : Sonia, Christine, Myriam, Nathalie, Emeline.

Il a lieu une fois par semaine le mercredi matin de 9h à 10h30. J'ai ce groupe à d'autres moments dans la semaine pour d'autres activités.

Quatre de ces jeunes Sonia, Christine, Nathalie, Emeline ont de gros troubles de la personnalité, de type psychotique.

On observe certaines angoisses, un repli, des difficultés à symboliser. Ces jeunes ont souvent de grosses difficultés avec le temps et l'espace. Elles ont des problèmes au niveau du langage, de la communication, de relation aux autres ainsi que des troubles psychomoteurs. Pour la plupart, elles ont un passé en hôpital ou centre de jour.

Myriam, est plus sur le versant déficitaire avec des troubles du comportement. Myriam présente une faible tolérance à la frustration. Elle est agressive avec les autres. Les règles et les contraintes ne sont pas acceptées. Elle se montre impulsive. Elle a une image assez négative d'elle-même.

Bien souvent avant l'activité il faut régler un tas de problèmes, Myriam a des difficultés à être avec les autres et les conflits sont fréquents. Surtout les retours de récréation, ou l'arrivée le matin. Myriam a du mal à entrer dans l'activité, elle montre souvent beaucoup d'agitation mêlée d'agressivité. Devant la moindre difficulté, il n'est pas rare qu'elle laisse tomber, et quitte la séance en claquant la porte

Ce que je perçois du groupe lors des premières séances, c'est que ces adolescentes paraissent bien seules, repliées sur elles mêmes, sur leur instrument. Le travail de groupe n'est pas aisé, chacune ignore ce que font les autres.

 

Première séance :

- La première séance est une prise de contact, une découverte de l'atelier et des instruments.

Je mets un bon nombre d'instruments à la portée du groupe. Chacune peut alors essayer de manipuler.

Myriam se fait remarquer, elle prend beaucoup de place. Elle essaye un instrument puis un autre n'écoute pas les consignes. Elle joue très fort. Je suis obligée d'intervenir souvent.

Je pose certaines règles par rapport aux instruments, et je montre comment s'en servir.

Les autres sont plus calmes, et plus hésitantes. Je dois alors montrer et les aider dans la découverte.

Les filles ont été très vite intéressées par le groupe musique. Finalement, malgré leurs difficultés, leurs visages se sont assez vite éclairés pendant la séance. Malgré tout, chacune reste bien dans son monde.

En fin d'atelier elles sont ravies et veulent bien revenir.

 

Deuxième séance :

- Nous reprenons la découverte et j'introduis quelques jeux.

J'ai très vite perçu que les filles appréciaient la danse. J'ai alors proposé un jeu : celle qui le souhaitait pouvait mettre des grelots aux chevilles, et danser. Pendant ce temps les autres rythmaient avec des instruments (petites percussions)t rès vite la parole a surgi. Danses et chants se mêlaient aux sourires, puis aux rires.

Elles ont demandé de mettre les grelots, chacune leur tour. (À ce moment là, elles ne parlaient plus à mi voix, mais d'un ton plus assuré et d'une voix forte, se disputant même pour avoir les grelots !)

Nathalie a souri durant tout le temps de l'atelier alors qu'elle semble toujours triste, ailleurs. Emeline a montré certaines capacités rythmiques de même que Sonia. Christine et Myriam ont dansé spontanément.

La séance n'était pas très organisée, mais le but était de leur montrer que l'on pouvait faire quelque chose ensemble, que chacune pouvait trouver sa place. Cela avait un côté rassurant et valorisant. Elles pouvaient prendre part, elles étaient "capables" de réaliser quelque chose.

Ce côté est important car les jeunes que l'on reçoit on un passé d'échec important. (J'en ai vu qui n'osait rien entreprendre, ni rien toucher de peur de se tromper.)

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Troisième séance :

- Je donne une consigne : on va jouer ensemble. Nous mettons en place un rythme de base donné par les congas, et les autres musiciennes jouent les unes après les autres.

Pour aider à la découverte, et au changement, une autre consigne est donnée un moment après : quand je frappe dans les mains on doit changer d'instrument.

J'ai pu voir que les filles avaient des préférences par rapport à certains instruments : Myriam joue sur les congas surtout. C'est un instrument imposant, elle frappe très fort, le rythme est rapide. Emeline et Sonia sont aussi attirées par cet instrument. Mais contrairement à Myriam, elles tiennent bien le rythme de base, ce qui est très aidant pour l'improvisation.

Myriam a du mal à laisser sa place. Nathalie et Christine préfèrent un maracas avec lequel elle danse.
Il y a des moments où les filles sont davantage présentes, et semblent s'apercevoir de la présence des autres, je capte des regards, des balancements.

Le travail de groupe est porteur, il permet d'oser, de jouer, de chanter d'aller vers l'autre.mais aussi de permettre à Myriam de rester dans le rythme grâce au balancement.

- Nous allons travailler à nous balancer ensemble avec des frappés de mains (à droite à gauche).

Nathalie bloque parfois, attirée par quelque chose, et il est difficile de la faire sortir de cette position (elle se fige, ne parle pas, regarde dans le vide.).Cette attitude peut durer assez longtemps, durant une bonne partie de la séance parfois.quoi que l'on propose, rien n'aide Nathalie à sortir de cette position.

Certaine fois, pendant un jeu, il m'arrive de lui tendre un maracas tout en dansant et là elle me suit. Nathalie danse avec moi, son visage s'éclaire.

Elle vient même me chercher en me bousculant. Petite provocation à laquelle je réponds et alors nous rythmons et dansons au centre de la pièce.(Parfois cela se transforme en un petit jeu où une fait un geste et l'autre le reprend.) Mais cela dépend encore bien de l'état de Nathalie.

- Ensuite, je propose un jeu avec les tuyaux harmoniques, (Ce sont des tubes sonores de différentes couleurs, chaque tube, lorsqu'il est percuté, donne une note).

Nous sommes en cercle, chacune prend un tuyau et nous rythmons sur un petit balancement Je propose de frapper le tube dans la main. Ensemble nous jouons un rythme de base que nous essayons de tenir. Une vient au centre du cercle et improvise avec son tube.

Je remarque que les filles apprécient cette place au centre. Cela les met en valeur. Sonia et Emeline se débrouillent très bien. Elles osent. Malgré ses difficultés psychomotrices, Christine est venue jouer au milieu de nous. Elle a fait preuve aussi de plus de présence.

Je propose aussi une petite variante à ce jeu : une d'elles vient au centre du cercle pour montrer son jeu puis nous reprenons ce quelle fait.

Ce jeu est intéressant car nous pouvons associer le mouvement aux frappés.

Je suis de plus en plus persuadée de l'importance des jeux dans l'espace, en liant corps, rythme et paroles. Par exemple, pour Christine, j'ai remarqué que les jeux dans l'espace favorisaient sa relation aux autres, sa présence, sa participation. Tout en travaillant le rythme, le corps et la parole (l'articulation) de manière plaisante. Car seule devant un xylophone, Christine laissait tomber et s'isolait.

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Quatrième séance :

- Je propose le jeu du chef d'orchestre, (mais simplifié) : le chef doit nous faire travailler les nuances : fort, faible. On doit bien le regarder et réagir. Ce n'est pas facile

Les musiciennes ont du mal à regarder le chef et à jouer en même temps. Quand elles tiennent le rôle de chef, elles se situent mal et ont de gros problèmes dans l'espace. Il n'est pas rare que la consigne soit oubliée.

Nathalie et Christine ont des difficultés dans les mouvements. Nathalie hésite beaucoup, on perçoit une certaine raideur corporelle. Emeline et Sonia se débrouillent assez bien.

Chacune va venir au centre pour être le chef. Mais, Christine refuse, je vais alors l'accompagner. Je reste près d'elle, nous faisons signe ensemble cela l'amuse. Je peux ensuite regagner ma place parmi les musiciennes. (Je participe toujours avec les jeunes)

- Un autre jeu : "On va jouer ensemble", voilà la consigne donnée. Puis petit à petit nous chantons et rythmons les prénoms de chacune.puis des questions arrive "ça va ?" et tous ensemble, elles répondent "oui" en riant. Ça y est l'ambiance est créée. !

Nous continuons alors ce jeu de questions ­ réponses.

- Je propose ensuite le jeu de l'échelle. Nous matérialisons au sol une échelle à 4 barreaux. Chaque joueur doit passer dans l'échelle dans un premier temps. Nous passons les unes après les autres. Chacune passe sans hésitation.

Puis nous allons ajouter des frappements de mains. Christine a du mal à coordonner ses mouvements. Mais elle est contente de passer.

( Il me semble indispensable de faire des choses simples et de réussir)

Petit à petit nous modifions le jeu. Nous allons passer les barreaux en sautant pieds joints.

Pour finir nous allons dire quelque chose "oui, mais quand on n'a pas d'idée ?" : On peut le dire " j'n'ai pas d'idée" ou "lalalala".

Les jeunes sont contentes de passer , très vite , elles semblent bien s'amuser (rires).

Il faut même repréciser les limites car Myriam fait vite n'importe quoi , détruit l'échelle au passage et se moque de ses camarades.

Elles passent toutes sans hésitation. Nous ajoutons des frappements de mains, des sauts.

Christine a beaucoup de mal à coordonner ses mouvements, mais elle est contente de passer dans l'échelle, (rires)

Puis celles qui veulent, peuvent dire quelque chose. Quand on n'a pas d'idée on le dit en passant ou on chante "la la la".

Nous finissons la séance pas un petit chant. Sonia et Emeline apprécient ce moment.

 

Cinquième séance :

- Deux participantes, jouent sur les congas et les autres dansent avec à la main un petit instrument de percussion.

Puis je me rends compte que Sonia et Emeline se débrouillent bien en rythme, elles vont donc apprendre aux autres : pour cela je propose qu'elles passent deux par deux aux congas. Emeline avec Nathalie (Emeline est très fière d'apprendre à Nathalie) et Sonia avec Christine. Tout se passe bien cela dans une ambiance conviviale, dansant et chantant ..

Je remarque que Nathalie aime danser ainsi que Myriam, Emeline a des mouvements saccadés, rapides , Christine a de gros problèmes dans l'espace et au niveau corporel ( certaines articulations semblent bloquées, il y a des mouvements difficile à réaliser.)
Mais ce jeu semble plaire. Cependant chacune ignore ce que font les autres. Les filles jouent de manière très individuelle.

Je propose alors aux danseuses de se regarder. Sans donner trop d'explications, je leur montre en insistant sur le regard, en suscitant des réponses, des mouvements.

Alors au bout d'un petit moment, amusées, elles essayent, reprennent certaines choses et m'invitent à entrer dans leur danse."

Chaque séance se termine par un chant.

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Conclusion :

Les jeunes que nous accueillons on besoin d'être valorisé. Chacun aura une place active, il va essayer, bouger, agir, trouver, inventer.Le but de l'atelier musique est que les jeunes pratiquent la musique. Qu'ils puissent trouver une certaine confiance en eux.

Je vais aider à prendre leur place dans le groupe, à communiquer. Pendant ce temps d'atelier, nous allons construire quelque chose ensemble. (Suivant les groupes les trouvailles sont plus ou moins riches.) D'une position solitaire, les adolescents prendront conscience des autres. Nous allons jouer ensemble. Afin de faciliter le jeux, nous utiliserons les gammes pentatoniques.

Les jeunes devront respecter les règles et les consignes données lors des jeux. . Mais ses règles seront des points de repères précieux pour tous. Nous allons créer des rythmes, articuler les instruments entre eux, les sons entre eux. Il faudra repérer des séquences, les répéter, en inventer d'autres. On mettra en place une pulsation repérable, proposée par un membre du groupe.

A moi de m'adapter au groupe et aux besoins des jeunes en proposant certaines choses. Il est important de prendre aussi ce que les jeunes montrent, pour cela nous allons inventer de nouveaux jeux.créer. ( une année nous avions fait un groupe avec, comme instruments de musique, des objets trouvés dans la salle : tabourets, chaises, bâtons, feuilles de papier, crayons, pieds de table, poubellec'était un jeune du groupe qui avait trouvé l'idée.)

Les adolescents pourront trouver du plaisir à faire quelque chose ensemble. Nous compterons sur tous, ils auront des responsabilités. Ils devront s'investir dans l'activité, apprendre à s'écouter, à se respecter, à attendre son tour, cela est très important

Petit à petit ils maîtriseront les gestes, et les sons.

Cela exige une certaine présence de la part des jeunes et aussi beaucoup d'efforts .

Ils seront amené à utiliser divers instruments d'une bonne qualité sonore. Ils devront en prendre soin, les manipuler correctement

Par la musique nous allons favoriser l'intérêt et la participation active dans tout apprentissage.

C'est une activité complexe et riche.

Ces quelques séances ne sont qu'un exemple de ce qui peut être fait. D'une année sur l'autre mais aussi suivant les groupes l'activité diffère. Le travail réalisé se fait avec le groupe, les possibilités de chacun, l'envie de faire telle ou telle choseNous avons une grande liberté d'action.

Évelyne Cutayar

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