Y a-t-il une patronne à Albi ? Cécile aurait-elle existé ? En tous cas, elle est souvent représentée avec une harpe et Jean Claude Rey, dans son livre "Donnez-vous votre saint quotidien" (éd. Crédel 1986) fait remarquer que la harpe ressemble fort à un arc. Or, nous entrons aujourd'hui dans le signe du sagittaire.
On n'est pas bien certain de son existence mais ce n'en est que plus intéressant : en effet, elle est patronne des musiciens, et en racontant sa vie, on pourra se croire dans le monde des critiques musicaux et donc dans les fantasmes les plus délirants. On pourrait se demander d'ailleurs si les musiciens existent vraiment ? Ils font parfois tellement de tapage qu'on pourrait s'imaginer qu'ils font ça pour se prouver qu'ils existent.
Elle serait descendante de Caïa Caecilia Tanaquil,
femme de Tarquin l'ancien. Sa famille se serait couverte de bien des titres
de gloire. Plusieurs femmes glorieuses ont marqué la famille. Elles
s'appelaient toutes Cécile. Quant à la Cécile dont il
est question, son culte a mûri dans les catacombes parmi les martyrs.
Mais il n'est pas question de Cécile avant l'an 500, au moment ou
apparaît un document : La Passion de Cécile.
Le récit raconte que ses parents étaient païens mais qu'elle
voulait devenir chrétienne. Elle fréquentait beaucoup les cryptes
où les martyrs étaient enterrés. Elle lisait l'évangile
tous les jours et devint si vertueuse qu'elle jura de n'avoir d'autre époux
que Jésus. Classique !
Un ange lui apparaissait - en vrai - et lui avait promis de la défendre
contre celui ou ceux qui voudraient lui voler son trésor de virginité.
Mais les parents voulaient la marier. Ils lui trouvèrent
un grand et beau gars qui s'appelait Valérien. En plus, il était
noble de coeur. Valérien avait un frère nommé Tiburce
qu'il chérissait par dessus tout. Comme Cécile était
fort belle, Valérien n'était pas mécontent d'épouser
celle qui était si enviée par les jeunes romains.
A l'approche du jour de son mariage, Cécile était fort angoissée.
Ce n'est pas qu'elle n'aimait pas Valérien mais elle aurait voulu l'aimer
comme un frère. Elle était remplie de crainte face au désir
de ses parents et à la fougue de Valérien qui n'arrêtait
pas de lui clamer son amour.
Personne ne s'aperçevait que "sous les broderies d'or d'une
robe somptueuse, un cilice meurtrissait sa chair innocente". En outre,
elle jeûnait souvent, surtout quand elle avait quelque chose à demander
au ciel.
Enfin le jour arriva. Branle bas de combat dans la maison des Caecilius !. Valérien tressaillait de bonheur mais Cécile défaillait de crainte.
Voila qu'elle s'avance "dans la parure nuptiale des patriciennes. Une tunique de laine blanche, unie, ornée de bandelettes et serrée d'une ceinture aussi de laine blanche, forme son vêtement et figure la candeur de son âme. Ses cheveux partagés en six tresses, imitent la coiffure des Vestales, touchant symbole de la consécration de Cécile. Un voile couleur de flamme dérobe ses traits pudiques aux regards des profanes, sans les ravir à l'admiration des anges." On offrit le vin et le lait, on rompit le gâteau etc. La voilà mariée !
Puis, le soir, elle fut conduite à la maison de Valérien, non loin de l'île du Tibre, dans le quartier du Janicule où, au crépuscule, elle déambule comme une somnambule, processionnant sans véhicule à la lumière des torches nuptiales. Son âme se démantibule répandant toutes ses molécules en un informe monticule. C'est qu'elle entre dans l'ergastule, esclave de son Cléobule qui sans montrer son matricule lui stipule "Qui es-tu ?" Cécile qui jamais ne capitule ni ne recule, articule la formule "Là où tu seras Caïus, je serai Caïa" en souvenir de Caïa Caecilia vénérée par le romains comme le modèle des femmes du ménage.
Puis la cérémonie continua, on lui présenta de l'eau symbole de pureté puis une clef symbole de l'administration de la maison, puis elle alla s'asseoir sur de la laine, symbole de travaux domestiques. Ensuite tout le monde alla manger dans le triclinium. Pendant le repas on chantait mais Cécile, dans son coin, ne chantait qu'avec les anges, et encore, des chansons très pudiques en vue de garder sa pudeur. C'est depuis qu'on l'a nommée patronne des musiciens.
Après le repas, les matrones emmenèrent Cécile, tremblante, vers la chambre nuptiale. Valérien suivait ses traces. Une fois seuls, Cécile dit à Valérien : "Valérien, j'ai un secret à te confier mais jure moi de le respecter et de ne rien en dire à personne !" Valérien, tout valeureux jura, mais un peu tôt, qu'il n'en dirait rien à personne.
Cécile lui dit alors : "Ce n'est pas que je fabule mais j'ai pour ami un ange ! Si tu me bouscules et m'accules en te prenant pour un Hercule et que tu m'inocules ta majuscule, il m'a dit que tu en prendrais sur les mandibules et que tu te retrouverais sur les rotules !"
Valérien, "troublé jusqu'au fond de son âme" lui répondit dans son désarroi : "Si tu veux que je te croie, il faut que je le voie ! et, ma foi, si toutefois il vient d'au-delà, je me tiendrai coi. Mais si je m'aperçois que tu louvoies et que tu pourvois un autre que moi, alors, que mon épée flamboie, et qu'elle vous broie !"
Cécile lui dit alors : "Valérien,
il existe un vieillard qui purifie les hommes, après quoi ils peuvent
voir l'ange de Dieu. Va, sors de la ville par la voie Appienne. Après
la troisième colonne, tu verras une bande de pauvres. Tu leur donneras
mon salut et tu leur demanderas où se trouve le vieillard Urbain.
Quand tu seras près du vieillard, tu lui rediras tout ce que je
t'ai dit ici. Il te purifiera, te donnera des habits blancs, puis tu reviendras
ici et tu verras l'ange de Dieu."
Valérien, un peu interloqué, avait fini de bouillir. Il s'en
fut comme lui avait dit Cécile. Tout se passa comme prévu. Un
fois près d'Urbain qui le purifia, il vit apparaître Saint Paul
qui lui remit un message : "Un seul Seigneur, une seule foi, un seul
baptême : un seul Dieu."
Valérien, terrorisé, comprit que c'en était fini des fantaisies
polythéistes et payennes. Il revêtit la tunique blanche et s'en
revint vers Cécile. Un fois dans la chambre, il aperçut l'ange
brillant de mille feux qui tenait dans ses mains deux couronnes tressées
de roses et de lys du jardin du ciel. L'ange leur mit les couronnes sur la
tête en promettant que les fleurs ne se faneraient jamais.
Valérien se prosterna devant l'ange et demanda la même grâce
pour son frère Tiburce afin qu'ils soient tous deux parfaits. L'ange
lui promit qu'il gagnerait le coeur de son frère et qu'ils arriveraient
tous deux à la palme du martyre. Puis l'ange remonta au ciel.
Cécile et Valérien étaient resté seuls à contempler
les fleurs de leurs couronnes. Tout à coup, Tiburce arriva. Valérien
exultant présenta Cécile à son frère chéri
en lui disant "Tiburce, voila ta soeur !" Tiburce embrassa
Cécile fraternellement et quelle ne fut pas sa surprise de sentir
un parfum délicieux et printanier émaner de sa couronne. Et
pourtant, on était déjà en automne bien avancé.
Il n'y avait plus de fleurs dans les jardins.
"D'où vient cette odeur en cette saison ?" dit Tiburce. "C'est
moi" dit Valérien "qui ai obtenu pour toi la grâce
de sentir cette odeur" "Si tu veux croire, tu mériteras de voir
les fleurs dont elle émane. C'est alors que tu connaîtras celui
dont le sang est vermeil comme les roses et dont la chair est blanche comme le
lis."
Tiburce qui ne comprenait pas trop ce qui se passait se sentait pourtant tout
ravigoté. Après un long conciliabule entre lui et son frère,
Cécile prit la parole et finit par convaincre Tiburce qui, charmé par
son éloquence, crut.
On l'emmena voir Urbain, que les chrétiens appelaient leur pape, on le lava dans la fontaine, on le baptisa, on lui remit un habit blanc. Et le voilà parti avec son frère pour ramasser les cadavres des martyrs massacrés par Turcius Almachius, préfet de Rome qui profitait de l'absence de l'empereur Alexandre pour assouvir sa haine des chrétiens. Alexandre était pourtant favorable aux chrétiens. Ils furent rapidement dénoncés et arrêtés puis menés devant le tribunal du préfet qui leur dit "comment, vous, fils de bonnes familles, avez-vous pu vous abaisser à faire partie de la secte la plus superstitieuse ? Quand je pense que vous donnez tout votre argent pour des gens de rien et que vous passez votre temps à ramasser des cadavres !"
Les deux frères entrèrent alors dans un long discours horticole sur les valeurs paysannes qu'il serait trop long à raconter ici. Puis ils furent condamnés à être mené sur la voie Appienne, à la hauteur de la quatrième colonne. Il y avait là un temple de Jupiter. Si les frères refusaient de sacrifier à Jupiter, ils auraient la tête tranchée. Ils étaient accompagnés de Maxime, greffier d'Almachius. Il devait rendre compte de l'exécution. Mais Maxime, entendant les paroles des deux frères se convertit. Il différa l'exécution d'un jour et fit alors entrer la petite troupe dans sa maison où les deux frères continuèrent à prêcher et à convertir tout le monde. Même les soldats bourreaux se convertirent.
Cécile qui avait été avertie de ce qui se passait, vint à la maison de Maxime avec des prêtres qui baptisèrent tout le monde.
Le lendemain, Cécile se leva de bonne heure, réveilla tout le monde en criant "c'est l'heure !" Puis elle donna le signal du départ afin de ne pas retarder le moment de la récompense de ses deux frères. La troupe marcha aux accents inspirés par Cécile. Arrivés au temple, comme ils ne voulurent pas sacrifier, on les sacrifia et leurs têtes tombèrent. Cécile enterra elle-même son époux et son frère, non sans verser des torrents de larmes. Elle les enterra dans le cimetière de Prétextat, sur la voie Appienne, à gauche après la quatrième colonne.
Peu de temps après, Maxime fut battu à mort avec des fouets munis de plomb. Cécile l'enterra près de ses frères, et distribua les biens de Maxime aux pauvres. Cela afin d'éviter la main-mise du fisc.
Cécile était rentrée chez elle. On
n'osait pas trop y toucher parce qu'elle faisait partie d'une famille trop
noble et trop connue. Mais Almachius envoya quand même des émissaires
afin de lui proposer de sacrifier aux idoles. Ceux-ci étaient très
gênés de remplir une telle mission. Devant la douceur de Cécile,
ils se mirent à pleurer en la suppliant de ne pas les obliger à obtempérer
aux ordres d'Almachius. Mais, vous pensez bien, Cécile refusa et se
tint sur ses positions. Elle grimpa sur un marbre et leur fit un discours
qui acheva de les convertir. Elle leur proposa de revenir le lendemain pour
se faire baptiser.
Ils retournèrent chez Almachius pour rendre compte de leur mission.
Mais celui-ci, sans doute distrait par autre chose, n'écouta pas ce
qu'ils dirent. Le lendemain, ils retournèrent chez Cécile qui
avait fait venir le pape Urbain afin de les baptiser. Ce jour là, il
baptisa quatre cents personnes.
Finalement, Cécile fut sommée de comparaître devant le tribunal. Après un long discours vantant les mérites des chrétiens, Cécile fut condamnée à être reconduite chez elle pour y être étouffée dans sa salle de bain. Almachius ne voulait pas d'une mort glorieuse comme la décapitation. C'eut été faire trop d'honneur à Cécile. On l'enferma donc dans son caldarium et on fit du feu tout autour. Mais Cécile passa tranquillement la journée dans sa salle de bain sans que les vapeurs l'incommodent.
Almachius était vaincu par une coriace. C'était
insupportable. Il décida donc de lui faire couper la tête. Le
bourreau se présenta chez Cécile qui était pleine d'allégresse à l'idée
du martyre. Elle présenta son cou. Le bourreau, mal assuré -
allez savoir pourquoi ? - lui donna un premier coup mais la rata, il ne fit
qu'une petite blessure. Il lui donna un deuxième coup mais la rata à nouveau.
Jamais deux sans trois, le troisième coup manqua son but. Les trois
coups donnés, Cécile était toujours bien vivante. Ensanglantée
mais vivante. La loi interdisait à un bourreau d'achever la victime
s'il n'avait pas réussi à l'abattre après trois coup.
Il quitta la maison en laissant Cécile baigner dans son sang au milieu
de la salle de bain.
Comme la porte était restée ouverte, les gens s'y précipitèrent
en recueillant le sang de la vierge sur des linges. Pendant trois jours, la
salle de bain ne désemplit pas de gens qui la réconfortaient
et qui lui ramassaient le sang. Urbain, qui s'était absenté,
revint enfin au bout de ces trois jours pour lui donner une dernière
bénédiction. Cécile était couchée sur le
côté droit et l'on voyait nettement sur son cou la marque des
trois essais du bourreau. Enfin, elle rendit l'âme.
Cécile est la reine de l'harmonie. Il se pourrait que ce patronage soit dû à son nom "aveugle" qui donne aux oreilles une prépondérance sur les yeux ?
On ne sait pas trop qui est ce "pape" Urbain. Il y a bien un Urbain qui fut pape de 222 à 230. Mais est-ce lui ?
Elle est patronne d'Albi et de Cagliari.