Gaston et l'ours
(“gast”
“Hôte” ou “voyageur”)
V |
aast s’est d’abord appelé
Vedastus. Son nom s’est transformé en Veast puis en Vaast, et,
aujourd’hui en Gaston.
Saint Gaston ou Vaast ou Waast serait né dans le Périgord à Villac près de Terrasson, d’une famille fortunée. L’église paroissiale lui est dédiée et une fontaine porte son nom.
Après avoir quitté ses
parents, il se retira à Toul où il vécut en solitaire.
Mais sa réputation devint grande et l’évêque de Toul
le fit entrer dans son clergé.
A cette époque, Clovis Ier,
se battit contre les Allemands qui essayaient sans doute de faire avorter la
monarchie française naissante.
A Tolbiac, près de Cologne, (aujourd’hui Zulpich) la bataille était loin d’être gagnée et la victoire penchait même pour les Allemands. Clovis se souvint des recommandations de sa femme Clotilde.
Elle avait beaucoup insisté, en effet, pour qu’il se convertisse au christianisme.
Les yeux levés au ciel, il
s’écria que s’il gagnait la guerre, il se convertirait et se
ferait baptiser.
Les Francs reprirent courage et
triomphèrent des Allemands en tuant leur roi.
Revenant de la guerre, Clovis passa par Toul et y rencontra Vaast qui passait pour être un croyant fervent. Clovis lui demanda de l’instruire des choses de Dieu. Vaast accepta et le suivit. Il devint donc le catéchiste de Clovis.
Pendant le voyage, en passant au
village de Rilly-aux-oies (près de Attigny, sur l’Aisne, à
l’est de Rethel), Vaast rendit la vue à un aveugle qui se trouvait
près du roi. Celui-ci fut très impressionné. Peu de temps
après, il se fit baptiser par Saint Rémi qui, en lui versant
l’eau lui dit “Ployez le cou, ô Sicambre, sous le joug de
Jésus-Christ, adorez ce que vous avez brûlé et brûlez
ce que vous avez adoré !” Trois mille nobles Francs se firent
baptiser après lui. Cela se passa le 25 décembre 496.
E |
n quittant Reims, Clovis recommanda
Vaast à Saint Rémi qui l’envoya dans les villages pour
catéchiser. Puis Rémi le consacra évêque d’Arras
en Artois.
Mais Arras avait subit bien des
misères avec l’invasion des Vandales et des Alains, puis, plus
tard, avec sa destruction par Attila en 450.
En entrant dans Arras, Vaast
guérit un aveugle et un boiteux qui lui demandaient
l’aumône. Il gagna
ainsi la confiance des Arrageois. (ou Artésiens)
Mais tout ce qui avait
été construit pour le culte était en ruines, couvert de
ronces et servait de repaire aux bêtes sauvages . Vaast se mit à
pleurer et pria. A ce moment, un ours sortit des ruines. (la Légende
Dorée parle d’un loup) Vaast n’en fut point troublé.
Il conjura l’ours de ne pas faire de mal à quiconque. L’ours
docile le suivit et devint son fidèle compagnon. Certains disent qu’il
s’agissait d’une ourse.
Vaast se mit en devoir de
reconstruire des édifices religieux et de convertir les gens de la
région.
Clotaire Ier, fils de Clovis, prit,
avec sa cour, les habitudes romaines. Perdant leur humeur guerrières,
ils passaient beaucoup de temps en banquets et en orgies. La cervoise coulait
à flot. Les festins se terminaient toujours par l’ivresse
titubante de tous les convives.
Un jour, un notable qui s’appelait Ocine, (ou Hozinus) invita Vaast à un festin qu’il donnait pour le roi. Vaast accepta, pensant mettre fin à ces pratiques qu’il jugeait scandaleuses.
En entrant dans la salle, il fit un
signe de croix et tous les vases remplis de cervoise se brisèrent. Vaast
expliqua que ces vases cachaient le démon qui avait fui pendant que la
cervoise se répandait sur le sol. Tout le monde était atterré devant ce prodige !
Bien des gens se convertirent.
Saint Rémi chargea alors
saint Vaast de gouverner le diocèse de Cambrai.(en 510) Arras et Cambrai
furent alors réunis administrativement jusqu’au XIème
siècle.
Puis Vaast s’occupa aussi du
Beauvaisis où il y reconstruisit bien des édifices et où
il fit de nombreux miracles.
Il était devenu vieux et les
fièvres le dévoraient. Par une froide nuit d’hiver, on vit
une immense nuée de feu qui s’élevait de sa maison
d’Arras jusqu’au ciel. Cela dura deux heures. on vint
prévenir Vaast qui compris que le moment était venu de quitter
cette terre. Il s’éteignit alors le 6 février 540.
On raconta qu’au moment où son âme quittait son corps, on entendit un choeur d’anges qui remplit la maison.
Quelques temps après sa mort,
un incendie éclata à Arras. Il menaçait toute la ville.
Une femme nommée Abite invoqua Saint Vaast. Elle le vit
apparaître. Il écartait les flammes.
La maison du saint fut
épargnée.
A |
u 9ème siècle, bien
des couvents de l’Artois envoyaient des mariniers pêcher le
poissons en mer. On réclama à ceux de l’abbaye de Saint
Vaast un droit de deux sous pour leur permettre de jeter leurs filets. Ils
refusèrent et prièrent leur saint patron. Les barques sortirent du port et une
grande tempête s’éleva en menaçant les embarcations
qui eurent bien de la peine à regagner la terre. Seules les barques de
ceux de saint Vaast purent, sans difficulté, rapporter des
quantités énormes de poissons. En souvenir de ce miracle, les
mariniers de l’Artois payent chaque année, deux sous aux religieux
de l’abbaye de Saint Vaast.
Dans les manuscrits qui racontent la
vie de Saint Vaast, on le représente avec un ours à sa suite.
Les Anglais vénéraient
Saint Vaast sous le nom de Foster. (“Beau-père” ou “Celui
qui élève”) C’est de là que la famille Foster
tire son nom.
Vaast voulait être
enterré dans une petite chapelle qu’il avait fait construire au
bord de la rivière Crinchon. Mais le lieu ne fut pas trouvé bien
beau et on le porta à la grand église Notre Dame.
De nombreuses églises de la région sont sous le vocable de Saint Vaast et possèdent de nombreuses reliques. Les ossements sont répandus à Bailleul, Annezin, Wrugles, Vergies, Fouquières-les-Lens, Lattre-Saint-Quentin, l’hospice civil de la ville d’Aire, Moreuil, (Amiens) Notre Dame de Saint Omer, Le Pas, Bienvillers au bois, le séminaire d’Arras, Laventie, Gonnehem, Fruges, Saint Vaast-la-Hougues, (Coutances) les Bénédictines du Saint Sacrement d’Arras, Armentières, Saint Nicolas d’Arras, Saint Pol.
A Saint Pol sur Ternoise,
(62) on trouve un bas relief avec un évêque et un ours à
ses pieds.
L |
a région de Flandre (nomades
de la plaine) est marquée par le mythe de Jean de l’ours. (Gayant)
Saint Vaast n’est pas sans rapport avec ce mythe. Une version flamande du
conte relate qu’un bûcheron du nom de Gaylon vit un jour cinq
petits ours qui sortirent d’une grotte. Gaylon les appela amicalement.
Tout effrayé par la voix de Gaylon, les oursons rentrèrent
vivement dans la grotte. Gaylon se mit à pleurer en gémissant
“personne ne m’aime, même les bêtes me fuient”. A
ces mots, un petit ours pointa son nez et vint retrouver Gaylon en gambadant.
Gaylon l’adopta comme son fils, il le prit sur son dos et revint à
la ville de Cantin. Le barbier rasa l’ourson qui devint un petit
garçon très fort qu’on appela Jean, en souvenir de Saint
Jean-Baptiste qui portait une peau de bête. (plus fort que Benoît
Brisefer car il ne craignait pas les rhumes)
On le baptisa mais on ne parvint pas
à le purger car, grâce à sa force, il renversa
l’apothicaire
Un jour que Jean venait
d’avoir 16 ans, les fêtes de la Saint Jean battaient leur plein, il
vit un des garçons qui se moquait de lui jeter un panier rempli de chats
dans le brasier. Jean se jeta dans le feu et sauva les chats, puis, sous
l’effet de la colère, il bouscula le garçon qui se fracassa
la tête et mourut.
On voulut enchaîner et pendre
Jean, mais d’un simple effort il cassait les cordes et les chaînes.
A ce moment, apparut un
héraut vêtu de velours vert (le loup vert de Jumièges ?) et
chevauchant un énorme cheval. Il clama que les trois filles du roi :
Soleil d’or, Lune d’argent et Étoile du matin avaient été
enlevées par un dragon. Celui qui les délivrerait avait la
promesse d’un mariage.
Jean se saisit d’une poutrelle
dont il fit sa canne. On le surnomma alors Gayant, c’est-à-dire
Géant. Etc. on connaît la suite avec Tord-Chênes
(Torquesnes)
Curieusement, j’ai traduit,
avec un ami turc, une version turque, très proche de cette version
flamande, dans laquelle le héros porte le nom de Kelolan. (garçon
chauve)
Je m’interroge sur la
similitude entre Saint Vaast pleurant sur les ruines d’Arras
lorsqu’apparaît un ours et Gaylon pleurant sur sa solitude à
Douai, lorsqu’apparaît son fils l’ourson.
Il s’agit là de
configurations mythologiques similaires. Plutôt qu’à
rechercher des paternités ou des filiations dans les personnages, je
crois plus à l’influence des configurations qui se multiplient
grâce à leur dynamique. Parfois, elles s‘inversent comme
dans le cas des versions Jean-de l’ours (velu) et Kelolan (glabre),
à de milliers de kilomètres de distance.
Dans l’histoire de Saint
Vaast, il n’est pas question de chats. Mais non loin d’Arras,
près du village de Berten (l’ours) se trouve le Mont des Cats (des
chats) sur lequel, autrefois, vivait un ermite qui avait une fervente
dévotion pour Saint Vaast.
Claude Gaignebet, dans son livre sur
la religion populaire au moyen-âge, fait remarquer que
l’église saint Sylvain (forêt) de Levroux (36)
possède un vitrail de saint Vaast d’Arras sur lequel est
représentée l’ourse, sa compagne, avec son petit. C’est
un fait qui n’est pas mentionné dans la vie de Vaast. Mais cette
représentation témoigne de la grandeur de la configuration dont
Vaast est une des clés. (Il existe des “Saint Vaast” en
Belgique)
Le mythe tourne autour du
“sauvage” qui s’accommode bien de relations avec les animaux.
Frédérick Tristan pense que Gayant est apparenté à
Odin-Woden. Bruno, l’ours, le “ferrant” fabrique “un
chariot à quatre roues”. Son épouse, Freya se
promène toujours sur un chariot traîné par des chats.
A Ypres, pour combattre le culte des dieux scandinaves, on
jettera des chats du haut du beffroi, le mercredi, jour des chats :
“woensdag katten, duivels katten”. On remplacera Freya par la
Vierge Marie.
U |
ne dernière histoire
concernant Vaast (racontée par Frédérick Tristan dans
“Géants et gueux de Flandre” et reprise de Van Gennep) qui
montre bien l’aspect ambigu de Vaast, à la fois ami des
bêtes et aussi leur ennemi.
«A quelques
kilomètres de Cambrai, s’élevait naguère le
château d’Esnes. Lorsque saint Vaast vint prêcher le
christianisme en Flandre, le diable fit tomber la foudre sur le château
qui fut détruit.
Le propriétaire des
lieux vint trouver Saint Vaast et lui demanda de reconstruire le château
par miracle. Vaast refusa. Alors le diable se présenta et déclara
que lui, s’offrait bien volontiers à reconstruire le château
en une seule nuit pourvu que le châtelain abjurât le christianisme.
Le pauvre homme accepta et,
le lendemain, le château se dressait à nouveau, fier et tout neuf,
là où il ne restait plus que pierre sur pierre.
Saint Vaast, inquiet de l’affaire, vint rendre visite au châtelain mais celui-ci lui refusa l’entrée. Alors quatre anges apparurent aux yeux de la foule émerveillée et autour du saint élevèrent une tour appelée depuis “la chaire grise”. Quatre mille personnes se convertirent et le châtelain fut exorcisé et promit de n’avoir plus aucune relation avec les bêtes infernales.»
Ainsi, Vaast a quelques relations
mythologique avec les anciens dieux scandinaves. - comme saint Éloi, un
peu plus tard, avec Loki - Elles sont complexes et paradoxales par le fait
qu’il s’agit d’un des nombreux personnages
“chistianisateur” des Flandres ou d’ailleurs.
Il est donc à la charnière de deux mentalités, à la fois raseur de l’ours mais ours lui-même. Comme Saint Martin, pourfendeur de cultes animaux est lui-même présenté sous un aspect oursin et porte le nom préféré de l’ours.