28 janvier
Sainte LIBÉRATE ou LIVRADE
ou DÉBARRAS
La sainte barbue
Vierge et martyre
Quoique la fête de la réception
des reliques de sainte Libérate se célèbre tous les ans
dans la ville de Sainte-Livrade, le dernier dimanche du mois d'août,
néanmoins, sa mémoire est rappelée par l'office de ce
jour dans tout le diocèse d'Agen.
Le Bréviaire d'Agen, que
nous venons de reproduire, ne dit rien de plus sur le compte de sainte Libérate
: la mention qui lui est consacrée dans le martyrologe de ce diocèse
ajoute seulement qu'elle était originaire de la Gascogne.
M. l'abbé Barrère
nous écrivait d’Agen, le 11 août 1871, au sujet de sainte Livrade :
“Tout me porte à croire
que notre Sainte Livrade est la même que Vilgeforte, autrement, Liberata,
Liberada et Livrada, honorée en Espagne et en Portugal, et sous d'autres noms en Allemagne,
en Flandre et en Angleterre, à laquelle le ciel aurait envoyé subitement
une longue barbe pour l’aider à conserver sa virginité.
“Une vague tradition la
fait soeur de sainte Quitère ou Quiterie. J'ai même vu ce point affirmé par un document
que possédait l’ancien curé de Sainte Livrade.
“Tamayus, cité par
les Bollandistes, dit aussi que Vilgeforte, ou Livrada, était soeur de sainte Quiterie, ainsi
que Dode et Genivère. Tamayus,
citant les Bréviaires de Siguenza et de Palence, fait naître
sainte Quiterie et ses soeurs de Catillius et de Calsia. Bien que cette origine ait quelque
chose de fabuleux dans la forme, je ne la crois pas moins vraie dans le fond.
“Les manuscrits Rubeoe-Vallis
en Brabant, et Bodecensium en en Westphalie, qui avaient adopté la
version espagnole, ajoutent que Calsia était issue de la race de rempereur
Julien, et que sainte Quiterie aurait souffert le martyre en 477.
“Cette version porte que
les filles de Catillius, pour se soustraire aux dangers de leur famille idolàtre,
se retirèrent en divers lieux, où elles souffrirent le martyre. C'est
ainsi que sainte Quiterie aurait été martyrisée près
d'Aire, Dode dans le diocèse d’Auch, et sainte Livrade dans
l'Agenais.
“Quant à la légende
allemande, relative à la sorte de métamorphose qu'aurait subie
notre Sainte, je ne la connaissais que par une communication venue de Munich.1
Pour
des Saints ou des Saintes dont l'histoire est obscure, mais le culte populaire,
nous ne pouvons faire autre chose que de recueillir les traditions et de
mettre, comme on dit, toutes les pièces du procès sous les
yeux du lecteur.
Nous insérerons donc une note sur sainte Livrade, que le R. P. Carles, missionnaire au Calvaire
de Toulouse, a eu la bonté d'extraire pour nous d’une notice
sur les reliques de Grand-Selve et qu'il nous a adressée le 1er mars
1872.
“Sainte Libérate, vulgairement Livrade, naquit au IVe siècle, en Espagne, de parents idolâtres. Son père, Catilius, roi de Galice, et sa mère, Callia, étaient ennemis acharnés du nom chrétien. Par un effet de sa miséricorde infinie, Dieu permit que Libérate reçût avec la lumière de la foi le bienfait d'un enseignement chrétien. Pressée de renier sa foi pour sacrifier aux dieux, Libérate s'éloigna secrètement de la Galice, avec ses deux soeurs Quiterie et Gemme, et alla s'établir dans l'Aquitaine. Ces trois jeunes vierges propagèrent la doctrine évangélique au sein des populations païennes et firent un grand nombre de prosélytes.
Catilius, instruit de tout, dénonça ses trois filles au gouverneur de l'Aquitaine, Modérius, qui les soumit aux tortures usitées et leur fit trancher la tète. Sainte Libérale souffrit son martyre dans la forêt de Montus, au diocèse de Tarbes.
Son corps fut primitivement recueilli dans l'église de Saint-Jean de Mazères, et transféré, en 1342, dans une chapelle de l'abbaye de Saint-Sever de Rustau, par Pierre-Raymond de Mode-Brune, évêque de Tarbes, ainsi qu’il résulte d'une inscription gravée sur le couvercle de la chasse en marbre blanc où il est renfermé.
Au temps des guerres de religion entre les catholiques et les protestants, la corps de sainte Libérate fut reporté à Mazères, où il est encore. L'abbaye de Grand-Selve possédait depuis plusieurs siècles une partie notable du corps de cette Sainte, et, au dix-septième siècle, l'abbé en donna une portion assez considérable aux habitants de Sainte-Livrade, dans l'Agenais, qui dès lors la prirent pour patronne de leur ville et lui donnèrent même son nom. Sainte Libérate est en grand honneur dans toute l'Aquitaine, comme sa, soeur sainte Quiterie. Les femmes en couches l'invoquent pour leur délivrance. Plusieurs églises lui sont dédiées dans le midi de la France”.
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Enfin le P. Cahier, à nul autre pareil quand il s'agit d'habiller à la moderne les légendes du moyen âge et de leur conserver en les traduisant tout leur inimitable charme; - le P. Cahier s'exprime ainsi dans ses Caractéristiques des Saints :
Sainte Libérate est représentée barbue et mourant en croix. On en raconte dès choses tout à fait merveilleuses, mais qu'il faut voir surtout dans les vieux auteurs espagnols et portugais, qui ne ménageaient point l'extraordinaire à leurs saints privilégiés.
Elle était, dit-on, fille d'un roi païen de Lusitanie qui, ayant eu ses Etats envahis par un roi de Sicile, lui promit Vilgeforte pour épouse afin d'avoir la paix. La princesse, ne sachant comment se soustraire à ce mariage, aurait prié Dieu de lui venir en aide, et une longue barbe garnit subitement son menton.
Furieux de cette ressource inattendue qu'avait trouvée la Sainte, le père la fit crucifier. À ces faits déjà fort étranges, l'imagination des légendaires a voulu joindre encore bien d'autres embellissements que ne connaissait pas l'antiquité; de sorte qu'il en est résulté un composé de circonstances toutes plus singulières les unes que les autres.
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L'église de Siguenza, qui honore cette Sainte pour patronne sous le nom de Libérata (Librada), ne fait pas profession de croire à toutes les surcharges qui ont augmenté ce récit.
Selon d'autres, la ressource extraordinaire de sainte Vilgeforte avait pour but d'échapper aux sollicitations de son propre père; mais c'est surtout dans les pays du Nord que cette légende a fleuri. Là, le nom de Liberata donné à la Sainte à cause de la façon dont le ciel l'avait débarrassé du mariage, la fit appeler à peu près sainte Débarras. Cela est devenu en Allemagne - Ohnkummer, Ohnkummernuss, Kummernis, Kummernissa, Sanct-Gehulf; en Flandre : Ontcommera, Onkommera, Ontcommene, Regenflegis, Regenflegis ; en Angleterre : Sainte Uncumber ; en France : Sainte Livrade ; et en différents pays, pour les livres liturgiques : Liberata, Liberatrix, Eutropia, etc. Par suite de cette dénomination, était venue en Angleterre l'idée que la Sainte pouvait être parficulièrement secourable aux femmes qui voulaient se débarrasser de leurs maris.
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La Revue britannique a consacré quelques détails à cette singulière dévotion anglaise et à la légende primitive.
“Pour moi, je penche à croire
que cette couronne, cette barbe, cette robe et cette croix qui ont été prises
pour les insignes d'une princesse miraculée, ne sont qu'un détournement
de la piété envers le célèbre crucifix de Lucques. On sait que la dévotion à cette
image de Jésus-Christ crucifié était fort répandue
au XIIe siècle; si bien que le roi dAngleterre, Guillaume le Roux, jurait
volontiers par le saint voult de Lucques.
“Or, ce fameux crucifix,
comme plusieurs autres de ces temps-là, est entièrement vêtu
et couronné. A distance
de temps et de lieu, le long vêtement aura fait penser à une femme,
et la barbe lui aura valu la qualification de Vierge forte. Ajoutons que le crucifix de Lucques ayant été chaussé en
argent pour obvier à la détérioration que ses pieds pouvaient
subir sous les baisers des nombreux pèlerins, cette circonstance nouvelle
aura tourné encore à la plus grande gloire de sainte Vilgeforte.
“On a dit qu'un pauvre ménétrier étant
venu jouer un air devant la statue de la Sainte, en avait été récompensé par
une de ses riches pantoufles. Ce
prodige, prêté aussi à un pèlerinage de la très-sainte
Vierge, a tout l'air d'être né au sanctuaire du santo volio di
Lucca, d'où il aura fait son chemin à travers les pays slaves
et germaniques”.