Sainte Eugénie
(Bonne naissance)
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25 décembre
"Il faut qu'à la Sainte Eugénie, toute semaille soit finie"
Je vais vous raconter l'histoire de la bonne Eugénie et de la méchante Mélanthia (la noire). C'est un conte de Noël, mais un vrai ! Pas une histoire gnangnan qui fait pleurer sur les petits enfants pauvres à qui il manque la douceur d'un foyer dans lequel on trouve un sapin décoré à côté d'un âtre dans lequel flambe un feu sur lequel cuit une dinde. Non ! Nous sommes dans la tragédie, celle de l'avènement d'un soleil terrible et vengeur qui fait commencer l'année par un premier martyr : Etienne. Celle aussi de la Mesnie Hellequin qui symbolise les terreurs du temps qui court.
Eugénie, elle est bizarre et ambiguë. Elle est solsticiale et procède de deux temps sur lesquels elle est à cheval. Ce n'est pas qu'elle ne sait pas choisir, c'est qu'on a choisi pour elle, d'en haut. Elle est Shakespearienne !
Née à Rome en 183, ses parents s'appelaient Philippe et Claudia. Ils étaient nobles. Ses frères s'appelaient Avitus et Sergius. Elle fut élevée avec deux esclaves eunuques : Protus et Hyacinthe.
Philippe fut nommé à Alexandrie par le préfet Commode. C'est donc dans cette ville d'une grande richesse intellectuelle qu'Eugénie grandit. Il y avait la grande bibliothèque, incendiée à deux reprise par les militaires romains. On y rencontrait des milieux très cultivés et des sectes religieuses très influentes.
A quinze ans, elle connaissait déjà bien les lettres grecques et latines ainsi que la philosophie. Elle avait, paraît-il une mémoire prodigieuse. De plus, elle était très belle.
Vous avez compris qu'on voulait la marier. Mais ça n'était pas dans ses objectifs. Un très beau et très noble jeune homme qui s'appelait Aquilius se présenta. Les parents qui se demandaient à qui ils eussent pu donner Eugénie étaient tout contents. Mais Eugénie qui avait lu les épîtres de Saint Paul demanda à réfléchir. Elle demanda un repos réflexif dans une des nombreuses propriétés de la famille non loin d'Alexandrie. Elle s'y retira avec Protus et Hyacinthe. Ses parents ne se doutaient pas du stratagème qu'elle avait monté.
S'y dirigeant dans une basterne, sans doute posée sur un âne, sur le chemin, elle entendit un choeur d'hommes qui chantaient les louanges de Dieu. Elle s'arrêta un moment pour écouter ravie, puis reprit sa route vers la villa. Une fois à la villa, elle se mit à parler à ses deux serviteurs des projets qu'elle avait d'embrasser la nouvelle religion. Elle fut si persuasive qu'elle parvint à convaincre Protus et Hyacinthe qui se mirent de la partie.
Un soir elle se coupa les cheveux, et revêtit un costume de jeune patricien. Le lendemain matin, alors qu'il faisait encore nuit, elle repartit vers Alexandrie avec sa suite, mais resta à l'arrière du groupe avec les deux eunuques. Arrivée à l'endroit où elle avait entendu les chants, elle profita de l'obscurité pour descendre de la basterne; laissant l'âne continuer sa route, elle fila, avec ses deux compagnons, vers les monastères. Arrivée là-bas, elle se présenta à l'évêque Helenus sous le nom d'Eugène. L'évêque, grâce à une révélation, savait à qui il avait à faire. Il l'autorisa à garder ses habits d'homme et accepta que Protus et Hyacinthe restent avec elle - sûrs garants de sa virginité.
Pendant ce temps, Philippe et Claudia étaient au désespoir de ne pas revoir leur fille. Il la firent rechercher sans résultats. Comme des païens lui avaient fait croire qu'elle avait été enlevée au ciel, Philippe lui éleva une statue d'or.
Eugénie devint donc Eugène comme Noël devient Nouvel-an.
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Dans la communauté, elle montrait un zèle exemplaire tant aux études qu'aux offices. En trois ans de séjour, elle fit l'admiration de tous. Et Théodore qui était le supérieur de la communauté mourut. Il fallait donc le remplacer. Tout le monde se tourna vers le plus vertueux des frères : Eugène. Il ne savait que faire. L'usage n'était pas que des hommes soient conduits par une femme. Que faire sinon remettre la décision dans les mains de Dieu. Le moment arriva où les frères étaient déjà rassemblés, elle ne pouvait refuser sans se trahir. Elle fit donc le sacrifice de sa personne et accepta. Puis elle devint le meilleur des moines. Toujours en avance aux offices, toujours la première quand il fallait aller couper du bois ou faire du nettoyage. Elle n'en était pas moins remplie de sollicitude pour les frères.
Au bout de quelques temps, elle reçut le don de guérir, rendant la vue aux aveugles, libérant les possédés. Sa réputation dépassa les murs du monastère et une riche dame d'Alexandrie en avait eu vent. Son nom était Mélanthia. Elle était en proie à la fièvre et décida d'aller trouver Eugène afin qu'il la guérisse. Lorsqu'elle arriva au monastère, Eugène lui appliqua un peu d'huile et la guérit. Pour le payer elle voulut lui offrir une coupe d'argent remplie d'or. Mais Eugène refusa en lui proposant de distribuer cet argent aux pauvres qui en avaient davantage besoin.
Mélanthia ne s'en tint pas là. Elle offrit plus et revint souvent voir Eugène dont la beauté l'avait impressionnée. Petit à petit, elle en tomba amoureuse. D'abord réservé, son discours se fit de plus en plus explicite. Eugène ne se rendait pas compte de la transformation de Mélanthia. Il lui répondait, obéissant à la volonté de prendre soin de son âme.
Un jour, elle se dit malade et pria Eugène de la visiter. Lorsqu'il fut à son chevet, elle lui avoua son amour. Il découvrit l'étrangeté de la situation. "Mélanthia" dit-il, "votre nom révèle bien votre perfidie. Arrière, trompeuse et séduisante !" Mélanthia déçue était très vexée. Puis elle prit peur d'être accusée. Elle devint alors accusatrice.
Elle alla vers Alexandrie pour y rencontrer le préfet : Philippe, père d'Eugénie et raconta l'histoire en mettant sur le compte d'Eugène sa propre perfidie : elle était victime d'une agression. Le préfet fit arrêter Eugène ainsi que tous les moines et les fit entrer dans le stade. Adrien avait donné l'ordre de n'arrêter les chrétiens que s'ils étaient légalement accusés. C'était une occasion. Philippe les condamna aux supplices et les mit aux fers, répartis dans plusieurs prisons. Pour lui, une noble femme comme Mélanthia ne pouvait mentir. Tout le monde se réjouissait du futur spectacle avec les bêtes et les instruments de torture.
Le jour du supplice arriva. Philippe s'installa sur un siège d'honneur au milieu des applaudissements. Avitus et Sergius, ses deux fils, étaient à ses côtés. Puis on amena le groupe des frères avec Eugène en tête. Philippe parla :
"Dis-moi, chrétien, toi le plus criminel de tous, les enseignements de votre Christ vous recommandent-ils de faire métier de la corruption et de tendre des pièges à la pudeur de nos matrones ?" Eugène qui baissait les yeux pour ne pas être reconnue par son père, invoqua le faux témoignage de Mélanthia. Elle ajouta même qu'elle était prête à prouver que Mélanthia avait menti mais que les témoins que Mélanthia avait pressentis pouvaient venir parler de ce qu'ils avaient vu. Plusieurs esclaves comparurent en racontant une série de détails piquants sur le viol qu'aurait commis Eugène.
Philippe dit alors "Qu'as-tu à répondre à tant de preuves accablantes ?"
Alors Eugène dit "le temps de parler est venu après le temps de me taire. Je ne veux pas que le mensonge triomphe des témoins du Christ. Paul a dit qu'il n'y avait plus ni hommes ni femmes parce que nous sommes tous un en Jésus-Christ. Confiante dans le Christ, je n'ai pas voulu être femme, mais fermement garder ma virginité. J'ai donc revêtu le personnage d'homme en Jésus-Christ. Homme, j'aurais dédaigné de faire la femme; mais femme que la foi élevait à une noble virilité, j'ai fait l'homme."
A ce moment, elle se redressa, leva la tête et déchira sa tunique en se tournant vers le préfet en lui montrant sa poitrine. "Vous êtes mon père et Claudia est ma mère !"
Il est impossible de décrire l'acclamation que fit le peuple. Philippe serra longtemps sa fille dans ses bras. Toute la famille arriva et tout le monde s'embrassa.
Après avoir pleuré la perte d'Eugénie, on acclamait maintenant son triomphe, comme après avoir brûlé la vieille année, on magnifie la nouvelle. La famille d'Eugénie se convertit et tout Alexandrie devint une grande assemblée chrétienne. Mais cela ne fut pas de longue durée. Cette situation allait à l'encontre des édits de Sévère qui interdisaient le prosélytisme. Philippe fut arrêté et exécuté. Coup rude pour Eugénie. Mais elle était fière d'avoir un père martyr.
Vers l'an 204, la famille retourna à Rome où Eugénie poursuivit son apostolat malgré la persécution de Dèce.
Protus et Hyacinthe furent martyrisés. A son tour elle comparut devant le préfet Nicétus qui la fit conduire vers un temple de Diane pour qu'elle y sacrifie. En chemin, un gardien lui disait "tu sacrifieras sinon, j'ai de quoi te percer d'outre en outre." Et il montrait son glaive. Un fois au Temple, la terre trembla et le temple s'effondra avec les statues. On la traita de magicienne. On la condamna à être jetée dans le Tibre avec une pierre au cou. Mais la pierre se fendit et se détacha d'Eugénie qu'on retrouva assise sur le fleuve. On la jeta alors dans une chaudière destinée à chauffer les bains de vapeur, mais la chaudière s'éteignit et il ne fut plus possible de la rallumer.
Enfin on l'enferma dans un cachot. Un gladiateur vint la trouver et lui perça la gorge. C'est ainsi qu'elle mourut.
Je ne sais pas ce qu'est devenue Mélanthia. Peut-être l'a-t-on, comme la Belle-mère de Blanche Neige, fait danser en lui chaussant des mules chauffées à blanc, jusqu'à ce que mort s'ensuive ?