Retour

LA MUSICOTHERAPIE ACTIVE dans le contexte occidental

Situer la musicothérapie active dans un contexte de mentalité occidentale où la musique est vécue comme un objet ou un moyen sonore avec lequel les artistes se font entendre ou voir, n'est pas simple.
Il existe trois orientations possibles.

Faire la distinction entre :

I) La musique aujourd'hui que nous avons l'habitude d'entendre et de pratiquer,
II) La musique qui symbolise le déroulement du temps,
III) La durée et le temps puis le rythme et la mesure.

I) De nos jours, nous pourrions dire que la musique est “un objet” (1) devant lequel nous nous plaçons. La musique ou langage musical est imprégné de termes qui ont un rapport avec l'espace linéaire et vertical (notes, portées, code d'écriture tonal ou atonal) qui donne naissance à une harmonie.
Nous avons accès à cette musique dans des cours pour l'apprendre, dans des cours d' éveil pour s'éveiller ou dans des cours de danse pour bouger. Le compositeur ou l'interprète utilisent ce langage, ce code pour s'exprimer.

Depuis les Pythagoriciens, la musique est scellée dans un système d'ordre et de classification. (2) On peut dire aussi qu'elle se revêt d'un caractère divin basé sur la découverte de corps sonores naturels (vibrations, résonnances issus de la nature et du cosmos). Ce paradoxe “rationalité/naturel–divin” met en valeur l'harmonie du monde mais depuis longtemps est vidé de sens. (3)
Nous nous retrouvons devant un système établi où on sépare les modes d´expressions en mettant d'un côté les sons, le rythme et de l'autre côté, le corps, la voix.
Qu'est devenu le temps dans le fonctionnement envahi par l'espace, les écrits et les images où la personnalité individuelle n´a plus d'autres modèles ni d'autres finalité qu'elle-même et sa propre image ?

Si la musicothérapie active a tant de mal à trouver sa singularité, n'est-ce pas que le discours ambiant auquel elle emprunte les références est comme imbibé des catégories de l'espace immobile ?

C'est vers d'autres horizons que se tourne la musicothérapie active qui prend en compte la dynamique du temps et celle du langage. Si nous nous éloignons de la logique de la “musique-objet” et si nous étayons notre travail sur d'autres références d'observation, des procédés traditionnels s'imposent.

II) Il semble indispensable de s'imprégner d'une nouvelle manière de faire : La musique dans le déroulement du temps.
Le jeu rythmo-musical n'existe pas en soi, isolé du contexte langagier et rituel et isolé de l'organisation du temps.
Dans les procédés traditionnels, le chant et le rythme n'étaient pas utilisés pour eux-mêmes mais inclus dans un sens général.

En musicothérapie active, nous nous inspirons de cela pour nous accorder avec le temps qui passe et qui nous fait advenir. Nous mettons en jeu la mémoire de ce qui nous a construit. Cette pratique musicale plonge ses racines jusqu'au début de notre histoire personnelle, elle favorise des souvenirs qui peuvent parfois donner le vertige car ils ne sont ni vraiment conscients ni vraiment nommés.
Ces liens-jeux qui existent sont soutenus par des rythmes qui dès le début sont établis par la mère, ces rythmes sont infiniment mobiles, souvent aléatoires, insaisissables et pourtant bien présents. Ils fondent le va-et-vient des balancements fondateurs de différences et de contrastes qui constituent la personnalité humaine. Toutes ces mémoires corporelles enregistrées sont toujours et d´abord des processus rythmiques et gestuels donc temporels.

Depuis sa naissance, l'enfant se trouve imprégné des gestes rythmés de sa mère, sorte de danse intimement liée aux sons, aux intonations, aux contrastes, aux mélodies de discours de la mère et de tout ce qui l'entoure. A croire que l'édification humaine s' élabore entièrement sur un mode rythmo-musical. C'est cela qui va construire l'enfant, à condition qu'il s´accorde avec ces organisations temporelles afin qu'elles restent cohérentes.

Retour

III) Précisons maintenant la différence entre la durée et le temps et entre la mesure et le rythme.
La durée est le déroulement réel du temps (le temps de l'horloge, le temps physique qui nous emporte avec lui). Le temps est l'organisation du déroulement symbolique (le temps symbolique est celui du sens que l'on met dans la durée). À trop confondre la durée et le temps, la musicothérapie active peut se complaire dans la mécanique des enchaînements du rythme musical. (4)

Le jeu rythmo-musical n'a d´efficacité thérapeutique que s'il s´enracine dans le sens et la mémoire. Nous sommes habitués à concevoir un temps linéaire qui va du passé vers l'avenir.
Pour donner du sens au temps partagé, une mémoire de rituel ou de structure a besoin d´être sans cesse renforcée, remise à jour, revécue. Chaque remémoration nous métamorphose en ce sens qu'elle nous consolide dans notre désir de devenir ce que nous sommes. Le présent est comme un sas où s'engouffre l'avenir en allant vers le passé en se chargeant de sens. (5) Sans le sens, le passé se dissout et nos racines nous échappent. Le psychotique qui regarde l'eau couler du robinet semble fasciné par la geste du temps : l'énergie mobile de la vie. C'est qu'il est, lui immobile, fixé à une image insensée qui ne bouge pas elle non plus. Il est sans temps donc sans Autre. Il tend désespérément de s'introduire dans le temps caricaturé par sa stéréotypie.

Il s'agit bien ici de rythmes. En observant des enfants autistes, fascinés par les particules de lumière qui volent, par les billes qui s'écoulent dans le bâton de pluie, par les portes de placard qui se ferment et s'ouvrent sans arrêt, par les traits de lumière sous les portes, je suis avec l'enfant dans ces moments-là, devant le mouvement rythmique de la vie qui pulse.
En utilisant des phrases rythmo-musicales, je suis aussi dans ce mouvement de vie.

La difficulté qui se fait voir ici est le côté évanescent du rythme musical. Il nous échappe sans cesse parce qu'il est lié au temps qui happe tout rapidement. Afin de délimiter le temps depuis sa naissance jusqu'à sa mort, les procédés utilisés en musicothérapie sont : le balancement, les ostinati, les articulations rythmiques, les accordages, métaphores de la vie qui passe. Un enfant qui percute régulièrement des objets au sol peut à un moment donné tourner sa tête, me regarder intensément lorsqu'il a entendu que j'étais dans la même pulsation rythmique que lui et être capable à ce moment là de soutenir l'échange.
Avec le temps ensuite, je peux peu à peu introduire une autre façon de “dialoguer” en lui apportant une variante rythmique, ceci peut l'interpeller, le faire réagir et lui ouvrir un autre champ de communication possible. Nous sommes alors dans l'instant dans quelque chose qui bouge, qui vit, qui se partage.
La comptine, la chanson apportent la fluidité du discours et donnent un sens à la parole. Le corps en mouvement, la voix et le rythme fondent la structure.

Chez les Grecs, le mot rythme était traduit par le mot schéma, une forme dans l'instant assumé par le mouvant, pas immobile car générée par le mouvant, une forme rythmique qui se transforme sans cesse, c'est le destin du rythme. Le mouvement est toujours une surprise et amène un schéma qui se métamorphose à l'infini. Le rythme est donc impossible à figurer. (6) (7)

La parole a besoin du temps pour exister, on ne peut pas tout dire en une seconde. Les séances de musicothérapie s'inscrivent dans ce schéma fait d´anticipations successives. La mesure, elle, coule aussi mais régulièrement en une succession de séquences identiques, les 4 temps sont perçus par la technique du solfège en 4 segments qui se répètent.
Nier le temps au profit d´une éternité fixe, c'est entrer dans l'ennui, la platitude et le non-sens et il ne suffit pas d'instaurer de la durée dans la vie quotidienne des malades, ça, ils l'ont déjà dans les institutions, l'idée est de se retrouver dans des moments vivants où tout advient.
Les phénomènes rythmiques fondent le sentiment de continuité indispensable au développement de la personne humaine, on nourrit l'imagination et favorise l'espérance, on incite au cheminement et à tous les espoirs.

Sylvie Maudet
Cannes Février 2010

Notes :

(1) Voir l'article La musique objet, de Pierre Billard dans l'Encyclopedia universalis p. 821 et 822
(2) Cf. Jamie James La musique des sphères, Éditions du Rocher.
(3) Cf. Catherine Kintzler, J. P. Rameau Splendeur, Naufrage de l'Esthétique du plaisir à l'âge classique, Minerve
(4) Cf. Henri Meschonnic Critique du rythme, Verdier, Lagrasse 1982
(5) Cf. Saint Augustin Confessions, Vrin
(6) CF. Willy Bakeroot Les métamorphoses dans le rythme musical, colloque de Besançon 2008 :
http://carmina-carmina.com/carmina/musicotherapie/metamo.htm

(7) Cf. Daniel Marcelli, La surprise chatouille de l'âme, Albin Michel


Retour