Saint Siméon Stylite

(Ils ont entendu - l’exaucé)

 

5 janvier

 

Retour

Dictons de janvier

 

Notre chien, Filou, aime bien se mettre sur l’escalier, bien que les marches soient étroites, il se cale confortablement avec les yeux tournés vers la porte d’entrée et fait semblant de dormir. Il fait ça quand son maître n’est pas là et, en fait, il ne dort que d’un oeil. Dès qu’il entend le bruit des pas de son maître ou encore dès qu’il voit une ombre au travers de la vitre de la porte, il dévale les marches en poussant des soupirs ineffables et en remuant fébrilement la queue. On ne peut pas savoir si ses cris sont des pleurs ou des gloussements de joie. Ils sont, de toutes manières, l’expression d’un manque qu’il lui est difficile à supporter.

 

Saint Siméon, lui, s’était calé sur une colonne qui avait d’abord trois mètres de haut. Un mètre de plus que la hauteur de la marche d’escalier de Filou.

Ensuite, il s’était mis sur une colonne qui avait six mètres de haut. C’est déjà plus respectable et plus audacieux. Il faut croire qu’il s’était aperçu que son Maître venait de plus loin et peut-être aussi qu’en se mettant plus haut, il s’en rapprochait.

Ne le voyant pas venir, il s’est alors placé sur une colonne de dix mètres puis, finalement, sur une colonne de vingt mètres. C’est très haut.

 

Au sommet de la colonne, il y avait une balustrade de soixante centimètres de diamètres. Ce qui fait que Siméon ne pouvait ni se coucher ni s’asseoir. Filou, lui, il s’étale sur le bois de la marche et, quelquefois, il passe la tête entre les barreaux de la balustrade. Comme il a deux oreilles assez grandes qui ressemblent à des ailes d’avion et qui se répartissent bien des deux côtés, on croirait avoir devant soi le marsupilami - sans la queue, quoique, la belle queue en panache de Filou n’a rien à envier à celle d’autres chiens.

 

Siméon vivait là sans protection, exposé aux intempéries et au chaud soleil de Syrie. Si vous allez à l’église de Saint Siméon, près d’Alep, il ne reste plus qu’une toute petite partie de la colonne, juste de quoi attacher votre chien.

 

Au dessus de sa colonne, il restait toujours debout. Il commençait ses oraisons le soir et ça durait jusqu’au lendemain à midi. Je ne sais pas ce qu’il faisait le reste de la journée d’autant plus qu’il ne mangeait que tous les quarante jours. Quand il priait, il faisait beaucoup de génuflexions. Théodoret, évêque de Cyr, son ami, qui le contemplait souvent - d’en bas - en a compté un jour jusqu’à douze cent quarante quatre, même qu’il n’a pas compté jusqu’au bout parce qu’il était lassé de lever si longtemps la tête et qu’il est allé se coucher. Les jours de fête, Siméon priait avec les bras levés vers le ciel.

 

Filou fait toujours des génuflexions quand quelqu’un arrive. Seulement une à chaque fois. Il étend ses pattes de devant et incurve son dos en remuant la queue. C’est sa façon à lui de célébrer les retrouvailles et de rendre hommage à ceux qui arrivent. Je ne sais pas ce qu’il ferait s’il voyait Jésus ?

 

Il faut dire que, quand il était jeune, bien avant qu’il monte sur sa colonne, Siméon passait déjà des semaines sans manger. Filou serait incapable de passer un jour sans manger. Il aime particulièrement les boîtes de Canigou. Je ne sais pas si, comme il a la couleur de la neige, il fait référence au hauteurs du Mont Canigou (près de Prades) où il y a un monastère extraordinaire qui aurait plu à Siméon. La montée est dure pour y arriver, mais de là, on peut plus facilement observer les levers du soleil et, sans doute, l’arrivée du maître de la fin des temps.

 

Mais quittons les hauteurs pour revenir aux basseurs. Siméon se serrait la ceinture. Ce n’était pas seulement au figuré, il avait une corde qu’il serrait autour de sa taille. C’était la corde du puits du couvent où il était entré. Mais la corde serrait si fort qu’elle était entrée dans la chair et que ça pourrissait tout autour à tel point que des vers en sortaient, le sang coulait et que c’était une vraie puanteur.

Quand les moines s’aperçurent de ça, ils lui enlevèrent la corde malgré ses cris de douleur, puis ils le chassèrent du couvent sous prétexte qu’il était un scandale pour les plus faibles. Qu’à cela ne tienne, il s’en fut habiter dans un puits abandonné et sans eau, plein de lézards et de crapauds. Il y resta cinq jours sans manger mais en chantant des psaumes, après quoi les moines vinrent l’en retirer en s’excusant et en le réintégrant au monastère.

 

Mais il ne voulut pas y rester. Il alla dans la montagne et passa trois ans dans une petite caverne. Ensuite, il grimpa sur le sommet de la montagne et s’enchaîna par le pied droit à une grosse pierre. Il avait tout de même entouré son pied avec une peau velue de bête afin que le fer ne lui entame pas la chair.

 

Quand il m’arrive d’aller chez le boucher avec Filou, je l’enchaîne avec une laisse en cuir - pas au ventre mais au cou. Le bracelet du cou est suffisamment lâche pour qu’il n’entre pas dans les chairs. De toutes manières, il a une telle toison que le bracelet ne pourrait pas entamer le cou du chien. Devant la boutique du boucher, il y a un appareil à faire griller des poulets. C’est le seul endroit où je peux attacher Filou avant d’aller acheter de la viande. Cet appareil est posé sur des roulettes. Il est assez lourd tout de même, mais quand passe une chienne, Filou tire tellement que la rôtissoire et les poulets se mettent à rouler en suivant Filou. Le boucher qui a un chien ressemblant à Filou, ne s’en formalise pas. Alors tout le monde court après la rôtissoire et ramène l’appareil et le chien. Heureusement qu’il ne passe pas des chiennes en permanence.

 

Je ne sais pas pourquoi Siméon s’était enchaîné. Il ne doit pas passer beaucoup de dames au sommet des montagne de Syrie. De toutes manières, il n’aurait pas pu emmener la grosse pierre avec lui.

 

Mais l’évêque Mélèce le visita et lui fit des reproches en lui faisant comprendre que ce genre d’attache était bonne pour les chiens mais pas pour les hommes. Alors, il repartit puis revint avec Théodoret et un serrurier afin de détacher la chaîne. Lorsqu’on détacha la chaîne, on détacha aussi la peau protectrice et l’on s’aperçut que sous cette peau, il y avait plein de punaises infectes et odoriférantes.

Les gens qui étaient présents se bouchèrent le nez.

Retour

Dictons de janvier

Cette aventure le fit connaître dans tout le pays si bien que les cabaretiers d’Antioche le dessinèrent sur leurs enseignes.

Mais sa réputation alla jusqu’en Gaule. Le gens accoururent de partout, essayant de le toucher et d’emporter un petit morceau de sa peau en souvenir. C’est alors qu’il se plaça sur une colonne d’où il donnait ses consultations. Là, au moins, il était tranquille.

 

Les femmes n’étaient pas admises dans l’enclos où était construite sa colonne. Un jour, sa mère voulut le voir avant de mourir, elle fut éconduites comme les autres femmes. Pourtant, une femme eut la témérité de se déguiser pour entrer dans l’enclos. Mais elle tomba morte en présence de tout le monde.

 

Un jour, il crût voir un ange qui venait le chercher avec un chariot. Il pensait que c’était pour l’emmener au ciel comme Hénoch ou Élie. Il leva le pied pour entrer dans le chariot, mais comme il voulut faire un signe de croix pour sanctifier son départ, le chariot et l’ange disparurent. Il comprit alors qu’il s’agissait là d’une tentation du démon. Pour se punir de sa vanité, il se condamna à rester avec le pied en l’air tout le restant de sa vie.

 

Il avait attrapé un ulcère à la cuisse. Il fut bientôt rempli de vers.

Théodoret qui montait de temps en temps en haut de la colonne voulait toujours le panser et le soigner. Il lui retirait les vers de l’ulcère. Mais Siméon lui disait “qu’avez-vous contre ces petites bêtes ?” et il obligea Théodoret à remettre les vers dans la plaie en disant “mangez ce que Dieu vous a donné”.

 

Un jour, Basilic, roi des Sarrasins, vit un vers qui était tombé de la plaie au bas de la colonne. Il courut le ramasser et le mit sur ses yeux. Le ver fut aussitôt changé en perle fine. Il emporta cette relique en souvenir et l’exposa dans son empire comme une relique.

 

On envoya tout de même deux moines pour lui reprocher de ne pas suivre la voie des fondateurs du monachisme en Syrie. Il voulaient éprouver son obéissance en l’obligeant à descendre de la colonne. S’il acceptait de descendre, il ne raseraient pas sa colonne et lui permettraient de rester la haut. Pour prouver son obéissance, Siméon demanda une échelle et descendit, mais il remonta illico.

 

Du haut de sa colonne, Siméon a converti beaucoup de gens. De plus, il a fait revenir bien des pécheurs à de meilleurs sentiments. Il prédit aussi diverses calamités et les empêcha par sa prière.

 

Il mourut en 462, à l’âge de soixante neuf ans. Il avait passé quarante sept ans sur sa colonne. D’autres disent cinquante six ans, et d’autre plus de quatre-vingt. On se disputa son corps mais tous ceux qui voulurent y toucher furent punis. Le patriarche d’Antioche le transporta dans son église.

 

Quand il mourut, ce fut la désolation. Les environs furent recouverts de brume et l’on entendit les pleurs des gens et les cris des animaux des environs, surtout des chiens.

Tous les ans, le jour de sa fête, un étoile apparaissait juste au dessus de sa colonne.

Jacques Callot 1630

 

On montrait dans plusieurs endroits des dents de Saint Siméon. Elles étaient aussi grosses que celle d’un cheval. Cela prouve que Siméon devait avoir une belle taille et qu’il n’aurait pas tenu sur une marche de mon escalier.

 

Il y a aussi deux autres Siméon Stylites.

 

Il y a aussi Filou qui s’est endormi, en rond, sur la moquette de mon bureau. Je ne vais pas tarder non plus à monter l’escalier qui mène en haut. Il n’y a pas de balustrade ni de colonnes à mon lit. Ca ne m’empêche pas de rêver.

Inspiré et adapté du « Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses »

J. Collin de Plancy, Paris 1822.

Retour

Dictons de janvier