Saint Herbot

13 juin

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Calendrier juin

La légende de saint Herbot

(Cf. Anatole le Braz)

"Saint Herbot s'était d'abord établi à Berrien.

Mais les femmes de ce pays s'ameutèrent contre lui, parce que leurs maris, disaient-elles, perdaient leur temps à l'écouter, au point d'oublier d'ensemencer leurs champs ou de faucher les récoltes, tant l'homme de Dieu les tenait sous le charme. Elles lui firent toutes sortes de misères, dérobèrent ses vêtements qu'il avait mis à sécher sur une haie, parlèrent d'incendier sa hutte. Un jour elles poussèrent la malignité jusqu'à lui jeter des pierres, courant et aboyant après lui, comme des chiennes enragées.

Pour le coup, le saint se mit en colère.

- Puisque c'est ainsi, s'écria-t-il, je vous prédis que désormais le territoire de Berrien ne sera plus que pierres. Dieu lui-même, malgré sa toute-puissance, ne le pourra désempierrer .

Fuyant devant ces mauvaises femmes, il vint ici chercher un abri. En ce lieu sauvage il était assuré de vivre tranquille. Il se mit en devoir d'y construire sa maison de pénitence, son penity. Dans ce dessein il s'adressa au manoir du Nank, priant qu'on voulût bien lui prêter une paire de boeufs pour charroyer les matériaux. Les gens du Nank étaient des avares. Ils répondirent au saint que leurs bêtes n'étaient pas à la disposition du premier venu.

- Eh bien ! dit-il, désormais il n'y aura au Nank que des boeufs impropres au labour.

Sa malédiction est restée sur le manoir. On n'y a jamais pu, depuis, labourer convenablement avec des bufs. Refusé de ce côté, le saint se rendit au Rusquec. Là commandait un bon maître, secourable au pauvre monde.

- Allez dans la montagne, dit-il à Herbot; vous y trouverez le troupeau de nos boeufs au pacage. Vous n'aurez qu'à choisir vous-même telle paire qu'il vous plaira.

Le saint choisit une paire de boeufs blancs, les attela, avec des écorces de saule en guise de traits, à une branche d'arbre non dépouillée de ses feuilles qui devait faire l'office de charrette, et charroya dans ce surprenant équipage les pierres dont il avait besoin.

Les pierres charroyées, les boeufs ne voulurent plus quitter le saint. Longues années après sa mort, on les voyait encore accroupis côte à côte dans le porche. Chacun les pouvait venir prendre à la tombée de la nuit et s'en servir pour labourer, à la condition de les ramener avant le lever du soleil. Il n'était pas dans tout le pays de bêtes aussi braves au travail. Malheureusement, un paysan cupide commit le sacrilège de les garder après l'heure, et, depuis lors, on ne les revit plus sous le porche. Mais ils ne désertèrent pas pour cela la contrée. Des gens prétendent les avoir aperçus, tout blancs et comme lumineux dans la nuit, et quelquefois on entend au milieu des prés qui avoisinent l'église des meuglements surnaturels.

Saint Herbot avait pu bâtir sa maison sans l'aide de personne, mais pour la toiture, il se trouva fort embarrassé. Il fit venir un couvreur. L'ouvrier ayant tout à faire à lui seul n'avançait guère vite en besogne.

- Je pourrais peut-être vous être utile à quelque chose, lui dit le saint.

- Certes. Vous pourriez, par exemple, tailler les chevilles; je n'aurais plus qu'à les poser et à y accrocher les ardoises.

- Je ne demande pas mieux. Mais sur quoi tailler les chevilles ?

Le couvreur, à cette question, songea : "Voici vraiment un homme bien naïf: il faut qu'il soit innocent, ou peu s'en faut." L'idée lui vint de se distraire aux dépens de sa crédulité.

- De quoi vous mettez-vous en peine ? dit-il au saint. N'avez-vous pas votre bonnet, qui paraît d'étoffe solide ? Servez-vous en, brave homme, en guise de billot.

Le saint qui n'y entendait pas malice trouva le conseil excellent. Il ôta son bonnet, le disposa à terre devant lui, et se mit incontinent à tailler avec une hachette des chevilles pour le couvreur. Celui-ci pouffait de rire intérieurement.

- Le bonnet va être dans un joli état ! pensait-il; il n'en restera tout à l'heure pièce ni morceau.

Mais, quand le saint eut fini de tailler les chevilles, le bonnet demeurait intact. Herbot le remit sur sa tête, comme si de rien n'était. Le couvreur n'eut plus envie de rire. Il comprit à quelle espèce d'homme il avait affaire.

- Holà ! se dit-il, celui-ci est plus savant que tous les couvreurs du monde.

Il répandit le bruit du miracle dans toute la contrée et, à partir de ce moment, les pèlerins commencèrent à amner vers saint Herbot. Mais le saint fuyait les hommages des gens; il ne se plaisait que dans le commerce des bêtes. Il entendait, dit-on, leur langage et n'était jamais aussi content que lorsqu'il pouvait converser librement avec elles. Il aimait surtout les bestiaux, vaches et boeufs, veaux et génisses. Aussi, en entrant au paradis, a-t-il demandé à être leur patron. De leur côté, ces animaux lui sont demeurés pieusement fidèles. Quand leurs maîtres oublient ou négligent de les mener au pardon de saint Herbot, ainsi que cela se doit, ils s'y acheminent d'eux-mêmes. Le fait a été constaté nombre de fois.

Un jour de mai - il y a de cela environ dix ans - j'ai vu de mes propres yeux une génisse et un taureau venir ici en pèlerinage. Ils arrivèrent par la route de Loqueffret; personne ne les accompagnait. Le taureau s'arrêta à l'entrée du cimetière, en face du porche. Il resta là, immobile, le mufle tendu vers le tombeau du saint, pendant que la génisse pénétrait dans l'enclos et faisait trois fois le tour de l'église. Leurs dévotions terminées, ils poussèrent trois beuglements et reprirent de compagnie, sans se presser, la direction de la montagne.

Saint Herbot passe pour un des saints "les plus riches" de Bretagne, comme il est un des plus puissants. On lui fait de fortes offrandes en argent, mais surtout des offrandes en nature, consistant en queues de vaches. Nous en avons pu voir une dizaine suspendues à gauche du maître-autel. Il y en a chaque année pour une jolie somme,nous dit Hervé Ricou. Jadis, c'était le recteur de Plounévez qui vendait lui-même le crin à l'enchère, la veille du pardon. Mais on dut renoncer à ce système, les marchands s'entendant entre eux pour acheter à vil prix. La moyenne annuelle est de 1.800 livres de crin qui se vendent 0,80 F, 1 F, 1,25 F la livre.

C'est principalement au mois de mai que les pèlerins abondent, amenant leurs bêtes. Le lundi et le vendredi sont les jours préférés. On fait faire aux animaux le tour de l'église, puis on les conduit à la fontaine sacrée, où ils s'abreuvent et d'où l'on emporte des bouteilles d'eau, pour en asperger leur nourriture en cas de maladie.

Il y a grande foire à Saint-Herbot, dans la semaine qui précède le pardon.

 

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