Saint
Chien
Saint Guignefort ou Saint Lévrier
22 août
texte WB
L'histoire de ce chien est
bien ancienne. On la trouve dans le monde entier même jusqu'aux Indes. Elle
existe depuis qu'il y a des chiens et depuis que les hommes ont magnifié sa
fidélité touchante et sa capacité mélancolique
sans pareille. Cela prouve qu'elle touche l'homme jusqu'au tréfonds
de son inconscient.
L'histoire, qui recouvre les
multiples versions, est la suivante :
Un seigneur et sa femme n'avaient
pas d'enfant. Il en souffraient beaucoup. Par contre, ils avaient un
chien, un lévrier, qu'ils aimaient de tout coeur. Le chien le leur rendait
bien.
Puis, à force de prier
Dieu, ils obtinrent un fils qu'ils se mirent à chérir sans
réserve. La femme le berçait en lui chantant de douces berceuses.
Un
jour, la mère dû s'absenter.
Elle confia l'enfant à la garde de son mari. Mais pendant ce temps,
un serviteur du roi vint porter une convocation urgente au mari. Celui-ci
s'exécuta sans délai et confia la garde de l'enfant au chien.
Or, pendant son absence,
un énorme
serpent surgit par un trou dans le mur et voulut monter dans le berceau.
Le chien s'en aperçut et fonça sur le serpent. Il y eut une
horrible bataille à l'issue de laquelle le chien sortit vainqueur.
Le serpent fut tué et coupé en morceau.
Le chien
qui avait massacré le
serpent eut son museau plein de sang. Tout content d'avoir sauvé l'enfant,
il se mit devant la porte afin d'attendre son maître et fêter
avec lui cet heureux événement.
Un peu plus tard,
le seigneur revint du palais. Le chien bondit de joie vers lui comme pour
lui annoncer la bonne nouvelle.
Mais le maître s'aperçut
que celui à qui il avait confié la garde du bébé avait
la gueule ensanglantée. Il pensa alors que le chien avait dévoré son
fils, ce qui le mit dans une rage folle. Il saisit son épée
et trancha avec force la tête de l'animal.
Puis il entra
dans la chambre et aperçut son enfant bien vivant, en train de sucer son pouce. Au
pied du berceau, il trouva les morceaux du serpent. Il comprit alors sa méprise
et pleura longtemps sa faute. Il éleva un magnifique tombeau au
chien.
Toutes
les versions de ce conte sont belles et touchantes. Dans les versions indiennes,
il ne s'agit pas d'un chien mais d'une mangouste qui venait de mettre bas.
La femme trouva que ça lui porterait bonheur. Elle faisait beaucoup
de gâteaux
avec du lait et du beurre et les partageait avec la mangouste. Effectivement,
un peu plus tard, elle accoucha d'un fils.
Lorsque l'enfant resta
seul avec la mangouste, un serpent venimeux, attiré par l'odeur du
beurre, voulut tuer l'enfant. La mangouste tua le serpent, considérant
que le bébé était son frère cadet. Puis, elle
pensa qu'en se maculant la gueule de sang, son père adoptif ne manquerait
pas de le récompenser.
Lorsque le Brahmane rentra
et qu'il vit la mangouste et sa gueule en sang, il pensa qu'elle avait
dévoré l'enfant
et il la tua avec un bâton. Découvrant sa méprise, il
ressenti une vive douleur et tomba évanoui.
Le plus souvent,
on trouve un chien, un lévrier, mais on peut aussi trouver une mangouste, un
ichneumon, une belette, une hermine et même un serviteur.
Dans
une très
belle version du Cambodge, le serviteur qui accompagnait ses maîtres,
le roi et la reine, couchait dans la chambre royale. Il vit apparaître
un serpent énorme. Il bondit et lui coupa la tête. Mais
le sang jaillit jusque sur la gorge et sur la poitrine de la reine.
Il
lui était interdit
de nettoyer la robe de la reine avec ses mains. Il le fit avec sa langue.
Mais la reine se réveilla effrayée criant qu'elle avait senti
le contact des lèvres du serviteur sur sa gorge. Le roi le condamna à mort.
S'ensuit
le trajet des bourreaux qui veulent passer par les quatre portes du palais.
Chaque fois le gardien des portes refuse d'ouvrir et raconte un conte sur
le thème
de la méprise.
Finalement, le roi, découvrant
le cadavre du serpent, compris qu'il avait agit avec précipitation.
Il fit ramener le serviteur et le combla de bienfaits.
Dans
une version du pays de Galles, le prince Llewellyn avait un lévrier nommé Gellert
ou Cylart. C'est la même histoire, mais dès que le prince réalisa
son erreur, il fut prit d'un tel chagrin qu'il érigea un monument
de reconnaissance au chien et donna le nom du lévrier au lieu où il
le fit enterrer. Dans cette histoire celui qui attaque l'enfant n'est
pas un serpent mais d'un loup.
Cette
histoire aoûtienne traduit la mort temporelle de la canicule au 22
août.
Au
XIIIème
siècle, un dominicain de la région de Lyon reçut les
confidences de femmes qui allaient porter leur enfant à Saint Guignefort.
Comme elles n'avaient pas la conscience tranquille, elle s'en confessait
comme relevant de la superstition. Il ne s'agissait pas d'un saint ordinaire,
Guinefort ou Guignefort était un chien qui avait été tué comme
nous l'avons raconté.
Les femmes, en
pèlerinage, apportaient leurs enfants autour du tombeau du chien martyr.
Elles amenaient surtout les enfants handicapés, malades et débiles.
Une
sorcière
qui habitait là guidait les femmes dans les rituels à faire
pour obtenir les bonnes grâces voulues.
Le premier rituel
consistait à lancer l'enfant nu entre deux arbres rapprochés.
Neuf fois de suite, la mère lançait son enfant, la sorcière
l'attrapait de l'autre côté et le renvoyait à la mère.
Elles
priaient les démons de prendre l'enfant et de leur rendre en bonne santé.
C'était ce qu'on appelle un "changelin" qui, dès
sa naissance, selon la croyance, avait été rapté par
le démon et remplacé par un enfant débile.
Un
autre rituel consistait à poser l'enfant sur un tas de paille entouré de
quatre cierges allumés. On attendait que les cierges se consument.
Quelquefois, ils mettaient le feu à la paille et l'enfant mourait
brûlé vif.
S'il en réchappait,
il avait droit à un autre rituel qui consistait à le plonger
neuf fois dans le courant glacé de la Chalaronne.
Après ça,
si l'enfant restait vivant, c'est qu'il était suffisamment fort pour
continuer à vivre et qu'il n'était pas un changelin.
Mais
saint Guignefort est aussi invoqué par les femmes afin de "réveiller" l'appétit
de leurs maris "endormis". Guigner, en patois, signifie "remuer
la queue" pour les chiens. "Remue-fort" la queue.
Si
vous voulez lire des pages assez complètes sur ce chien fidèle
qui fut prit pour un saint, procurez-vous le livre de Pierre Saintyves
: paru aux éditions
Laffont-Bouquins. Il porte trois sous-titres : Les contes de Perrault -
En marge de la Légende Dorée - Les reliques et les images
légendaires.
C'est
de ce livre et de "A plus hault sens" de Claude Gaignebet que
je me suis m'inspiré. (Maisonneuve et Larose)