(Victoire)
21
juillet
Victor et
son moulin
Le
coeur est comme un grain
nous
ressemblons à la meule
Celle-ci
sait pourquoi elle tourne
Le
corps est comme la meule
les
pensées sont l'eau qui la fait tourner
la meule
parle et l'eau sait
Djalâl-ud-Dîn-Rûmi
Placé, bien au chaud, entre sainte
Marguerite (le 20) et sainte Marie-Madeleine (le 22) saint Victor est un
fleuron de Marseille.
Oh ! Peuchère ! Le caganis, il n'est pas
brémaïre entre ces deux ninous. Il doit bien un peu s'esquicher
sans vraiment être escagassé car elle ne sont pas
méchantes, loin de là, bien qu'elles soient à elles deux
des monuments mythologiques. Il doit même être un peu
festejaïre, surtout lorsqu'arrive la chandeleur avec ses navettes de
l'abbaye marseillaise. Enfin, en juillet, à Marseille, il n'y fait pas
froid. Oh fan ! il n'y a pas de raison de s'estranciner quand on est si
près de la bonne mère.
Notez que, si j'avais vécu à
l'époque, je me serais bien un peu estranciné à la vue d'un
abruti de première catégorie : Maximien empereur. Ce gadgo, une
vraie pastenague venimeuse, ce n'est pas qu'il était porté sur le
pastis mais il avait la passion du passible et ça le portait sur le
sang. Même pas "oeil pour oeil" mais seulement "j'te casse
les dents".
Le quartier de la Charité, à côté de Maximien,
c'était la Corniche.
Il se souvenait du massacre de la légion
thébaine et de saint Maurice qui ne voulut pas sacrifier aux idoles. Il
déclara la guerre aux chrétiens.
Victor, lui, on croit qu'il
était d'une famille noble et exerçait le métier de soldat,
vers 290. Mais, ébranlé par les cruautés de Maximien, il
se révolta, d'abord en refusant de toucher sa paie. Vous le feriez, vous
? si votre employeur menaçait de vous torturer ?
La nuit, il allait de maison en
maison pour fortifier les persécutés. Mais à Marseille, la
nuit, les chemins ne sont pas sûrs. Il tomba sur une patrouille et se fit
arrêter.
On le conduisit devant le tribunal
du préfèt. Là, avec l'assurance d'un conteur, il raconta
l'histoire de Jésus. A peine avait-il terminé que l'assistance
poussa des grands cris et l'accabla d'injures.
Comme il était très
connu à Marseille, on décida de l'emmener plutôt au
tribunal de l'empereur. Celui-ci, bouillant de colère l'injuria et
voulut lui faire peur.
Le préfet Astérius se
plaignit : "Voila deux mois que Victor est soldat et ne veut pas
recevoir sa paie. Je l'ai mis en prison mais il s'évade
secrètement. Il paraît qu'il sort toutes les nuits."
L'empereur questionna : "pourquoi
ne veux-tu pas recevoir ta paie ?"
Victor répondit "parce
que je ne veux pas que tu m'embarques dans tes manigances"
Maximien dit "Comment
arrives-tu à sortir d'une prison aussi bien gardée ?"
Victor répondit "Je
ne sortais pas secrètement mais publiquement. Un ange venait m'ouvrir
les portes."
Maximien en resta tout abesti.
Victor en profita pour surenchérir à propos de la
supériorité du vrai Dieu sur les idoles.
Mais Maximien n'était pas
très "fut-fut" dit-on. Il aurait pu aller jusqu'à
téter un bouc par les cornes tant il était bien incapable de
mettre l'eau à tremper dit.-on Et vous savez bien que les tonneaux vides
sont ceux qui font le plus de bruit dit.-on.
Alors la rage le prit, sans doute
parce qu'il n'arrivait pas à comprendre plutôt que pour une raison
religieuse. Outré de colère il fit attacher Victor à la
queue d'un cheval furieux qui le traîna depuis les Accoules par la rue
sainte et la rue paradis jusque vers l'abbaye qui n'était pas encore
celle de saint Victor. La rue paradis était le chemin qui
séparait l'abbaye du cimetière appelé "paradis".
Tout le monde accourut et
applaudissait avec force d'injures tout en jouissant du spectacle.
Quand Victor fut tout
déchiré et escagassé, il fut ramené au tribunal.
Maximien lui fit une morale pas possible : comment sacrifier sa vie pour
quelque chose qu'on n'a jamais vu ? Comment ne pas adorer ce que tout le monde
adore depuis longtemps etc. etc.
Mais Victor, sous l'inspiration de
l'Esprit, répondit en langage clair, un discours sur la
préférence de la jouissance d'un bien éternel à ce
qui n'est qu'éphémère.
Je ne suis pas certain que les
propos que les Petits Bollandistes mettent dans la bouche de Victor aient
été les siens. Lorsqu'il parle d'un Mars féroce, d'un
Priape obscène et d'une Vénus infâme, on sent bien que les
carottes sont déjà cuites quant à la compréhension
des mythes au 19ème siècle.
Bref, après son prêche,
on lui fit savoir qu'il avait à choisir entre sacrifier aux dieux ou
mourir de la façon là plus terrible. Devant le refus de Victor,
les juges se querellèrent pour avoir le plaisir de le martyriser.
Astérius l'emporta. Il fit étendre Victor sur un chevalet. On
s'épuisa à lui faire subir mille tortures et bien des
pâtissons mais il restait toujours souriant et l'on se plaignit de ce
qu'on y gagnait rien. Il est vrai que Jésus lui apparut en tenant une
croix. Cela rassura Victor. On le serait à moins.
On le replaça donc dans une
obscure prison.
La nuit, des anges descendirent au
milieu d'une lumière éblouissante. Ils ouvrirent les portes et
vinrent consoler Victor. Les soldats-gardiens, très impressionnés
s'agenouillèrent pour demander pardon. Victor les emmena à la mer
et les y baptisa. Il convertit ainsi Alexandre, Félicien et Longin. Ca
devait être au vallon des Auffes.
Apprenant cela, Maximien les fit
saisir - les anges avaient dû disparaître ? - et poussa tout le
monde vers le Forum. Les marseillais accoururent. Certains pour jouir du
spectacle sadique et d'autres pour voir comment on pouvait lutter contre le
diable.
Tout Marseille explosait, la
chanvrière, et le port encore jeune, retentissaient des hurlements d'une
foule enragée défilant avec des flambeaux. Une vraie
pégoulade.
On fit d'abord couper la tête
au compagnons de Victor : Alexandre, Félicien et Longin. Maximien
s'était fait apporter un autel consacré à Jupiter.
Maximien lui dit encore une fois "sacrifie aux dieux !"
Victor se dirigea vers l'autel. Brusquement, d'un coup de pied, il arracha
l'autel de la main du prêtre. Puis il plaqua le prêtre au sol.
Aussitôt, l'empereur fit couper le pied de Victor qui offrit son pied
à Dieu.
Peu après fut venu le moment
où Victor allait devoir offrir plus que son pied. Il fut conduit vers la
meule d'un meunier. Les soldats jetèrent Victor sous la meule qui
l'écrasa. Après un tour de meule, Victor paraissait respirer
encore. Alors les soldats lui coupèrent la tête.
C'en fut fini de Victor.
Maximien fit jeter les corps dans le Vieux Port pour servir de nourriture aux poissons. Mais les corps traversèrent, comme des ferry-boat, depuis la Charité jusqu'a l'abbaye. Ils furent recueillis par des chrétiens qui les ensevelirent.
Impossible de vous raconter tous les miracles
qui ont eu lieu sur la tombe de saint Victor. En voici un tout de même :
Un homme était pauvre de biens et
d'esprits. En plus il était paresseux et dormait tout le temps. Saint
Victor lui apparut en songe, avec un air radieux. "Pourquoi es-tu plus
paresseux et plus négligent que les autres ? Pourquoi ne te
hâtes-tu pas pour aller à l'église vénérer la
Vierge Marie ?"
L'homme se réveilla tout effrayé
de ce qu'il avait vu et entendu. Il se dépêcha d'aller à
l'église. Mais la frayeur diminuant, il s'endormit à nouveau.
Saint Victor lui apparut une seconde fois avec un air fâché.
"Je t'ordonne d'aller à l'église, non pas avec un cierge,
mais avec la baguette de fer qui se trouve dans un coin de ta maison !"
L'homme n'osa plus se rendormir et, saisissant la baguette de fer, il se dirigea vers l'église de l'abbaye le jour de la vigile de la saint Victor. L'église était déjà pleine. Chacun portait dans sa main un cierge allumé.
L'homme n'en avait pas. Que faire ? Il n'avait
pas d'argent ! Il avisa un vendeur de cierge et lui proposa d'échanger
sa baguette de fer contre un cierge. "Oh con!" dit le vendeur "Fan
de chichoun, on t'a baptisé avec de l'eau de morue, peuchère !” L'homme, en entendant
ça, était prêt à tomber comme une figue molle.
Il invoqua alors saint Victor "O
bienheureux Victor, c'est vous qui m'avez fait venir ici. Vous connaissez ma
pauvreté; j'ai apporté ce que vous m'avez prescrit. Je suis le
seul qui ne puisse avoir un flambeau. Me résignant à ma honte, je
vais élever ma baguette de fer comme un cierge. Daignez agréer la
bonne volonté que j'ai de vous honorer comme les autres".
Après avoir dit ces paroles, il dressa sa
baguette et voila que, tout à coup, le bout de la baguette s'enflamma
comme un flambeau de cire et jeta plus d'éclat que les autres cierges.
Tout le monde chanta alors les louanges de saint
Victor.
Le pied droit de saint Victor se
trouverait dans l'église de saint Nicolas du Chardonnet à Paris.
Il est seulement desséché.
On représente le saint en
habit militaire. Ses attributs sont le moulin à vent, l'étendard
ou la lance. Quelquefois il terrasse un monstre. Quelquefois il est
accompagné des trois compagnons soldats
Bonsoirs victorieux et bonjour aux
marseillais.