Saint Martin et le temps

 

11 novembre

Retour ou
Calendrier novembre

 

texte WB

 

Mon père est grand

ma mère méchante

ma nourrice sombre

et moi, enfant blanc ?

 

Qui suis-je ?

 

La châtaigne.

 

 

 

 

H

allowein-Samain, la Toussaint et le jour des morts introduisent, dans la mythologie calendaire, le temps des revenants. Les fantômes - entendons ici les âmes des morts - "reviendront" jusqu'à Pâques.

 

A la période du début novembre, on honore les morts et les saints. Le temps bascule et change complètement, il prend le rythme du froid. Qui se douterait que, sous la terre, tout prépare déjà le printemps à venir ?

Martin, au 11 novembre, est associé à la venue du froid de l'hiver. Dans sa légende, il ne se coupe pas le nez, - mais la petite chanson de Lorraine articule bien avec le mythe martinien :

 

 

 

 


Martin prend sa serpe

Dans le bois s’en va

Faisait grand froidure

Le nez lui gela

 

Ah quel dommage, quel dommage Martin

Martin quel dommage

 

Martin prit sa serpe

Il se le coupa

Dans le crux d’un arbre

Martin le cacha... etc.

 

En fait, il coupe son manteau en deux.

 

Le militaire Martin, venu de Hongrie, membre de l'armée romaine, partage son manteau avec un pauvre, à la porte d'Amiens.

Bien mal lui en a pris, car il est interdit de détériorer le matériel militaire. En guise de punition, on l'a déshabillé, puis on l'a attaché à un poteau. Pourtant, il faisait bien froid. Mais tout à coup, le froid est tombé, le temps s'est radouci, le soleil est apparu et les arbustes ont refleuri. Pendant les trois jours de sa punition, le beau temps fit que Martin ne souffrît pas du froid.

La nuit, il vit Jésus en songe qui lui promit un éternel printemps au Paradis et l'assurance que, chaque année, à la même époque, le beau temps apparaîtrait. C'est ce qu'on appelle l'été de la Saint Martin.

D'autres racontent que ce radoucissement s'est produit après sa mort, lorsqu'on ramenait son corps de Candes à Tours.

La plupart des statues de Saint Martin le représentent sur son cheval, coupant son vêtement. C'est ce qu'on appelle "la charité Saint Martin".

 

 

 

C

ette coupure du manteau symbolise la coupure entre le temps chaud et le temps froid. L'été est terminé, l'hiver reprend ses droits.

 

Ouverte aux associations, la pensée populaire, rapproche cette histoire de l'ouverture des bogues des châtaignes pour y voir un emblème du passage à l'hiver. Observez une bogue après son mûrissement, vous la verrez ouverte, coupée en deux, symbolisant les deux périodes.

Le manteau (la mère) qui couvre le fruit est bien celui, "fait de poils grossiers" de Martin qui avance sur son âne, en quête d'âmes à convertir. La conversion de l'été à l'hiver provoque la déchirure du manteau et l'accouchement du fruit automnal préfigurant la naissance, 40 jours plus tard, du soleil nouveau, de Jésus  ou de Mithra.

 

Une tradition veut que griller des châtaignes vers la période des morts, ce sont autant d'âmes du purgatoire qui passeront au Paradis.

 

Dans un passionnant article d'Annick Fedensieu, paru dans le bulletin de la Société de Mythologie Française, (n° 187, 97-98), il est fait mention de la petite devinette mise ici en exergue, mais aussi de Saint Martin prêchant sous un châtaignier, représenté sur un vitrail de l'église de la commune de Continvoir en Gatîne, près de Bourgueil, pays de Rabelais.

Martin - symbolise un "point d'orgue" important dans le déroulement du temps qui adopte un nouveau rythme, celui, avec la mort automnale, des pincements de l'hiver.

Tel un rythme musical qui se déroulerait à l'échelle météorologie et cosmique, le temps offre un contraste rythmique dans lequel, qu'on le veuille ou non, nous sommes entraînés.

 

Retour

 

La véridique histoire de Saint Martin

 

 

 

S

aint Martin de Tours (petit mars, martial, guerrier, apparenté aussi à Marc : cheval ou marteau)

Il est impossible de dinstinguer clairement l'histoire du saint de sa légende et des mythes qui l'accompagnent.

 

"Singulière figure d'évêque ! Parmi les prélats gallo-romains, personnages d'allures souvent mondaines, il avait un peu l'air d'un paysan du Danube : tonsure laide, habit grossier, une contenance humble..." (PP Bénédictins)

 

Certains disent qu'il fut un évêque bien ordinaire et qu'il fut mis en vogue par son panégyriste.

 

Plusieurs récits racontent la vie de Saint Martin. Les deux récits essentiels sont ceux de Sulpice Sévère et de Grégoire de Tours.

On sait que Martin est né en Hongrie, à Sabarie (Szombathely) au 4ème siècle. Son père était tribun militaire. Au hasard des périples militaires, il fut élevé à Pavie. Comme la loi le voulait, il devint lui aussi militaire et fut enrôlé dès l'âge de 15 ans.

Mais cela ne lui plaisait pas bien car il était très attiré par la piété. Il servit dans la garde impériale à cheval. Il avait à coeur d'être au service de tous. Il nettoyait lui-même les chaussures de son esclave-ordonnance et distribuait sa solde aux pauvres.

Vient ensuite l'histoire la plus connue, celle de son manteau, que nous avons déjà relatée.

 

Q

uelques temps plus tard il demanda à quitter l'armée. C'était au moment où les Germains attaquaient l'empire. On le traita de lâche. Il rétorqua qu'il était décidé, le lendemain à se mettre au premier rang, sans armes, mais dès le point du jour, une délégation de Germains vint demander la paix.

Il quitta donc l'armée et alla à Trêves trouver l'évêque Maximin. Ils partirent à Rome puis à Poitiers où se trouvait l'évêque Maixent, frère de Maximin.

Après la mort de Maixent, Hilaire devint évêque et Martin devint son disciple. Il fut déclaré exorciste.

 

On voyageait beaucoup en ce temps là. Martin retourna en Hongrie puis passa en Illyrie, dans la région de Ljubljana où il fut battu publiquement puis chassé.

Il passa en Italie où il apprit que saint Hilaire avait été exilé en Orient (en Turquie actuelle, plus exactement à Séleucie (Silifke)

Martin se retira à Milan où il se construisit, pour la première fois, un petit monastère. Mais il fut encore expulsé par un évêque arien.

 

Martin désemparé, n'ayant pas tellement envie de retourner dans les Gaules en raison de l'absence d'Hilaire, se réfugia dans une petite île près de Gênes : l'île de Gallinaria, appelée ainsi parce qu'on y trouvait beaucoup de poules. (Isoletta d'Albenga) (1)

A peine avait-il mis le pied sur l'île que Belzébud, ne pouvant supporter la présence de Martin, quitta l'île en poussant des cris horribles.

Martin, qui ne vivait que d'herbes et de racines, avala un jour de l'Hellébore. Cette plante a la réputation de guérir de la folie, mais elle est vénéneuse. En fait, c'est la racine qui soigne, alors que les tiges et les fleurs empoisonnent. Se sentant empoisonné, il se mit à prier et fut guéri subitement et complètement.

(Helléboros ou elleboros, grec, ou elleborum, latin, à donné Aliboron et désignait au 15ème siècle un homme omniscient qui pouvait être le Diable. Au 16ème siècle, Aliboron désignait quelqu'un de prétentieux et d'ignorant. D'où le nom de l'âne que l'on appelle aussi Martin.)

 

 

L

a persécution aryenne s'étant apaisée, Martin rentra à Poitiers pour y retrouver saint Hilaire revenu de son exil "turc". Hilaire lui donna une terre dans la vallée du Clain afin d'y construire le monastère de Ligugé.

C'est alors qu'il se mit à faire des miracles et, en particulier, à ressusciter deux morts.

Mais il lui arriva une curieuse aventure. Tours venait de perdre son évêque et avait jeté son dévolu sur Martin en raison de sa réputation. Les gens de Tours savaient qu'il aurait refusé. Alors, ils inventèrent une ruse. Une troupe se dirigea vers Ligugé et leur chef Ruricius les fit arrêter à quelque distance du monastère.

Celui-ci alla à Ligugé et demanda à voir Martin pour lui dire que sa femme était dangereusement malade et qu'il fallait qu'il vienne à son secours. Martin s'empressa de le suivre, mais peu après, il se trouva entouré par la troupe des tourangeaux qui le raptèrent et l'emmenèrent pieds et poings liés à Tours où il fut bien obligé de devenir évêque, en remplacement de Saint Lidoire.

A son arrivée à Tours, des gens furent dégoûtés de voir ce guenilleux si négligé et trouvèrent qu'il n'était pas question d'élire évêque ce va-nu-pieds.

Il y eut un parti anti-Martin qui se forma. Il était dirigé par un évêque qui s'appelait "Défenseur".

Sulpice Sévère raconte : "Or, parmi les évêques qui étaient là, le principal opposant fut, dit-on, un certain Défenseur. Aussi remarqua-t-on qu'il reçut alors un blâme sévère, par la lecture d'un verset prophétique. Car le hasard voulut que le lecteur à qui revenait en ce jour la charge de lire les textes, se trouvât par le peuple empêché de passer.

Aussi, dans l'émoi des officiants, tandis que l'on attendait l'absent, l'un des assistants saisit le psautier et attrapa le premier verset venu. Or ce psaume était : "par la bouche des enfants et des nourrissons, tu t'es rendu gloire à cause de tes ennemis, pour détruire l'ennemi et le défenseur".

A cette lecture, les clameurs du peuple s'élèvent, le parti adverse est confondu, et l'on tint pour assuré que ce psaume avait été lu par la volonté de Dieu afin que Défenseur entendit porter ce témoignage sur ses oeuvres..." (La vie de Saint Martin, Sulpice Sévère, p. 20, Les Classiques, Foi vivante. Éd du Cerf)

 

M

algré ses occupations d'évêque, Martin réussit à fonder, près de Tours, le monastère de Marmoutier, où il allait se ressourcer.

Parmi les moines, il se trouvait un nommé Brice (13 novembre) qui critiquait souvent son maître. Chaque fois que Martin lui faisait quelques reproches sur sa conduite mondaine, Brice lui répondait vertement en lui reprochant son passé de militaire durant lequel il aurait participé à la licence des camps. Il était jaloux de Martin. Un jour qu'un pauvre était venu demander Martin, Brice lui dit : "Si tu cherches ce radoteur, lève la tête, c'est celui qui regarde le ciel comme un insensé".

Mais Brice se corrigea de ce défaut et fut même le successeur de Martin à l'évêché de Tours. (2)

Martin et Brice sont fêté à 3 jours de différence. Ils constituent un "doublet" qui peut symboliser encore le passage entre deux temps.

Martin mourut pendant une visite à Candes en 397 ou en 400, le 11 novembre.

 

(1)    Je ne sais pas ce que les poules... et les coqs ont à faire là-dedans mais les gallinacés ont un intérêt en ce qui concerne les morts. Ce sont les coqs qui, par leur chant, font se ressouvenir des vies antérieures que le défunt va retrouver dans son voyage de retour. C'est sans doute pour cela qu'ils sont au sommet des églises. Quant à Gallinaria, c'est à la fois les gallinacés mais aussi Gaulois, Gallika comme nous appellent les grecs : les laiteux. A condition que le coq soit blanc, symbole de la France.

 

(2) Martin et Brice, jumeaux ? Frères ennemis ? Martin le sauvage, associé au lion,

Ils sont considérés comme des jumeaux dont la mère (Sainte Brigitte ou Geneviève de Brabant) est l'héroïne de contes tournant autour du thème de "la fille aux mains coupées" ou la "jeune fille sans mains" (Grimm) Si vous voulez en savoir plus, lisez "L'histoire des contes" de Catherine Velay-Vallantin, Fayard 1992.

 

Retour

 

Martin, l'ours et le mythe

 

Aujourd'hui, si le personnage peut nous apparaître ambigu, il ne l'était pas et il ne l'est toujours pas pour les chrétiens : c'est un pourfendeur de traditions Celtes. On pourrait dire que Martin est "éteignoir" de Celte. Il fut sans doute un des piliers dans la lutte générale contre les paysans (les payens) imprégnés d'une culture qui fut anémiée progressivement sous le prosélytisme insistant des chrétiens de l'époque.

On aimerait connaître d'un peu plus près les aventures survenues à toutes ces bandes de militants chrétiens qui passaient leur temps à mettre le feu ou à détruire à coups de pioches les temples désignés comme payens.

Martin est associé aux grands bouleversements qui ont marqué le passage de la religion Celte à la religion Chrétienne. Outre une série d'autres saints combattifs tels saints Patrick ou encore Gwénolé et bien d'autres, le personnage le plus emblématique de ce passage - comme aussi le plus ambigu - est Merlin le sauvage oursin et velu.

La Geste du Graal raconte, non sans mystère, cette grande métamorphose. Mais Merlin n'est pas considéré comme un saint.

 

Les Petits Bollandistes qui débordent de louanges pour Martin, utilisent pour désigner la caractéristique des peuples qui habitaient la Gaule avant lui, le terme de "peuple enfant". "Ce qui les frappe, en effet, c'est toujours la grandeur et la force dans la nature comme dans les hommes. Les Hauts lieux, les grands arbres, les rochers, les fontaines, tous les éléments apparents du monde, tout ce qui étonne l'ignorance : tels sont les dieux qui prennent vie dans leur imagination".

Lévy-Bruhl repassera par là avec le concept de "pensée magique" enfonçant les peuples traditionnels dans l'infantilisme !

Martin les aurait-il aidé à devenir "peuples adultes", comme nous ??? Pauvre mythe !

 

 

M

artin, aussi chrétien soit-il, n'en est pas moins considérablement mythifié. Il a donné son nom à bien des villages et à bien des églises, il a suscité bien des cultes et fut associé à de nombreux mythes paysans, marquant un retournement dans le temps.

Sa fête à un moment calendaire sensible de métamorphose correspond au début de l'hibernation de l'ours.

Martin est un des noms de l'ours.

 

L'ours a été un des premiers objets de vénération.

Son anthropomorphisme lui donne un rôle fréquent dans les aventures humaines et même dans les aventures sexuelles.

 

Un mythe de l'invention des menstrues raconte qu'une femme mariée avait des rapports avec un ours. - les femmes n'avaient pas encore de règles. Le mari les surprit en pleine copulation. Il tua l'ours et prit son sang dans la blessure qu'il jeta sur sa femme, juste à l'endroit du sexe en disant : "à partir de maintenant, tu seras maudite. Tous les mois le sang te viendra".

(Cf. Le sacré et la violation des interdits - Laura Lévy Makarius, Payot 1974)

 

 

E

ncore aujourd'hui, beaucoup de femmes appellent les menstrues, les "ourses". Ce n'est pas pour rien que les enfants ont un ours dans leur lit. L'ours-animal ou les ourses-menstrues connotent la fécondité et la promesse de maternité. Autrefois, en Grèce, les petites filles devenues réglées, allaient, en procession, au temple d'Artémise, en tenant leurs linges menstruels. Elles portaient des masques d'ours.

 

L'ours (le Arth, Arthur, Arthaud, Artémise... ou encore le Ber, Berne, Berlin, Berzé la ville, Bern-ard...) est velu et procède de l'humide, autant que le cerf ou le loup. Il est un des symboles de la fécondité. L'hiver venu, il entre en hibernation et n'en sortira qu'au printemps.

Ce qui veut dire qu'il est courageux (Mars) puisqu'il passera l'hiver aux enfers, en compagnie des âmes des morts et des démons. Dans le conte "Jean de l'ours", Jean, mi-ours mi homme, combat le diable qui par la suite n'osera plus sortir des enfers.

L'association entre Martin et l'ours est donc une vieille histoire.

 

La légende Dorée présente Martin avec son manteau de poil et le fait prêcher dans les églises, assis sur un tabouret.

Ceux qui ont vu des montreurs d'ours peuvent relier ce que dit la légende dorée au fait qu'ils font souvent asseoir leur animal sur un tabouret.

Mais le pelage de l'animal est essentiel. L'ours possède le velu du sauvage qui se régénère dans la forêt, (cf. le vêtement de "l'homme à la peau d'ours" du conte de Grimm). Sa pelisse est le symbole de la végétation féconde et humide de la terre. (3) L'ours, aux allures humaines, et pourtant dieu antique des passages, Hermès dyonisiaque, mangeant du miel et des sauterelles comme saint Jean-Baptiste au désert, comme saint Martin et ses vêtements à poils drus, comme Merlin dans sa forêt.

La vie de Saint Martin est marquée par des histoires de vêtements velus, grossiers, en poil de chameau etc. C'est pour cela qu'il est aussi patron des tailleurs.

Le temps s'est une nouvelle fois retourné dans son rythme effréné. Il se retounera à nouveau au solstice d'hiver, dans quarante jours, à l'avènement du soleil nouveau.

 

(3) Le poil du "nounours" maternel qui rassure l'enfant.

 

Saint Martin et l'armistice

 

Saint Martin est patron de l'infanterie - et, par extension, de l'armée.

En 1918, les allemands étaient d'accord pour signer l'armistice bien avant le 11 novembre. Les maréchaux Joffre et Foch insistèrent pour que celui-ci fut signé le 11 du 11 à 11 heures. C'est que le 11 novembre est le jour de la fête de Saint Martin. Force des mythes !

Curieusement, dans le mot "armistice", on trouve presque l'anagramme de Martin. Lorsqu'on demande aux gens quelle est la date de la Saint Martin, la plupart ne le savent plus par le fait que le mot "armistice" occulte le nom de Martin. Mais pas tout à fait.

L'armistice fut signé dans un lieu hautement oursin : la forêt de Compiègne, à 5 heures du matin, pour devenir effectif à 11 heures.

 

C'est au moment - et à l'heure - où la tradition veut que l'ours entre en hibernation et rejoigne le monde des morts, que prend effet la cessation des combats. L'association entre le saint et l'ours est suffisante pour habiter ce jour d'une aura mythique considérable.

 

La fête des morts patriotique rejoint la descente oursine aux enfers.

 

Martin, 40 jours avant le solstice d'hiver, nous invite à entrer dans le monde infernal (sous-terrain) où va se tramer, le retour de la fécondité de la terre.

 

C'est le temps des revenants, de la Mesnie Hellequin avec sa chasse sauvage, et de leur collègue : le père Noël. C'est le temps des loups.

 

Retour