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TEKERLÈMÈ

ZÜMRÜTANKA (1)
Traduction : Mesut BULUT (2) et Willy BAKEROOT

Bien des contes turcs commencent par des “Tekerleme” (3). Ce sont des introductions qui se présentent sous forme de discours fantaisistes et décousus. Les Tekerleme introduisent l’auditoire au rythme de la parole surprenante et créative. Ils souvent traditionnels mais peuvent être remaniés selon la verve du conteur. La technique du tekerleme est typique de ce que, dans une société de style oral, on appelle le FORMULISME. Comme l’a bien dit Marcel Jousse, “l’improvisateur-récitateur ne crée pas les formules, mais il crée avec des formules que pourtant, il n’a pas inventées.” Le Tekerleme, sorte de jeu de puzzle surréaliste, qui se joue de la logique, emprunte et assemble des formules du langage courant. Il sert à “chauffer” l’auditoire et le conteur.
On en trouve encore, de manière appauvrie, en occident où ils sont placés, au début et, le plus souvent, à la fin des contes. La logique de l’écrit n’a pas retenu ces jeux purement oraux.



Autrefois, quand le crible était dans la paille et que les démons agissaient à leur grés dans le vieux battage... Et que je dise, par exemple de cet arbre-là, et que vous disiez de ce versant-là, un oiseau a volé; ce n’est pas l’oiseau, c’est l’argent (matière) qui a volé; ce n’est pas l’argent c’est Memis (4) qui a volé...
On n’a pas eu le temps de se demander s’il peut voler ou non; ma mère est tombée du seuil, mon père est tombé du berceau... L’un a attrapé la pincette et l’autre l’étrille; sans m’arrêter j’ai fait le tour des quatre coins...
Oh ! là là ! qu’est-ce que c’est que ce coin ! On ne peut l’expliquer facilement. Au moment où on disait que ce coin est le coin d’été, celui-ci est le coin d’hiver et celui-là est le coin d’automne et pendant qu’on faisait le non-sens qu’avons-nous vu ! Le Pacha de Maras (5) arrive d’en bas en courant ! et sans trêve, j’ai trouvé un trou de souris pour une pièce d’or et j’ai pris la fuite.
Mais les polissons de cette rue sont très libertins; ils ont fait une chiquenaude à mon cou et mes yeux sont sortis de leurs orbites !
Sur ce, avec colère j’ai accroché l’un des minarets dans ma ceinture croyant que c’était un tuyau ! Quant à ses coupoles, je les ai mises dans ma poche croyant que c’étaient des millets ! Abdurrahman Celebi (6) m’a fait une ruade en disant recule-toi !
Mais je l’ai attrapé par la queue en criant : en avant ! Il est allé, je suis allé... J’ai avancé pas mal sans faire de détours... en passant sur le gazon et par des prairies; en cueillant des lys et des jacinthes; en buvant de l’eau fraîche, pendant six mois et un automne.
Et je me suis retourné pour regarder derrière et que vis-je ? je n’avais avancé que de deux pouces ! Oh ! Quel malheur m’arrive-t-il, oh ! pauvre de moi !
J’ai l’impression que cette route n’a pas de fin. A moins que l’oiseau de la chance ne se pose sur ma tête, ou bien, qu’il me prenne sur ses ailes; et je n’ai pas eu le temps de finir ce que j’ai à dire, d’un seul coup qu’est-ce que je vois ? Est-ce ce n’est pas le renommé Zümrütanka avec ses rouges et ses verts ? Il vient de la montagne de Kaf, en planant.
Regardez bien : son visage est le visage de l’homme, ses yeux ressemblent à ceux de la gazelle : ce n’est ni un mensonge ni n’importe quoi : c’est un conte inédit.



Il y avait un, il n’y avait pas; Dieu avait un peuple nombreux. Au moment où les chameaux étaient crieurs publics, les puces faisaient office de barbiers. Et au temps où je poussais, en cliquetant, le berceau de ma mère, dans un pays lointain il y avait un roi. Ce roi avait trois fils... Quand on est roi, on a tout.
Qui sait combien de générations avaient légué, son sérail en corail, devant lequel il y avait un jardin enchanté.

Voir le conte ZÜMRÜTANKA

(1) - SIMURG : oiseau magique dans la mythologie persane - Signifie, par un jeu de mots : 30 oiseaux (cf. Hattar - Le langage des oiseaux).
(2) - Maître de conférence au Département communication, à l’Université de MERSIN - TURQUIE.
(3) - “Tekerlek” , en Turc, signifie “roue”, tekerleme s’y apparente en prenant la signification de “roulement de paroles”.
(4) - Hypocoristique de Mehmet.
(5) - Ville de l’est de la Turquie.
(6) - Poète Ottoman du 16e siècle, peu connu par ses oeuvres, mais son nom passe dans plusieurs expressions idiomatiques Turques. On dit, parfois, pour les chevaux non vivaces “Abdurahman Celebi” comme dans ce non-sens.